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Décisions

CA Paris, Pôle 4 ch. 10, 12 janvier 2011, n° 10-03136

PARIS

Arrêt

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Pers

Conseillers :

Mmes Zamponi, Sarda

Avocat :

Me Brami

TGI Bobigny, 15e ch., du 2 sept. 2009

2 septembre 2009

LA PROCÉDURE :

La saisine du tribunal et la prévention :

S.A. Y

X

ont été poursuivis sur convocation notifiée, selon les dispositions de l'article 390-l du Code de procédure pénale,

X :

- pour avoir à Montreuil-sous-Bois (93), entre le 29 octobre et le 7 décembre 2007, en tout cas sur le territoire national et depuis temps n'emportant pas prescription, exposé, mis en vente ou vendu des denrées servant à l'alimentation de l'homme ou des animaux, des boissons ou des produits agricoles ou naturels qu'il savait falsifiés, corrompus ou toxiques, en l'espèce en vendant par l'intermédiaire de la SA. Y sise La Noëlle - 44150 Ancenis, dont il était le directeur général, un lot de " pickel " n° 0296000, commercialisé entre le 29 octobre 2007 et le 16 novembre 2007, et un lot de saucisson tunisien n' 0275000, commercialisé entre le 12 octobre 2007 et le 7 décembre 2007, fabriqués pour son compte et selon ses instructions par la société Z, sise route d'Epinay 14130 Villers Bocage, dans le cadre d'un contrat de prestation de service, et tous deux reconnus non conformes en raison de la présence de colorant E. 24 (rouge de cochenille) interdit dans ce type de produit,

- pour avoir à Montreuil-sous-Bois (93), le 23 septembre 2007, en tout cas sur le territoire national et depuis temps non prescrit, falsifié des denrées servant à l'alimentation de l'homme ou des animaux, des substances médicamenteuses, des boissons ou des produits agricoles ou naturels destinés à être vendus, en l'espèce en fabriquant par l'intermédiaire de la SA Y sise La Noëlle - 44150 Ancenis, dont il était le directeur général, un lot de 60 kg de merguez reconnu non conforme en raison de la présence de colorant E 110 (jaune orange) interdit dans ce type de produit,

- pour avoir à Montreuil-sous-Bois (93), entre le 10 octobre 2007 et le 7 décembre 2007, en tout cas sur le territoire national et depuis temps non prescrit, par quelque moyen que ce soit, même par l'intermédiaire d'un tiers, étant partie ou non au contrat, trompé ou tenté de tromper un contractant sur la composition des choses livrées, en l'espèce en vendant, par l'intermédiaire de la SA Y, sise La Noelle - 44150 Ancenis, dont il était le directeur général, entre le 10 octobre 2007 et le 9 novembre 2007, un lot de saucisson Z, sise route d'Epinay - 14130 Villers Bocage, dans le cadre d'un contrat de prestation de service, dont l'étiquetage mentionnait " viande de boeuf ou de volaille : 86 % ", alors qu'il ne contenait aucune trace de viande bovine, et en vendant entre le 12 octobre 2007 et le 7 décembre 2007, un lot de saucisson tunisien n° 0275000, également fabriqué pour son compte et selon ses instructions par la société Z dans le cadre d'un contrat de prestation de services, dont l'étiquetage mentionnait : " viande de volaille et de veau: 71 % ", alors qu'il ne contenait aucune trace de viande bovine.

La S.A. Y :

- pour avoir à Montreuil-sous-Bois (93), entre le 29 octobre et le 7 décembre 2007, en tout cas sur le territoire national et depuis temps n'emportant pas prescription, exposé, mis en vente ou vendu des denrées servant à l'alimentation de l'homme ou des animaux, des boissons ou des produits agricoles ou naturels qu'il savait falsifiés, corrompus ou toxiques, en l'espèce en vendant par l'intermédiaire de la S.A. Y sise La Noëlle, 44150 Ancenis, dont il était le directeur général, un lot de " pickel " n° 0296000, commercialisé entre le 29 octobre 2007 et le 16 novembre 2007, et un lot de saucisson tunisien n° 0275000, commercialisé entre le 12 octobre 2007 et le 7 décembre 2007, fabriqués pour son compte et selon ses instructions par la société Z, sise route d'Epinay 14130 Villers Bocage, dans le cadre d'un contrat de prestation de service, et tous deux reconnus non conformes en raison de la présence de colorant E 124 (rouge de cochenille) interdit dans ce type de produit,

- pour avoir à Montreuil-sous-Bois (93), le 23 septembre 2007, en tout cas sur le territoire national et depuis temps non prescrit, falsifié des denrées servant à l'alimentation de l'homme ou des animaux, des substances médicamenteuses, des boissons ou des produits agricoles ou naturels destinés à être vendus, en l'espèce en fabriquant par l'intermédiaire de la SA Y sise La Noëlle - 44150 Ancenis, dont il était le directeur général, un. lot de 60kg de merguez reconnu non conforme en raison de la présence de colorant E 110 (jaune orange) interdit dans ce type de produit,

- pour avoir à Montreuil-sous-Bois (93), entre le 10 octobre 2007 et le 7 décembre 2007, en tout cas sur le territoire national et depuis temps non prescrit, par quelque moyen que ce soit, même par l'intermédiaire d'un tiers, étant partie ou non au contrat, trompé ou tenté de tromper un contractant sur la composition des choses livrées, en l'espèce en vendant, par l'intermédiaire de la SA Y, sise La Noëlle - 44150 Ancenis, dont il était le directeur général, entre le 10 octobre 2007 et le 9 novembre 2007, un lot de saucisson Z, sise route d'Epinay - 14130 Villers Bocage, dans le cadre d'un contrat de prestation de service, dont l'étiquetage mentionnait " viande de boeuf ou de volaille: 86 % ", alors qu'il ne contenait aucune trace de viande bovine, et en vendant entre le 12 octobre 2007 et le 7 décembre2007, un lot de saucisson tunisien n° 0275000, également fabriqué pour son compte et selon ses instructions par la société Z dans le cadre d'un contrat de prestation de services, dont l'étiquetage mentionnait: " viande de volaille et de veau: 71 % ", alors qu'il ne contenait aucune trace de viande bovine.

Le jugement :

LA COUR, par jugement contradictoire, a déclaré :

S.A. Y

- coupable d'exposition ou vente, par personne morale, de denrée alimentaire, boisson ou produit agricole falsifié, corrompu ou toxique, du 29/10/2007 au 07/12/2007, à Montreuil-sous-Bois, infraction prévue par les articles L. 213-6 al. 1, L. 213- 3 al. 1 2° du Code de la consommation, l'article 121-2 du Code pénal et réprimée par les articles L. 213-6, L. 213-3 al.1, L. 213-1 al1 du Code de la consommation, les articles 131-38, 131-39 2°,3°, 4°, 5°, 6°, 7° ,8°, 9° du Code pénal

- coupable de falsification, par personne morale, de denrée alimentaire, boisson, substance médicamenteuse ou produit agricole, le 23/09/2007, à Montreuil sous-bois, infraction prévue par les articles L.213-6 al. 1, L.213-3 al.1 1 °du Code de la consommation, l'article 121-2 du Code pénal et réprimée par les articles L. 213-6, L. 213-3 al. 1, L. 213-1 al. I du Code de la consommation, les articles 131-38, 131-39 2°,3°, 4°, 5°, 6°, 7° ,8°, 9° du Code pénal

- coupable de tromperie, par personne morale, sur la nature, la qualité, l'origine ou la quantité d'une marchandise, du 10/10/2007 au 07/12/2007, à Montreuil sous-bois, infraction prévue par les articles L. 213-1, L. 213-6 al.1 du Code de la consommation, l'article 121-2 du Code pénal et réprimée par les articles L. 213-6 al. 1, L. 213-I du Code de la consommation, les articles 131-38, 131-39 2°,3°, 4°, 5°, 6°, 7° ,8°, 9° du Code pénal

X

- coupable d'exposition ou vente de denrée alimentaire, boisson ou produit agricole falsifié, corrompu ou toxique, du 29/10/2007 au 07/12/2007, à Montreuil sous-bois, infraction prévue par l'article L.213-3 al.1 2° du Code de la consommation et réprimée pat les articles L. 213-3 al.1, L. 213-1.al.l, L. 216-2, L.216-3, L. 216-8 al.5 du Code de la consommation

- coupable de falsification de denrée alimentaire, boisson, substance médicamenteuse ou produit agricole, le 23/09/2007, à Montreuil sous-bois, infraction prévue par l'article L. 213-3 al. 11° du Code de la consommation et réprimée par les articles L. 213-3 al.1, L. 213-1 al.1, L. 216-2, L. 216-3, L. 216-8 al.5 du Code de la consommation

- coupable de tromperie sur la nature, la qualité substantielle, l'origine ou la quantité d'une marchandise, du 10/10/2007 au 07/12/2007, à Montreuil sous-bois, infraction prévue par l'article L. 213-1 du Code de la consommation et réprimée par les articles L. 213-1, L. 216-2, L. 216-3, L. 216-8 al.5 du Code de la consommation

Et par application de ces articles, a condamné

la S.A. Y à 7500 euro d'amende délictuelle

X à 7500 euro d'amende délictuelle avec sursis,

a dit qu'en application des dispositions de l'art 775-l du Code de procédure pénale, il ne sera pas fait mention au bulletin n° 2 du casier judiciaire de l'intéressé de la condamnation

DÉCISION :

Rendue après en avoir délibéré conformément à la loi,

La Cour statue sur l'appel régulièrement interjeté par le ministère public à l'encontre du jugement déféré.

A l'audience publique de la Cour, X, prévenu, comparaît assisté ;

La SA Y ,comparaît, représentée par son conseil.

Les faits à l'origine des poursuites et leurs circonstances ayant exactement été rapportés par les premiers juges en tête des motifs du jugement, la Cour, pour leur exposé se réfère expressément aux énonciations à cet égard du jugement déféré.

A l'audience publique de la Cour, X, conteste sa culpabilité. Il indique qu'à la suite des contrôles effectués par la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) il a mas en place un contrôle qualité et s'est efforcé de répondre à chacune des demandes de l'administration au besoin en modifiant la composition des ingrédients contenus dans les produits vendus alors même que ses concurrents n'y étaient pas astreints.

Le conseil de la SA Y rappelle qu'au moment des faits, la société comptait 150 salariés, mais qu'à la suite d'un incendie criminel survenu le 24 janvier 2009, elle a dû procéder à 80 licenciements, il souligne l'absence d'élément intentionnel caractérisant les infractions reprochées ;

Le ministère public relevant les risques encourus en matière de santé publique et les tromperies sur les marchandises n'admet pas la contestation sur la fiabilité des analyses opposée par les prévenus qui n'ont pas hésité à faire usage d'un colorant interdit par la réglementation. II requiert une peine exemplaire non assortie d'un sursis et la publication du jugement.

Le conseil des prévenus rappelle que 85% des salariés de la Société Y sont musulmans, que l'entreprise fournit la moitié de la communauté israélite de France sous le contrôle d'un rabbin ; que la production de la charcuterie est confiée à la Société Z appartenant au groupe E, deuxième producteur français de charcuterie fabriquant pour son compte et selon des fiches recettes communiquées par ses services des merguez, du saucisson tunisien, du saucisson à l'ail et du pickel. II précise que les colorants litigieux E 110 et E 124 ont été remplacés, notamment le E 124 par du jus de betterave. Il ajoute que la direction de la répression des fraudes n'a pas indiqué à la société, après analyse, la nature de la viande contenue dans les saucissons et indique que les analyses privées auxquelles la société a eu recours au cours de l'année 2008 n'ont pas relevé d'anomalies, la Société Z lui ayant communiqué au surplus l'innocuité des produits utilisés eu égard aux quantités extrêmement faibles utilisées.

Il plaide l'indulgence de la Cour et demande la confirmation du jugement entrepris en toutes ses dispositions.

• Sur la matérialité des faits :

Sur les falsifications par usage de colorants alimentaires

Considérant que les dispositions réglementaires en matière de colorants alimentaires sont définies par l'arrêté du 2 octobre 2007 relatif aux additifs pouvant être employés dans les denrées destinées à l'alimentation humaine ;

Que le fait d'incorporer dans une denrée alimentaire un colorant non autorisé par la réglementation en vigueur constitue une falsification ;

Considérant qu'il résulte des analyses effectuées par le laboratoire d'analyses de Massy que les prélèvements de merguez le 24 septembre 2007, de saucisson tunisien, de saucisson à l'ail et de pickel le 31 octobre 2007 ont révélé la présence de colorants non autorisés par l'arrêté susvisé pour ce type de produit ;

Sur la tromperie

Considérant qu'aux termes de l'article L. 213-1 du Code de la consommation, le fait de vendre deux lots de saucissons pour lesquelles la viande bovine indiquée sur l'étiquetage ne figurait pas dans la composition du produit offert à la vente constitue le délit de tromperie sur la composition de ces produits ;

Qu'en l'espèce il résulte des analyses effectuées par le laboratoire d'analyse de Massy que les résultats de ces analyses sont en contradiction avec les mentions portées sur l'étiquetage des produits concernés ;

Sur le caractère intentionnel des faits

Considérant qu'en dépit de ses dénégations à l'audience, il est établi que X avait été informé dès le 15 mars 2007, à la suite des contrôles effectués le 22 novembre 2006 et le 12 mars 2007, des manquements à la réglementation en matière de traçabilité, d'information du consommateur et des falsifications de denrées constatés dans l'entreprise par la DGCCRF ainsi que des sanctions encourues ;

Qu'il a néanmoins reconnu avoir détenu un pot de colorant E 110 jusqu'au mois de mars 2007 ;

Que lors du contrôle du 24 septembre 2007, les pots de colorants n'étaient pas étiquetés, qu'aucune fiche de fabrication ne pouvait être produite sur ce produit ; que le processus d'incorporation des colorants était mal maîtrisé au sein de la SA Y ;

Qu'après le contrôle du 31 octobre 2007, il a continué à vendre des produits qu'il savait falsifiés : jusqu'au 7 décembre 2007 pour le saucisson tunisien et jusqu'au 9 novembre pour le pickel ; qu'il a ainsi maintenu sur le marché des produits contenant un colorant interdit par la réglementation dans le but de préserver la santé publique, alors qu'il avait pris soin de modifier les recettes de fabrication après le passage des policiers ;

Considérant que la Société Y est spécialisée dans la fabrication de produits alimentaires cacher; que cette spécialisation implique une maîtrise totale des ingrédients mis en œuvre dans les produits qui doivent être approuvés par les rabbins qui supervisent et garantissent la bonne " cachérisation " du produit ; que cela implique une parfaite connaissance des ingrédients entrant dans la composition de ces produits pour que les rabbins puissent les approuver ; que la Société Y ne saurait reporter sa responsabilité sur la société Z, qui ne fait que réaliser les produits à partir de la définition et de la composition qu'elle propose et qui sont commercialisés sous la marque Y ;

Qu'il convient d'observer qu'aucune réclamation n'a été effectuée auprès de la société Z ;

Considérant enfin que X, directeur général de la Société Y, ne saurait remettre en cause les résultats des analyses effectuées par le laboratoire de Massy, des contrôles ultérieurs effectués le 22 février 2009 sur des saucissons ayant bien détecté la présence de viande bovine dans les échantillons prélevés ;

Qu'en sa qualité de professionnel, X n'a pas pris, au cours de la période visée à la prévention, toutes les mesures nécessaires pour suivre la composition de ses produits, alors qu'il disposait des moyens techniques et financiers suffisants au sein de sa société ;

Que dès lors les infractions reprochées sont caractérisées en tous leurs éléments ; que le jugement sera confirmé sur la déclaration de culpabilité et sur la peine qui constitue une juste application de la loi pénale tenant compte de la nature et de la gravité des faits, de l'absence d'antécédents judiciaires des prévenus ;

Que la Cour confirmera également la dispense d'inscription de la présente condamnation au bulletin n°2 du casier judiciaire de X.

Par ces motifs, LA COUR, - Statuant publiquement et contradictoirement à l'encontre de la S.A Y et de X, - Reçoit l'appel du ministère public- Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions.