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Décisions

CA Paris, 13e ch. B, 18 avril 2008, n° 07-11196

PARIS

Arrêt

Confirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Barbabin

Conseillers :

Mmes Seran, Geraud-Charvet

Avocat :

Mes Sulzer

TGI Bobigny, 15e ch., du 29 mai 2007

29 mai 2007

RAPPEL DE LA PROCEDURE

LA PRÉVENTION :

X, Y, SAS Z sont poursuivis pour avoir à Aubervilliers (93) en tout cas sur le territoire national et depuis temps non prescrit, en mai et juin 2006, effectué une publicité comportant, sous quelque forme que ce soit, des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur et portant sur les qualités substantielles et l'origine de biens ou de services et sur la portée des engagements pris, en l'espèce d'avoir par l'intermédiaire de la SAS Z <adresse> à Aubervilliers (93) et présidée par l'EURL V dont il était le gérant, diffusé une publicité par voie de presse pour une gamme de verres progressifs de marque "1" indiquant qu'il s'agissait de "verres 100 % européens", fabriqués, surfacés et traités en France et au Portugal, alors qu'en réalité les verres produits par son principal fournisseur étaient pour l'essentiel élaborés à partir de palets semi-finis fabriqués en Asie.

LE JUGEMENT :

Le tribunal, par jugement contradictoire, a déclaré :

X, Y, SAS Z non coupables de publicité mensongère ou de nature à induire en erreur, de /05/2006 à /06/2006, à Aubervilliers, infraction prévue par les articles L. 121-1, L. 121-5, L. 121 -6 al. 1 du Code de la consommation et réprimée par les articles L. 121-6, L. 121-4, L. 213-1 du Code de la consommation

les a relaxés des fins de la poursuite.

L'APPEL :

Appel a été interjeté par :

M. le Procureur de la République, le 5 juin 2007, contre Monsieur Y, Monsieur X, SAS Z.

DECISION :

Rendue après en avoir délibéré conformément à la loi,

Statuant sur l'appel du Ministère public à l'encontre du jugement déféré ;

A l'audience du 21 mars 2008, Madame l'avocat général fait valoir que les verres de lunettes visés dans l'enquête de la DGCCRF sont fabriqués non pas à partir d'une matière première mais d'un produit semi-fini synthétique et qu'au vu de la publicité litigieuse selon laquelle les verres sont à 100 % européens, le consommateur peut penser que tout le processus de fabrication est européen, ce qui n'est pas le cas.

Elle demande à la cour d'entrer en voie de condamnation.

M. X et la société Z, représentés par leur conseil et M. Y, assisté du même conseil, demandent à la cour, par voie de conclusions conjointes :

"Vu l'article L. 121-1 du Code de la consommation

Vu l'article 24 du Règlement CE n° 2913-92 du Conseil du 12 octobre 1992 établissant le Code des douanes communautaires,

Dire qu'en diffusant une publicité par voie de presse pour une gamme de verres progressif de marque 1, indiquant qu'il s'agissait de "verres 100 % européens fabriqués, surfacés et traités en France et au Portugal" les prévenus n'ont pas commis le délit de publicité trompeuse.

En conséquence confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a relaxé les prévenus des fins de la poursuite.

Subsidiairement,

Vu l'article 234 CE (ancien art 177 du traité de Rome),

Si la Cour estimait ne pas être en mesure de trancher la divergence d'interprétation des dispositions de l'article 24 du Code des douanes communautaire entre la DGGCCRF et les prévenus.

Saisir la Cour de justice des Communautés européennes d'une demande de décision préjudicielle, concernant l'interprétation de l'article 24 du Règlement CE n° 2913-92 du Conseil du 12 octobre 1992, établissant le Code des douanes communautaires, et notamment en demandant à la Cour de dire :

"Si des verres optiques fabriqués dans un Etat membre de la Communauté européenne en utilisant des palets semi-finis provenant d'un pays tiers à son origine dans l'Etat membre susdit [sic]".

Dans ce cas surseoir à statuer dans l'attente de la décision interprétative de la Cour de justice des communautés européennes

Très subsidiairement, et pour le cas où la Cour estimerait établie l'infraction poursuivie

Constater que par acte de délégation de pouvoir établi le 10 janvier 2006, Monsieur X a délégué à Monsieur Y toute responsabilité quant au respect par l'entreprise notamment des règles en matière de consommation

En conséquence dire et juger que Monsieur X est exonéré de toute responsabilité pénale relative à l'infraction poursuivie ;

Statuer ce que de droit".

Les prévenus font valoir que le produit objet de la publicité, à savoir un nouveau verre dénommé "1", réalisé en exclusivité pour le réseau "X" en France et en Europe, est un verre fabriqué à l'unité en fonction des mesures personnelles de chaque client, par des verriers de renommée mondiale travaillant en Europe. Que ces fabricants reçoivent des palets de verres organiques semi-finis et procèdent aux différentes opérations techniques décrites par les inspecteurs (ébauchage, doucinage, polissage) à l'aide de machines pilotées par des logiciels d'une très grande précision, et que le palet semi-fini ne peut être qualifié de verre optique.

Ils soutiennent que les produits vendus par le réseau X sont d'origine européenne au sens de l'article 24 du règlement CE n° 2913-92 du 12 octobre 1992.

Ils rappellent que la Cour de justice de Communautés européennes estime qu'une transformation ou ouvraison n'est substantielle que si le produit qui en résulte présente des propriétés et une composition substantielle qu'il ne possédait pas avant, qu'en l'espèce un palet semi-fini ne comporte aucune des caractéristiques d'un verre plastique et ne peut être utilisé à cette fin. Qu'au surplus la valeur ajoutée est sans commune mesure, puisque le palet semi-fini est payé 13,46 euro la paire, et que le verre progressif est vendu 70 euro à l'unité.

Sur ce, LA COUR

I - Rappel des faits

Le 15 décembre 2006, deux inspecteurs et un contrôleur de la DGCCRF dressaient procès-verbal à l'encontre de X, gérant de l'EURL V, elle-même Président de la SAS Z, de M. Y, Directeur Général Adjoint de la SAS Z et cette dernière société, pour publicité comportant des allégations fausses ou de nature à induire en erreur sur l'origine des verres progressifs et les engagements pris par l'annonceur, infraction prévue et réprimée par l'article L. 213-1 du Code de la consommation.

Ils rapportaient que, dans le cadre d'une enquête nationale sur la qualité des verres correcteurs, ils s'étaient présentés le 31 mai 2006 à 10 h dans les locaux de la SA 2, filiale du groupe allemand 3 à Fougères (Ile et Vilaine). Ils précisaient que cette entreprise était l'un des fabricants français de verres correcteurs les plus importants (25 % du marché) et employait près de 500 personnes.

L'usine de Fougères recevait des palets de verre organique semi-finis de divers fournisseurs installés dans des pays extérieurs à l'Union européenne, à savoir l'Australie, la Chine, les Philippines et les USA.

Elle procédait au "surfaçage" de ces palets en trois opérations :

- ébauchage : on enlève de la matière au semi-fini tout en le préparant à recevoir l'outil ou contreforme qui lui donnera sa courbure finale

- doucissage : cette opération permet, par frottements entre le verre et l'outil équipé d'un pas abrasif (sorte de toile émeri) de supprimer l'aspect rugueux de la surface, de donner la courbure définitive du verre ainsi que son épaisseur finale

- polissage : cette étape va donner toute sa transparence au verre grâce aux frottements sur le même outil que le doucissage mais avec un "pad doux floqué" sous un jet d'oxyde métallique réfrigéré qui lustre la surface du verre.

Le verre ainsi surfacé peut ensuite être soumis à divers traitements, en fonction des options choisies par le porteur et indiquées à son opticien :

- le durci : dépôt par trempage d'une couche de résine flue de protection, quasi systématique sur les verres organiques et polycarbonates (résistance à la rayure) puis pré cuisson et cuisson

- la coloration: permet de transformer un verre blanc en verre solaire

- le multicouche dépose de 5 à 7 couches de composants notamment anti-reflets et hydrophobes (téflon)

Les produits finis sont commercialisés sous des marques propres 2 (2a, 2b, 2c, 2d, 2e) ou des marques comme celle de Z qui commercialise notamment les verres organiques de la gamme 1, qui sont des verres progressifs de dernière génération.

Quelques jours après leur intervention, les inspecteurs avaient connaissance de la diffusion d'une publicité parue dans le journal Ouest France des 3 et 4 juin 2006 intitulée "Succès phénoménal du nouveau verre progressif d'X".

Il s'agissait d'un "publi-reportage" relatif à la promotion d'une nouvelle gamme de verres progressifs inédits de l'enseigne Z à la marque 1 à 325 euro présentés avec une "adaptation réussie à 99 %" et annoncés comme étant fabriqués en partenariat par 3 et le Groupe 4.

Cette publicité comportait les allégations suivantes :

"Bien sûr, ce sont des verres fabriqués en Asie... ?"

"Non, il s'agit de verres 100% européens, qui sont fabriqués, surfacés et traités en France et au Portugal..."

Afin de vérifier ces allégations, les inspecteurs estimaient que des vérifications complémentaires auprès de 2 s'avéraient nécessaires.

Ils se présentaient le 20 juillet 2006 à l'usine de Fougères et par sondage recueillaient les copies d'étiquetages de 6 boîtes de palets semi-finis de modèles différents détenus en stock et destinés à la production de verres progressifs 1 d'X.

A l'aide d'un certain nombre de documents fournis par la société 2 (copies des bons de commande de la société Z notamment) les inspecteurs parvenaient à la conclusion que sur 121 711 verres 1 produits par 2 sur la période du 01/10/05 au 3 0/06/06 105 919 verres, soit 85 % avaient été élaborés à partir de verres semi-finis fabriqués hors de l'Union européenne dont 87 901 verres, soit 83 % en Asie. Enfin, le 15 novembre 2006, les inspecteurs se présentaient à la SAS Z, [adresse], où ils rencontraient le directeur juridique.

Ils apprenaient que la SAS Z est prestataire de service pour le compte d'un réseau de 807 boutiques (franchisées et succursales) à enseigne X, dont 622 en France et 122 en Espagne (au 31/07/06).

Son chiffre d'affaire HT est de 448 millions d'euro.

Les verres sont commandés directement par les responsables de magasins aux fournisseurs.

Les factures d'achat sont établies par les fournisseurs au nom de chaque magasin mais c'est la société SA X qui fait office de "centrale de paiements" et honore tous les paiements aux fournisseurs puis se fait rembourser sur les magasins franchisés.

Selon les explications fournies par M. F, la gamme 1 a été développée en mars 2006 auprès de 2 partenaires fabricants : 2 à Fougères (35) et 4 France à Collégien (77)

Un 3e partenaire est apparu en octobre 2006 la société 5, à Saint-Quentin en Yvelines (78).

Un accord de partenariat conclu par Z avec chacun de ces partenaires concède la licence de la marque 1 et leur exclusivité sur le produit en question. Une technologie innovante, appelée APF18 et AFF16 (dans le cas de 4) et AZI8 etAZI6 (dans le cas de 2) serait fondée sur des méthodes inédites et brevetées de calcul de la progression des verres qui justifierait cette exclusivité.

Le lancement de la gamme des verres progressifs 1 a débuté en mars 2006.

A fin octobre 2006, les ventes par fabricant représentaient respectivement :

- 203 294 verres provenant de 2

- 13 719 verres provenant de 4.

Concernant le publi-reportage diffusé dans le journal Ouest France des 3 et 4 juin 2006, le Directeur Juridique a indiqué que cette publicité rédactionnelle s'inscrivait dans le cadre d'une campagne publicitaire nationale organisée pour le lancement de la gamme 1 d'X

Elle a été diffusée par voie de presse dans 66 quotidiens régionaux dans l'ensemble de la France, les 27 mai et 3 juin 2006, en complément de la diffusion de spots télévisuels et radiophoniques. Cependant ces derniers ne reprenaient pas le texte incriminé.

Le coût des prestations d'achat d'espace pour 2 parutions dans chacun des 66 quotidiens régionaux s'est élevé à 123 675 euro HT.

II - DISCUSSION

Il ressort des éléments ci-dessus rappelés, de la procédure et des débats que les sociétés qui fabriquent en particulier les verres progressifs dénommés 1 le font à partir d'un produit semi-fini en forme de demi-sphère provenant d'un verre en fusion et ayant une face convexe ou concave.

Par la suite intervient un processus de fabrication des verres optiques nécessitant des appareils sophistiqués et des techniques de pointe, ci-dessus décrites, étant précisé qu'aucun verre optique ou ophtalmologique ne peut être obtenu directement à partir du produit semi-fini.

La publicité incriminée, qui a pour objet de faire la promotion des verres progressifs 1 ne saurait être fausse ou de nature à induire en erreur le consommateur dès lors que la fabrication de verres optiques correctifs et adaptés à la vue de chaque utilisateur est effectivement faite en Europe, à partir d'un produit semi-fini indifférencié.

Par ailleurs et surabondamment, même si le règlement CE n° 2913-92 établissant le Code des douanes communautaires est relatif à la réglementation douanière, il n'en demeure pas moins que l'article 24 de ce règlement, qui définit l'origine géographique d'une marchandise, pose quatre critères qui peuvent très bien se rapporter au cas d'espèce.

En effet, cet article dispose: "une marchandise dans la production de laquelle sont intervenus deux ou plusieurs pays est originaire du pays où a eu lieu la dernière transformation ou ouvraison substantielle, économiquement justifiée, effectuée dans une entreprise équipée à cet effet et ayant abouti à la fabrication d'un produit nouveau ou représentant un stade de fabrication important".

Or, selon la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes, une transformation ou ouvraison n'est substantielle que si le produit qui en résulte présente des propriétés et une composition spécifique propre qu'il ne possédait pas avant cette transformation ou ouvraison, ce qui est le cas des verres optiques en cause.

Il convient, dès lors, de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a relaxé les trois prévenus.

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement, Reçoit l'appel du ministère public, Confirme le jugement déféré.