CAA Lyon, 6e ch., 9 avril 2010, n° 07LY00716
LYON
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Centre hospitalier de Givors
Défendeur :
Castellvi
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Serre
Commissaire du gouvernement :
Mme Marginean-Faure
Avocat :
Me le Prado
LA COUR : Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 30 mars et 8 octobre 2007, présentés pour le Centre hospitalier de Givors, dont le siège est 9 avenue du professeur Fleming, à Givors (69701) ;
Le Centre hospitalier de Givors demande à la Cour :
1) d'annuler le jugement n° 0500810, en date du 23 janvier 2007, par lequel le Tribunal administratif de Lyon l'a condamné à verser à M. A la somme de 9 300 euros en réparation des préjudices causés par la défectuosité d'une prothèse, et a mis à sa charge les frais d'expertise ;
2) de rejeter les conclusions de la demande de M. A ;
Il soutient que :
- le jugement est insuffisamment motivé ;
- conformément aux objectifs définis par la directive du 25 juillet 1985, que le législateur a transposée en droit interne, en cas de défectuosité d'un produit, seul le producteur est susceptible d'engager sa responsabilité de plein droit, à l'exclusivité du fournisseur ; il n'est donc pas tenu de répondre sans faute de la défectuosité d'une prothèse dont le fabricant est connu ;
Vu le jugement attaqué ; - Vu le mémoire en défense et d'appel incident, enregistré le 28 janvier 2008, présenté pour M. A ;
Il conclut :
- au rejet de la requête ;
- à l'annulation du jugement susmentionné, en tant que le Tribunal n'a pas porté à un montant de 80 000 euros la somme que le Centre hospitalier de Givors a été condamné à lui verser ;
- à ce que la somme de 4 000 euros soit mise à la charge du Centre hospitalier de Givors au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Il soutient que :
- le centre hospitalier a engagé sa responsabilité sans faute, dès lors que l'exécution d'un acte médical a entrainé des conséquences d'une extrême gravité sans rapport avec son état initial ;
- les objectifs définis par la directive du 25 juillet 1985 n'ont pas été méconnus, dès lors que le Tribunal n'a pas exclu un appel en garantie contre le fabricant ;
- ses préjudices n'ont pas été suffisamment indemnisés ;
Vu le mémoire, enregistré le 4 décembre 2008, présenté pour le Centre hospitalier de Givors ; il conclut au rejet des conclusions d'appel incident de M. A et, pour le surplus, aux mêmes fins que précédemment, par les mêmes moyens ;
Il ajoute que :
- eu égard à la date des faits, seul l'ONIAM devrait répondre d'une éventuelle responsabilité sans faute au titre de la solidarité nationale ;
- subsidiairement, les préjudices de M. A n'ont pas été sous-évalués par le Tribunal ;
Vu le mémoire, enregistré le 30 décembre 2008, présenté pour la caisse régime social des indépendants (RSI) - région Rhône ;
Elle conclut à ce que :
- le Centre hospitalier de Givors et la société Depuy France soient solidairement condamnés à lui verser une somme de 25 537,94 euros au titre de ses débours, ainsi que l'indemnité forfaitaire de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale ;
- à ce que la somme de 1 500 euros soit mise à la charge solidaire du Centre hospitalier de Givors et de la société Depuy France au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu le mémoire, enregistré le 5 juin 2009, présenté pour le Centre hospitalier de Givors ; il conclut au rejet des conclusions de la caisse RSI - région Rhône et, pour le surplus, aux mêmes fins que précédemment, par les mêmes moyens ;
Il ajoute que :
- les conclusions de la caisse sont irrecevables comme nouvelles en appel ;
- subsidiairement, les débours ne sont pas précisément justifiés ;
Vu les autres pièces du dossier ;- Vu la directive 85/374/CEE du 25 juillet 1985, modifiée, relative au rapprochement des dispositions législatives, règlementaires et administratives des Etats membres en matière de responsabilité des produits défectueux ; - Vu le code civil ; - Vu le code de la santé publique ; - Vu le code de la sécurité sociale ; - Vu la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002, relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, et notamment son article 101 ; - Vu l'arrêté du 1er décembre 2009 relatif aux montants de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue aux articles L. 376-1 et L. 454-1 du code de la sécurité sociale ; - Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 4 mars 2010 :
- le rapport de M. Stillmunkes, premier conseiller ;
- et les conclusions de Mme Marginean-Faure, rapporteur public ;
Considérant que M. A a fait l'objet, le 21 octobre 2003, d'une intervention chirurgicale au Centre hospitalier de Givors, afin de poser une prothèse totale de la hanche droite ; que la tête en céramique de cette prothèse s'est cassée le 12 mai 2004, nécessitant son remplacement par une autre prothèse ; que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Lyon a retenu la responsabilité sans faute du Centre hospitalier de Givors du fait de la défaillance de cette première prothèse, et l'a condamné à verser à M. A la somme de 9 300 euros ;
Sur la recevabilité des conclusions de la caisse RSI - région Rhône : - Considérant que la caisse RSI-région Rhône vient aux droits de la caisse régionale des artisans et commerçants du Rhône, régulièrement mise en cause en première instance, et qui n'a toutefois pas produit d'observations ; que, dès lors, le Centre hospitalier de Givors est fondé à soutenir que les conclusions de la caisse RSI-région Rhône tendant à la condamnation solidaire de ce centre hospitalier et de la société Depuy France, fabricant de la prothèse défaillante qui concernent le remboursement des sommes déboursées antérieurement au jugement de première instance, doivent être rejetées comme nouvelles en appel ;
Sur le fond : - Considérant qu'il résulte des objectifs de la directive 85/374 susvisée, invoquée par le Centre hospitalier de Givors, actuellement transposée aux articles 1386-1 et suivants du code civil, que lorsqu'un centre hospitalier a fourni un produit défectueux à un patient, et que le producteur en est connu, seul ce dernier est susceptible de répondre de plein droit du dommage causé par un défaut de son produit ; que, dès lors que le producteur de la prothèse dont M. A incrimine la défectuosité lui est connu, ce dernier n'est pas recevable à rechercher la responsabilité sans faute du Centre hospitalier de Givors, qui n'en était que fournisseur ; que, si les dispositions de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique prévoient que hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute , le législateur n'a en tout état de cause pas entendu ainsi instituer un régime général de responsabilité sans faute des professionnels de santé du fait de la défectuosité des produits de santé, mais uniquement réserver l'application, le cas échéant, des règles de la responsabilité du fait des produits défectueux, telles qu'elles sont en particulier définies par la directive susmentionné et par les textes législatifs pris pour sa transposition en droit interne ; que c'est dès lors à tort que, pour retenir la responsabilité sans faute du Centre hospitalier de Givors, le Tribunal administratif de Lyon s'est fondé sur ce que le service hospitalier serait responsable, même en l'absence de faute de sa part, des conséquences dommageables pour les patients de la défaillance des produits et appareils de santé qu'il utilise ;
Considérant toutefois qu'il appartient à la Cour, saisie de l'entier litige par l'effet dévolutif de l'appel, de statuer sur l'autre moyen soulevé par M. A en première instance et repris en appel ;
Considérant qu'aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique, dans sa rédaction alors applicable : (...) II. - Lorsque la responsabilité (...) d'un producteur de produits n'est pas engagée, un accident médical (...) ouvre droit à la réparation des préjudices du patient au titre de la solidarité nationale, lorsqu'ils sont directement imputables à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins et qu'ils ont eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l'évolution prévisible de celui-ci et présentent un caractère de gravité, fixé par décret, apprécié au regard de la perte de capacités fonctionnelles et des conséquences sur la vie privée et professionnelle mesurées en tenant notamment compte du taux d'incapacité permanente ou de la durée de l'incapacité temporaire de travail (...) ; qu'aux termes de l'article 101 de la loi susvisée du 4 mars 2002, ces dispositions sont appplicables aux accidents médicaux consécutifs à des activités de prévention, de diagnostic ou de soins réalisées à compter du 5 septembre 2001 ; qu'aux termes de l'article L. 1142-22 du même code, dans sa rédaction alors applicable : L'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (...) est chargé de l'indemnisation au titre de la solidarité nationale, dans les conditions définies au II de l'article L. 1142-1 (...) des dommages occasionnés par la survenue d'un accident médical (...) ;
Considérant, d'une part, que lorsqu'un acte médical nécessaire au diagnostic ou au traitement du malade présente un risque dont l'existence est connue mais dont la réalisation est exceptionnelle et dont aucune raison ne permet de penser que le patient y soit particulièrement exposé, la responsabilité du service public hospitalier est engagée si l'exécution de cet acte est la cause directe de dommages sans rapport avec l'état initial du patient comme avec l'évolution prévisible de cet état, et présentant un caractère d'extrême gravité ; que, compte tenu toutefois de l'entrée en vigueur des dispositions précitées, M. A ne peut en tout état de cause demander que la responsabilité du Centre hospitalier de Givors soit engagée à ce titre ; que, d'autre part, s'il doit être entendu comme ayant recherché la responsabilité de l'Oniam au titre de la solidarité nationale, il résulte toutefois des dispositions précitées de l'article L. 1142-1 que la responsabilité au titre de la solidarité nationale ne trouve pas à s'appliquer lorsque le dommage résulte de la défectuosité d'un produit, et que le producteur peut être conduit à en répondre au titre de la responsabilité du fait des produits défectueux ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le Centre hospitalier de Givors est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Lyon a retenu sa responsabilité et fait droit aux conclusions indemnitaires de M. A ; que les conclusions indemnitaires de la caisse RSI-région Rhône doivent pour leur part être rejetées ;
Sur les dépens : - Considérant qu'en application des dispositions de l'article R. 761-1 du code de justice administrative, il y a lieu de mettre les frais de l'expertise décidée par les premiers juges à la charge de M. A ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du Centre hospitalier de Givors, qui n'a pas dans la présente instance la qualité de partie perdante, une somme quelconque au titre des frais exposés par M. A et non compris dans les dépens ; qu'elles font également obstacle, pour le même motif, à ce qu'une somme quelconque soit mise à la charge solidaire de ce centre hospitalier et de la société Depuy France, au titre des frais exposés par la caisse RSI-région Rhône et non compris dans les dépens ;
Decide :
Article 1er : Le jugement du Tribunal administratif de Lyon du 23 janvier 2007 est annulé.
Article 2 : Les conclusions de la demande et de la requête de M. A, ainsi que les conclusions de la caisse RSI-région Rhône, sont rejetées.