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Décisions

CA Paris, 13e ch. A, 2 avril 2007, n° 06-08414

PARIS

Arrêt

Confirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Guilbaud

Conseillers :

Mme Geraud-Charvet, M. Waechter

Avocats :

Mes Saumon, Michot

TGI Paris, 31e ch., du 22 juin 2006

22 juin 2006

Rendue contradictoirement à l'encontre des prévenus, après en avoir délibéré conformément à la loi,

Statuant sur l'appel interjeté par le ministère public à l'encontre du jugement entrepris auquel la cour renvoie pour l'exposé de la prévention ;

X, prévenu intimé, comparait devant la cour, assisté de son avocat qui dépose des conclusions in limine litis et au fond ;

La SA Y, prévenue intimée, est représentée devant la cour par son avocat qui dépose des conclusions.

L'avocat de X est entendu avant tout débat au fond sur l'exception de nullité de la citation qu'il soulève s'agissant de la prévention de falsification ; il souligne que cette prévention vise une loi du 1er aout 1905 abrogée et qu'aucune précision n'est apportée sur le texte réglementaire applicable, ce qui est contraire au principe de prévisibilité des incriminations et des peines ;

Monsieur l'Avocat général demande à la cour de joindre l'incident au fond ;

La cour, après en avoir délibéré, décide de joindre l'incident au fond.

RAPPEL DES FAITS et DEMANDES

Le 30 mai 2000 les services de la DDCCRF des Bouche-du- Rhône effectuaient un contrôle à la raffinerie Y à Marseille, afin de vérifier la qualité et la loyauté des sucres roux produits par cette entreprise ; ils constataient que, contrairement à sa désignation, le " sucre roux Comptoir du Sud " ne correspondait pas à un sucre roux mais à une spécialité composée de sucre blanc raffiné, de jus colorés issus du procédé de raffinage du sucre brut et d'un colorant ; il était en outre établi que la polarisation du "sucre roux Comptoir du Sud" était supérieure à la valeur maximale de 98 % prévue par le décret du 19/12/1910 applicable au sucre roux (la dénomination sucre roux est réservée au sucre renfermant plus de 85 % et moins de 98 % de saccharose) ; l'enquête était poursuivie auprès de la société Z sise à Paris qui a commercialisé le "sucre roux Comptoir du Sud" jusqu'au 30 septembre 2000 et apparaissait responsable des spécifications des sucres fabriqués dans le cadre d'un contrat de fourniture exclusive ; la DDCCRF concluait que la denrée ne pouvait prétendre à la dénomination de vente de "sucre roux" et aurait du être présentée sous une désignation appropriée telle que "spécialité sucrière", que par ailleurs l'étiquetage aurait du mentionner la présence de sucre, de sirops de sucre et des colorants employés ; elle relevait les éléments de deux infractions :

- tromperie sur la nature, les qualités substantielles et la composition de la marchandise, dans le fait de commercialiser sous la dénomination "sucre roux" un produit imitant le sucre roux mais composé en fait de sucre blanc raffiné coloré au moyen de sirops de sucre colorés et d'un colorant,

- l'infraction de falsification, dans le fait d'incorporer un colorant non autorisé dans ce type de denrée,

et relevait procès-verbal le 10 juillet 2001.

Le Parquet faisait entendre par les services de police les dirigeants des sociétés Y d'une part et Z d'autre part , Monsieur X, Directeur de production de la société Y de 1993 à début 2002 et habilité à prendre toutes mesures pour que la qualité des produits commercialisés soit conforme aux normes, confirmait l'exactitude des constatations faites par la DDCCRF sur le processus de fabrication ; toutefois il indiquait que depuis 1990 la société Z avait pris en charge la commercialisation des produits et que Y produisait en se conformant aux exigences de Z, laquelle était responsable de l'étiquetage des produits dont elle connaissait la composition ; Monsieur A, Directeur général de Z, arguait quant à lui que la fabrication du produit relevait exclusivement de Y, Z se contentant de le commercialiser en se fiant au cahier des charges ; la DDCCRF consultée pour avis, estimait que seule les responsabilités de Y et de Monsieur X pouvaient être engagées pour les délits de tromperie et de falsification, et non celle de Z qui ne disposait pas d'information sur la présence dans le produit d'un colorant.

Devant la cour

Monsieur l'Avocat général:

- s'en rapporte à l'appréciation de la cour sur l'exception de nullité soulevée par X, en faisant observer que les articles de la loi du 01/08/1905 visés ont été codifiés à l'article L. 213-3 alinéa 1 1° du Code de la consommation à droit constant, mais que les textes réglementaires ne sont pas précisés

- s'en rapporte à l'appréciation de la cour en ce qui concerne les poursuites exercées à l'encontre de la société Y, la responsabilité des personnes morales n'étant pas prévue par le législateur à la date des faits ;

- s'en rapporte à l'appréciation de la cour sur la prévention de falsification concernant X ;

- requiert l'infirmation du jugement déféré en ce qu'il a relaxé X des faits de tromperie ; il estime le délit constitué au vu des constatations faites par la DDCCRF et imputable au fabricant ; il requiert la condamnation de X à une amende de 5 000 euro.

X, demande à la cour de confirmer le jugement de relaxe intervenu, en faisant valoir :

- que la société Z a pris en charge à partir de 1989 la commercialisation pour son compte et à ses propres risques des différents produits fabriqués par la société Y conformément aux exigences de Z résultant d'un contrat de fourniture exclusive ;

- sur la prévention de tromperie : l'absence d'élément légal de l'infraction en ce que le produit "Comptoir du Sud" litigieux est d'une qualité supérieure au sucre roux ; l'absence d'élément matériel pouvant lui être imputé, sa délégation de pouvoir ne portant que sur le seul processus de fabrication du produit et le respect de sa qualité intrinsèque, et non sur le contrôle de l'étiquetage qui incombait à Z laquelle avait parfaitement connaissance du processus de fabrication du produit, et plus encore définissait elle-même le cahier des charges ; qu'en conséquence il ne saurait être reproche a Monsieur X d'avoir fabrique le produit Comptoir du Sud sous la dénomination "sucre roux" puisque cette dénomination est du ressort exclusif de la société Z ;

- sur la prévention de falsification : que, juridiquement, le produit Comptoir du Sud n'est ni du sucre blanc ni du sucre roux au sens de la réglementation française, puisque sa polarisation est supérieure à la valeur maximale de 98 % prévue par le décret de 1910 pour le sucre roux, mais inférieure à la polarisation prévue par le décret du 12juillet 1977 concernant le sucre blanc ; qu'aucun règlement ne prohibe l'adjonction de caramel à ce type de produit ; que le processus de fabrication du produit Comptoir du Sud et sa composition sont aujourd'hui les mêmes, seul l'étiquetage ayant été modifié ;

à titre subsidiaire, X demande à la cour de dire que les infractions reprochées forment un cumul idéal ;

La société Y SA conclut à la confirmation du jugement de relaxe prononcé en sa faveur, en faisant valoir:

- à titre principal : que les infractions poursuivies ne lui sont pas imputables puisqu'elle est une holding financière sans activité opérationnelle, la raffinerie de Marseille objet de la présente procédure dépendant de Y SNC ;

- à titre subsidiaire : qu'à l'époque des faits poursuivis, les personnes morales n'étaient pas pénalement responsables des infractions de tromperie et de falsification ;

- à titre infiniment subsidiaire ; que les infractions ne sont pas constituées,

SUR CE

Sur l'exception de nullité de la citation de X relative aux faits de falsification :

Considérant que c'est par des motifs pertinents que la cour adopte que le tribunal a rejeté l'exception de nullité de la citation soulevée par X ; qu'en effet les articles de la loi du 1er août 1905 visés ayant été transposés à droit constant aux articles L. 213-3 alinéa 1 1°, et L. 213-l du Code de la consommation, leur teneur et leur portée ne sont pas modifiés, qu'en outre les faits reprochés sont énoncés avec précision de sorte que la citation en cause ne laisse pas le prévenu dans l'incertitude sur le fondement juridique de l'action engagée contre lui ; qu'en conséquence la cour rejettera l'exception soulevée.

Sur les poursuites exercées contre la SA Y

Considérant qu'à la date des faits en cause (courant mai 2000 à août 2000), la responsabilité pénale des personnes morales n'était pas légalement prévue pour les préventions de falsification et de tromperie prévues et réprimées par le code de consommation ; qu'il y a donc lieu de relaxer la SA Y des fins de la poursuite ;

Sur les délits reprochés à X :

- falsification

Considérant qu'il ressort des éléments du dossier que le produit dénommé "sucre roux Comptoir du Sud" a un taux de saccharose compris entre 9 % et 99,7 % ,de sorte qu'il ne répond ni à la définition du sucre roux ni à la définition du sucre blanc tel que résultant de l'article I du décret du 19 décembre 1910 modifié ; qu'il n'est donc pas établi que le produit en cause fasse partie des denrées alimentaires pour lesquelles les colorants ne sont pas autorisés selon l'annexe I-B de l'arrêté du 2 octobre 1997 ; qu'en outre il n'est pas plus établi que le caramel colorant E l50a issu du sucre de canne dont il est question en l'espèce, fasse partie, au regard des directives européennes, de ceux dont l'adjonction est prohibée dans les denrées destinées à l'alimentation humaine ; qu'en conséquence la cour relaxera X de ce chef de prévention.

- tromperie

Considérant qu'il est constant que le produit fabriqué par la société Y et commercialisé par la société Z sous la dénomination "sucre roux Comptoir du Sud " est composé de sucre blanc raffiné coloré au moyen de sirops de sucre coloré et d'un caramel colorant et ne correspond donc pas à la définition du "sucre roux" telle que résultant du décret du 19/12/1910 ; que compte tenu de sa présentation (morceaux de sucre de couleur brune) et de son étiquetage (dénomination de vente " sucre roux pure canne " et absence d'une liste d'ingrédients ) le consommateur ne peut assimiler cette denrée qu'à un sucre roux et par là même être trompé sur sa nature, sa composition et ses qualités substantielles, peu important que le produit considéré soit ou non de qualité supérieure ; que le délit de tromperie est donc caractérisé, et ne se réduit pas à une simple question d'étiquetage inadapté puisque le produit lui-même a été conçu dans le but d'obtenir la couleur brune spécifique du sucre roux censé être fabriqué à partir du jus brut de canne ce qui n'est pas le cas ; que X était à la date des faits visés à la prévention Directeur Général adjoint chargé de la production à la société Y et ne conteste pas avoir eu la fabrication du produit sous sa responsabilité, même s'il soutient avoir agi sur préconisation de la société Z ; que s'il ressort des pièces du dossier que la société Z était à tout le moins parfaitement informée de la composition du produit et avait pris une part prépondérante à la définition du cahier des charges, cela n'exonère pas pour autant X de sa propre responsabilité de fabricant, chargé comme il le dit lui-même (audition devant les services de police du 10/02/2005) de la qualité intrinsèque du produit, que l'infraction de tromperie lui est donc imputable, l'élément intentionnel de l'infraction découlant de sa connaissance de l'appellation trompeuse du produit par rapport à sa composition, point sur lequel il reconnaît avoir lui-même appelé l'attention de la société Z ; qu'en conséquence la cour entrera en voie de condamnation en prononçant à son encontre une amende de 5 000 euro.

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement à l'encontre des prévenus, Reçoit le ministère public en son appel ; Confirme le jugement entrepris : - en ce qu'il a rejeté l'exception de nullité de la citation soulevée par X, - en ce qu'il a relaxé X de la prévention de falsification, - en ce qu'il a relaxé la SA Y des préventions de falsification et de tromperie.