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Décisions

CA Lyon, 7e ch. C, 17 juin 2009, n° 2105-07

LYON

Arrêt

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Brejoux

Avocat général :

Me Dufournet

Conseillers :

Mmes Carrier, Wyon

Avocats :

Mes Laraize, Lecroq

TGI Bourg-en-Bresse, du 26 sept. 2007

26 septembre 2007

Par jugement en date du 26 septembre 2007, le Tribunal de grande instance de Bourg-en-Bresse,

* statuant sur les poursuites diligentées à l'encontre des prévenus, du chef d'avoir, à Bourg-en-Bresse (01), courant juin 2006,

- ayant démarché ou fait démarcher Charlotte A, Jean-Marie B, Bernard C, Danielle D, Jean-Pierre E, Jacqueline F, à leur domicile, résidence ou lieu de travail, même à leur demande, afin de leur proposer l'achat, la vente, la location-vente ou la location avec option d'achat de biens ou la fourniture de services, remis à ceux ci un contrat ne comportant pas :

* les noms du fournisseur ou du démarcheur,

* l'adresse du fournisseur,

* l'adresse du lieu de conclusion du contrat,

* la désignation précise des biens ou services proposés,

* les conditions d'exécution du contrat, notamment les modalités ou délais de livraison ou d'exécution,

* le prix global à payer,

* les modalités de paiement,

* en cas de vente à tempérament ou à crédit, le taux nominal de l'intérêt ou le taux effectif global,

* la faculté de renonciation dans les sept jours,

* les modalités d'exercice de la faculté de renonciation,

(art. L. 121-28, L. 121-23, L. 121-24, L. 121-21, R. 121-3, R. 121-4, R. 121-5, R. 121-6, L. 121-8 du Code de la consommation) ;

- ayant démarché ou fait démarcher Charlotte A, Jean-Marie B, Bernard C, Danielle D, Jean-Pierre E, Jacqueline F, à leur domicile, résidence ou lieu de travail, même à leur demande, afin de leur proposer l'achat, la vente, la location-vente ou la location avec option d'achat de biens ou la fourniture de services, remis à ceux ci un contrat ne comportant pas de formulaire détachable destiné à faciliter l'exercice de la faculté de renonciation dans les sept jours de la commande ou de l'engagement,

(art. L. 121-28, L. 121-23, L. 121-24, L. 121-21, R. 121-3, R. 121-4, R. 121-5, R. 121-6, L. 121-28 du Code de la consommation) ;

- ayant démarché ou fait démarcher Charlotte A, Jean-Marie B, Bernard C, Danielle D, Jean-Pierre E, Jacqueline F, à leur domicile, résidence ou lieu de travail, même à leur demande, afin de leur proposer l'achat, la vente, la location-vente ou la location avec option d'achat de biens ou la fourniture de services,

* obtenu ou exigé des clients, directement ou indirectement, à quelque titre que ce soit ou sous quelque forme que ce soit, un paiement, une contrepartie quelconque ou un engagement, en l'espèce avant l'expiration du délai de réflexion de sept jours suivant la commande ou l'engagement,

* effectué une prestation de service de quelque nature que ce soit, en l'espèce, avant l'expiration du délai de réflexion de sept jours suivant la commande ou l'engagement,

(art. L. 121-28, L. 121-26, L. 121-28 du Code de la consommation) ;

* A :

Renvoyé les trois prévenus des fins de la poursuite du chef d'exécution de prestation de service avant la fin du délai de réflexion,

Les a déclarés coupables du surplus de la prévention,

Et par application des articles susvisés relatifs aux infractions retenues, a condamné :

Jean-Pierre à trois mille euro d'amende,

Franck Y à trois mille euro d'amende avec sursis,

La Sarl Z à cinq mille euro d'amende,

Chacun des condamnés étant redevable du droit fixe de procédure.

Sur l'action civile : le tribunal a condamné solidairement les prévenus à payer à la partie civile 150 euro à titre de dommages-intérêts et 500 euro en application de l'article 475-1 du Code de Procédure Pénale.

La cause appelée à l'audience publique du 20 mai 2009,

Madame Wyon, Conseiller, a fait le rapport,

Les prévenus ont été interrogés et ont fourni leurs réponses,

Maître Lecroq, Avocat au Barreau de Bourg-en-Bresse, a conclu et plaidé pour la partie civile,

Madame Dufournet, Avocat Général, a résumé l'affaire et a été entendue en ses réquisitions,

Maître Laraize, Avocat au Barreau de Paris, a développé à la Barre ses conclusions déposées pour la défense des prévenus,

La défense a eu la parole en dernier,

Sur quoi la cour a mis l'affaire en délibéré ; après en avoir avisé les parties présentes, elle a renvoyé le prononcé de son arrêt à l'audience publique de ce jour en laquelle, la cause à nouveau appelée, elle a rendu l'arrêt suivant :

Attendu qu'il résulte de la procédure et les débats les faits suivants :

Courant juin 2006, le magasin mobilier de France de Bourg-en-Bresse exploité par la société Z, a adressé à un millier de ses anciens clients un courrier nominatif portant l'indication "cadeau privilégié" et les invitant à venir retirer au magasin, "en couple" entre le 22 juin et le 1er juillet 2006, un cadeau consistant en une sacoche de trois boules de pétanque et à profiter d'un crédit gratuit d'une durée maximale de dix mois.

Le courrier contenait un coupon à rapporter au magasin pour bénéficier du cadeau.

Parmi les destinataires de cette offre se trouvait un contrôleur principal des services déconcentrés de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes en fonction à Bourg-en-Bresse.

Celui-ci a dressé procès-verbal le 30 juin 2006 en relevant que le procédé constituait un démarchage à domicile et que les dispositions légales exigeant que les contrats conclus dans ce cadre comportent des mentions obligatoires, un bordereau de rétractation et que les paiements et/ou livraison n'aient pas lieu avant l'expiration d'un délai de rétractation de sept jours n'avaient pas été respectées.

Le contrôleur a constaté que 143 clients étaient venus retirer leur cadeau et que 6 ventes avaient été réalisées à cette occasion, le prix ayant été payé en tout ou en partie le jour même et trois articles ayant été emportés par les acheteurs.

Les six bons de commande renseignés comportaient une mention attribuant un caractère ferme et définitif à la vente.

Le contrôleur a relevé que l'offre avait été réalisée dans les sept magasins de l'enseigne Mobilier de France de la région Rhône-Alpes, et qu'elle résultait donc d'une politique globale et non du choix du responsable du magasin, Franck Y, titulaire d'une délégation de pouvoir suivant avenant à son contrat de travail signé le 1er septembre 2005.

Franck Y, Jean-Pierre X et la société Z ont tous trois été poursuivis du chef de non remise d'un contrat de démarchage conforme à la loi, défaut de remise d'un bordereau de rétractation, perception d'un paiement avant la fin du délai de rétractation et/ou livraison des produits avant la fin du délai de rétractation dans le cadre d'un démarchage à domicile.

Par jugement du 26 septembre 2007, le tribunal de Bourg-en-Bresse a statué dans les termes rappelés en tête du présent arrêt.

Jean-Pierre X, la société Z et Franck Y ont relevé appel de leur condamnation par déclarations enregistrées au greffe le 5 octobre 2006, le ministère public a relevé appel de l'entier jugement le même jour et l'organisation de consommateurs a relevé appel incident le 8 octobre.

Jean-Pierre X a été cité à l'audience du 20 mai 2009 par acte d'huissier du 3 avril 2009 déposé en étude, l'accusé de réception été signé le 9. La société Z a été citée par acte d'huissier du 27 mars 2009 délivré à Franck Y. Franck Y a été cité par acte d'huissier du 24 mars 2009 délivré à sa personne. L'association ZZ a été citée par acte du 20 mars 2009 délivré à personne habilitée.

Jean-Pierre X et Franck Y ont comparu à l'audience assistés de leur conseil, la Sarl Z était représentée ainsi que la partie civile ; l'arrêt sera donc contradictoire à l'égard de toutes les parties.

À l'audience, l'association a rappelé que les clients étaient invités à venir en couple afin que leur visite se conclue par un achat et a fait observer que les ventes réalisées étaient d'un montant important compris entre 1 940 et 3 130 euro pour trois d'entre elles. Elle a sollicité la condamnation des prévenus à lui verser 1 500 euro à titre de dommages-intérêts et 1 500 euro d'indemnité pour ses frais de défense.

Le ministère public a conclu à la relaxe des prévenus.

Les trois prévenus ont fait valoir pour leur défense que :

- l'enlèvement de la marchandise ne peut être assimilé à la prestation de services visée par l'article L. 121-26 du Code de la consommation qui dispose : 'avant l'expiration du délai de réflexion prévue à l'article L. 121-25, nul ne peut effectuer des prestations de services de quelque nature que ce soit', la remise des meubles achetés par les clients le jour de l'achat constituant l'exécution de l'obligation de délivrance du vendeur, et la livraison des meubles plus importants ayant été réalisée postérieurement à l'expiration du délai de rétractation,

- les ventes critiquées ne constituent pas des ventes par démarchage à domicile au sens de la loi qui n'a pas expressément prévu l'hypothèse dans laquelle le consommateur a été invité à se rendre au magasin sous prétexte de retirer un cadeau, cette interprétation extensive du texte étant une création prétorienne qui contrevient au principe d'interprétation stricte de la loi pénale posé par l'article 111-4 du Code pénal .

Ils font observer que la jurisprudence à laquelle se réfère le contrôleur de la DGCCRF dans la procédure concerne des ventes au déballage et n'est pas applicable à l'espèce.

Ils soutiennent que l'élément matériel de l'infraction n'est pas constitué, et qu'il en est de même de l'élément intentionnel, seuls les anciens clients du magasin ayant reçu l'offre.

Ils font valoir que l'avantage proposé était lié à la fidélisation des clients et qu'une telle pratique est largement utilisée dans le cadre de la consommation de produits courants.

Ils ont sollicité leur relaxe.

A titre subsidiaire, la société Z et Jean-Pierre X soutiennent que l'existence de la délégation de pouvoir expressément acceptée par Franck Y doit conduire à leur relaxe et demandent à la juridiction de faire preuve de la plus grande indulgence envers ce dernier.

Enfin, sur l'action civile, ils affirment que l'intérêt collectif des consommateurs n'a subi aucun préjudice et concluent au rejet des demandes de ZZ.

MOTIVATION

Attendu que les appels relevés dans les formes et les délais légaux seront déclarés recevables ;

Attendu que l'article L. 121-21 du Code de la consommation est ainsi rédigé :

" Est soumis aux dispositions de la présente section quiconque pratique ou fait pratiquer le démarchage, au domicile d'une personne physique, à sa résidence ou à son lieu de travail, même à sa demande, afin de lui proposer l'achat, la vente, la location, la location-vente ou la location avec option d'achat de biens ou la fourniture de services.

Est également soumis aux dispositions de la présente section le démarchage dans les lieux non destinés à la commercialisation du bien ou du service proposé et notamment l'organisation par un commerçant ou à son profit de réunions ou d'excursions afin de réaliser les opérations définies à l'alinéa précédent ".

Attendu que ce texte vise à protéger le consommateur de l'intrusion du vendeur qui le sollicite pour tenter de lui faire conclure un contrat ;

Attendu qu'en l'espèce, l'envoi d'un bon permettant de retirer un cadeau ne concernait que des clients du magasin, qui y avaient nécessairement déjà effectué au moins un achat et ainsi communiqué leur adresse ; Que cette clientèle avait en conséquence une connaissance préalable du type de produits proposés et des prix pratiqués la rendant moins sensible aux arguments commerciaux qu'un nouveau visiteur ;

Attendu en outre que la proposition de remise d'un cadeau de fidélité ne peut être considérée comme une sollicitation, la remise n'étant nullement assortie de l'obligation d'acheter, ni même d'une quelconque incitation, le client restant parfaitement libre d'acquérir ou non ;

Attendu qu'en l'espèce le faible pourcentage de clients s'étant présentés pour retirer le cadeau et l'encore plus faible pourcentage de clients ayant conclu une vente à l'occasion de leur visite confirment l'absence de lien entre l'envoi du message et la conclusion d'un contrat ; Qu'au surplus les six clients ayant acheté n'ont pas été entendus, de manière qu'il n'est nullement démontré que les achats effectués à l'occasion de cette opération commerciale n'avaient pas été préalablement mûrement réfléchis, et que la visite était la conséquence de l'envoi du bon promettant le cadeau ;

Attendu en définitive que l'action commerciale exercée dans le cadre d'une telle opération équivaut à celle de tout magasin ordinaire pratiquant des remises annoncées par courrier et offrant des cadeaux de fidélité sur remise d'un coupon préalablement envoyé, et ne saurait être assimilée à une opération de démarchage à domicile ; que la défense verse au débat de nombreuses offres de ce type émanant de magasins de produits de beauté, de magasins de bricolage, de commerces de vêtements et de meubles et même d'une société d'autoroute ; que de telles propositions sont extrêmement fréquentes et par suite d'une grande banalité, et ne sauraient entrer dans le cadre des opérations de démarchage telles que définies par le texte susvisé ;

Attendu qu'en conséquence, l'opération commerciale organisée par la société Z en juin 2006 ne pouvant être considérée comme relevant du démarchage à domicile, les trois prévenus seront renvoyés des fins de la poursuite ;

Attendu sur l'action civile que la demande ne peut qu'être rejetée en raison de la relaxe intervenue.

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement par arrêt contradictoire, en matière correctionnelle, après en avoir délibéré conformément à la loi, Reçoit les appels formés par le prévenu, la partie civile et le ministère public, Réforme le jugement déféré, Renvoie Jean-Pierre X, la société Z et Franck Y des fins de la poursuite, Déboute l'association ZZ de ses réclamations.