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Décisions

CA Montpellier, 3e ch. corr., 22 mars 2012, n° 11-00375

MONTPELLIER

Arrêt

Infirmation partielle

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Salvatico

Conseillers :

MM. Pons, Baron

Avocat :

Me Gauer

TGI Narbonne, du 25 juin 2010

25 juin 2010

LA PREVENTION :

Selon ordonnance du juge d'instruction en date du 09 juin 2009, X a été renvoyé devant le tribunal correctionnel :

* pour avoir à Le Boulou, en tout cas sur le territoire national, de 1999 à 2003, en tout cas depuis temps non couvert par la prescription, introduit sur le territoire métropolitain ou dans les départements d'Outre-Mer des animaux vivants, des produits et sous-produits d'origine animale ou des aliments pour animaux ne répondant pas aux conditions sanitaires ou ayant trait à la protection des animaux prévue à l'article L. 236-1 du Code rural, en l'espèce en important des chiens nés et élevés en Espagne et commercialisés dans des animaleries françaises,

Infraction prévue par les articles L.237-3 §1 30, L.236-4 du Code rural et de la pêche maritime et réprimée par l'article L.237-3 §1 al. 1, §11 du Code rural et de la pêche maritime

* d'avoir à Le Boulou, en tout cas sur le territoire national, de 1999 à 2003, en tout cas depuis temps non couvert par la prescription, par quelque moyen que ce soit, même par l'intermédiaire d'un tiers, étant partie ou non au contrat, trompé ou tenté de tromper les clients de la société anonyme Y et les acheteurs de chiens, contractants, sur l'origine de la marchandise, en l'espèce en faisant croire que les chiens fournis étaient d'origine française alors qu'ils étaient d'origine espagnole,

Infraction prévue par l'article L.213-l du Code de la consommation et réprimée par les articles L. 213-l, L. 216-2, L. 216-3, L. 216-8 al.5 du Code de la consommation

Par jugement contradictoire du 25 juin 2010 le

Tribunal correctionnel de Narbonne a :

- Sur l'action publique :

Relaxé X des fins de la poursuite :

* pour avoir à Le Boulou, en tout cas sur le territoire national, du 11 janvier 1999 au 31 décembre 1999, en tout cas depuis temps non couvert par la prescription, introduit sur le territoire métropolitain ou dans les départements d'Outre-Mer des animaux vivants, des produits et sous-produits d'origine animale ou des aliments pour animaux ne répondant pas aux conditions sanitaires ou ayant trait à la protection des animaux prévue à l'article L. 236-1 du Code rural, en l'espèce en important des chiens nés et élevés en Espagne et commercialisés dans des animaleries françaises,

Infraction prévue par les articles L.237-3 §1 30, L.236-4 du Code rural et de la pêche maritime et réprimée par l'article L.237-3 §I al. l, §11 du Code rural et de la pêche maritime

Déclaré X coupable :

* d'avoir à Le Boulou, en tout cas sur le territoire national, du 1er janvier 2001 au 14 février 2003, en tout cas depuis temps non couvert par la prescription, par quelque moyen que ce soit, même par l'intermédiaire d'un tiers, étant partie ou non au contrat, trompé ou tenté de tromper les clients de la société anonyme et les acheteurs de chiens, contractants, sur l'origine de la marchandise, en l'espèce en faisant croire que les chiens fournis étaient d'origine française alors qu'ils étaient d'origine espagnole,

Infraction prévue par l'article L.213-l du Code de la consommation et réprimée par les articles L. 213-l, L. 216-2, L. 216-3, L. 216-8 al.5 du Code de la consommation

Et en répression, l'a condamné à la peine de 3 mois d'emprisonnement avec sursis et à une amende de 15 000 euro.

LES FAITS :

Le 5 mai 2003, un agent de la direction départementale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DDCCRF) de l'Aude procédait au contrôle de l'animalerie W à Narbonne, et constatait la vente de chiots sous la dénomination "race", avec des documents mentionnant pour provenance une société Y, ayant son siège à Le Boulou (66).

Une charte éthique et de protection animale établie en 1999 prévoyait un contrat de fourniture et de coopération commerciale avec un cahier des charges strict sur la provenance française des animaux.

La société Y, par le biais de sa centrale d'approvisionnement Y-Développement, garantissait ainsi à ses clients la livraison de chiots provenant exclusivement d'élevages professionnels français déclarés auprès de la direction des services vétérinaires.

Or, les investigations réalisées auprès de la société Y révélaient que celle-ci s'approvisionnait régulièrement auprès d'un dénommé A, propriétaire de l'élevage B situé en Espagne.

Il s'avérait que sur 233 chiots livrés entre janvier 2002 et février 2003 dans les animaleries W, 60 d'entre eux, soit plus de 25 %, provenaient de l'élevage espagnol de A et qu'entre janvier et octobre 2001, 169 chiens avaient déjà été acquis par auprès de A.

Les cartes de tatouage des chiens étaient fournies par A à son propre nom, mais à des adresses fictives en France correspondant à celle de personnes de sa connaissance et qu'il utilisait à leur insu.

Les chiots étaient vaccinés et tatoués par une vétérinaire établie à Leucate (11), dont la responsabilité a aussi été mise en cause lors de l'information judiciaire, mais qui a fait l'objet d'une relaxe en l'absence d'élément intentionnel de sa part.

Lors de l'information judiciaire, A reconnaissait les faits ; il déclarait avoir agi à la demande de X, pour des raisons commerciales, afin de satisfaire la clientèle française.

Un ex-employé de la société Y, V, déclarait (D12) que X était pleinement conscient de l'origine espagnole des chiots. V avait travaillé six mois pour [la société] Y, de novembre 2002 à avril 2003 ; il disait avoir quitté cette société car il n'en approuvait pas les méthodes de travail et l'éthique.

X, directeur général de la société dont le PDG était son fils Z, niait au contraire avoir été au courant.

Il disait avoir eu toute confiance en Z ; quand Mme C, l'une des personnes chez lesquelles celui-ci se domiciliait fictivement, s'en était aperçue et l'avait appelé pour protester, il avait d'ailleurs envoyé une lettre recommandée à A(D35_6) pour lui demander des explications et suspendre les achats.

A affirmait en confrontation (D 90) que cette lettre recommandée était de pure forme, et que X l'avait envoyée pour couvrir sa responsabilité. C'est d'ailleurs X qui lui avait alors présenté M. D, le domiciliataire suivant, pour organiser un contrat de métayage consistant à placer des chiennes reproductrices chez des éleveurs français, pratique régulière aux yeux de la loi mais qui n'avait en définitive pas été mise en place.

X insistait sur le fait que les chiens de A ne représentaient environ 2 % du total des ventes de sa société et que celle-ci avait au contraire été à plusieurs reprises citée en exemple pour ses bonnes pratiques.

FAITS ET DEMANDES DES PARTIES :

X, prévenu a comparu assisté de son avocat.

Il a demandé à la cour, par voie de conclusions, de confirmer la relaxe prononcée par le tribunal correctionnel pour les faits d'importation d'animaux non conformes aux conditions sanitaires et de protection, mais d'infirmer la condamnation pour tromperie sur les qualités substantielles de la marchandise.

Il a en effet indiqué que n'étaient présents ni l'élément moral de l'infraction, faute de démonstration qu'il avait connaissance de l'origine espagnole des chiots, ni l'élément matériel, en ce que l'origine géographique, contrairement aux spécificités de race et à l'état de santé, ne ferait pas partie des qualités substantielles du produit vendu quand il s'agit de chiots.

Sur ce, LA COUR :

Sur la recevabilité des appels :

Les appels du prévenu et du ministère public, interjetés dans les formes et les délais de la loi, sont recevables.

Sur l'action publique :

1. Sur les faits d'importation d'animaux non conformes aux conditions sanitaires ou de protection :

Le premier juge a relevé à juste titre que les textes de prévention (article L. 236-1 et L. 237-3 du code rural) renvoyaient à l'arrêté du 19 juillet 2002 visant les conditions de police sanitaire des échanges intra-communautaires, non applicables en l'espèce, et que par conséquent l'infraction n'était pas constituée faute d'élément légal.

La relaxe prononcée de ce chef sera donc confirmée, pour l'ensemble de la prévention soit de 1999 à 2003.

2. Sur l'élément matériel des faits de tromperie :

Il convient tout d'abord de déterminer si le fait que les chiots commercialisés par proviennent directement d'un élevage espagnol est constitutif ou non d'une tromperie sur une qualité substantielle au sens de l'article L. 213-1 du Code de la consommation.

Tout en admettant, ainsi qu'il est constamment établi par la jurisprudence, que l'origine n'est qu'une application spécifique des qualités substantielles visées par l'article L. 213-1, le prévenu soutient que, pour le produit particulier que constituent les chiens d'élevage, l'origine géographique est indifférente et les caractéristiques essentielles seraient seulement définies par les spécificités de la race (morphologie, caractère...), la lignée et l'état de santé.

Il en déduit qu'en matière de chiens, l'origine n'est pas une qualité propre qui puisse constituer le siège de la répression pour tromperie.

Il y a toutefois lieu de rappeler qu'en l'absence, comme c'est ici le cas, de texte réglementaire spécifique pour un produit donné, une qualité sera reconnue ou non comme substantielle en se référant aux attentes des acheteurs en la matière.

Or il est souligné par le prévenu lui-même que l'origine géographique des chiots présente une grande importance pour l'acquéreur parce que celui- ci fait un lien entre cette origine et un éventuel défaut de qualité lié aux risques sanitaires.

Cette appréciation est d'ailleurs corroborée par la politique de communication de la société Y à l'égard de ses clients, communication largement axée sur l'origine française des chiots ainsi qu'il résulte des documents commerciaux de remis par les clients dans le cadre de l'enquête préliminaire (D 41, D 42, D 43).

Ces documents consistent d'une part en un "cahier des charges élevage" censé renseigner les clients sur la politique d'approvisionnement de et dans lequel est mis en exergue (article 2) le fait que Y n'accepte en aucun cas les chiots issus d'importation (mention figurant en gras dans le texte original).

Le cahier des charges est accompagné d'une attestation signalant que "se refuse de faire appel à la filière de l'importation (Belgique au pays de l'Est) et de tout autre grossiste qui procéderait à une centralisation par ramassage de chiots nés en France mais de provenances diverses d'autre élevage".

Les déclarations aux gendarmes des responsables des sociétés Y SAS (D 43) et B (D 42) sont absolument dépourvues d'ambiguïté quant au fait que pour ces acquéreurs, d'une part l'origine française des chiots était garantie, et d'autre part qu'ils y attachaient de l'importance.

Elles font également apparaître que leur préoccupation à ce propos trouve son origine non seulement dans la diminution du risque sanitaire mais aussi dans le souci d'éviter aux chiots des transports trop longs ou multiples.

Il ressort enfin de l'enquête de gendarmerie (D 38) que ces deux sociétés, qui disposent d'un réseau de magasins pour la vente au public sur la France entière, constituent les deux plus gros clients de Y pour le produit considéré.

Au vu de l'ensemble de ces éléments, qui trouvent leur source dans les propres déclarations de la société et de son dirigeant ainsi que dans la stratégie commerciale qu'ils ont mise en œuvre avec constance, il n'est pas possible de considérer que l'attribution d'une provenance française ait été indifférente pour les acheteurs : elle constituait bien au contraire un élément essentiel de la décision d'achat.

L'élément matériel du délit de tromperie est en conséquence constitué.

3. Sur l'élément moral des faits de tromperie :

M. X soutient n'avoir pas eu connaissance de l'absence de métayage des chiots.

Il rappelle, à juste titre, que la mauvaise foi en la matière ne saurait se présumer, et qu'il est donc nécessaire d'en apporter la démonstration avant toute condamnation.

Il souligne également que sont sujettes à caution les diverses déclarations figurant au dossier et tendant à affirmer qu'il était au courant de la fraude : celles de A, co-prévenu susceptible de chercher à alléger sa propre responsabilité, de C sa concurrente au surplus fournisseur de son ex-compagne, et celle de V, très temporairement salarié de Y également devenu ensuite son concurrent.

Même en écartant comme sujettes à caution ces déclarations pourtant convergentes, il est nécessaire de rappeler que l'intention frauduleuse s'apprécie de façon plus exigeante lorsque le prévenu est un professionnel de son secteur, comme c'est ici le cas. En particulier, de multiples décisions de justice établissent que la mauvaise foi peut se déduire du fait que le prévenu n'a pas effectué les vérifications qui lui incombaient.

Or, il résulte des propres déclarations de M. X qu'il avait commencé à se fournir auprès de M. A dès 1998 ou 1999 et alors que l'élevage de celui-ci se situait exclusivement en Espagne.

M. A affirme qu'à la suite des préoccupations d'origine apparues à partir de l'année 2000, l'instauration d'un "métayage" en France correspondait à un simple jeu de documents convenu entre lui-même et M. X, sur suggestion de ce dernier.

M. X soutient pour sa part avoir tout ignoré de cette pseudo-domiciliation, sans toutefois pouvoir apporter d'explications au fait troublant, relevé par les gendarmes, que 17 cartes de tatouage frauduleuses aient été établies à l'adresse de son domicile à au nom d'une société en sommeil (D 34).

Il faut aussi prendre en compte la déclaration initiale de D (D8), gérant d'élevage, qui en mai 2005 présente clairement M. X et comme "devant s'occuper de tout" pour le métayage, et n'ayant ensuite rien fait.

En tout état de cause et même si par hypothèse la fraude avait été ourdie, comme le soutient M. X, par le seul A, la connaissance de la situation d'éleveur exclusivement espagnol de M. A aurait dû empêcher M. X de prendre pour argent comptant la soudaine origine française des chiots qu'il lui achetait.

Or, il résulte des propres déclarations de M. X aux gendarmes (D 34) puis au juge d'instruction (D 89) qu'il n'a mis en place aucun moyen de vérifier la réalité de ce métayage.

En réponse à une question des gendarmes, M. X a même dû admettre que jusqu'à 2003 M. A aurait très bien pu lui vendre des chiens d'origine inconnue, provenant pas exemple des pays de l'Est ; il finissait par convenir que seul l'état physique des chiens aurait été susceptible de l'alerter le cas échéant.

Plus encore, Mme C, en mai 2002, s'était aperçue qu'elle était, à son insu, domiciliataire des chiens revendus par et avait protesté auprès de X (D 10).

Or, celui-ci, après avoir dans un premier temps envoyé une lettre à A menaçant de suspendre leurs relations commerciales, a ensuite repris les commandes sans même avoir reçu de réponse de son fournisseur, accréditant la thèse de celui-ci (D 90) selon laquelle il s'agissait d'une protestation de pure forme, "pour se couvrir".

Il résulte donc de ces éléments qu'en tout état de cause et à aucun moment sur la période de prévention qui sera mentionnée ci-après, X n'a fait procéder par la société qu'il dirigeait au minimum de vérifications nécessaires, alors même que cette traçabilité de l'origine française était son principal argument commercial vis-à-vis de ses clients.

Il est au surplus établi que les approvisionnements ont été poursuivis de la même manière et auprès du même fournisseur après que l'origine non française des chiots ait été connue de façon certaine par le prévenu.

Dès lors, l'élément intentionnel de la tromperie se trouve également constitué.

L'excellente réputation, voire le rôle exemplaire de la société Y pour la commercialisation vers les animaleries sont incontestables et établis par de multiples documents de la procédure.

Ce fait ne saurait toutefois être reconnu comme un facteur exonératoire pour la tromperie, qu'il contribue au contraire à conforter par l'apparente rigueur affichée par la société, rigueur de nature à susciter une absolue confiance des clients. Il s'agit par contre d'un élément à prendre en compte pour l'appréciation de la sanction infligée.

Enfin, la circonstance que la société ait acheté ces chiens d'origine espagnole à un prix voisin de celui des chiens d'origine française ne saurait faire disparaître l'infraction en la privant de mobile : celui-ci pouvant être constitué par la facilité d'approvisionnement autant que par le prix d'achat, ainsi d'ailleurs que l'a mentionné M. A au juge d'instruction.

En conséquence de ce qui précède, les éléments légaux, intentionnels, et matériels de l'infraction sont réunis, et c'est à juste titre que les premiers juges ont retenu la culpabilité de X pour ce chef de prévention.

C'est également à juste titre qu'ils ont rectifié, au vu des pièces de la procédure, la période de prévention en la limitant du 1er janvier 2001 au 14 février 2003, dates entre lesquelles se situent les livraisons irrégulières constatées en procédure.

Concernant la répression, il y a lieu de prendre en compte la personnalité du prévenu, son absence totale d'antécédents dans ce domaine, le caractère formel et l'ampleur limitée de l'infraction par rapport au volume d'activité de la société ; ces éléments conduisent à adoucir la sanction prononcée par le tribunal, en condamnant X uniquement à une peine d'amende.

Par ailleurs, les faits ainsi réprimés sont antérieurs à la condamnation prononcée pour un délit routier par ordonnance pénale du 26 juin 2009 à l'encontre de X. Celui-ci se verra attribuer le bénéfice du sursis simple que lui ouvrent les conditions définies par les articles 132-30 à 132-32 du Code pénal.

Le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu'il a relaxé X pour les faits d'importation d'animaux vivants non-conformes aux conditions sanitaires ou de protection, et l'a déclaré coupable des faits de tromperie sur la nature, la qualité substantielle, l'origine ou la quantité d'une marchandise pour la période du 1er janvier 2001 au 14 février 2003 ; mais celui-ci sera condamné à la peine de 5000 euro d'amende assortie du sursis simple.

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement et par arrêt contradictoire à l'encontre du prévenu, en matière correctionnelle, après en avoir délibéré conformément à la loi, - En la forme : - Reçoit les appels du prévenu et du ministère public ; - Au fond - Sur l'action publique : - Confirme le jugement entrepris sur la relaxe pour les faits d'importation d'animaux vivants, de leurs produits ou sous-produits ou aliments pour animaux non conformes aux conditions sanitaires ou de protection, en précisant, pour l'ensemble de la prévention de 1999 à 2003, - Confirme la relaxe partielle de 1999 et jusqu'au 31 décembre 2000 et la déclaration de culpabilité du 1er janvier 2001 au 14 février 2003, pour les faits de tromperie sur la nature, la qualité substantielle, l'origine ou la quantité d'une marchandise, - L'infirme sur la peine et statuant à nouveau, Condamne X à une peine d'amende de 5000 euro.