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Décisions

CA Bastia, ch. civ. A, 9 mars 2011, n° 08-00778

BASTIA

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Cressi Sub France (SARL)

Défendeur :

Carreras

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Gay

Conseillers :

Mmes Spazzola, Girard-Alexandre

Avocats :

SCP Ribaut Battaglini, SCP Canarelli, Carnelli, SCP Giacometti- Desombre, SCP Jobin, Jobin, Me Albertini

TGI Ajaccio, du 30 juin 2008

30 juin 2008

Le 16 juillet 2002, vers 16 heures 40, au [...], Madame Virginie H. est décédée lors d'un accident de plongée alors qu'elle avait effectué une exploration subaquatique avec son ami Marc H..

Les services de gendarmerie nautique d'Ajaccio ont été chargés de l'enquête, et lors de la découverte du corps au fond de l'eau, ils n'ont pas été en mesure de faire fonctionner l'inflateur du système de gonflage du stabilisateur porté par la victime.

Une expertise a été requise par les services de gendarmerie et confiée à Monsieur Hervé V., expert judiciaire, dans le cadre de l'enquête pénale, laquelle a notamment conclu à un dysfonctionnement du flexible de direct system de l'inflateur installé sur le gilet stabilisateur de marque Cressi Sub acheté par Marc H. auprès du magasin Abyss Plongée situé au Cap d'Agde. Il a également évoqué les causes suivantes cumulatives de l'accident :

- expérience insuffisante associée à une faible maîtrise des techniques de plongée,

- un sur-lestage probable,

- de mauvaises conditions météorologiques et la présence de courant,

- un niveau de compétence insuffisant de Marc H. pour la plongée.

L'expert a indiqué que tous ces éléments le conduisaient à établir une hypothèse d'accident, soit une noyade en surface à la suite d'un essoufflement en plongée.

Par actes en date du 5 et du 20 octobre 2004, Monsieur Pascal C., agissant tant son nom personnel qu'en qualité de représentant légal de son fils mineur Hugo C., et Monsieur Thierry G., tant son nom personnel qu'en qualité de représentant légal de son fils mineur Quentin G., ont fait assigner Monsieur Marc H., la SA Axa IARD (assureur des titulaires de la licence de la FFESSM), la SARL Cressi Sub France, et la SARL Abyss Plongée en responsabilité sur le fondement des articles 1386-1 et suivants du Code civil et de la loi du 18 mai 1998.

Par acte en date du 18 mai 2005, la SARL Cressi Sub a mis en cause la société Tubi Itaflex de droit italien, fabriquant du flexible de direct system.

La société Aviva Assurances, assureur de Monsieur Marc H. est intervenue volontairement à l'instance.

Par jugement en date du 30 juin 2008, le Tribunal de grande instance d'Ajaccio a :

- mis hors de cause la société Abyss Plongée,

- dit que le système de stabilisation du gilet de marque Cressi Sub modèle Aqualight fabriqué par la société Cressi Sub et la société Tubi Itaflex était défectueux au sens des articles 1386-4 et 1386-11- 2° du Code civil,

- dit que la défectuosité du gilet est la cause de la mort de la victime par noyade,

- dit qu'aucune faute ne pouvait être retenue à l'encontre de la victime, ni contre Marc H.,

- condamné in solidum la société Cressi Sub et la société Tubi Itaflex à indemniser Monsieur Pascal C. tant son nom personnel qu'en qualité de représentant légal de son fils mineur Hugo C., et Monsieur Thierry G., tant son nom personnel qu'en qualité de représentant légal de son fils mineur Quentin G., des dommages causés par la mort de Virginie H.,

- fixé les préjudices comme suit :

* à Monsieur Pascal C. : 5 000 euro

* à Monsieur Pascal C. en qualité de représentant légal de son fils mineur Hugo C. : 110 434 euro au titre du préjudice économique et celle de 24 000 euro au titre du préjudice moral,

* à Monsieur Thierry G., tant son nom personnel qu'en qualité de représentant légal de son fils mineur Quentin G. : 81 000 euro au titre du préjudice économique et celle de 24 000 euro au titre du préjudice moral,

- condamné in solidum la société Cressi Sub et la société Tubi Itaflex à payer à Monsieur Pascal C. et à Monsieur Thierry G. la somme de 900 euro chacun, au titre de l'article 700 du Code de procédure Civile,

- condamné in solidum la société Cressi Sub et la société Tubi Itaflex à payer à la SA Axa et à la société Abyss Plongée la somme de 800 euro chacune,

- dit que la société Aviva devait conserver ses frais irrépétibles.

Par acte du 18 septembre 2008, la société Cressi Sub France a interjeté appel.

Par acte en date du 27 octobre 2008, la société Tubi Itaflex a interjeté appel à son tour et les deux instances ont été jointes le 27 février 2009.

Par arrêt avant dire en date du 3 février 2010, la Cour a ordonné la révocation de l'ordonnance de clôture et le report de la clôture au 1er décembre 2009, ainsi que la comparution personnelle de Monsieur Marc H., laquelle s'est déroulée le 16 mars 2010.

En ses dernières conclusions en date du 13 avril 2010 auxquelles il est expressément référé quant aux prétentions et moyens invoqués, la SARL Cressi Sub France conclut à l'infirmation du jugement.

Elle soutient en premier lieu que la décision déférée a été rendue en violation des dispositions des articles 15 et 16 du Code de procédure civile, en se fondant sur des pièces qui n'ont pas été intégralement communiquées en première instance, et sur un rapport d'expertise établi de manière non contradictoire et en conséquence non opposable.

Elle fait par ailleurs valoir que les consorts C.- G. ne rapportent pas la preuve qui leur incombe d'un défaut du produit qui lui soit imputable, et d'un lien de causalité direct entre le prétendu défaut et le dommage, et qu'en tout état de cause, ils doivent être déboutés de leurs demandes en l'état des fautes commises par la victime à l'origine de l'accident.

Subsidiairement, elle estime que les fautes imputables à Madame H., Monsieur H. et à la société Abyss Plongée l'exonèrent de sa responsabilité.

Plus subsidiairement, elle fait observer que sur le fondement de l'article 1386-7 du Code civil, que seul la société Tubi Itaflex, fabricant de l'élément composant incriminé, dûment identifié, peut être déclaré responsable, et conclut donc à sa mise hors de cause, ou à tout le moins à la condamnation de la société Tubi Itaflex à la garantir des condamnations qui pourraient être prononcées à son encontre.

Elle conclut par ailleurs à la réformation du jugement sur les indemnités allouées, offrant les sommes de 20.000 euro en réparation du préjudice moral subi par chacun des enfants de Madame H., 15.792 euro en réparation du préjudice économique d'Hugo et 9 287 euro au titre du préjudice économique de Quentin.

En tout état de cause, elle demande de dire qu'elle devra être relevée et garantie, à titre principal, par la société Tubi Itaflex et à titre subsidiaire pour la part qui pourrait être très improbablement laissée à sa charge, par Monsieur H., la compagnie Axa, Aviva Assurances et la société Abyss Plongée.

Enfin, elle sollicite la somme de 3.000 euro à titre de dommages intérêts pour procédure abusive, et la même somme au titre de l'article 700 du Code de procédure Civile à l'encontre des consorts C.-G., ou de ceux contre lesquels l'action 'compétera' le mieux.

Par ses dernières écritures déposées le 15 avril 2010 auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions invoqués, la société Tubi Itaflex conclut à l'infirmation de la décision.

Elle soulève également le défaut de communication de l'intégralité du rapport de gendarmerie et des suites de la procédure pénale, et soutient que le rapport d'expertise pénale déposé par Monsieur V. n'est pas contradictoire et ne peut lui être opposable.

Elle fait également valoir que ce rapport ne permet pas d'établir de manière incontestable le dysfonctionnement du gilet stabilisateur et son origine.

Elle s'oppose par ailleurs à la demande de garantie de la SARL Cressi Sub France, et demande la condamnation de cette dernière ou de la partie qui succombera, au paiement de la somme de 5 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure Civile.

Par ses dernières conclusions déposées le 27 février 2009, la SA Axa conclut à la confirmation du jugement, en faisant valoir qu'aucune demande n'est formée à son encontre par l'appelante, et qu'au jour de l'accident, la victime, pas plus que Monsieur H. n'étaient adhérents de la FFESSM.

Elle demande par ailleurs la condamnation de la partie succombante à lui payer la somme de 1.200 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure Civile.

Au visa de ses dernières conclusions en date du 2 avril 2009, auxquelles la Cour se réfère quant aux prétentions et moyens invoqués, Monsieur Marc H. conclut à la confirmation du jugement et subsidiairement s'en rapporte à l'appréciation de la Cour sur les responsabilités, et demande la garantie de son assureur Aviva Assurances (qui s'y oppose au motif que la victime n'aurait pas la qualité de tiers pour avoir été la concubine de l'assuré), auquel il réclame la somme de 1 euro à titre de dommages intérêts et celle de 5 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure Civile.

Au visa de ses dernières conclusions en date du 11 août 2009, auxquelles la Cour se réfère quant aux prétentions et moyens invoqués, la SA Aviva conclut à la confirmation du jugement sauf en ce qui concerne les dépens mis à sa charge. Subsidiairement, elle s'oppose à la garantie de Monsieur H. dans la mesure où la victime ne peut être qualifiée de tiers par rapport à son assuré.

Au visa de leurs dernières conclusions en date du 17 septembre 2009, auxquelles la Cour se réfère quant aux prétentions et moyens invoqués, Monsieur Pascal C. agissant tant en son nom personnel qu'en qualité de représentant légal de son fils mineur Hugo C., et Monsieur Thierry G., agissant en qualité de représentant légal de son fils mineur Quentin G., ont formé appel incident et concluent à l'infirmation du jugement pour demander de reconnaître la responsabilité de l'ensemble des parties dans l'accident de plongée, et de les condamner in solidum à réparer toutes les conséquences dommageables de l'accident.

Ils réitèrent leurs demandes d'indemnisation initiale, ainsi que la demande au titre de leurs frais non taxables.

La SARL Abyss Plongée, par ses écritures déposées le 27 novembre 2009, recevables par suite de la révocation de l'ordonnance de clôture du 28 octobre 2009, conclut principalement à la confirmation du jugement, et subsidiairement à la garantie des sociétés Cressi Sub et Tubi Itaflex.

Elle demande enfin la condamnation de ces dernières au paiement de la somme de 2.000 euro par application de l'article 700 du Code de procédure civile.

L'instruction de l'affaire a été déclarée close par ordonnance du 14 octobre 2010.

MOTIFS DE LA DECISION :

Sur les moyens relatifs à la violation du principe de la contradiction :

En application des dispositions de l'article 16 du Code de procédure civile, le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction. Il ne peut retenir, dans sa décision, les moyens, les explications et les documents invoqués ou produits par les parties que si celles-ci ont été à même d'en débattre contradictoirement.

En l'espèce, il ne résulte pas des pièces du dossier la démonstration que l'intégralité de l'enquête pénale n'a pas été communiquée aux sociétés Cressi Sub et Tubi Itaflex, pas plus qu'il n'est établi que le tribunal a fondé sa décision uniquement sur les auditions dont la société Cressi Sub prétend ne pas avoir eu connaissance en première instance.

En outre, à supposer même que cela soit établi, la société Cressi Sub reconnaît avoir désormais connaissance de l'entier dossier de l'enquête pénale et avoir eu la possibilité d'en débattre contradictoirement dans le cadre de la procédure d'appel, de sorte que ce moyen ne saurait justifier l'infirmation du jugement critiqué.

Par ailleurs, il est constant que le juge ne peut, sans violer le principe de la contradiction, fonder sa décision uniquement sur une expertise à laquelle l'une des parties n'a été ni appelée ni représentée et qui a expressément soutenu qu'elle lui était inopposable.

En l'espèce, il est certain que les sociétés Cressi Sub et Tubi Itaflex n'ont été ni appelées ni représentées aux opérations de l'expertise réalisée par Monsieur V. à la demande des services de gendarmerie dans le cadre de l'enquête pénale sur le décès de Madame H., de sorte que ce rapport d'expertise leur est inopposable quand bien même leur aurait-il été communiqué dans le cadre de la présente instance

Il s'ensuit que le tribunal ne pouvait, sans méconnaître les dispositions de l'article 16 du Code de procédure civile, fonder sa décision uniquement sur ce rapport d'expertise pour décider que le système de stabilisation du gilet de marque Cressi Sub modèle Aqualight fabriqué par la société Cressi Sub et la société Tubi Itaflex était défectueux au sens des articles 1386-4 et 1386-11- 2° du Code civil, et que cette défectuosité était la cause de la mort de la victime par noyade.

Le jugement sera donc infirmé en ce qu'il a rejeté les demandes des sociétés Cressi Sub et Tubi Itaflex tendant à leur voir déclarer inopposable le rapport d'expertise établi par Monsieur V. dans le cadre de la procédure d'enquête pénale.

Sur les responsabilités :

Il est constant que Madame H. est décédée le 16 juillet 2002 lors d'un accident de plongée alors qu'elle avait effectué une exploration subaquatique avec son ami Marc H..

Le médecin légiste qui a examiné le corps de Madame H. après qu'il ait été héliporté à Ajaccio par les pompiers a conclu à une mort par noyade après avoir procédé à son examen externe au cours duquel il a relevé la présence de signes caractéristiques d'un décès par noyade, à savoir la présence d'une spume nasale et buccale abondante, soit un champignon de mousse qui apparaît 2 à 3 heures après l'extraction du cadavre et constitue un signe décisif de submersion vitale, et une hyperhémie conjonctivale bilatérale.

Par ailleurs, il ressort de l'enquête pénale que l'ensemble des analyses toxicologiques, médicamenteuses et d'alcoolémies pratiquées sur la victime se sont révélées négatives.

Il peut donc être tenu pour établi avec certitude que le décès de Madame H. est bien dû à une noyade, même si une autopsie n'a pas été pratiquée.

**) Sur la responsabilité du fait des produits défectueux

* Sur la preuve du défaut du produit, et le lien de causalité avec le dommage

Aux termes des dispositions combinées des articles 1386-1 et 1386-4 du Code civil, le producteur est responsable du dommage causé par un défaut de son produit, qu'il soit ou non lié par un contrat avec la victime, et le produit défectueux s'entendant de celui qui n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre, dans l'appréciation de laquelle il doit être tenu compte de toutes les circonstances, et notamment de la présentation du produit, de l'usage qui peut en être raisonnablement attendu et du moment de sa mise en circulation.

Ces dispositions instaurent un régime de responsabilité de plein droit du producteur qui ne peut, pour s'exonérer, se prévaloir de son absence de faute, mais uniquement des causes d'exonération limitativement énumérées aux articles 1386-11 er 1386-12 du Code civil.

Par ailleurs, l'article 1386-9 dispose que le demandeur doit prouver le dommage, le défaut et le lien de causalité entre le défaut et le dommage

En l'espèce, il résulte des pièces produites aux débats que, lors de la plongée à l'issue de laquelle Madame H. a trouvé la mort, celle-ci portait un gilet stabilisateur de marque Cressi Sub modèle Aqualight qui avait été acheté par Monsieur H. à la SARL Abyss Plongée le 24 juin 2002, selon la facture produite.

Dès lors que le rapport d'expertise établi par Monsieur V. ne sera pas utilisé par la Cour afin de solutionner ce litige, il importe peu de savoir si celui qu'il a examiné était bien celui porté par la victime, étant toutefois observé à titre surabondant que, des deux gilets examinés, un seul soit celui de marque Cressi Sub était défectueux alors que celui de marques mares porté par Monsieur H. ne présentait aucun défaut de fonctionnement, et qu'il n'y a aucune raison sérieuse pour que Madame H., si elle avait porté le gilet de marques MARES qui ne présentait aucun dysfonctionnement, ait sondé avec ce gilet.

Quoi qu'il en soit, la preuve de la défectuosité du gilet stabilisateur porté par Madame H. résulte suffisamment des éléments acquis aux débats, autres que ceux résultant du rapport précité.

Ainsi, il résulte des déclarations de Monsieur H. recueillies par les services de gendarmerie les 16 juillet 2002, 17 juillet 2002 et 30 août 2002, ainsi que lors de sa comparution personnelle ordonnée par la Cour, que lui-même et Madame H. avaient commencé à descendre lorsqu'arrivés à environ 24 mètres, celle-ci lui avait fait signe qu'elle souhaitait remonter, et qu'arrivée en surface, elle avait paniqué en enlevant son détendeur qu'il lui avait remis à plusieurs reprises, avant de gonfler son stabilisateur en même temps que le sien. Pour la hisser à bord de l'annexe, il avait alors entrepris d'enlever son propre gilet stabilisateur, et qu'au moment où il l'avait lâchée pour ce faire, elle avait sondé ou coulé très rapidement.

C'est donc un fait incontournable qu'au moment précis de l'accident, le gilet stabilisateur n'a pas rempli l'usage auquel il était normalement destiné, soit garantir la flottabilité et le maintien en surface de Madame H., alors pourtant qu'il venait d'être gonflé.

Ensuite, il résulte des auditions de Messieurs C. et P., pompiers-plongeurs ayant découvert le corps de Madame H. à une profondeur comprise entre 22 mètres et 25 mètres selon leur estimation, dans une faille rocheuse, que son système de gonflage de sécurité n'était pas 'gonflé à bloc', et que pour " essayer de comprendre ", l'un d'eux a appuyé sur l'insufflateur ou inflateur qui est censé pouvoir faire gonfler le gilet, et rien ne s'est passé. Monsieur P. précise qu'ils ont vérifié que le direct system était bien branché en tirant dessus, et que Monsieur C. a mis son propre direct system sur l'inflateur pour tenter de gonfler le gilet, en vain, raison pour laquelle ils ont déséquipé la victime au fond.

Les déclarations et constatations des pompiers, qui ne peuvent être suspectées de partialité, établissent incontestablement le dysfonctionnement du gilet stabilisateur que portait Madame H..

Il s'ensuit qu'il est incontestablement établi par ces seuls éléments que le gilet stabilisateur n'a pas rempli sa fonction normalement attendue qui est de garantir la flottabilité en surface du plongeur, étant précisé qu'il est inexplicable dans le cas contraire que Madame H. ait coulé au lieu de rester en surface.

Le fait que le gilet n'ait pas présenté de dysfonctionnement lors des deux premières utilisations, ainsi qu'il résulte des déclarations de Monsieur H. comme de celles de Messieurs C. et C., ne saurait occulter le fait, parfaitement établi et indiscutable, qu'au moment même de l'accident, le gilet qui ne s'est pas gonflé et n'a pas assuré la flottabilité du plongeur, n'a pas rempli sa fonction et n'a donc pas offert la sécurité à laquelle son utilisateur pouvait légitimement s'attendre.

Enfin, comme l'a justement relevé le premier juge, il importe peu que les causes exactes du sinistre, soit l'origine du dysfonctionnement du système de stabilisation, ne soient pas établies, dès lors que les demandeurs établissent que le produit n'a pas offert une sécurité normale.

Dès lors, il est démontré que le gilet de stabilisation que portait Madame H. était défectueux au sens de l'article 1386-4 du Code civil, et que ce défaut a été en lien causal direct avec le décès de Madame H..

Par ailleurs, l'article 1386-8 du Code civil dispose que, en cas de dommage causé par le défaut d'un produit incorporé dans un autre, le producteur de la partie composante et celui qui a réalisé l'incorporation sont solidairement responsables.

En l'espèce, la société Cressi Sub qui a fabriqué le gilet stabilisateur a la qualité de producteur du produit fini au sens de l'article 1386-6 du Code civil, alors que la société Tubi Itaflex, fabricant sous-traitant du flexible de direct system, a la qualité de producteur du produit incorporé.

Dès lors que le rapport d'expertise de Monsieur V. est inopposable aux sociétés Cressi Sub et Tubi Itaflex, elles ne peuvent non plus se prévaloir des conclusions dudit rapport, et notamment Cressi Sub ne peut s'en prévaloir pour demander à être garantie par la société Tubi Itaflex en raison du dysfonctionnement du flexible objectivé par l'expert.

En revanche, c'est l'ensemble du matériel constitué du gilet stabilisateur, de l'inflateur et du flexible de direct system qui doit être considéré comme ayant été défectueux, au regard des circonstances mêmes de l'accident et des constatations effectuées par les pompiers-plongeurs et rappelées ci-dessus.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a dit que les deux sociétés devaient déclarées solidairement responsables des dommages causés par le gilet stabilisateur défectueux.

** Sur les causes d'exonération ou de réduction de responsabilité invoquées par les sociétés Cressi Sub et Tubi Itaflex

L'article 1386-11 dispose en son 2° que le producteur est responsable de plein droit à moins qu'il ne prouve que, compte tenu des circonstances, il y a lieu d'estimer que le défaut ayant causé le dommage n'existait pas au moment où le produit a été mis en circulation par lui ou que ce défaut est né postérieurement.

Cela implique que le producteur fasse la démonstration que le défaut qui a causé le dommage est apparu après la mise en circulation, et apporte la preuve positive du moment de l'apparition du défaut au cours de la chaîne de distribution.

En l'espèce, les sociétés Cressi Sub et Tubi Itaflex se contentent de supposer, mais sans apporter la moindre preuve à l'appui de ces suppositions, que le dysfonctionnement du gilet pourrait résulter des manipulations dont il a fait l'objet après sa mise en circulation, soit de la part de la société Abyss Plongée soit de Monsieur H. ou de Madame H. elle-même.

En outre, le fait que le gilet n'ait pas présenté de dysfonctionnement lors des deux premières utilisations, ainsi qu'il résulte des déclarations de Monsieur H. comme de celles de Messieurs C. et C., ne saurait pour autant faire admettre que le dysfonctionnement constaté ne pouvait résulter que des manipulations ou de l'usage qui en a été fait, et ce d'autant que la preuve de ces circonstances qui incombe auxdites sociétés n'est nullement rapportée.

Ce moyen doit donc être rejeté.

Les sociétés Cressi Sub et Tubi Itaflex invoquent en second lieu la commission de fautes par Madame H. de nature à les exonérer de leur responsabilité.

Aux termes de l'article 1386-13 du Code civil, la responsabilité du producteur peut être réduite ou supprimée, compte tenu de toutes les circonstances, lorsque le dommage est causé conjointement par un défaut du produit et par la faute de la victime ou d'une personne dont la victime est responsable.

Cette faute doit, conformément au droit commun, avoir été imprévisible et irrésistible pour le producteur, et avoir rompu le lien de causalité avec le fait du produit.

En l'espèce, là encore, il sera observé que les sociétés Cressi Sub et Tubi Itaflex qui invoquent comme cause exonératoire des fautes d'imprudence qui auraient été commises par Madame H., ne peuvent, pour étayer leur démonstration prétendre se fonder sur les conclusions d'un rapport d'expertise dont elles ont soulevé, à juste titre, l'inopposabilité.

En outre, ils ne sauraient sérieusement prétendre que l'insuffisance de l'expérience de la plongée et de la formation de Madame H. est en lien causal certain avec l'accident dont elle a été victime, et les exonère de leur responsabilité, alors que les conditions de cette plongée n'ont pas été 'extrêmes' et délibérément contraires aux règles élémentaires de sécurité, les plongeurs étant descendus à une profondeur maximum de 24 mètres, soit tout au plus cinq mètres de plus que la profondeur préconisée pour un plongeur de niveau I comme Madame H., et en 4 minutes, soit une descente lente.

Au surplus, à supposer même qu'une imprudence puisse être reprochée à Madame H., elle n'apparaîtrait en aucun cas comme étant en relation causale avec son décès survenu par noyade en raison de la défaillance du gilet stabilisateur.

Enfin, le caractère potentiellement dangereux de l'activité de plongée subaquatique ne saurait constituer pour un producteur de matériel de plongée un élément imprévisible et irrésistible.

Le moyen tiré de la faute de la victime sera en conséquence rejeté.

Les sociétés Cressi Sub et Tubi Itaflex invoquent en troisième lieu les fautes de Monsieur H. comme exonératoires de leur responsabilité de plein droit.

De même, Messieurs C. et G. prétendent voir retenue la responsabilité de Monsieur H., in solidum avec celle des producteurs, sur le fondement de l'article 1383 et non 1386 comme indiqué de manière erronée en leurs écritures.

S'agissant de l'exonération de la responsabilité du producteur par le fait d'un tiers, il sera rappelé que l'article 1386-14 dispose que la responsabilité du producteur envers la victime n'est pas réduite par le fait d'un tiers ayant concouru à la réalisation du dommage.

Comme l'a justement relevé le tribunal, l'absence de poursuite pénale à l'encontre de Monsieur H. n'implique pas nécessairement l'absence de faute civile, de même que l'absence de manquement à des obligations légales ou réglementaires relative à la pratique de la plongée, inexistantes hors structure sportive, n'empêche que soient démontrée par ailleurs l'existence d'éventuelles imprudences ou négligences ayant concouru à la réalisation du dommage.

Les sociétés Cressi Sub et Tubi Itaflex invoquent en premier lieu le sur-lestage de la victime de 1,5 kg, résultant des conclusions du rapport d'expertise que la Cour a expressément écarté.

A supposer même que cette circonstance soit établie, notamment par les déclarations des personnes qui accompagnaient Monsieur H. et Madame H., elle ne saurait à elle-seule constituer une faute en relation causale avec l'accident, et ce d'autant que selon les pompiers la victime était très légère au point qu'il leur avait fallu la tenir pour qu'elle ne parte pas à la surface.

S'agissant du niveau de formation et de compétence de Monsieur H., soit niveau 2 depuis le 15 juin 2000, le tribunal a relevé à juste titre que Monsieur H., avait pris le soin de se former et de faire former Madame H. avant de pratiquer en autonomie la plongée.

A cela il convient d'ajouter qu'en toute hypothèse, il n'est nullement établi qu'un niveau de formation supérieur aurait permis à Monsieur H. de sauver Madame H., compte tenu du dysfonctionnement du gilet auquel il ne pouvait raisonnablement pas s'attendre.

Concernant les conditions de la plongée, Monsieur H. indique avoir choisi le site de la plongée dans le " guide Vagnon " en raison de son accessibilité à tous les niveaux, ce qui n'est pas contredit par les sociétés appelantes, de sorte que le choix du site était donc raisonné et adapté aux niveaux des deux plongeurs.

Par ailleurs, il résulte des constatations des gendarmes quant aux conditions météorologiques que celles-ci n'étaient pas " très bonnes " vers 14 heures, un vent de secteur Ouest créant des vagues d'environ 80cm à 1m au niveau de la pointe de Senimo où a eu lieu l'accident. Monsieur P., sapeur-pompier venu au secours des plongeurs explique: 'une fois à l'eau, j'ai constaté que la houle avait une hauteur d'environ un mètre, le vent était faible, le courant n'était pas important ni en surface ni au fond'.

Comme l'a pertinemment relevé le tribunal, il se déduit de ces dépositions que le temps n'était au jour et à l'heure de l'accident ni beau, ni très mauvais mais mitigé avec houle de surface et des vagues relativement importantes d'environ 80cm à 1m, et que ces conditions météorologiques telles que décrites ne peuvent être considérées comme strictement mauvaises et de nature à interdire à des plongeurs même débutants d'effectuer une sortie en mer, et ce d'autant que la plongée n'a duré que six minutes, et qu'il n'apparaît nullement qu'elles soient en relation causale avec l'accident dont a été victime Madame H..

Enfin, le fait pour Monsieur H. d'avoir emmené Madame H. à une profondeur de 21 mètres au lieu de 18 mètres, soit seulement trois mètres par rapport à la profondeur conseillée (mais non obligatoire), et par un temps mitigé, ne saurait suffire à caractériser une faute par imprudence de la part de ce dernier, eu égard aux plongées déjà réalisées à des profondeurs identiques, et à la nature sportive de Madame H..

Enfin, s'il n'est nullement contesté par les sociétés Cressi Sub et Tubi Itaflex que Monsieur H. a tenté de porter secours à Madame H. d'une part en la ramenant jusqu'à l'annexe, et d'autre part en tentant de la hisser sur celle-ci, elles affirment par ailleurs que Monsieur H. a commis une faute en lâchant sa compagne et de surcroît sans la délester au moins en partie.

Cependant, comme l'a justement relevé le tribunal, la flottaison aurait dû être assurée par le gilet, comme il l'avait été au début de cette plongée, Madame H. étant " surlestée " dès l'origine.

En outre, il ne peut sérieusement être contesté que, même avec 6 kg en moins, Madame H. aurait nécessairement sondé compte tenu de la défaillance du système de stabilisation, de sorte qu'elle a sondé non en raison de l'absence de délestage, mais bien du fait du dysfonctionnement du gilet.

Il s'ensuit qu'aucune faute en relation causale avec la noyade de Madame H. n'est caractérisée à l'encontre de Monsieur H., de sorte que le jugement sera confirmé sur ce point.

Sur la réparation des préjudices subis par les victimes indirectes :

C'est par des motifs pertinents en fait et en droit que la Cour adopte expressément que le tribunal a condamné in solidum la société Cressi Sub et la société Tubi Itaflex à indemniser Monsieur Pascal C., agissant tant en son nom personnel qu'en qualité de représentant légal de son fils mineur Hugo C., et Monsieur

Thierry G., agissant en sa qualité de représentant légal de son fils mineur Quentin G., des dommages causés par la mort de

Madame H., par l'allocation des indemnités suivantes que la Cour confirme intégralement, comme suit :

- préjudice moral subi par Monsieur C. : 5 000 euro,

- préjudice moral de chacun des deux enfants, Hugo et Quentin : 24 000 euro,

- préjudice économique de Quentin : 81 000 euro,

- préjudice économique d'Hugo : 110 434 euro.

Sur l'article 700 du Code de procédure civile :

Il serait inéquitable en l'espèce de laisser à la charge de Messieurs C. et G., de la SARL Abyss Plongée et de la compagnie Axa l'intégralité des sommes par eux exposées à l'occasion de la présente instance et non comprises dans les dépens qui seront mis à la charge des sociétés Cressi Sub et Tubi Itaflex, ce qui justifie la confirmation des sommes allouées au titre des frais non taxables en première instance, et la condamnation des sociétés précitées au paiement des sommes de 1 500 aux consorts C.-G., et de 800 euro à Abyss Plongée et Axa.

La demande de condamnation au titre de l'article 700 du Code de procédure civile formulée par Monsieur H. à l'encontre de la société Aviva Assurances uniquement ne peut prospérer, aucune condamnation principale n'étant mise à la charge de cette dernière.

Par ces motifs, - LA COUR : - Confirme le jugement du Tribunal de grande instance d'AJaccio en date du 30 juin 2008, sauf en ce qu'il a rejeté les demandes des sociétés Cressi Sub et Tubi Itaflex tendant à leur voir déclarer inopposable le rapport d'expertise établi par Monsieur V. dans le cadre de la procédure d'enquête pénale, - Statuant de nouveau du chef de la disposition infirmée, - Déclare inopposable aux sociétés Cressi Sub et Tubi Itaflex le rapport d'expertise établi par Monsieur V., et dit que celui-ci ne peut être utilisé dans le cadre du présent litige, - Y ajoutant, - Condamne in solidum la SARL Cressi Sub France et la société de droit italien Tubi Itaflex à payer, sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile : - à Messieurs Pascal C. et Thierry G. la somme de mille cinq cents euro (1 500 euro), - la SARL Abyss Plongée et la SA Axa Assurances la somme de huit cents euro (800 euro), - Déboute les parties de toutes demandes plus amples ou contraires.