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Décisions

CA Douai, 1re ch. sect. 1, 8 novembre 2010, n° 09-06877

DOUAI

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

JCB Collections (SARL)

Défendeur :

Esmenard

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Merfeld

Conseillers :

Mme Metteau, M. Parichet

Avoués :

SCP Cocheme-Labadie-Coquerelle, SCP Thery-Laurent

Avocats :

Mes Devignes, Fontaine-Louzon

TGI Béthune, du 22 juil. 2009

22 juillet 2009

Par jugement réputé contradictoire rendu le 22 juillet 2009, le Tribunal de grande instance de Béthune a :

condamné la société JCB Collections à payer à M. Dominique Esmenard la somme de 5 000 euro augmentée des intérêts au taux légal à compter du 24 octobre 2008,

condamné la société JCB Collections à payer à M. Esmenard la somme de 5 000 euro à titre de dommages et intérêts,

condamné la société JCB Collections à payer à M. Esmenard la somme de 1 800 euro à titre de dommages et intérêts (les motifs du jugement prévoyant cependant cette somme au titre de l'article 700 du Code de procédure civile),

condamné la société JCB Collections aux dépens,

ordonné l'exécution provisoire.

La SARL JCB Collections a interjeté appel de cette décision le 28 septembre 2009.

RAPPEL DES DONNÉES UTILES DU LITIGE :

La société JCB Collections est une société spécialisée dans la promotion et la transaction de véhicules de collection. Elle commercialise des véhicules de course authentiques, construits entre 1900 et 1935 ayant couru sur circuit fermé, ce qui constitue un créneau très spécifique.

Elle dispose pour ce faire d'un site Internet.

Courant avril 2007, M. Esmenard a marqué son intérêt pour une réplique d'un véhicule Porsche. Il a réservé cette voiture le 7 avril 2007, réglé le prix soit 29 000 euro le 7 juin 2007, mais n'a obtenu la facture que dans le courant du mois de novembre 2007.

Indiquant que la société JCB Collections ne parvenait pas à obtenir la carte grise française de la voiture, qu'il s'était adressé à la Drire et à la Fédération Française Des Véhicules d'Époque (FFVE) pour savoir où en était à son dossier d'immatriculation, qu'il avait appris lors de ses investigations que la société JCB n'avait effectué aucune démarche pour prendre un rendez-vous auprès de la Drire alors que le véhicule ne pouvait pas obtenir une carte grise de collection puisqu'il était âgé de moins de 25 ans ayant été construit en 2004, qu'ainsi, il avait découvert que la réplique qu'il avait acquise n'était pas un véhicule construit par la société Intermecanica en 1970 mais une simple reproduction américaine appelée " vintage speedster " fabriquée en 2003, M. Esmenard a demandé l'annulation de la vente du véhicule et le remboursement de la somme de 29 000 euro contre restitution de la voiture.

M. Salomone, le vendeur, lui a remboursé le prix qu'il avait perçu en septembre 2008 soit 24 000 euro et lui a adressé un document attestant de la restitution du bien. Le surplus de 5 000 euro correspondant à la commission perçue par la société JCB Collections devait être restitué selon un échéancier accepté par M. Esmenard.

Cependant, faute d'avoir reçu le paiement promis, M. Esmenard a fait assigner, par acte d'huissier du 6 mars 2009, la SARL JCB Collections devant le tribunal de grande instance de Béthune aux fins d'obtenir la restitution de cette somme outre 15 000 euro à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi.

La SARL JCB Collections n'a pas constitué avocat et la décision déférée a été rendue dans ces conditions.

Dans ces dernières écritures, la SARL JCB Collections demande à la cour de :

infirmer le jugement,

lui donner acte de ce qu'elle accepte sa condamnation remboursement de la somme de 5 000 euro augmentée des intérêts au taux légal à compter du 24 octobre 2008 en parfait accord avec les parties,

débouter M. Dominique Esmenard de toutes ses autres demandes, fins et prétentions, notamment à titre de dommages et intérêts et d'indemnité procédurale,

le condamner à lui payer la somme de 1 500 euro à titre d'indemnité procédurale sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

le condamner aux entiers frais et dépens.

Elle explique que :

lorsque M. Dominique Esmenard l'a contactée pour l'achat de la voiture, elle lui a communiqué les coordonnées du vendeur en Belgique. M. Esmenard a rencontré celui-ci une première fois en juin 2007 et a pu examiner la voiture, qui ne pouvait être un modèle d'origine qui aurait valu, au bas mot, 300 000 euro. Il existe, en effet, deux sortes de répliques de ce véhicule Porsche, faites aux Etats-Unis, l'une dénommée Intermecanica, correspondant à un degré de finition haut de gamme et l'autre, d'un niveau inférieur, dénommée " vintage Speedster ".

M. Esmenard lui a réglé directement le prix et elle a reversé 24 000 euro au vendeur, la vente ayant été conclue en juin 2007 et la livraison étant intervenue en fin d'année 2007. En sa qualité de collectionneur, et tel que confirmé par la demande d'immatriculation qu'il a déposée, M. Esmenard n'ignorait pas que le véhicule était une réplique Porsche, vintage speedster, fabriquée en 2003. Il avait connaissance de ces caractéristiques dès le mois de juin 2007, ce qui est confirmé par les mails qui ont été échangés entre les parties. Si la carte grise belge mentionne comme année de construction 1970, c'est que le châssis récupéré pour fabriquer le véhicule remonte à cette époque.

Elle s'était engagée à aider l'acquéreur pour faire immatriculer le véhicule en France, étant précisé que cette formalité, pour un véhicule de collection ancien de plus de 30 ans dépend de la FFVE, et pour les véhicules récents qui doivent subir un examen technique, de la Drire, seul organisme habilité à délivrer un certificat. Le véhicule litigieux étant une réplique fabriquée en 2003, son immatriculation dépendait exclusivement de la Drire. Elle ne peut être considérée comme responsable des lenteurs administratives de cet organisme qui a réclamé des pièces pour lesquelles une recherche a été nécessaire à la fois en Belgique et aux États-Unis. Voyant les difficultés auxquelles se heurtait M. Esmenard avec la Drire en région parisienne, elle a contacté la Drire de Boulogne-sur-Mer et a pris rendez-vous de sorte que l'immatriculation était sur le point d'aboutir lorsque l'acquéreur a sollicité l'annulation de la vente.

Elle a accepté cette demande d'annulation étant précisé que M. Esmenard a revendu la voiture à M. Salomone, qui a trouvé d'autres acquéreurs (Messieurs Esmenard et Salomone s'étant partagés la plus-value faite lors de la revente). Elle a également donné son accord, malgré le travail effectué, pour rembourser la commission perçue et a sollicité un échéancier qu'elle n'a pas pu respecter du fait de difficultés de trésorerie. Cependant, conformément à l'accord des parties, elle reconnaît devoir rembourser la somme de 5 000 euro mais s'oppose à l'octroi de dommages et intérêts et à l'application de l'article 700 du Code de procédure civile.

M. Dominique Esmenard sollicite la confirmation du jugement en ce qui concerne le remboursement de la somme de 5 000 euro et demande la condamnation de la société JCB Collections à lui payer la somme de 15 000 euro de dommages et intérêts outre 3 000 euro en application l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Il relève qu'en application de l'article 1984 du Code civil, la société JCB Collections doit être considérée comme mandataire et non comme un simple courtier lors de la vente intervenue et qu'elle est, en application des articles 1991, 1992, et 1993 du Code civil, responsable du préjudice qu'il a subi du fait des manquements dans l'exécution de sa mission. Il affirme que cette société, professionnelle de la transaction de véhicules de collection, aurait dû, au titre de son devoir de conseil, vérifier les caractéristiques essentielles du contrat, l'origine du véhicule qu'elle proposait à la vente et les propriétés de ce dernier ainsi que la possibilité d'obtenir une carte grise de véhicules de collection. Or, il indique que, alors que le véhicule avait été vendu comme une réplique Intermecanica fabriquée en 1970, il s'est aperçu qu'il s'agissait d'une simple reconduction de 2003. Au surplus, il constate que la société JCB Collections a manqué à son obligation de lui fournir les papiers nécessaires à la mise en circulation de cette voiture.

Il estime donc qu'elle a engagé sa responsabilité en mettant en ligne sur son site les caractéristiques d'un véhicule dont elle n'avait pas vérifié la réalité et qu'en tout état de cause cette responsabilité est engagée en sa qualité d'éditeur de sites Internet, en application de l'article L. 121-20-3 du Code de la consommation.

Il demande donc le remboursement de la " commission " versée ainsi que 15 000 euro de dommages et intérêts.

MOTIFS DE LA DECISION

L'article 1984 du Code civil dispose que le mandat ou procuration est un acte par lequel une personne donne à une autre le pouvoir de faire quelque chose pour le mandant et en son nom.

Si l'exécution des obligations contractuelles nées des actes passés par un mandataire pour le compte et au nom de son mandant incombe à ce dernier seul, le mandataire n'en est pas moins responsable personnellement envers les tiers lésés des délits ou quasi-délits qu'il peut commettre soit spontanément, soit même sur instruction du mandant dans l'accomplissement de sa mission. Sa faute peut être constituée aussi bien par une abstention que par un acte positif.

En l'espèce, la SARL JCB Collections, professionnelle de la vente de véhicules anciens et de collection, a proposé sur son site Internet une réplique d'un véhicule Porsche appartenant à Monsieur Salomone.

Contacté par Monsieur Esmenard à ce sujet, elle l'a mis en rapport avec le vendeur, puis, a agi comme mandataire de ce dernier lors de la vente notamment en encaissant le prix (reversé au vendeur après déduction d'une commission de 5 000 euro) puis en organisant la remise matérielle de la voiture.

En sa qualité de mandataire, elle doit répondre de ses fautes personnelles, dans l'exécution de sa mission, qui ont pu causer à des tiers un dommage.

En outre, l'article L. 121-20-3 du Code de la consommation dispose que le professionnel est responsable de plein droit de la bonne exécution des obligations résultant du contrat conclu à distance, que ces obligations soient à exécuter par le professionnel qui a conclu ce contrat ou par d'autres prestataires de services, sans préjudice de son droit de recours contre ceux-ci. Toutefois, il peut s'exonérer de tout ou partie de sa responsabilité en apportant la preuve que l'inexécution ou la mauvaise exécution du contrat est imputable soit au consommateur, soit au fait imprévisible et insurmontable d'un tiers au contrat soit à un cas de force majeure.

Le contrat de vente du véhicule litigieux a été conclu à distance après une annonce parue sur Internet. La SARL JCB Collections est donc également tenue, de plein droit, en application de l'article L. 121-20-3 du Code de la consommation, de la bonne exécution de la vente conclue par son intermédiaire.

Or, il apparaît que les annonces de vente portaient sur un véhicule de type speedster fabriqué en 1970 par la société Intermecanica (société américaine). La carte grise belge communiquée à Monsieur Esmenard lors de son achat porte ainsi l'indication d'une première date de mise en circulation en 1970.

Cependant, il n'est pas contesté que le véhicule objet de la transaction était en fait une voiture de type speedster mais fabriquée en 2003 par la société américaine Vintage Speedster.

Si Monsieur Esmenard n'a pas pu imaginer que la voiture qu'il achetait était une véritable Porsche notamment compte tenu du prix, il n'en demeure pas moins qu'il n'est pas établi qu'il ait su avant l'achat que le véhicule ne datait pas de 1970 et n'avait pas été fabriqué par Intermecanica, et ce même s'il avait pu le voir, l'ensemble des pièces produites avant début 2008 (annonce internet, facture d'achat) mentionnait nettement cette origine. Par ailleurs, il y a lieu de constater que les mails échangés entre les parties fin 2007 concernant l'immatriculation de la voiture, mentionnent la possibilité pour JCB Collections d'obtenir une carte grise pour véhicule de collection au profit de Monsieur Esmenard alors que le véhicule ayant moins de 30 ans, une telle option était impossible. Cette situation démontre que la SARL JCB ignorait elle-même que le véhicule vendu par son intermédiaire ne correspondait pas aux caractéristiques figurant sur la facture qu'elle avait émise. En outre, ces mails ne mentionnent qu'un véhicule " speedter " sans autres précisions, ce qui n'indique ni par quelle société la réplique a été faite, ni l'année de fabrication. La société JCB Collections ne peut donc prétendre que son acquéreur, qui même s'il est amateur n'est pas pour autant professionnel, était au courant que la voiture avait été construite en 2003 par Vintage Speedster.

Ainsi, la SARL JCB Collections a manqué à l'obligation de conseil et de renseignement sur le bien proposé à la vente sur son site internet puisqu'elle n'avait pas recherché la provenance exacte du véhicule, tout en affirmant pourtant le nom de la société constructrice ainsi que son année de commercialisation.

Monsieur Esmenard, bien qu'ayant appris (par ses propres recherches et après contacts avec les deux sociétés américaines) que la voiture qu'il avait achetée datait de 2003, n'a pas immédiatement souhaité annuler la vente. En effet, il a indiqué que la somme devrait lui être remboursée si l'immatriculation était impossible par l'intermédiaire de la Drire (s'agissant d'un véhicule récent) avec le dossier mentionnant l'origine réelle de la voiture (mail du 13 mai 2008). Bien que la SARL JCB ait indiqué avoir fait les démarches nécessaires et qu'il ne manquait qu'un tampon pour l'obtention de la carte grise, Monsieur Esmenard n'a pu que constater qu'il était sans nouvelle de la société le 3 juin 2008, date à laquelle il l'a mise en demeure et a demandé l'annulation de la vente. Il découle donc de ces éléments, qu'alors que le SARL JCB Collections devait " apporter une aide sérieuse pour la mutation en carte grise française ", elle n'a pas été en mesure de faire obtenir ce document à Monsieur Esmenard pour son véhicule. Au surplus, elle ne l'avait pas informé des difficultés qu'il pourrait rencontrer compte tenu de l'origine du véhicule et des mentions ne correspondant pas à sa situation réelle figurant sur la carte grise belge.

La SARL JCB Collections a donc manqué à l'obligation de renseignement pesant sur elle, en sa qualité de mandataire du vendeur du véhicule mais également en sa qualité de professionnel, éditeur de site internet, proposant des ventes à distance. Elle n'a ainsi pas informé Monsieur Esmenard sur les caractéristiques réelles du bien vendu et ne lui a pas fait part des difficultés qu'il rencontrerait inévitablement pour l'immatriculation et donc l'utilisation normale de son véhicule.

Elle doit donc réparer le préjudice subi par Monsieur Dominique Esmenard, étant précisé que la vente a été résolue d'un commun accord entre les parties, que la SARL JCB Collections confirme son accord pour la restitution de commission de 5 000 euro et que le prix de vente soit 24 000 euro a déjà été remboursé.

Le tribunal, au regard des nombreuses démarches que Monsieur Esmenard a dû effectuer, a justement apprécié le préjudice subi à 5 000 euro.

En conséquence, le jugement, qui a également fait une exacte application de l'article 700 du Code de procédure civile, sera confirmé en toutes ses dispositions sauf à rectifier l'erreur matérielle entachant le dispositif de la décision et à dire que la SARL JCB Collections est condamnée à la somme de 1 800 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile et non à titre de dommages et intérêts.

La SARL JCB Collections succombant, elle sera condamnée aux dépens d'appel.

Il est inéquitable de laisser à la charge de Monsieur Esmenard la charge des frais exposés en cause d'appel et non compris dans les dépens. La SARL JCB Collections sera condamnée à lui payer la somme de 1 000 euro au titre des frais irrépétibles d'appel.

Par ces motifs, LA COUR, statuant par arrêt contradictoire : Confirme le jugement ; Rectifie l'erreur matérielle du dispositif de la décision et dit que la SARL JCB Collections est condamnée à payer la somme de 1 800 euro à Monsieur Dominique Esmenard " au titre de l'article 700 du Code de procédure civile " en lieu et place de " à titre de dommages et intérêts " ; Condamne la SARL JCB Collections aux dépens d'appel ; Dit que la SCP Thery Laurent, Avoués, pourra recouvrer directement les dépens dont elle a fait l'avance sans avoir reçu provision ; Condamne la SARL JCB Collections à payer à Monsieur Dominique Esmenard la somme de 1 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel.