CA Nîmes, 1re ch. civ. B, 15 janvier 2008, n° 05-02527
NÎMES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Société Française de Radiotéléphonie (SA)
Défendeur :
Fouque
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Filhouse
Conseillers :
Mmes Beroujon, Thiery
Avocats :
SCP Pericchi, SCP Guizard-Servais
Selon acte sous seing privé du 6 janvier 2000 Monsieur Jean Fouque, démarché à son domicile par la Société Française de Radiophonie (SFR), a conclu avec l'opérateur de téléphonie une convention aux termes de laquelle il a accepté l'installation sur sa propriété de divers matériels de télécommunications pour une durée de 12 années prenant effet le 1er février 2000 en contrepartie d'un loyer annuel de 20 000 F, indexé sur l'indice INSEE du coût de la construction.
Un avenant au contrat a été régularisé entre les parties le 29 septembre 2000 permettant à SFR d'utiliser deux fourreaux existants pour le raccordement électrique de son relais et portant le montant du loyer annuel à 22 500 F (3 430,10 euro).
Par acte du 14 mai 2001 Monsieur Fouque faisait assigner SFR devant le Tribunal de grande instance de Marseille pour réclamer l'annulation du contrat pour dol et l'allocation de dommages-intérêts au motif que l'opérateur lui aurait intentionnellement dissimulé l'existence des controverses scientifiques en cours sur les risques sanitaires générés par les stations de base et antennes de radiotéléphonie mobile.
Par jugement du 4 février 2003 assorti de l'exécution provisoire le tribunal prononçait la nullité du contrat pour dol, enjoignait à SFR de procéder à l'enlèvement de ses installations sous astreinte et condamnait l'opérateur à payer à Monsieur Fouque une somme de 2 000 euros en réparation du préjudice moral subi.
Sur appel de SFR la Cour d'appel d'Aix-en-Provence, par arrêt du 20 janvier 2004, a infirmé le jugement et débouté Monsieur Fouque de ses prétentions fondées tant sur les articles L. 121-21 et suivants du Code de la consommation que sur l'article 1116 du Code Civil mais son arrêt a été cassé et annulé dans toutes ses dispositions pour violation de l'article L. 121-21 du Code de la consommation par arrêt de la Cour de Cassation en date du 30 mars 2005 renvoyant les parties devant la Cour de Céans.
I/ - Sur l'incident de procédure
Par conclusions signifiées le 26 octobre 2007, soit le jour de la clôture, l'appelante demande le rejet des conclusions signifiées par Monsieur Fouque le 24 octobre 2007.
Il n'y a pas lieu de faire droit à sa demande alors que les conclusions litigieuses ont été signifiées deux jours avant la clôture, qu'elles sont la reproduction des conclusions signifiées par l'intimé le 11 mai 2007, sauf adjonction de deux paragraphes de quelques lignes dont l'un a pour objet -superflu- de rappeler le contenu d'une pièce communiquée antérieurement et l'autre, de citer un extrait d'un article de presse nouvellement paru et communiqué, lequel nécessairement connu de SFR qui pouvait y répliquer en temps utile, quitte à solliciter pour ce faire un rabat de l'ordonnance de clôture, fixée le 26 octobre 2007 pour une audience au 20 novembre 2007, n'est pas de nature à influer sur l'issue du litige.
II/ - Sur le fond
Vu les conclusions signifiées le 1 octobre 2007 par SFR (34 pages + bordereau 59 pièces), dans lesquelles l'appelante demande à la Cour de réformer le jugement rendu par le Tribunal de grande instance de Marseille le 5 février 2003, de dire et juger que SFR " n'a commis aucune réticence dolosive " et ne s'est pas davantage " rendu coupable de violation de la réglementation sur le démarchage à domicile ", de débouter en conséquence Monsieur Fouque de l'ensemble de ses demandes et de le condamner à dommages-intérêts,
Vu les conclusions signifiées le 24 octobre 2007 par Monsieur Fouque, intimé, (14 pages + bordereau 72 pièces), dans lesquelles iI demande à la Cour de " juger que la convention conclue le 6 janvier 2000... est nulle comme non conforme aux articles L. 121-21, L. 121-23 du Code de la consommation et en tout cas l'annuler, juger que cette convention est aussi entachée de dol et en constater et en tout cas en prononcer la nullité par application de l'article 1116 du Code Civil " et faisant droit à l'appel incident, de " condamner SFR à enlever ses installations dans le délai de huit jours suivant la signification de I'arrêt à intervenir sous astreinte de 500 euros par jour de retard, de condamner SFR à lui payer une indemnité d'occupation de 400 euros par mois de janvier 2000 jusqu'au jour de l'enlèvement complet des installations sous déduction des sommes versées à titre de loyers, de condamner SFR à lui payer 20 000 euros en réparation des préjudices subis ",
A) - Sur la demande d'annulation du contrat
Il est constant que la convention litigieuse ne comporte pas les mentions exigées par l'article L.121-23 du Code de la consommation, SFR soutient que cette disposition légale n'est pas applicable en l'espèce dans la mesure où Monsieur Fouque n'est pas un " consommateur " au sens du Code de la consommation et qu'il n'a pas été démarché pour acquérir un bien ou un service, mais au contraire pour fournir un bien ou un service en contrepartie d'une rémunération.
Il n'y a pas lieu de la suivre en son argumentation alors que l'article L.121-21 du Code de la consommation, qui ne comporte aucune référence aux notions de consommateur et/ou professionnel, dispose qu'est soumis aux dispositions subséquentes " quiconque pratique ou fait pratiquer le démarchage, au domicile d'une personne physique, afin de lui proposer I 'achat, la vente, la location, la location-vente ou la location avec option d'achat de biens ou la fourniture de services " et que SFR a démarché Monsieur Fouque à son domicile pour lui proposer de souscrire un contrat de location immobilière peu important que ce soit en qualité de bailleur ou de locataire, le texte ne faisant aucune distinction entre ces qualités.
SFR soutient encore que les dispositions relatives au démarchage à domicile ne s'appliquent, en vertu de l'article L.121-22 du Code de la consommation qu'à défaut d'une réglementation particulière. Elle fait valoir que son activité, d'intérêt général, est régie par de nombreux textes réglementaires parmi lesquels les arrêtés des 16 décembre 1987 et 25 mars 1991 l'autorisant à établir et exploiter un service de radiotéléphonie publique à condition de respecter un cahier des charges rigoureux lequel la contraint notamment à procéder à l'installation sur l'ensemble du territoire français de dispositifs techniques, sous peine de perdre tout ou partie des fréquences qui lui ont été attribuées par l'autorité publique.
Mais la réglementation dont elle fait état qui fixe aux attributaires de fréquences des objectifs de couverture et satisfaction des usagers régit leurs relations avec les pouvoirs publics ou les autorités de régulation et n'a aucune vocation à régir les rapports de ces mêmes attributaires avec les particuliers dont ils sollicitent les services pour atteindre ces objectifs.
Ces derniers sont donc parfaitement fondés à se prévaloir du droit commun des obligations ou des dispositions protectrices du droit de la consommation, dès lors qu'elles sont applicables, pour solliciter comme en l'espèce l'annulation d'un contrat de location d'emplacement pour l'installation de dispositifs de téléphonie.
C'est pourquoi il y a lieu sans s'arrêter au moyen d'annulation pour dol invoqué par Monsieur Fouque et retenu par le tribunal de prononcer la nullité du contrat conclu le 6 janvier 2000 entre SFR et Monsieur Fouque par application de l'article L.121-23 du Code de la consommation.
B/ - Sur les autres demandes de Monsieur Fouque
1) - Enlèvement sous astreinte des installations litigieuses
Le jugement du Tribunal de grande instance de Marseille qui enjoignait à SFR d'enlever ses installations sous astreinte était assorti de l'exécution provisoire. Mais l'opérateur a obtenu l'aménagement de l'exécution provisoire par ordonnance présidentielle du 13 juin 2003 lui enjoignant seulement la mise hors circuit de son dispositif. Si bien que les installations sont toujours en place et que Monsieur Fouque est en droit de réclamer leur enlèvement sous astreinte. Il sera fait droit à sa demande.
2) - Indemnité d'occupation
L'annulation de la convention avec effet rétroactif entraîne la restitution par Monsieur Fouque de l'ensemble des loyers acquittés entre ses mains par SFR.
Mais le dispositif de téléphonie (coffrets et antenne) étant demeuré sur sa propriété, l'intimé est fondé à solliciter pour cette occupation une indemnité qui sera en l'espèce, au vu des péripéties procédurales ayant entraîné à plusieurs reprises la neutralisation des installations et au vu de leur emprise sur sa propriété, fixée à la somme de 300 euros par mois, cette indemnité courant depuis le 1er février 2000 jusqu'à l'entier déposé.
3) - Dommages-intérêts
La preuve d'un dol qui impliquerait l'existence avérée d'un risque sanitaire et la volonté de SFR de le dissimuler à ses cocontractants n'est pas en l'espèce rapportée.
Il ne peut être reproché à l'opérateur de n'avoir pas informé Monsieur Fouque de la teneur des nombreux rapports d'expertise versés aux débats, alors qu'ils sont pour la plupart postérieurs à la conclusion du contrat et que tous concluent à l'absence d'incidence sur la santé de la présence d'antennes relais dans l'environnement immédiat des habitations, si bien que leur communication n'aurait pas dissuadé Monsieur Fouque de passer le contrat. Celui-ci au surplus, n'ignorait pas l'existence des polémiques qui agitaient et continuent d'agiter l'opinion publique quant à l'innocuité des antennes-relais dont la presse s'est largement fait l'écho, puisqu'il dit avoir hésité à signer mais avoir été rassuré par la présence d'une telle installation sur l'école voisine.
Concernant l'inobservation par SFR des dispositions consuméristes, Monsieur Fouque ne rapporte pas la preuve d'un lien de causalité entre le préjudice moral qu'il dit avoir subi, consistant en la crainte ressentie pour la santé de ses proches du fait de la présence sur son immeuble d'une station de radiotéléphonie et le non-respect par SFR de ces dispositions et plus spécialement de celles des articles L. 121-23 et suivants du Code de la consommation lui ouvrant pendant sept jours un droit de rétractation.
C'est en effet seulement par une lettre recommandée avec avis de réception en date du 14 octobre 2000, soit plusieurs mois après avoir signé la convention litigieuse, qu'il a sollicité des informations techniques et émis des réserves sur la validité de son consentement.
Il n'y a donc pas lieu de faire droit à sa demande de dommages-intérêts et le jugement dont appel qui en a décidé autrement sera réformé de ce chef.
Par ces motifs, - LA COUR, après en avoir délibéré conformément à la loi, - Statuant publiquement, contradictoirement, sur renvoi de la Cour de cassation et en dernier ressort, - Confirme par substitution de motifs le jugement en ce qu'il a prononcé la nullité du contrat conclu le 6 janvier2000 entre Monsieur Fouque et la SA Société Française de Radiotéléphone, - Le réformant pour le surplus ou y ajoutant, - Enjoint à la Société Française de Radiotéléphone de retirer l'ensemble des équipements installés sur la propriété de Monsieur Jean Fouque sous astreinte de 150 euros par jour de retard, passé un délai de 15 jours à compter de la signification du présent arrêt, - Condamne Monsieur Jean Fouque à restituer à la Société Française de Radiotéléphone la totalité des loyers perçus de celle-ci en exécution du contrat annulé, - Condamne la Société Française de Radiotéléphone à payer à Monsieur Jean Fouque une indemnité d'occupation de 300 euros par mois depuis le 1er février 2000 jusqu'à la date d'enlèvement de ses installations, - Ordonne la compensation entre les créances réciproques, - Déboute Monsieur Jean Fouque de sa demande de dommages-intérêts.