Livv
Décisions

CA Amiens, 1re ch. sect. 2, 30 novembre 2006, n° 05-01246

AMIENS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

comité d'entreprise de la société senior et compagnie

Défendeur :

Guevenoux - Bertaux

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Schoendoerffer

Conseillers :

M. Florentin, Mme Six

Avocats :

SCP Le Roy, Me Caussain

TGI Beauvais, du 7 févr. 2005

7 février 2005

Par deux actes sous seings privés en date du 20 février 2003, le Comité d'entreprise du site de l'Oise (Comité d'établissement de Breuil-le-Sec) de la société Senior et Cie a commandé à l'entreprise de spectacle Maeva Universal Magic Espace :

- d'une part l'organisation d'une soirée avec repas buffet, spectacle et danse à Clermont (60), le samedi 29 novembre 2003, pour 285 personnes, le prix de la prestation s'élevant à 10.454,18 euro TTC,

- d'autre part une prestation de spectacle de Noël complet avec goûter à Compiègne, discothèque Espace, pour 200 personnes, à une date à déterminer, le prix de cette prestation s'élevant à 5 629,18 euro TTC.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 26 mars 2003, le Comité d'entreprise a notifié à Maeva Universal Magic Espace, qu'il annulait ces deux manifestations, " pour des raisons internes ".

Par jugement en date du 7 février 2006, le Tribunal de grande instance de Beauvais a :

- déclaré recevable l'action de M. Guevenoux-Bertaux à l'encontre du Comité d'entreprise de la société Senior et Cie,

- rejeté le moyen tiré de la nullité des deux contrats du 20 février 2003,

- rejeté le moyen tiré de la nullité des clauses de dédit contenues dans lesdits contrats,

- rejeté la cause exonératoire tirée de la force majeure,

en conséquence,

- condamné le Comité d'entreprise de la société Senior et Cie à payer à M. Guevenoux-Bertaux la somme de 16.083,36 euro TTC en principal assortie des intérêts légaux à compter du 11 avril 2003,

- débouté le Comité d'entreprise de la société Senior et Cie de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive et vexatoire,

- ordonné l'exécution provisoire de la présente décision y compris la condamnation au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

- condamné le Comité d'entreprise de la société Senior et Cie aux entiers dépens de l'instance avec distraction au profit de la SCP SABLON-LEEMAN-BERTHAUD par application de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile,

- condamné le Comité d'entreprise de la société Senior et Cie à payer à M. Guevenoux-Bertaux la somme de 1.500 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

- débouté les parties de toutes leurs demandes plus amples ou contraires.

Par déclaration reçue le 9 mars 2005, le Comité d'entreprise de la société Senior et Cie a interjeté appel.

Par ses dernières conclusions signifiées le 28 mars 2006, le Comité d'entreprise de la société Senior et Cie demande à la Cour, au vu des dispositions des articles 31,32, 122 du nouveau Code de procédure civile, L. 121-21 et suivants, L. 132-1 du Code de la consommation, 1147, 1148 et 1152 du Code civil, de :

- infirmer le jugement,

- déclarer irrecevable la demande d'Armand Guevenoux-Bertaux, pour défaut d'intérêt à agir, le fonds de commerce de ce dernier ayant disparu à la date de son acte introductif d'instance,

- subsidiairement, dire que les deux conventions sont nulles et de nul effet, compte tenu du non respect des dispositions relatives au démarchage à domicile,

- plus subsidiairement, déclarer la clause de dédit de chaque convention abusive, le comité d'entreprise n'étant pas un professionnel et cette clause imposant au contractant qui n'exécute pas ses obligations, une indemnité d'un montant disproportionné,

- plus subsidiairement encore, dire que l'inexécution des deux conventions relève d'un cas de force majeure, exonérant le comité d'entreprise de toute responsabilité, le comité d'entreprise ne disposant plus des ressources nécessaires pour payer des prestations festives suite à la décision de la Direction de délocaliser une partie du personnel,

- plus que subsidiairement, dire que la clause insérée à l'article 13 des contrats est une clause pénale manifestement excessive qu'il y a lieu de réduire à la somme de 1 euro symbolique,

- dans tous les cas :

* débouter Armand Guevenoux-Bertaux de l'intégralité de ses demandes,

* le condamner reconventionnellement à payer au Comité d'entreprise la somme de 2.000 euro à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et vexatoire, et la somme de 2.500 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

* le condamner aux entiers dépens.

Par conclusions signifiées le 23 février 2006, Armand Guevenoux-Bertaux demande à la Cour de confirmer le jugement en toutes ses dispositions, de débouter le Comité d'entreprise de la société Senior et Cie de toutes ses demandes et de condamner ce dernier à lui payer la somme de 3.000 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

A cet effet, il soutient que :

- il a utilisé à bon droit la dénomination de son enseigne Maeva Universal Magic Espace, et que la radiation du registre du commerce et des sociétés de son activité au 30 décembre 2003 n'a pas d'effet extinctif sur les dettes et créances nées antérieurement,

- les dispositions des articles L. 121-1, 3, 24 et 25 du Code de la consommation, relatives au démarchage à domicile et le délai de rétractation, ne sont pas applicables en l'espèce, le comité d'entreprise étant une personne morale et ayant pour activité d'organiser des actions ou des manifestations dans l'intérêt du personnel de l'entreprise,

- la clause de dédit prévue à l'article 13 alinéa 1 des contrats n'est pas abusive,

- le comité d'entreprise ne rapporte pas la preuve d'une force majeure, ce comité n'ayant pu ignorer lors de la conclusion du contrat l'existence d'éventuelles difficultés sociales ou économiques sur son site, ces difficultés n'étant pas par ailleurs établies, et le compte courant de ce comité d'entreprise étant demeuré créditeur tout au long de l'année 2003,

- il s'est manifesté auprès du comité d'entreprise dès le 11 avril 2003,

- il a eu des difficultés pour retrouver les relevés et factures compte tenu de la cessation de son activité depuis deux ans,

- la facture de 2.234 euro pour la location d'une salle de discothèque et la facture de 700 euro au profit de Tropical Show, ont été réglées par lui suite aux deux contrats signés par le comité d'entreprise,

- son attitude, consistant à demander au Comité d'entreprise de la société Senior et Cie de remplir ses obligations, ne peut être considérée abusive.

Sur ce, LA COUR :

Sur l'intérêt à agir :

Attendu qu'il résulte de l'extrait du registre du commerce et des sociétés, du tribunal de commerce de Compiègne, qu'Armand Guevenoux-Bertaux, exploitait directement l'activité de " sonorisation, animation, spectacle ", sous le nom commercial de " Maeva Universal Magic Espace " et que l'immatriculation de ce commerçant a été radiée le 30 décembre 2003, en raison d'une cessation complète de l'activité ;

Attendu que celui qui n'exerce plus son activité professionnelle conserve un intérêt à agir pour la défense de ses intérêts personnels qu'il détient de son activité antérieure, et notamment pour agir en recouvrement des créances nées antérieurement à la radiation, sauf à respecter les conditions prévues dans le cas d'une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire ;

Attendu qu'en l'espèce, Armand Guevenoux-Bertaud exerçait à titre individuel et n'a pas fait l'objet d'une telle procédure ;

Que son action est donc recevable ;

Sur la nullité des deux contrats et sur la nullité de la clause prévue par l'article 13 :

Attendu que le Comité d'entreprise de la société Senior et Cie soutient que la proposition de fournitures de service de spectacles constituait une opération de démarchage, soumise aux dispositions des articles L. 121-25 et suivants du Code de la consommation ;

Qu'aucun bon de rétractation n'ayant été joint au bon de commande, la nullité des contrats est encourue ;

Attendu qu'il soutient également que les contrats signés constituent des contrats d'adhésion ; que la clause prévue par l'article 13 contraste avec la clause prévue par l'article 12 alinéa 2 qui stipule " le contractant ne pourra en aucun cas et d'aucune manière, demander réparations ou indemnités dans le cas où la prestation ou le spectacle, ne serait pas réalisé " ; que la clause de dédit prévue par l'article 13 est manifestement abusive au regard des dispositions de l' article L. 132-1 du Code de la consommation au motif qu'il a pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur qu'il est, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat ;

Attendu que les dispositions des articles L. 121-21 et suivants du Code de la consommation sont applicables aux opérations de " démarchage au domicile d'une personne physique, à sa résidence ou à son lieu de travail (...) " ;

Que les dispositions de l'article L. 132-1 du même Code concerne les contrats conclus entre professionnels et non professionnels ou consommateurs;

Qu'un comité d'entreprise est doté de la personnalité civile et assure ou contrôle la gestion de toutes les activités sociales et culturelles établies dans l'entreprise, et notamment celles ayant pour objet l'utilisation des loisirs des salariés, conformément aux dispositions des articles L. 431-6 et R. 432-2 du Code du travail ;

Que ni les dispositions des articles L. 121-21 et suivants du Code de la consommation ni l'article L. 132-1 du même Code ne lui sont applicables;

Qu'il n'y a pas lieu à nullité des deux contrats ni à la nullité de la clause prévue par leur article 13,

Que le jugement sera confirmé sur ce point.

Sur la force majeure :

Attendu que le comité d'entreprise affirme que la décision de la Direction de délocaliser une partie du personnel, constitue un cas de force majeure conformément aux dispositions des articles 1147 et 1148 du Code civil , l'exonérant de tout paiement de dommages et intérêts ;

Attendu qu'il ressort du procès-verbal de la réunion extraordinaire du comité central d'entreprise, en date du 12 mars 2003, que :

- la direction des ressources humaines a informé les participants de la nouvelle stratégie informatique du groupe 3SI et du regroupement de personnel envisagé qui aura pour effet notamment que le personnel des filiales tel Senior et Cie, pourra soit se rapprocher géographiquement, soit répondre aux postes de création, soit rester sur le site, le projet devant être présenté en septembre ;

- les représentantes syndicales ont demandé :

" Est-ce que ça veut dire que nous allons subir une perte prévisible à court terme, voire sur l'année 2003, dès la création de cette entité, sur nos versements de l'entreprise pour les œuvres sociales "

- la direction des ressources humaines a répondu positivement,

- les représentants ont manifesté leur inquiétude quant aux difficultés de financement des mutuelles du personnel et de la fête de Noël,

- la décision d'annuler la prestation de fin d'année avec " la société Maeva " a été adoptée à l'unanimité.

Attendu qu'Armand Guevenoux-Bertaux soutient que le comité d'entreprise a été informé d'éventuelles difficultés sociales ou économiques sur son site, avant la signature des deux contrats le 20 février 2003 ;

Attendu qu'en vertu des dispositions de l'article L. 434-3 du Code du travail les séances du comité ont lieu au moins une fois par mois sur convocation de l'employeur, et qu'en vertu de l'article L 434- 4 alinéa 2 du même Code, l'ordre du jour est arrêté par l'employeur et le secrétaire, et communiqué aux membres, trois jours au moins avant la séance,

Qu'aucune disposition légale n'impose un délai, en dehors des trois jours précités, ni une forme particulière pour la convocation,

Que le comité d'entreprise de la société Senior et Cie, à qui incombe la charge de la preuve de l'existence d'un cas de force majeure, ne produit pas la convocation à la réunion extraordinaire du 12 mars 2003, qui permettrait d'apprécier s'il était informé depuis longtemps des difficultés qu'il allègue,

Attendu qu'il ressort de la photocopie de l'article de presse en date du 4 novembre 2003 que Senior et Cie recrutait un coordinateur et un animateur du centre d'appel pour Breuil-le-Sec ;

Que l'autre photocopie d'une offre concernant le recrutement de manutentionnaires pour des missions en CDD pour l'atelier de Breuil-le-Sec n'est pas datée ;

Attendu que les comptes courants produits pour l'année 2003 font apparaître un solde créditeur, d'un montant moyen, certes légèrement inférieur au montant des prestations réclamé et que le comité d'entreprise justifie avoir résilié le 25 août 2003, le contrat de mutuelle,

Attendu que toutefois, le comité ne produit pas le détail des dépenses réalisées en 2003 et qu'il ressort du budget communiqué pour l'année 2004, que la somme totale de 28 300 euro a été dépensée pour les fêtes des mères et des pères, Noël, et spectacles,

Attendu que compte tenu de l'ensemble de ces circonstances, le comité d'entreprise de la société Senior et Cie ne rapporte pas la preuve que les caractères d'imprévisibilité, d'extériorité, et d'insurmontabilité d'un cas de force majeure sont réunis ;

Attendu que le jugement sera confirmé sur ce point ;

SUR LA CLAUSE DE DEDIT OU CLAUSE PENALE :

Attendu que l'article 13 des deux contrats précise : " le contractant qui rompra le présent contrat, devra verser à l'animateur, à titre de dédit ou de clause pénale, une somme égale au montant total de la prestation, figurant au présent contrat, sans aucune réduction ou avoir possible. Aucun remboursement ne sera effectué même si le nombre de participants n'est pas assuré. ",

Attendu qu'Armand Guevenoux-Bertaux fonde son action en paiement sur cette clause,

Attendu que le comité soutient que cette clause est une clause pénale manifestement abusive et sollicite sa réduction à 1 euro,

Attendu qu'en vertu des dispositions de l'article 1226 du Code civil , la clause pénale est celle par laquelle une personne, pour assurer l'exécution d'une convention, s'engage à quelque chose en cas d'inexécution,

Qu'en vertu des dispositions de l'article 1229 du même Code, la clause pénale est la compensation des dommages que le créancier souffre de l'inexécution de l'obligation principale,

Qu'en vertu des dispositions de l'article 1152 du même Code, le juge peut, même d'office, modérer la peine qui avait été convenue, si elle est manifestement excessive,

Qu'en l'espèce le contrat de prestation signé le 20 février 2003, pour " Soirée avec repas buffet, spectacle, (...),pour le 29 novembre 2003 " , prévoyait un coût de 10 454,18 euro,

Que le deuxième contrat de prestation signé le même jour, pour " Spectacle de Noël complet avec goûter (...) Pour une date restant à définir ", prévoyait un coût de 5 629,18 euro,

Qu'Armand Guevenoux-Bertaux sollicite le montant total des deux prestations,

Attendu qu'il y a lieu d'observer que dès le 26 mars 2003, le comité annulait ces deux réservations, soit à peine un mois après la signature des deux contrats et huit mois avant la date prévue pour la soirée repas buffet,

Que la date de la deuxième prestation n'était même pas déterminée, et n'a jamais été précisée ultérieurement,

Que les pièces produites par Armand Guevenoux-Bertaux pour établir la réalité d'un préjudice qui serait résulté de cette annulation, ne sont pas probantes,

Qu'en effet les factures datées du 7 décembre 2003, l'une établie par la discothèque " l'Espace " d'un montant de 2 234 euro TTC pour location de la salle, l'autre établie par Tropical Show d'un montant de 700 euro pour " spectacle du 7 décembre 2003 à " l'Espace " Discothèque " , ne peuvent correspondre à la soirée du 29 novembre 2003 dont seule la date était fixée et ne peuvent pas davantage correspondre au goûter enfant dont il n'est pas établi que la date ait été déterminée ultérieurement et dont il n'est pas soutenu qu'elle était à la discrétion d'Armand Guevenoux-Bertaux ,

Que ce dernier ne produit aucune autre pièce utile,

Attendu que la clause pénale prévue par l'article 13 de chacun des contrats apparaît donc manifestement abusive, et que le montant en sera réduit à 10 % du prix prévu, soit 1 045, 41 euro pour le " repas spectacle buffet ", et 562, 91 euro pour le " spectacle de Noël complet goûter ",

Que le comité d'entreprise sera condamné à payer la somme totale de 1 608, 32 euro ;

Sur les dommages et intérêts pour procédure abusive :

Attendu que la procédure diligentée par Armand Guevenoux-Bertaux n'apparaît pas pour autant abusive, que le comité d'entreprise sera débouté de sa demande de dommages et intérêts fondée sur les dispositions de l'article 1382 du Code civil ,

Sur l'article 700 du nouveau Code de procédure civile :

Attendu que le comité d'entreprise sera condamné à payer à Armand Guevenoux-Bertaux la somme de 1 000 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile

Attendu que le comité d'entreprise qui est, par la rupture du contrat, à l'origine de toute la procédure supportera les entiers dépens ;

Par ces motifs - LA COUR statuant publiquement et contradictoirement, -Confirme le jugement sauf en ce qu'il a condamné le Comité d'entreprise de la société Senior et Cie à payer à M. Guevenoux-Bertaux la somme de 16 083,36 euro TTC en principal assortie des intérêts légaux à compter du 11 avril 2003 ; - Infirmant sur ce point, statuant à nouveau et ajoutant, - Condamne le comité d'entreprise de la société Senior et Cie à payer à Armand Guevenoux-Bertaux la somme de 1 608, 32 euro au titre des deux clauses pénales, avec intérêts aux taux légal à compter du 12 avril 2003.