CA Paris, 13e ch. A, 5 mai 2008, n° 07-10143
PARIS
Arrêt
Infirmation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Guilbaud
Conseillers :
M. Waechter, Mme Geraud-Charvet
Avocat :
Me Senyk
RAPPEL DE LA PROCEDURE
LA PRÉVENTION :
X et la SAS Y ont été poursuivis à la requête du procureur de la République de Paris, pour avoir à Paris et sur le territoire national, courant 2004 et en tout cas depuis temps non couvert par la prescription pénale, effectué une publicité comportant, sous quelque forme que ce soit, des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur portant sur l'existence, la composition de biens en l'espèce, par négligence, en présentant pour chaque exemplaire mis en vente en magasin (par présentation audiovisuelle) comme en ligne et sur l'emballage, un album du groupe Placebo comme comportant six titres bonus originaux en fait absents,
LE JUGEMENT :
Le tribunal, par jugement contradictoire à l'encontre des prévenus, a :
- déclaré X non coupable et l'a relaxé des fins de la poursuite pour les faits qualifiés de publicité mensongère ou de nature à induire en erreur, faits commis courant 2004 et depuis temps non couvert par la prescription, à Paris et sur le territoire national, infraction prévue par les articles L. 121-1, L. 121-5, L. 121-6 al. 1 du Code de la consommation et réprimée par les articles L. 121-6, L. 121-4, L. 213-1 du Code de la consommation,
- déclaré la SAS Y non coupable et l'a relaxée des fins de la poursuite pour les faits qualifiés de publicité mensongère ou de nature à induire en erreur, faits commis courant 2004 et depuis temps non couvert par la prescription, à Paris et sur le territoire national, infraction prévue par les articles L. 121-1, L. 121-5, L. 121-6 al 1 du Code de la consommation et réprimée par les articles L. 121-6, L. 121-4, L. 213-1 du Code de la consommation,
L'APPEL :
Appel a été interjeté par :
Monsieur le procureur de la République, le 26 janvier 2007 contre Monsieur X et SAS Y.
DÉCISION :
Rendue contradictoirement à l'encontre des prévenus, après en avoir délibéré conformément à la loi,
Statuant sur l'appel relevé par le Ministère public à l'encontre du jugement de relaxe déféré auquel il est fait référence.
Madame l'avocat général, se référant aux termes du rapport d'appel établi en date du 5 octobre 2007, estime que le délit poursuivi est caractérisé en tous ses éléments,
Elle requiert la cour d'infirmer le jugement de relaxe entrepris, de retenir les prévenus dans les liens de la prévention et de les condamner chacun à une peine d'amende.
Par voie de conclusions conjointes, la société Y et X demandent au contraire à la cour de confirmer le jugement de relaxe entrepris.
Ils soutiennent en effet que la seule mention erronée figurant sur l'autocollant résulte d'une simple erreur matérielle et non d'une négligence et ne revêt aucun caractère trompeur pour le consommateur.
Ils soulignent à cet égard les éléments suivants :
- le service marketing d'Y a commis une erreur en omettant d'informer le service de fabrication parisien du changement de contenu du CD bonus, intervenu au dernier moment à la demande de l'artiste,
- s'agissant d'une édition spéciale, réservée à la France, le service marketing de Y s'est chargé de la commande des autocollants,
- toutefois, dans la mesure où l'ensemble de l'album (CD, jaquette et autocollant) était fabriqué aux Pays-Bas, Y n'intervenait pas dans le processus de fabrication et disposait de moyens de vérification limités,
- pour cette raison, l'erreur n'a été découverte qu'au moment de la réception de l'album au siège parisien.
Sur la rapidité de rectification de l'erreur, ils font observer que :
- dès la découverte de l'erreur, Y a immédiatement alerté l'usine de fabrication aux Pays-Bas et pris soin de commander, le même jour, la fabrication de nouveaux autocollants,
- ainsi, un nouvel autocollant a été apposé aussi rapidement que possible sur les CD portant la mention erronée.
- Y a préféré rectifier son erreur plutôt que d'annuler la sortie de l'album dans la mesure où, d'une part, certains albums avaient déjà été envoyés en précommande aux distributeurs et, d'autre part, le préjudice subi pour les consommateurs admirateurs de l'artiste, dans l'attente de cette sortie, aurait été considérable,
Ils relèvent par ailleurs que les consommateurs mécontents, s'étant manifestés auprès de la DGCCRF, ont été dédommagés et qu'à la suite de cette erreur tout à fait exceptionnelle, Y a mis en place un protocole de contrôle renforcé afin de vérifier la conformité des mentions publicitaires.
Ils affirment que l'absence de caractère trompeur de la mention litigieuse résulte des éléments suivants :
- seul l'autocollant comportait une mention erronée, et le consommateur disposait d'informations exactes sur la jaquette du CD ainsi que par le biais de toute la campagne publicitaire,
- la mention litigieuse n'a pas déterminé l'acte d'achat du consommateur, compte tenu de l'absence de caractère attractif de cette dernière
Ils font valoir que la mention litigieuse ne revêtait pas un véritable caractère attractif dans la mesure où :
- les titres acoustiques avaient déjà été diffusés sur la radio française,
- si Y avait considéré dans le projet initial que la présence de six titres acoustiques pouvait constituer un argument de vente significatif cette mention aurait été mise en avant sur l'autocollant de façon beaucoup plus visible.
RAPPEL DES FAITS :
La présente procédure fait suite aux constatations de la DGCCRF consécutives aux réclamations de consommateurs, au sein de différents commerces proposant à la vente l'album "best of" du groupe anglais Placebo intitulé "One more with feeling, singles 1996-2004, Ltd edition".
Par procès-verbal, clos le 3 mai 2005, la DGCCRF a relevé qu'en magasin comme en ligne, il était fait mention de six titres acoustiques "bonus" de ce groupe et que ces derniers étaient annoncés par un autocollant rapporté sur l'emballage "cellophané" du disque compact.
Or, ayant écouté cet album, la DGCCRF a constaté que les titres acoustiques annoncés n'y figuraient pas et que ce disque était en réalité une compilation de titres anciens du groupe.
La directrice juridique d'Y a fait valoir à l'agent de contrôle que le refus opposé au dernier moment par l'artiste concernant l'exploitation des six titres acoustiques, avait conduit la société à proposer à la place, un disque contenant dix titres remixés et que, dans l'urgence et suite à une erreur matérielle, environ 90 000 produits avaient été vendus avec un étiquetage non rectifié.
Entendu par les services de police, X, Président directeur général de la société Y, a indiqué qu'au vu du refus du groupe Placebo de lancer une série limitée incluant six titres acoustiques, il avait immédiatement pris la décision de faire un disque contenant dix titres remixés afin de ne pas pénaliser la clientèle.
Il a en outre exposé que suite à une erreur du service marketing, le service de fabrication parisien n'avait pas été informé de ce changement et que l'album avait ainsi été fabriqué avec un emballage comportant des mentions publicitaires erronées.
Le mis en cause a souligné que cette erreur avait été constatée le 22 octobre 2004 et que le service de fabrication parisien avait commandé en urgence de nouveaux "stickers" comportant des mentions conformes au contenu des disques et qu'il avait été impossible de rectifier la totalité des exemplaires expédiés en précommande les 20, 21 et 22 octobre 2004 concernant un album dont la sortie était prévue au 25 octobre 2004.
Sur ce, LA COUR :
Considérant que les autocollants litigieux, annonçant six titres acoustiques "bonus " constituent une publicité au sens de l'article L. 121-1 du Code de la consommation ;
Considérant qu'en dépit des affirmations de la défense, la présence sur les pochettes de l'album de la mention "Edition limitée, CD bonus 6 titres acoustiques"- qui s'est révélée inexacte - était une indication très attractive pour le consommateur pensant acheter un album avec des titres non encore commercialisés alors qu'en réalité le disque vendu n'était qu'une compilation de titres anciens et non une nouveauté ;
Considérant que la société Y et X, en leur qualité d'annonceurs, se devaient de vérifier que la publicité critiquée était exempte de tout élément susceptible d'induire le consommateur en erreur ;
Considérant que la société Y ayant lancé son schéma de fabrication s'est rendue compte de la livraison d'un produit non conforme quelques jours avant le jour de la sortie "officielle" du produit en magasin le 25 janvier 2004 ;
Qu'elle a néanmoins privilégié la date de sortie officielle de l'album sans engager une procédure de retrait du produit du marché en estimant que "le consommateur n'était pas trop lésé " ;
Considérant que les commandes de nouveaux "stickers" faites à compter du 20 octobre ne sauraient, à elles seules, justifier l'absence de négligence fautive, alors que 90 000 articles ont été vendus avec un étiquetage mensonger, s'agissant de surcroît d'une importante campagne publicitaire représentant un chiffre d'affaires en magasin d'environ 1 530 000 euro ;
Considérant qu'en s'abstenant de s'entourer de précautions élémentaires de vérifications avant la diffusion du produit, de la conformité de l'enregistrement aux indications figurant sur la pochette du disque, la société Y - qui depuis lors a mis en place un protocole de contrôle renforcé - a commis une faute d'imprudence ou de négligence constitutive de l'élément moral de l'infraction de publicité mensongère visée à la prévention ;
Que son PDG, X, qui n'a consenti aucune délégation de pouvoirs, aurait dû, en tant que président, veiller à la conformité des publicités diffusées par sa société, ou du moins à la mise en place d'un protocole de contrôle adapté, ce qu'il a manifestement omis de faire avant la commission des faits reprochés ;
Considérant en définitive que le délit poursuivi est constitué, en tous ses éléments à l'encontre de X et de la société Y ;
Considérant que la cour, dès lors, infirmera le jugement de relaxe querellé, retiendra les prévenus dans les liens de la prévention, condamnera X à une amende de 2 500 euro et la société Y à une amende de 6 000 euro, ces sanctions modérées étant justifiées par les circonstances particulières de l'espèce et les efforts consentis par les mis en cause pour modérer les conséquence de l'erreur commise ;
Que la Cour par ailleurs dispensera les prévenus de la publication de la décision prévue à l'article L. 121-4 du Code de la consommation ;
Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement contradictoirement à l'encontre des prévenus, Reçoit le Ministère public en son appel, Infirme le jugement de relaxe déféré, Déclare X et la société Y coupables du délit de publicité mensongère ou de nature à induire en erreur, faits commis courant 2004, prévus par les articles L. 121-1, L. 121-5, L. 121-6 alinéa 1 du Code de la consommation et réprimés par les articles L. 121-6, L. 121-4, L. 213-1 du même code, Condamne X à une amende de 2 500 euro, Condamne la société Y à une amende de 6 000 euro, Dispense les prévenus de la publication de la décision, Rejette toutes conclusions plus amples ou contraires.