DĂ©cisions

CA Paris, 13e ch. A, 2 avril 2007, n° 06-08414

PARIS

ArrĂȘt

Confirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

PrĂ©sident :

M. Guilbaud

Conseillers :

Mme Geraud-Charvet, M. Waechter

Avocats :

Mes Saumon, Michot

Rendue contradictoirement à l'encontre des prévenus, aprÚs en avoir délibéré conformément à la loi,

Statuant sur l'appel interjeté par le ministÚre public à l'encontre du jugement entrepris auquel la cour renvoie pour l'exposé de la prévention ;

X, prévenu intimé, comparait devant la cour, assisté de son avocat qui dépose des conclusions in limine litis et au fond ;

La SA Y, prévenue intimée, est représentée devant la cour par son avocat qui dépose des conclusions.

L'avocat de X est entendu avant tout débat au fond sur l'exception de nullité de la citation qu'il soulÚve s'agissant de la prévention de falsification ; il souligne que cette prévention vise une loi du 1er aout 1905 abrogée et qu'aucune précision n'est apportée sur le texte réglementaire applicable, ce qui est contraire au principe de prévisibilité des incriminations et des peines ;

Monsieur l'Avocat général demande à la cour de joindre l'incident au fond ;

La cour, aprÚs en avoir délibéré, décide de joindre l'incident au fond.

RAPPEL DES FAITS et DEMANDES

Le 30 mai 2000 les services de la DDCCRF des Bouche-du- RhĂŽne effectuaient un contrĂŽle Ă  la raffinerie Y Ă  Marseille, afin de vĂ©rifier la qualitĂ© et la loyautĂ© des sucres roux produits par cette entreprise ; ils constataient que, contrairement Ă  sa dĂ©signation, le " sucre roux Comptoir du Sud " ne correspondait pas Ă  un sucre roux mais Ă  une spĂ©cialitĂ© composĂ©e de sucre blanc raffinĂ©, de jus colorĂ©s issus du procĂ©dĂ© de raffinage du sucre brut et d'un colorant ; il Ă©tait en outre Ă©tabli que la polarisation du "sucre roux Comptoir du Sud" Ă©tait supĂ©rieure Ă  la valeur maximale de 98 % prĂ©vue par le dĂ©cret du 19/12/1910 applicable au sucre roux (la dĂ©nomination sucre roux est rĂ©servĂ©e au sucre renfermant plus de 85 % et moins de 98 % de saccharose) ; l'enquĂȘte Ă©tait poursuivie auprĂšs de la sociĂ©tĂ© Z sise Ă  Paris qui a commercialisĂ© le "sucre roux Comptoir du Sud" jusqu'au 30 septembre 2000 et apparaissait responsable des spĂ©cifications des sucres fabriquĂ©s dans le cadre d'un contrat de fourniture exclusive ; la DDCCRF concluait que la denrĂ©e ne pouvait prĂ©tendre Ă  la dĂ©nomination de vente de "sucre roux" et aurait du ĂȘtre prĂ©sentĂ©e sous une dĂ©signation appropriĂ©e telle que "spĂ©cialitĂ© sucriĂšre", que par ailleurs l'Ă©tiquetage aurait du mentionner la prĂ©sence de sucre, de sirops de sucre et des colorants employĂ©s ; elle relevait les Ă©lĂ©ments de deux infractions :

- tromperie sur la nature, les qualités substantielles et la composition de la marchandise, dans le fait de commercialiser sous la dénomination "sucre roux" un produit imitant le sucre roux mais composé en fait de sucre blanc raffiné coloré au moyen de sirops de sucre colorés et d'un colorant,

- l'infraction de falsification, dans le fait d'incorporer un colorant non autorisé dans ce type de denrée,

et relevait procĂšs-verbal le 10 juillet 2001.

Le Parquet faisait entendre par les services de police les dirigeants des sociĂ©tĂ©s Y d'une part et Z d'autre part , Monsieur X, Directeur de production de la sociĂ©tĂ© Y de 1993 Ă  dĂ©but 2002 et habilitĂ© Ă  prendre toutes mesures pour que la qualitĂ© des produits commercialisĂ©s soit conforme aux normes, confirmait l'exactitude des constatations faites par la DDCCRF sur le processus de fabrication ; toutefois il indiquait que depuis 1990 la sociĂ©tĂ© Z avait pris en charge la commercialisation des produits et que Y produisait en se conformant aux exigences de Z, laquelle Ă©tait responsable de l'Ă©tiquetage des produits dont elle connaissait la composition ; Monsieur A, Directeur gĂ©nĂ©ral de Z, arguait quant Ă  lui que la fabrication du produit relevait exclusivement de Y, Z se contentant de le commercialiser en se fiant au cahier des charges ; la DDCCRF consultĂ©e pour avis, estimait que seule les responsabilitĂ©s de Y et de Monsieur X pouvaient ĂȘtre engagĂ©es pour les dĂ©lits de tromperie et de falsification, et non celle de Z qui ne disposait pas d'information sur la prĂ©sence dans le produit d'un colorant.

Devant la cour

Monsieur l'Avocat général:

- s'en rapporte à l'appréciation de la cour sur l'exception de nullité soulevée par X, en faisant observer que les articles de la loi du 01/08/1905 visés ont été codifiés à l'article L. 213-3 alinéa 1 1° du Code de la consommation à droit constant, mais que les textes réglementaires ne sont pas précisés

- s'en rapporte à l'appréciation de la cour en ce qui concerne les poursuites exercées à l'encontre de la société Y, la responsabilité des personnes morales n'étant pas prévue par le législateur à la date des faits ;

- s'en rapporte à l'appréciation de la cour sur la prévention de falsification concernant X ;

- requiert l'infirmation du jugement déféré en ce qu'il a relaxé X des faits de tromperie ; il estime le délit constitué au vu des constatations faites par la DDCCRF et imputable au fabricant ; il requiert la condamnation de X à une amende de 5 000 euro.

X, demande Ă  la cour de confirmer le jugement de relaxe intervenu, en faisant valoir :

- que la société Z a pris en charge à partir de 1989 la commercialisation pour son compte et à ses propres risques des différents produits fabriqués par la société Y conformément aux exigences de Z résultant d'un contrat de fourniture exclusive ;

- sur la prĂ©vention de tromperie : l'absence d'Ă©lĂ©ment lĂ©gal de l'infraction en ce que le produit "Comptoir du Sud" litigieux est d'une qualitĂ© supĂ©rieure au sucre roux ; l'absence d'Ă©lĂ©ment matĂ©riel pouvant lui ĂȘtre imputĂ©, sa dĂ©lĂ©gation de pouvoir ne portant que sur le seul processus de fabrication du produit et le respect de sa qualitĂ© intrinsĂšque, et non sur le contrĂŽle de l'Ă©tiquetage qui incombait Ă  Z laquelle avait parfaitement connaissance du processus de fabrication du produit, et plus encore dĂ©finissait elle-mĂȘme le cahier des charges ; qu'en consĂ©quence il ne saurait ĂȘtre reproche a Monsieur X d'avoir fabrique le produit Comptoir du Sud sous la dĂ©nomination "sucre roux" puisque cette dĂ©nomination est du ressort exclusif de la sociĂ©tĂ© Z ;

- sur la prĂ©vention de falsification : que, juridiquement, le produit Comptoir du Sud n'est ni du sucre blanc ni du sucre roux au sens de la rĂ©glementation française, puisque sa polarisation est supĂ©rieure Ă  la valeur maximale de 98 % prĂ©vue par le dĂ©cret de 1910 pour le sucre roux, mais infĂ©rieure Ă  la polarisation prĂ©vue par le dĂ©cret du 12juillet 1977 concernant le sucre blanc ; qu'aucun rĂšglement ne prohibe l'adjonction de caramel Ă  ce type de produit ; que le processus de fabrication du produit Comptoir du Sud et sa composition sont aujourd'hui les mĂȘmes, seul l'Ă©tiquetage ayant Ă©tĂ© modifiĂ© ;

à titre subsidiaire, X demande à la cour de dire que les infractions reprochées forment un cumul idéal ;

La société Y SA conclut à la confirmation du jugement de relaxe prononcé en sa faveur, en faisant valoir:

- à titre principal : que les infractions poursuivies ne lui sont pas imputables puisqu'elle est une holding financiÚre sans activité opérationnelle, la raffinerie de Marseille objet de la présente procédure dépendant de Y SNC ;

- à titre subsidiaire : qu'à l'époque des faits poursuivis, les personnes morales n'étaient pas pénalement responsables des infractions de tromperie et de falsification ;

- à titre infiniment subsidiaire ; que les infractions ne sont pas constituées,

SUR CE

Sur l'exception de nullité de la citation de X relative aux faits de falsification :

Considérant que c'est par des motifs pertinents que la cour adopte que le tribunal a rejeté l'exception de nullité de la citation soulevée par X ; qu'en effet les articles de la loi du 1er août 1905 visés ayant été transposés à droit constant aux articles L. 213-3 alinéa 1 1°, et L. 213-l du Code de la consommation, leur teneur et leur portée ne sont pas modifiés, qu'en outre les faits reprochés sont énoncés avec précision de sorte que la citation en cause ne laisse pas le prévenu dans l'incertitude sur le fondement juridique de l'action engagée contre lui ; qu'en conséquence la cour rejettera l'exception soulevée.

Sur les poursuites exercées contre la SA Y

Considérant qu'à la date des faits en cause (courant mai 2000 à août 2000), la responsabilité pénale des personnes morales n'était pas légalement prévue pour les préventions de falsification et de tromperie prévues et réprimées par le code de consommation ; qu'il y a donc lieu de relaxer la SA Y des fins de la poursuite ;

Sur les délits reprochés à X :

- falsification

ConsidĂ©rant qu'il ressort des Ă©lĂ©ments du dossier que le produit dĂ©nommĂ© "sucre roux Comptoir du Sud" a un taux de saccharose compris entre 9 % et 99,7 % ,de sorte qu'il ne rĂ©pond ni Ă  la dĂ©finition du sucre roux ni Ă  la dĂ©finition du sucre blanc tel que rĂ©sultant de l'article I du dĂ©cret du 19 dĂ©cembre 1910 modifiĂ© ; qu'il n'est donc pas Ă©tabli que le produit en cause fasse partie des denrĂ©es alimentaires pour lesquelles les colorants ne sont pas autorisĂ©s selon l'annexe I-B de l'arrĂȘtĂ© du 2 octobre 1997 ; qu'en outre il n'est pas plus Ă©tabli que le caramel colorant E l50a issu du sucre de canne dont il est question en l'espĂšce, fasse partie, au regard des directives europĂ©ennes, de ceux dont l'adjonction est prohibĂ©e dans les denrĂ©es destinĂ©es Ă  l'alimentation humaine ; qu'en consĂ©quence la cour relaxera X de ce chef de prĂ©vention.

- tromperie

ConsidĂ©rant qu'il est constant que le produit fabriquĂ© par la sociĂ©tĂ© Y et commercialisĂ© par la sociĂ©tĂ© Z sous la dĂ©nomination "sucre roux Comptoir du Sud " est composĂ© de sucre blanc raffinĂ© colorĂ© au moyen de sirops de sucre colorĂ© et d'un caramel colorant et ne correspond donc pas Ă  la dĂ©finition du "sucre roux" telle que rĂ©sultant du dĂ©cret du 19/12/1910 ; que compte tenu de sa prĂ©sentation (morceaux de sucre de couleur brune) et de son Ă©tiquetage (dĂ©nomination de vente " sucre roux pure canne " et absence d'une liste d'ingrĂ©dients ) le consommateur ne peut assimiler cette denrĂ©e qu'Ă  un sucre roux et par lĂ  mĂȘme ĂȘtre trompĂ© sur sa nature, sa composition et ses qualitĂ©s substantielles, peu important que le produit considĂ©rĂ© soit ou non de qualitĂ© supĂ©rieure ; que le dĂ©lit de tromperie est donc caractĂ©risĂ©, et ne se rĂ©duit pas Ă  une simple question d'Ă©tiquetage inadaptĂ© puisque le produit lui-mĂȘme a Ă©tĂ© conçu dans le but d'obtenir la couleur brune spĂ©cifique du sucre roux censĂ© ĂȘtre fabriquĂ© Ă  partir du jus brut de canne ce qui n'est pas le cas ; que X Ă©tait Ă  la date des faits visĂ©s Ă  la prĂ©vention Directeur GĂ©nĂ©ral adjoint chargĂ© de la production Ă  la sociĂ©tĂ© Y et ne conteste pas avoir eu la fabrication du produit sous sa responsabilitĂ©, mĂȘme s'il soutient avoir agi sur prĂ©conisation de la sociĂ©tĂ© Z ; que s'il ressort des piĂšces du dossier que la sociĂ©tĂ© Z Ă©tait Ă  tout le moins parfaitement informĂ©e de la composition du produit et avait pris une part prĂ©pondĂ©rante Ă  la dĂ©finition du cahier des charges, cela n'exonĂšre pas pour autant X de sa propre responsabilitĂ© de fabricant, chargĂ© comme il le dit lui-mĂȘme (audition devant les services de police du 10/02/2005) de la qualitĂ© intrinsĂšque du produit, que l'infraction de tromperie lui est donc imputable, l'Ă©lĂ©ment intentionnel de l'infraction dĂ©coulant de sa connaissance de l'appellation trompeuse du produit par rapport Ă  sa composition, point sur lequel il reconnaĂźt avoir lui-mĂȘme appelĂ© l'attention de la sociĂ©tĂ© Z ; qu'en consĂ©quence la cour entrera en voie de condamnation en prononçant Ă  son encontre une amende de 5 000 euro.

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement à l'encontre des prévenus, Reçoit le ministÚre public en son appel ; Confirme le jugement entrepris : - en ce qu'il a rejeté l'exception de nullité de la citation soulevée par X, - en ce qu'il a relaxé X de la prévention de falsification, - en ce qu'il a relaxé la SA Y des préventions de falsification et de tromperie.