CA Reims, ch. civ. sect. 1, 19 novembre 2007, n° 06-02069
REIMS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Gaillot
Défendeur :
Axecibles (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Maunand
Conseillers :
M. Mansion, Mme Hussenet
Avocats :
SCP Six - Guillaume, SCP Thoma - Le Runigo - Delaveau - Gaudeaux
Exerçant le commerce de fleurs sous l'enseigne la Bouquetière, à Pierry, Madame Françoise Gaillot a souscrit le 29 juin 2003 avec la société Axecibles, venue la démarcher, un contrat portant sur la création d'un site internet, la location de matériel informatique, la création d'une messagerie électronique, et une mise à jour biannuelle.
Le 6 août 2003, un cahier des charges a été établi, précisant les souhaits exprimés par Mme Gaillot relativement au site internet.
Le 4 septembre 2003, la SARL Axecibles a procédé à l'installation de l'ordinateur, donnant lieu à la rédaction d'un procès-verbal de réception.
Madame Gaillot a par la suite demandé des modifications sur le site internet, lesquelles ont été réalisées le 16 octobre 2003.
Dans la mesure toutefois où elle n'avait pas honoré la première échéance fin octobre 2003, la SARL Axecibles s'en est étonné auprès d'elle par lettre recommandée avec accusé de réception du 17 novembre suivant, restée sans réponse.
Par un nouveau courrier recommandé en date du 28 novembre 2003, la SARL Axecibles a demandé à Mme Gaillot d'honorer de même l'échéance du mois écoulé, lui a fait connaître qu'elle résiliait le contrat par anticipation, et a émis une facture de 6 501,46 euro TTC correspondant aux 36 mensualités restant dues, conformément à l'article 9 dudit contrat.
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 3 décembre 2003, Mme Gaillot a justifié son opposition au paiement, par le mécontentement éprouvé quant à la réalisation de la plaquette publicitaire sur internet.
Le 9 décembre 2003, la SARL Axecibles a confirmé alors un accord intervenu le 3 par téléphone, annulé par un avoir, la facture émise en vertu de la résiliation anticipée, annoncé qu'un technicien se présenterait au magasin de Mme Gaillot pour réaliser les photos souhaitées par cette dernière, et précisé que le contrat reprenait son cours normal.
Par courrier du 12 décembre, Mme Gaillot devait cependant indiquer qu'elle ne procéderait à aucun règlement tant que la commande n'aurait pas été parfaitement exécutée.
Le 19 mars 2004, elle a sollicité de la SARL Axecibles de nouvelles modifications, effectuées le 24 mars 2004.
Le 6 avril, elle a demandé des avoirs au titre des loyers réclamés, indiquant que le site ne lui convenait toujours pas.
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 12 octobre 2004, la SARL Axecibles, prenant acte du non-paiement des échéances d'octobre 2003 à juillet 2004, a de nouveau mis en œuvre les dispositions de l'article 9 du contrat, résilié par anticipation le contrat la liant à Mme Gaillot, à laquelle elle a vainement réclamé la somme TTC de 6 680,86 euro.
C'est dans ces conditions que par exploit du 21 avril 2005, la SARL Axecibles a assigné Mme Gaillot devant le Tribunal de commerce d'Epernay, à l'effet de la voir condamner, sous le bénéfice de l'exécution provisoire, au paiement de ladite somme, majorée des intérêts au taux légal à compter du 28 novembre 2003, outre 900 euro à titre de dommages et intérêts, 900 euro d'indemnité pour frais irrépétibles, et les dépens.
Elle estimait avoir parfaitement exécuté ses obligations contractuelles, tandis que Mme Gaillot faisait valoir de son côté que la prestation commandée n'avait jamais été achevée, de sorte qu'elle était fondée à invoquer les dispositions des articles L. 114-1 du Code de la consommation et 1184 du Code civil, ajoutant que dans la mesure où aucun délai d'exécution n'était fixé dans la convention, elle s'était trouvée privée de la possibilité de dénoncer celle-ci pour dépassement de la date de livraison, la jurisprudence admettant en pareil cas que le consommateur a la faculté de dénoncer le contrat lorsqu'il a attendu un délai raisonnable, ce qui était le cas en l'espèce. Elle précisait encore qu'aucune page du site installé n'était conforme au cahier des charges, et demandait reconventionnellement à titre principal, la résolution du contrat, subsidiairement, le rejet de la clause pénale, abusive au regard de l'article L. 132-1 du Code de la consommation, et la condamnation de la SARL Axecibles, sur le fondement de l'article 1382 du Code civil, au paiement de la somme de 1 500 euro à titre de dommages et intérêts, outre celle de 2 000 euro pour les frais irrépétibles.
Par jugement rendu le 27 juin 2006, le tribunal, retenant que l'article 14 du contrat litigieux faisait référence au Code de la consommation mais en excluait l'application s'agissant des personnes morales, et que Mme Gaillot exerçait une activité de commerçante, a jugé que le Code de la consommation n'était pas applicable en l'espèce, et rejeté les demandes reconventionnelles présentées par la défenderesse sur ce fondement.
Il a ensuite considéré que la SARL Axecibles n'était pas la seule responsable du retard reproché par sa cliente, condamné Madame Gaillot à payer à la demanderesse la somme de 6 680,86 euro produisant intérêts à compter du 28 novembre 2003, ainsi que 900 euro à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive, 900 euro pour les frais irrépétibles, et l'a déclarée tenue des dépens de l'instance.
Françoise Gaillot a relevé appel de cette décision le 28 juillet 2006.
Au terme des ses dernières conclusions, notifiées le 14 mai 2007, elle poursuit l'infirmation en toutes ses dispositions du jugement entrepris, et demande à la Cour, statuant à nouveau, de :
- constater qu'elle exerce une activité en nom propre, en qualité de personne physique, et qu'en conséquence, elle peut bénéficier des dispositions protectrices du Code de la consommation, la prestation de service objet du contrat litigieux n'étant pas en rapport direct avec son activité, et donc non soumise aux restrictions de l'article L. 121-21 du Code de commerce, ce dont il résulte la nullité du contrat,
- en tout état de cause, dire et juger que les parties contractantes se sont volontairement soumises aux dispositions des articles L. 121-21 et suivants du Code de la consommation,
- subsidiairement, vu les articles L. 114-1 du Code de la consommation et 1134, 1147, 1183 et 1184 du Code civil,
. constater que la société Axecibles a gravement manqué à ses obligations contractuelles de résultat issues du contrat d'entreprise du 29 juin 2003,
. dire et juger en conséquence que ce contrat doit être résolu aux torts et griefs exclusifs de la société Axecibles,
. débouter ladite société de toutes ses demandes,
- plus subsidiairement, vu les dispositions des articles 1152 du Code civil et L. 132-1 du Code de la consommation,
. constater que la clause pénale instaurée par l'article 9 du contrat créait un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties,
. dire et juger en conséquence abusive ladite clause,
. déclarer irrecevable la société Axecibles en l'ensemble de ses demandes,
- en tout état de cause,
. condamner la société Axecibles à lui payer une somme de 3 000 euro à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral, compte tenu de la procédure abusive, malicieuse et vexatoire de la société Axecibles, outre 2 000 euro au titre des frais irrépétibles, et la condamner en tous les dépens, avec pour ceux d'appel, droit de recouvrement direct au profit de la SCP Six Guillaume Six, avoués.
Madame Gaillot fait valoir en effet que l'exercice d'une activité commerciale ne fait pas d'elle une personne morale, et que par voie de conséquence, les dispositions du Code de la consommation lui sont applicables, ajoutant que si l'article L. 121- 22 4°dudit Code exclut du champ d'application des articles L. 121-23 à L. 121-28 les ventes, locations ou locations- ventes de biens ou les prestations de service ayant un rapport direct avec les activités exercées notamment dans le cadre d'une activité commerciale, tel n'est pas le cas en l'espèce. Elle fait encore valoir à cet égard , subsidiairement, que la cour de cassation admet que les parties sont libres de décider contractuellement de soumettre volontairement au régime de protection défini par le Code de la consommation des contrats de crédit qui n'en relèvent pas en vertu des dispositions dudit Code, dès lors que cette volonté est dépourvue d'équivoque, ce qui est là encore, selon elle, le cas en l'espèce. Elle conclut donc principalement à la nullité du contrat litigieux.
Elle rappelle ensuite les dispositions de l'article L. 114-1 qui oblige le vendeur ou le prestataire de services, lorsque la livraison du bien ou l'exécution du service n'est pas immédiate, d'indiquer la date limite à laquelle il s'engage à y procéder, ajoute que le contrat litigieux n'était assorti d'aucun délai, que le site n'est toujours pas fini, du fait de la négligence et de la désinvolture de la SARL Axecibles, laquelle a manqué à son obligation de résultat, que le site finalement livré était en infraction avec certaines dispositions légales, ce qui a valu à la concluante un rappel à l'ordre de la DGCCRF. Elle expose alors que la clause pénale inscrite au contrat, sera anéantie par la résolution de celui -ci, qu'elle demande à raison du défaut de conformité, mais estime que cette clause est de toute façon abusive.
Au terme de ses dernières écritures, notifiées le 21 mars 2007, la SARL Axecibles conclut à la confirmation en toutes ses dispositions du jugement dont appel, demandant à la Cour d'y ajouter la condamnation de Madame Gaillot au paiement des sommes de 1 500 euro à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive, et 2 000 euro du chef des frais irrépétibles, outre sa condamnation aux entiers dépens, avec pour ceux d'appel, droit de recouvrement direct au profit de la SCP Thoma Le Runigo Delaveau Gaudeaux, avoués.
Elle fait valoir que le site internet commandé par Mme Gaillot étant destiné à assurer la présentation de l'entreprise et les produits qu'elle propose, la susnommée ne peut être considérée en l'espèce en sa qualité de personne physique, ajoutant que le contrat litigieux avait bien un lien direct avec l'activité exercée, de sorte qu'en tout état de cause, les dispositions du Code de la consommation lui sont inapplicables.
Elle indique encore que les dispositions contractuelles visant le Code de la consommation invoquées par l'appelante ne sont pas intégrées dans le corps des conditions générales de vente.
Elle expose ensuite que le cahier des charges relatif au site a été élaboré par Mme Gaillot et un conseiller de la société, sur le modèle d'un site déjà existant, [...] conformément au voeu de la cliente, à laquelle il incombait par ailleurs de transmettre les textes et les photos qu'elle souhaitait voir figurer, ce qu'elle n'a pas fait, l'envoi d'un technicien pour prendre lesdites photos ayant été finalement décidé à titre de geste commercial.
Elle rappelle que l'article 14 du contrat stipulait que la mission de la SARL Axecibles serait considérée comme terminée dès la signature par l'abonné du procès-verbal de livraison du site et du matériel, soit en l'espèce, le 4 septembre 2003. Elle considère que c'est en réalité Mme Gaillot qui s'est désintéressée de son site, et, en ne donnant pas de contenu à la société, n'a pas permis de mise en ligne.
Elle soutient donc que la prestation ayant été réalisée, le prix doit en être payé, ajoutant que la rupture du lien contractuel est exclusivement imputable à l'appelante, et que dans ces conditions, le montant réclamé au titre de la clause pénale, correspondant à la quote -part des redevances qui auraient été perçues s'il avait été mené à son terme, n'est pas excessif au regard des dispositions de l'article 1152 du Code civil.
Sur ce, LA COUR
Attendu qu'il n'est pas discuté que Madame Gaillot exerce en nom propre son activité de fleuriste, laquelle ne lui confère pas d'emblée la qualité de personne morale, contrairement à ce qu'ont à tort retenu les premiers juges ;
Attendu ensuite que l'article L. 121-22 -4°du Code de la consommation écarte expressément du champ d'application des articles L. 121-23 à L 121-28 du même Code, les " ventes, locations ou locations-ventes de biens, ou les prestations de services, lorsqu'elles ont un rapport direct avec les activités exercées dans le cadre d'une exploitation agricole, industrielle, commerciale ou artisanale ou de toute autre profession " ;
Que la notion de rapport direct doit s'entendre strictement, et suppose que soit caractérisé le caractère indispensable pour l'activité commerciale, de l'objet du contrat ;
Que tel n'est pas le cas d'un outil informatique, utile au fleuriste comme il peut l'être à tout commerçant, sans pour autant présenter un lien direct, par nature, avec cette activité précise ;
Attendu par suite que les dispositions protectrices contenues dans les articles L. 121-22 à L. 121-28 du Code précité devaient trouver à s'appliquer, lesquelles disposent notamment (art. L. 121-23) que les opérations visées à l'article L. 121-21, relatif au démarchage à domicile, doivent faire l'objet d'un contrat dont un exemplaire est remis au client au moment de la conclusion, et comporter à peine de nullité les conditions d'exécution dudit contrat, en ce inclus les délais de livraison des biens ou d'exécution des prestations, ainsi que la faculté de renonciation prévue à l'article L. 121-25 , les conditions d'exercice de cette faculté, et, de façon apparente, le texte intégral des articles L. 121-23, L. 121-24, L. 121-25 et L. 121-26 ;
Or attendu qu'il n'est pas contesté que le contrat signé entre les parties a fait suite à un démarchage à domicile, fût-ce le lieu de travail, et à la demande de la cliente, ainsi que l'article L. 121-21 en prévoit la double éventualité ;
Que l'examen des documents produits met en évidence que les mentions relatives à la faculté de rétractation ont été omises, de même que la précision des délais de livraison ;
Que par suite, ledit contrat est entaché de nullité, le jugement entrepris devant être réformé en ce sens ;
Attendu qu'il n'est pas justifié par Madame Gaillot d'un préjudice distinct susceptible de donner lieu à l'allocation de dommages et intérêts ;
Qu'il serait inéquitable en revanche de lui laisser supporter les frais irrépétibles engendrés par les procédures de première instance comme d'appel, de sorte qu'une somme de 2 000 euro lui sera versée par la société Axecibles en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Que la société Axecibles, qui succombe, verra sa propre demande du même chef rejetée, et sera en outre tenue des entiers dépens ;
Par ces motifs, LA COUR : - Statuant publiquement et contradictoirement, - Infirme en toutes ses dispositions le jugement entrepris ; - Statuant à nouveau: - Prononce la nullité du contrat souscrit le 29 juin 2003 par Madame Françoise Gaillot auprès de la SARL Axecibles; - En conséquence, déboute la SARL Axecibles de l'ensemble de ses demandes ; - Déboute Madame Gaillot de sa demande de dommages et intérêts.