CA Colmar, 2e ch. civ. A, 6 septembre 2007, n° 06-04438
COLMAR
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Fabrimo (SARL)
Défendeur :
Bodaud
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Werl
Conseillers :
Mmes Mittelberger, Conte
Avocats :
Me Levy, SCP Cahn & Associés
Monsieur Bodaud, médecin à Agde, a commandé, selon modalités du contrat à distance au sens de l'article L. 121-16 du Code de la consommation, à la Sarl Fabrimo sise à Barr un véhicule automobile Touran 2 litres TDI au prix de 25 920 euro qu'il a entièrement réglé, le véhicule lui ayant été livré le 28 octobre 2005. Affirmant que ce véhicule n'était pas conforme à la commande, en l'absence de boîte automatique, et le garage Fabrimo n'ayant pas accepté d'échanger le véhicule livré contre un véhicule conforme à la commande ou de reprendre le véhicule non conforme contre restitution du prix, Monsieur Bodaud a assigné la société Fabrimo devant le juge des référés civils aux fins :
- de condamner la société Fabrimo à lui livrer, sous astreinte de 200 euro par jour de retard, un véhicule conforme à sa demande, subsidiairement, à lui restituer le montant du prix de vente, soit 25 920 euro, avec les intérêts légaux depuis le jour du règlement de ce prix,
- de condamner la société Fabrimo à lui verser 3 000 euro de dommages et intérêts.
Par ordonnance de référé du 18 septembre 2006, le Président du Tribunal de grande instance de Colmar a condamné la Sarl Fabrimo à payer à Monsieur Bodaud une provision de 25 910 euro avec les intérêts au taux légal à compter du 16 décembre 2005, ainsi que 1 500 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile. Il a enjoint Monsieur Bodaud de mettre à disposition le véhicule livré, dès l'avis de crédit du paiement de la somme au moyen d'une lettre recommandée adressée à la société Fabrimo, à peine d'une astreinte provisoire de 150 euro par jour de retard, passé cette date, les frais de retour du véhicule étant à la charge de la société Fabrimo.
Le premier juge a constaté que la société Fabrimo a une activité de commerce électronique au sens de l'article 14 de la loi du 21 juin 2004 dans la mesure où elle " propose ou assure à distance par voie électronique la fourniture de biens ou de services " et qu'elle relève ainsi de la responsabilité de plein droit à l'égard de l'acheteur, édictée par l'article 15 de la même loi, de la bonne exécution des obligations du contrat, que ces obligations soient à exécuter par elle-même ou par d'autres prestataires de service, sans préjudice de son droit de recours contre ceux-ci.
En l'espèce, la société Fabrimo a offert à la vente le véhicule en litige, décrit sur une page informatique, les conditions du convoyage et de la livraison étant également précisées sur une autre page informatique. La défenderesse a ainsi " orchestré " la chaîne de commercialisation du véhicule offert à la vente et acquis par le Docteur Bodaud, peu important les responsabilités éventuelles des autres intervenants, comme le fournisseur ou le livreur, dans cette chaîne de commercialisation. La défenderesse ne peut donc s'exonérer à l'égard du consommateur de la bonne exécution de l'opération qu'elle a elle-même conduite à travers les frontières.
Le premier juge a également relevé que la non conformité n'était elle-même pas contestée et que la boîte automatique, absente à la livraison, était un élément déterminant de l'achat. La société Fabrimo n'offrant pas de remplacer le véhicule, il y avait lieu de restituer les sommes versées.
La Sarl Fabrimo a, par déclaration reçue le 4 octobre 2006, interjeté appel contre cette ordonnance, dans des conditions de recevabilité qui apparaissent régulières en la forme.
Par ses conclusions d'appel du 21 novembre 2006, elle demande à la cour de :
Recevoir l'appel,
Infirmer l'ordonnance entreprise et statuant à nouveau,
Dire et juger que le Juge des référés était incompétent en raison de la contestation sérieuse,
En conséquence,
Débouter Monsieur Bodaud de ses demandes, fins et conclusions tant comme irrecevables que mal fondées,
Constater l'absence de contrat à distance en ligne,
Constater que la société Fabrimo n'est pas liée contractuellement à Monsieur Bodaud,
Subsidiairement,
Limiter le montant de la condamnation à la valeur actuelle du véhicule selon le barème de l'Argus de l'automobile,
Autoriser la société Fabrimo à trouver un acquéreur pour le véhicule litigieux en amont de tout remboursement,
Très subsidiairement,
Accorder à la société Fabrimo les plus larges délais de paiement selon les dispositions de l'article 1244-1 du Code civil,
En tout état de cause,
Condamner Monsieur Bodaud à payer la somme de 3 000 euro au titre des frais non inclus dans les dépens,
Le condamner aux entiers dépens des deux instances.
La Sarl Fabrimo soulève tout d'abord dans les motifs de ses conclusions la nullité de l'ordonnance entreprise pour violation de l'article 444 alinéa 1 du nouveau Code de procédure civile, au motif qu'après la clôture des débats et avant la date à laquelle la décision devait être prononcée, le juge des référés a sollicité à deux reprises des observations des parties sur différents points en litige et ce, sans ordonner la réouverture des débats pour permettre une exploitation contradictoire des parties. Cette demande d'annulation n'est pas reprise dans le dispositif de l'appelante.
Elle observe également que les difficultés rencontrées par le premier juge quant à la législation applicable et son interprétation, atteste du caractère sérieusement contestable de l'obligation dont Monsieur Bodaud demande l'exécution, ce qui aurait dû conduire le juge des référés à se déclarer incompétent.
Sur le fond, la Sarl Fabrimo fait valoir que si elle héberge effectivement mais gratuitement sur son site internet des offres de vente de véhicules faites par différents garages automobiles européens, elle ne
formule pas elle-même d'offre de vente, laquelle a été faite en l'espèce par un vendeur " Motor Das Mediterraneo ", société de droit espagnol qui était le seul cocontractant de Monsieur Bodaud.
La société Fabrimo observe que les documents contractuels ne comportent pas de signatures électroniques, mais uniquement des signatures manuscrites tant de Monsieur Bodaud que de la Société "Motor Das Mediterraneo", ce qui exclurait l'existence d'un contrat de vente à distance en ligne. La défenderesse n'a donc pas la qualité de vendeur du bien litigieux, ni de mandataire du vendeur, ni de prestataire de service à la vente, et ne peut en conséquence être tenue des obligations du contrat de vente pour avoir simplement mis en rapport l'acheteur et le vendeur sans intervenir dans la conclusion du contrat.
La société Fabrimo ajoute qu'elle n'a jamais reconnu sa responsabilité du fait de la non-conformité alléguée, même si l'un de ses salariés avait proposé à Monsieur Bodaud un dédommagement de 1 400 euro, lequel devait être effectué par la société Motor Das Mediterraneo.
Par ses dernières conclusions du 13 décembre 2006, Monsieur Bodaud demande à la Cour de rejeter les conclusions de nullité, à défaut d'évoquer et " de statuer au fond ", de confirmer l'ordonnance entreprise et de condamner la société Fabrimo à lui payer 2 000 euro au titre des frais irrépétibles.
Monsieur Bodaud estime tout d'abord que l'ordonnance prononcée par le Juge des référés n'encourt pas l'annulation, le principe du contradictoire ayant été respecté dès lors que les observations écrites sollicitées par le magistrat après la clôture des débats, ont été communiquées entre les avocats des parties au cours du délibéré.
Monsieur Bodaud soutient, sur le fond du litige, que la Sarl Fabrimo se présentait sur son site dans des termes qui n'excluaient pas la qualité de vendeur, le bon de réservation du véhicule transmis à l'acheteur portant seulement la mention de " prestataire de services de Motor Das Mediterraneo ", laquelle n'était pas qualifiée de venderesse, le bon ne portant que les seules références de Fabrimo qui apparaissent comme le seul interlocuteur de Monsieur Bodaud à qui elle a fait livrer le véhicule en litige. C'est également la société Fabrimo qui a établi et signé les certificats d'immatriculation provisoires au titre de " négociants titulaires ".
Par ailleurs, la Sarl Fabrimo apparaît incontestablement comme professionnel vendeur ou fournisseur de prestations de service " à distance " au sens de l'article L. 121-20-3 du Code de la consommation, ce qui entraîne de plein droit sa responsabilité à l'égard du consommateur qui a conclu le contrat à distance.
Vu l'ordonnance de clôture du 20 février 2007 ;
Vu les conclusions susvisées, l'ensemble de la procédure et les pièces produites par les parties ;
EN CET ETAT :
Attendu en premier lieu que la société Fabrimo soutient, au visa de l'article 444 alinéa 1er du nouveau Code de procédure civile, la nullité de l'ordonnance entreprise au motif que le principe de la contradiction a été méconnu en l'absence de réouverture des débats à la suite du dépôt d'observations et de pièces par les parties en cours de délibéré ;
Attendu qu'aux termes de l'article 444 alinéa 1er du nouveau Code de procédure civile :
" Le président peut ordonner la réouverture des débats. Il doit le faire chaque fois que les parties n'ont pas été à même de s'expliquer contradictoirement sur les éclaircissements de droit et de fait qui leur avaient été demandés. " ;
qu'il se déduit de cette disposition que le Président n'est tenu d'ordonner la réouverture des débats que si les parties n'ont pas été en mesure de s'expliquer contradictoirement sur les moyens qui leur ont été soumis ; qu'en l'espèce, à la suite de l'audience du 4 septembre 2006 à l'issue de laquelle l'affaire a été mise en délibéré au 18 septembre 2006, le Président du Tribunal de grande instance de Colmar a invité les parties par notes des 7 et 11 septembre 2006 à se prononcer sur l'application au litige de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique (article 14) et de l'article L. 121-20-3 du Code de la consommation, " impliquant une responsabilité de plein droit du fournisseur même si l'intégralité des prestations n'a pas été exécutée intégralement par lui-même " ; qu'il est constant que la société Fabrimo a répondu complètement par ses notes détaillées des 8 et 12 septembre 2006 à la demande du juge, de même que Monsieur Bodaud par ses notes des 7 et 11 septembre 2006, ces notes en délibéré ayant été
régulièrement communiquées entre les parties, ce qui n'est pas discuté par la société Fabrimo ; que cette dernière n'avait d'ailleurs pas sollicité la réouverture des débats après l'échange des notes en délibéré et n'explique pas, devant la cour, en quoi elle n'avait pu s'expliquer contradictoirement sur les éclaircissements demandés par le Président du Tribunal de grande instance de Colmar ; que sa demande d'annulation de l'ordonnance du 18 septembre 2006 sera en conséquence rejetée ;
Attendu, en second lieu, qu'aux termes de l'article 14 alinéa 1er de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004
" Le commerce électronique est l'activité économique par laquelle une personne propose ou assure à distance et par voie électronique la fourniture de biens ou de services "
et qu'aux termes de l'article 15 alinéa premier de la même loi :
" Toute personne physique ou morale exerçant l'activité définie au premier alinéa de l'article 14 est responsable de plein droit à l'égard de l'acheteur de la bonne exécution des obligations résultant du contrat, que ces obligations soient à exécuter par elle-même ou par d'autres prestataires de services, sans préjudice de son droit de recours contre ceux-ci ",
cette disposition étant reprise par l'article L. 121-20-3 alinéa 4 du Code de la consommation en sa section relative aux ventes de biens et fournitures de prestations de services à distance, dans les termes suivants :
" Le professionnel est responsable de plein droit à l'égard du consommateur de la bonne exécution des obligations résultant du contrat conclu à distance, que ces obligations soient à exécuter par le professionnel qui a conclu ce contrat ou par d'autres prestataires de services, sans préjudice de son droit de recours contre ceux-ci. " ;
Attendu en l'espèce qu'il ressort des pièces produites aux débats que la Sarl Fabrimo est inscrite comme ayant une activité de " commerce de véhicules automobiles " et se présente sur son site internet comme " le spécialiste de la recherche et aide à la vente de voitures d'occasion d'origine CEE ", disposant d'un " stock de plusieurs milliers de véhicules en Europe chez une vingtaine de fournisseurs " et assurant la livraison desdits véhicules aux acquéreurs ; que c'est en utilisant exclusivement le moyen de communication par Internet que la société Fabrimo est ainsi entrée en relation avec Monsieur Bodaud qui cherchait à acquérir un véhicule, et lui a soumis par ce moyen une offre de contrat, au sens de l'article L. 121-18 du Code de la consommation, portant sur un véhicule de marque Volkswagen, modèle " Touran " 2,0 TDI Highline (carat) DSG 140 cv année modèle du 25 février 2005, au prix de 25 900 euro, les équipements étant par ailleurs précisément décrits dans l'offre, laquelle était accompagnée d'un bon de réservation à retourner à la société Fabrimo, désignée sur ce document comme 'prestataire de service' d'une Société de droit espagnol Motor Das Mediterraneo chargée de commander le véhicule auprès d'un concessionnaire allemand ; que Monsieur Bodaud, qui avait reçu cette offre le 17 octobre 2005, l'a acceptée et a retourné le bon de réservation à la société Fabrimo, tout en signant le 21 octobre 2005 un ordre de transfert d'un montant de 25 920 euro au bénéfice de la société Motor Das Mediterraneo ; que le véhicule lui a été livré par la société Fabrimo qui a remis au demandeur le certificat d'immatriculation provisoire du véhicule valable à compter du 28 octobre 2005, établi sous la signature du représentant de la défenderesse, désignée comme " négociant titulaire ", une facture non signée n'étant émise sous l'en-tête de la société Motor Das Mediterraneo que le 27 octobre 2005, accompagnée d'un certificat daté du même jour et signé par cette société attestant de la provenance du véhicule acquis en Allemagne ; qu'il résulte en conséquence de l'ensemble des opérations sus-décrites que Monsieur Bodaud a eu pour seul interlocuteur, pour la conclusion du contrat à distance qui lui a permis de faire l'acquisition du véhicule litigieux, la société Fabrimo dont la qualité de professionnel au sens de l'article L. 121-20-3 alinéa 4 du Code de la consommation a été retenue à bon droit par le premier Juge par des motifs que la Cour adopte ; que, dès lors, la société Fabrimo était responsable de plein droit de la bonne exécution des obligations résultant du contrat à l'égard de Monsieur Bodaud, ce constat excluant toute contestation sérieuse de la défenderesse quant à sa responsabilité ;
Attendu, en troisième lieu, que la non conformité du véhicule livré à la commande de Monsieur Bodaud n'est pas plus sérieusement contestable, cette voiture étant dépourvue de boîte automatique (DSG) à la livraison, contrairement à l'offre acceptée par le demandeur, ce que la société Fabrimo reconnaît dans ses conclusions en indiquant que " Monsieur Bodaud " savait, avant même que le véhicule soit livré, que ce dernier n'était pas conforme à la commande', la défenderesse procédant par voie d'affirmation en soutenant que le demandeur était informé de la non conformité préalablement à la livraison, ce qui est contesté et ne résulte d'aucun élément de la procédure ; qu'en outre cette non conformité avait été admise dès le mois de décembre 2005 par la société Fabrimo qui avait proposé un dédommagement à Monsieur Bodaud, par un écrit du 15 décembre 2005 confirmé par un second écrit (annexe 4 du demandeur) dans lequel il est mentionné sous la signature du gérant de la société : " je me vois contraint de vous rembourser la somme de 1 400 euro en dédommagement de la boîte de vitesse non conforme du véhicule " ; que l'erreur alléguée par l'appelante et imputée à l'un de ses salariés ne porte ainsi pas sur la réalité de la non conformité, mais sur l'admission de sa responsabilité à ce titre dès lors qu'elle n'avait pas la qualité de venderesse ; que cette restriction est cependant sans importance en l'espèce, la responsabilité de plein droit de la société Fabrimo étant encourue du seul fait de sa qualité de professionnel exerçant une activité de commerce à distance ainsi que rappelé ci-dessus ; que l'ordonnance dont appel sera donc également confirmée en ce qu'elle a considéré que Monsieur Bodaud devait bénéficier de la restitution des sommes qu'il avait versées dès lors que la société Fabrimo n'a pas offert de remplacer le véhicule livré par un véhicule conforme à la commande ; qu'il n'existe enfin aucun motif de réduire le montant de la provision correspondant aux sommes payées par Monsieur Bodaud à restituer par la société Fabrimo, dès lors que Monsieur Bodaud n'entend pas conserver le véhicule ; qu'il n'y a pas non plus lieu d'accorder à la défenderesse des délais de paiement, alors qu'aucune exécution de l'ordonnance du 18 septembre 2006 n'est à ce jour intervenue, ni d'attendre que celle-ci " trouve un acquéreur pour le véhicule litigieux ", alors qu'elle était déjà en mesure l'effectuer une telle démarche si elle l'avait estimée nécessaire ;
Attendu qu'il résulte de tout ce qui précède que l'ordonnance entreprise sera confirmée en toutes ses dispositions ;
Attendu que l'issue du litige conduit à dire que la Sarl Fabrimo supportera les entiers dépens de l'instance d'appel et sera condamnée à payer à Monsieur Bodaud une somme de 1.500 euro au titre des frais irrépétibles que celui-ci a exposés ;
Par ces motifs, LA COUR, Déclare l'appel recevable en la forme mais mal fondé, Rejette la demande d'annulation de l'ordonnance du 18 septembre 2006, Confirme l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions, Y ajoutant : Condamne la Sarl Fabrimo aux entiers dépens de l'instance d'appel ainsi qu'à payer à Monsieur Bodaud une somme de 1 500 (mille cinq cents euros) au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.