CA Douai, 6e ch. corr., 6 mars 2007, n° 06-02811
DOUAI
Arrêt
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Marie
Conseillers :
MM Lemaire, Cadin
Avocats :
Mes Legrand, Paternoster
DECISION :
Vu toutes les pièces du dossier,
La cour, après en avoir délibéré conformément a la loi, a rendu l'arrêt suivant :
- RAPPEL DE LA PROCEDURE
Monsieur X et Monsieur Y ont été poursuivis devant le Tribunal correctionnel de Lille, par Madame Poissonnier Jacqueline, sur citation directe, pour les voir déclarer coupables
> d'une infraction au sens des articles L. 121-22, L. 121-23 et L. 121-24 du Code de la consommation en ne remettant pas lors de leur visite au domicile un bon de commande répondant aux prescriptions légales ;
> du délit d'abus de faiblesse prévu a l'article L. 128-8 du Code de la consommation, en obtenant deux chèques de 363,60 euro pour l'achat a posteriori d'un lot de 700 cartes de visite et d'étiquettes autocollantes qu'elle n'avait pas commandé, ne disposant que du revenu minimum d'insertion, n'ayant aucune vie sociale et un enfant handicapé à charge, et ne pouvant comprendre ni mesurer les engagements qui étaient exigés d'elle ;
avec ces circonstances que ces infractions ont été commises de concert par ces derniers qui se présentaient comme salaries d'une entreprise de vente à domicile bien connue dans la région et à laquelle elle avait déjà eu à faire.
et les voir, chacun, condamner, outre les peines requises par le procureur de la république, aux sommes suivantes
- 727,20 euro en remboursement de la somme versée ;
- 5000,00 euro de dommages et intérêts ;
- 1500,00 euro sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale ;
Par jugement contradictoire du 23.09.05 le tribunal a prononce la relaxe des deux prévenus et a débouté Madame Poissonnier Jacqueline de sa constitution de partie civile.
RAPPEL DES FAITS
Madame Poissonnier Jacqueline expliquait dans sa citation directe qu'elle avait été démarchée à son domicile, au début du mois de février 2005, par les deux prévenus, qui s'étaient présentés " comme anciens VRP de la société Z " avec laquelle elle avait " effectivement travaillé en toute confiance dans les années précédentes ", et qu'ils lui avaient propose un lot de 100 cartes de visite pour 120 euro, en ne lui laissant aucun document et en lui précisant que le règlement s'effectuerait le jour de la livraison.
Elle indiquait qu'ils étaient revenus chez elle le 12.02.05 pour lui livrer 700 cartes de visites, 450 étiquettes autocollantes, en lui faisant signer des documents sans lui en laisser la copie, ainsi que 4 chèques d'un montant de 363,60 euro chacun, qui étaient débités par les sociétés A et B.
Elle prétendait qu'ils lui avaient fait souscrire des engagements hors de proportion avec ses besoins et ses revenus, qui lui étaient sans intérêt en raison de sa vie sociale très réduite, et affirmait avoir confondu les francs et les euro, en ne comprenant pas que sa commande initiale avait été multipliée par 10.
Le 16.02.05 elle était entendue par les policiers et leur déclarait qu'elle avait accepté d'acheter des cartes de visite " car elle en avait besoin " et qu' " à aucun moment " elle n'avait été " forcée ni menacée ", mais que " pour un tel montant " elle se serait rétractée si elle en avait eu la possibilité.
Lors d'une autre audition elle confirmait que les vendeurs n'avaient jamais été agressifs et qu'elle avait accepté les produits qui lui avaient été proposés.
Monsieur Y se présentait comme gérant de la société A et prétendait avoir remis à Madame Poissonnier Jacqueline un bon de commande comportant les conditions légales de rétraction, en lui en laissant une copie.
Monsieur X se déclarait gérant de la société B ayant le même siège social que la société A, il indiquait que la plaignante lui avait également passé une commande qu'il avait traitée dans les mêmes conditions que Monsieur Y.
Les deux prévenus affirmaient que Madame Poissonnier Jacqueline n'avait établi que deux chèques, chacun d'un montant de 363,60 euro, remis à chacun d'eux.
Madame Poissonnier Jacqueline maintenait en avoir établi quatre du même montant qu'elle avait noté sur les talons, et qu'aucune copie de document ne lui avait été laissée.
Les prévenus relataient que leur ancien employeur Monsieur C dirigeant de la société Z " échafaudait " un plan pour que leurs clients se rétractent et déposent plainte.
Ils étaient poursuivis devant le tribunal qui rendait le jugement entrepris.
LES PRETENTIONS
~ la partie civile maintient qu'aucun document ne lui a été laissé, que les bons de commande n'ont été retrouves qu'après la plainte, qu'ils ne correspondent pas à la livraison qui a été faite, qu'aucune facture n'a été établie, et que le jugement entrepris n'a statué que sur le délit de non remise d'un bon de commande et non sur les infractions visées aux articles L. 121-23 et L. 121-24 du Code de la consommation reprises dans sa citation directe.
~ Le ministère public considère que les infractions sont constituées, requérant, pour chacun des prévenus, une peine d'emprisonnement assorti d'un sursis avec mise à l'épreuve et une amende.
~ Les prévenus font valoir que Madame Poissonnier Jacqueline a reconnu a l'audience du tribunal sa signature sur les bons de commande et son écriture sur la date du " 2.02.05 ", estimant que sa vulnérabilité n'était pas établie a la date des faits, et qu'ils ont agi de bonne foi sur un document a l'entête de leur société.
SUR CE :
Sur l'action publique
Sur les infractions au Code de la consommation
Attendu que la citation directe vise expressément les articles L. 121-23 et L. 121-24 sur lesquels le tribunal n'a pas vidé sa saisine ;
Qu'il y a lieu d'annuler le jugement entrepris et d'évoquer ;
Attendu que les opérations de démarchage à domicile doivent, en application des articles susvisés, faire l'objet d'un contrat dont un exemplaire doit être remis au client, et comporter, entre autres, une faculté de renonciation sur un formulaire détachable ;
Attendu que si Madame Poissonnier Jacqueline a bien signé sous la mention " reçu mon double " sans toutefois l'indiquer de sa main comme cela est rappelé sur le bon de commande, le formulaire de rétractation ne répond pas aux exigences légales ;
Qu'il ne contient pas le texte intégral des articles L. 121-23, L. 121-24, L. 121-25 et L. 121-26 du Code de la consommation ;
Que son caractère détachable n'est pas suffisamment apparent et qu'il est établi dans des caractères différents et de plus petite taille, alors qu'il doit apparaitre en caractères " très lisibles " avec sur son autre face la mention " annulation de commande en gros caractères " ;
Que ces faits sont réprimés par l'article L. 121-28 du Code de la consommation ;
Que l'infraction est caractérisée ;
Qu'il y a lieu d'en déclarer les prévenus coupables ;
Sur l'abus de faiblesse
Attendu que la citation vise l'infraction prévue et réprimée à l'article L. 122-8 du Code de la consommation ;
Qu'aux termes de ce texte l'abus de faiblesse est caractérisé :
lorsque les circonstances montrent que cette personne n'était pas en mesure d'apprécier la portée des engagements qu'elle prenait ou de déceler les ruses ou artifices déployés pour la convaincre à y souscrire, ou font apparaitre qu'elle a été soumise a une contrainte ;
Attendu que Madame Poissonnier Jacqueline a déclaré qu'elle n'avait été " ni forcée ni menacée ", ce qui exclut la contrainte ;
Qu'elle a ajouté, lors de son audition par les policiers, " ils m'ont déclaré qu'ils avaient une société à leur nom et qu'ils avaient travaillé pour la société ", contrairement au contenu de la citation qui reprend pour circonstance de l'infraction le fait de s'être présentés " comme salaries d'une entreprise de vente à domicile bien connue dans la région et à laquelle Madame Jacqueline Poissonnier avait déjà eu à faire " ;
Que les bons de commande ont d'ailleurs été établis sur des documents a l'entête des sociétés des prévenus ;
Que ceux-ci n'ont pas déployés de ruses ou d'artifices pour la convaincre à signer ;
Attendu que Madame Poissonnier Jacqueline était âgée de 56 ans à la date de la signature des bons de commande puis des chèques, et le fait qu'elle ne disposait que du revenu minimum d'insertion, sans vie sociale, avec la charge d'un enfant handicapé, ne caractérise pas une situation qui ne lui permettait pas d'apprécier la portée de ses engagements
Qu'il n'est pas davantage établi qu'elle présentait à la date des faits un état physique ou psychologique, rendant décelable un état de faiblesse dont les prévenus auraient abusé ;
Que l'infraction n'est pas caractérisée ;
Qu'il convient de renvoyer Messieurs X et Y des fins de la poursuite ;
Attendu qu'en répression sur la non-conformité des bons de commande aux prescriptions légales, les prévenus seront condamnés aux peines reprises au présent dispositif ;
Attendu qu'ils n'ont pas d'antécédent judiciaire et exercent une profession commerciale ;
Qu'il sera fait droit a leur demande de non-inscription de la présente condamnation au bulletin n°2 du casier judiciaire ;
Sur l'action civile
Attendu que la constitution de Madame Poissonnier Jacqueline est recevable et bien fondée ;
Qu'en réparation du préjudice résultant directement des faits pour lesquels les prévenus ont été déclarés coupables, il lui sera alloué la somme de 1 000 euro de dommages et intérêts ainsi que 1 000 euro sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale ;
Que Messieurs X et Y seront condamnés au paiement de ces sommes dans les conditions reprises au présent dispositif ;
Par ces motifs, LA COUR Statuant publiquement, et contradictoirement ; Annule le jugement entrepris en toutes ses dispositions pénales et civiles ; Evoquant, Renvoie Messieurs X et Y du chef du délit d'abus de faiblesse ; Déclare Messieurs X et Y coupables d'avoir le 2.02.05 a Armentières, ayant démarché Madame Poissonnier Jacqueline à son domicile, sa résidence, ou son lieu de travail, même à sa demande, afin de lui proposer l'achat, la vente, la location-vente ou la location avec option d'achat de biens ou la fourniture de services, remis à celle-ci un contrat ne comportant pas de faculté de renonciation dans les 7 jours, en l'espèce le bon de rétractation dont le caractère détachable n'était pas suffisamment apparent, qui ne contenait pas le texte intégral des articles L. 121-23, L. 121-24, L. 121-25 et L. 121-26 du Code de la consommation, et qui était imprimé en caractères peu lisibles par rapport au reste du document ; Faits prévus et réprimés par les articles L. 121-1, L. 121-23, L. 121-28 du Code de la consommation ; Les condamne, chacun, à la peine de 500 euro d'amende ; Vu les articles 707-2 et 707-3 du Code de procédure pénale, rappelle que, s'ils s'acquittent du montant de l'amende dans un délai d'un mois a compter de la date a laquelle la décision a été prononcée, ce montant sera diminué de 20 % sans que cette diminution ne puisse excéder 1 500 euro, et que le paiement de l'amende ne fait pas obstacle a l'exercice des voies de recours ; Dit que la présente condamnation ne sera pas inscrite au bulletin n° 2 de leur casier judiciaire ; Condamne solidairement Messieurs X et Y à payer à Madame Poissonnier Jacqueline la somme de 1 000 euro de dommages et intérêts ; Condamne chacun d'eux, à payer à Madame Poissonnier Jacqueline la somme de 500 euro sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.