Cass. 1re civ., 1 décembre 2011, n° 10-19.402
COUR DE CASSATION
Arrêt
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Charruault
Avocats :
SCP Lyon-Caen, Thiriez, SCP Peignot, Garreau, Bauer-Violas
LA COUR: - Attendu que la SCEA Prim'Loire, spécialisée dans la culture des carottes, radis et oignons blancs, a acheté, selon commande n°100052 et facture du 17 octobre 2005, à la société Béjo graines France des semis de carottes pour un montant de 1 433,60 euro ; qu'ayant constaté une insuffisance de rendement et après expertise judiciaire, elle a, par acte du 27 juillet 2007, assigné son fournisseur sur le fondement de la garantie des vicescachés, lui réclamant paiement d'une somme de 18 189 euro en réparation de son préjudice ; que la société Béjo graines France fait grief à l'arrêt attaqué (Angers, 6 avril 2010) d'avoir accueilli la demande, alors, selon le moyen : - 1) que pour constituer un vice caché, au sens de l'article 1641, le défaut doit être tel qu'il rend la chose impropre à l'usage auquel on la destine, ou diminue tellement cet usage que l'acheteur ne l'aurait pas acquise, ou n'en aurait donné qu'un moindre prix, s'il en avait eu connaissance ; que les propriétés que la chose doit détenir pour répondre à l'usage auquel on la destine doivent pouvoir être déterminées avec précision et certitude ; qu'en estimant, en se fondant sur les conclusions de l'expert, que les semences des graines de carottes Napoli provenant du lot n° 212356 étaient atteintes d'un vice caché en ce que leur taux de faculté germinative était de 75 % et qu'elles avaient une mauvaise énergie germinative, cependant qu'elle relevait, d'une part, qu'aux termes de l'annexe II de la directive 2002/55/CE du 13 juin 2002 relative à la production en vue de la commercialisation ainsi que la commercialisation de semences de légumes à l'intérieur de la communauté, les semences de carottes doivent présenter une faculté germinative minimale de 65 % et, d'autre part, qu'aucune norme ne définit la notion d'énergie germinative et qu'il n'existe pas de méthode d'analyse référencée pour la déterminer, la cour d'appel qui n'a pas déduit de ses constatations les conséquences qui s'en évinçaient a violé l'article 1641 du Code civil ; - 2) qu'il incombe au juge de se prononcer sur les éléments de preuve régulièrement soumis à son examen ; qu'une analyse technique, même non contradictoirement dressée, vaut à titre de preuve dès lors qu'elle est soumise à la libre discussion des parties ; qu'en énonçant qu'aucune valeur probante ne pouvait être accordée aux résultats de l'analyse réalisée par la société Béjo graines France le 28 juin 2006 desquels résulte un taux de faculté germinative de 86 % pour les graines litigieuses, aux motifs que cette analyse avait été réalisée à la demande du producteur, par son laboratoire attitré et sans aucun respect du contradictoire, la cour d'appel qui a refusé d'examiner l'analyse en question cependant qu'elle avait été soumise à la libre discussion des parties, a violé les articles 9, 15, 16, 132 du Code de procédure civile et 1353 du Code civil ; - 3) que l'acheteur professionnel de même spécialité que le vendeur est celui qui exerce dans le même secteur d'activité et non celui qui exerce strictement la même activité ; qu'en écartant la clause limitative de garantie prévue à l'article 11.4 des conditions générales de vente aux termes de laquelle la garantie est strictement limitée à la remise en état ou au remplacement des marchandises affectées d'un vice caché aux motifs que les activités respectives de producteur de semences et de producteur de légumes ne relevaient pas de la même spécialité, cependant qu'elles faisaient bien partie du même secteur d'activité sans qu'il soit nécessaire qu'elles soient strictement identiques et que la société Prim'Loire n'avait pas soutenu ne pas être de la même spécialité que le vendeur, la cour d'appel a violé les articles 1134 et 1643 du Code civil ; - 4) que lorsque l'acquéreur exerce l'action estimatoire et conserve la chose vendue, il n'a le droit de se faire rendre qu'une partie du prix et non de prétendre à une indemnisation de son préjudice ; que l'indemnité ne peut être égale au prix de vente ; qu'en condamnant la société Béjo graines France à payer à la société Prim'Loire la somme de 13 233 euro correspondant au montant de la perte de 33 000 bottes à un montant de 0,401 euro, cependant d'une part, que le lot litigieux avait été acheté pour la somme de 1 512,45 euro et que la restitution devait s'opérer sur cette somme et non sur le préjudice subi et d'autre part, qu'à supposer qu'il y ait lieu de tenir compte de la perte subie sur les 6 600 m2 de cinq bottes par m2, le prix d'achat ne pouvait être retenu et il convenait de recourir à une autre expertise pour fixer le montant de l'action en réduction, la cour d'appel a violé les articles 1644 et 1645 du Code civil ;
Mais attendu, d'abord, que faisant siennes les conclusions de l'expert judiciaire, l'arrêt relève que le taux de faculté germinative minimal de 65 % visé par l'annexe II de la directive 2002/55/CE du Conseil du 13 juin 2002, ne correspond pas aux exigences effectives de la production légumière pratiquée à titre professionnel, que ce fait est reconnu par les producteurs de semences potagères eux-mêmes dans les documentations qu'ils diffusent auprès des maraîchers et dans lesquelles ils s'imposent, comme standard de qualité, la fourniture de graines présentant, pour les carottes, un taux de faculté germinative compris entre 85 % et 95 %, un tel taux correspondant à la norme déterminée selon les règles et tolérances de l'ISTA (International Seed Testing Association) et constituant une adaptation indispensable à l'évolution de l'activité de production légumière, désignée comme devenue " une activité hautement qualifiée et spécialisée " soumise à des contraintes d'optimisation ; que sous couvert d'un grief non fondé de violation de la loi, la première branche du moyen ne tend en réalité qu'à remettre en discussion devant la Cour de cassation, le pouvoir souverain des juges du fond qui, constatant que les graines litigieuses ne présentaient pas ce taux admis par la profession comme un minimum eu égard à l'évolution de la culture maraîchère, ont estimé que ces graines étaient affectées d'un vice caché qui les rendaient impropres à l'usage auquel elles étaient destinées ;
Attendu ensuite que contrairement à ce que soutient la deuxième branche du moyen, la cour d'appel, en écartant l'analyse produite par la société Béjo graines France pour avoir été réalisée par cette dernière, pour les besoins de la cause, par son laboratoire attitré, a procédé, par une appréciation souveraine de la valeur probante de cette pièce, à son examen ;
Et attendu enfin qu'ayant constaté, dans l'exercice de son pouvoir souverain, que les parties n'étaient pas des professionnels de la même spécialité, de sorte que la clause limitative de garantie stipulée dans les conditions générales de vente ne pouvait être opposée à la société Prim'Loire, la cour d'appel a condamné à juste titre la société Béjo graines France à réparer le préjudice subi par la société Prim'Loire du fait de la fourniture de graines affectées du vice caché qui les rendaient impropres à leur usage, la perte de la chose si elle rend la résolution de la vente impossible, ne privant pas l'acquéreur du droit de réclamer des dommages-intérêts au vendeur réputé en connaître les vices ;
D'où il suit que le moyen ne peut être accueilli en aucune de ses quatre branches ;
Rejette le pourvoi.