CA Douai, 3e ch., 24 février 2011, n° 09-03017
DOUAI
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Schaffer Machinenfabrik GMBH (Sté)
Défendeur :
Lequette, La Caisse Regionale d'Assurances Mutuelles Agricoles du Nord Est " Crama du Nord Est ", Equipements Modernes Agricoles (Sté), Gan Assurances IARD (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Dagneaux
Conseillers :
Mmes Berthelot, Berthier
Avocats :
SCP Congos-Vandendaele, SCP Deleforge Franchi, SCP Levasseur-Castille-Levasseur
Hubert Lequette exerce une activité de pension de chevaux, de locations d'équidés et autres activités équestres à [...], sous le nom commercial "Les Ecuries du Manoir"
Hubert Lequette est assuré auprès de la Caisse Régionale d'Assurances Mutuelles Agricoles du Nord Est (ci-après Crama du Nord Est).
Pour les besoins de son activité, Hubert Lequette a commandé auprès de la SARL Equipements Modernes Agricoles (ci-après la SARL Ema) un valet de ferme SCHAFFER type 214 n°00100190 équipé d'une benne et d'une fourche qui lui a été livré le 21 février 2000, le fabricant du valet de ferme étant la société Schaffer Machinenfabrik GMBH. Le valet de ferme - ou chargeuse - était principalement destiné au transport des aliments et au curage des box.
La SARL Ema est assurée auprès de la SA Gan Assurances Iard.
Le 4 mai 2002, vers 18 heures 30, Hubert Lequette circulait à bord de son valet de ferme dans l'[...], s'arrêtant à chaque box pour nourrir les chevaux. C'est alors qu'Océane Decaudain, âgée de 9 ans, et son fils Louis Lequette, sont venus s'asseoir dans le godet qui se trouvait à une hauteur d'un mètre. Alors que les enfants descendaient du godet à la demande de Hubert Lequette, le godet se décrochait, blessant la jeune Océane Decaudain aux jambes.
Par actes d'huissier du 10 décembre 2002, 12 décembre 2002 et 10 février 2003, Hubert Lequette et la Crama du Nord Est ont fait assigner devant le juge des référés d'Arras le fabricant du valet de ferme d'une part et le vendeur dudit valet et son assureur d'autre part en vue de voir ordonner une expertise de l'engin.
L'expert judiciaire déposait son rapport le 13 janvier 2004. Il identifiait un problème de conception du système d'accrochage du godet sur le tablier, estimait qu'il n'y avait pas eu irrespect des consignes de sécurité dès lors que le constructeur ne prévoit aucun dispositif permettant d'éviter une impossible solidarisation du godet sur le tablier, si les axes ne sont pas en position verrouillés. Il ajoutait que l'utilisateur moyen ne pouvait pas se rendre compte si le godet est ou non correctement accroché à la chargeuse et estimait le matériel potentiellement dangereux.
La Crama du Nord Est réglait transactionnellement des provisions aux époux Decaudain tant es qualités de représentants légaux de leur fille qu'à titre personnel. La compagnie d'assurance réglait également à la CPAM d'Arras le montant de ses débours provisoires.
Hubert Lequette et la Crama du Nord Est engageaient alors une procédure devant le tribunal de grande instance d'Arras en vue d'obtenir la condamnation in solidum de la SARL Ema, de la SA Gan Assurances Iard et de la société Schaffer Machinenfabrik GMBH à prendre en charge les sommes acquittées par la Crama du Nord Est et à acquitter par celle-ci au titre du préjudice subi par la jeune Océane Decaudain, ses parents et la CPAM.
Par jugement du 11 juillet 2007, le tribunal a:
- déclaré la société Schaffer Machinenfabrik GMBH entièrement responsable de l'accident dont a été victime Océane Decaudain,
- en revanche débouté - à raison du caractère subsidiaire de la responsabilité du fournisseur- Hubert Lequette et la Crama du Nord Est de leurs demandes tendant à voir déclarer la SARL Ema responsable avec le producteur de l'accident ainsi qu'à sa condamnation in solidum avec cette dernière en sa qualité de producteur au paiement de sommes acquittées par la Crama du Nord Est,
- condamné par suite la société Schaffer Machinenfabrik GMBH à rembourser à la Crama du Nord Est ( subrogée dans les droits et actions d'Océane Decaudain, de ses parents et de la CPAM et en tant que de besoin subrogée dans les droits de Monsieur Lequette ) l'intégralité des sommes acquittées par la Crama du Nord Est en vue d'indemniser le préjudice subi par Océane Decaudain, ses parents et la CPAM à savoir:
* la somme de 7 600 euro au titre de la provision acquittée au bénéfice d'Océane Decaudain,
* la somme de 2 274 euro au titre de la provision acquittée entre les mains des époux Decaudain,
* la somme de 33 705,03 euro acquittée entre les mains de la CPAM,
- débouté Hubert Lequette de sa demande de dommages-intérêts,
- condamné la société Schaffer Machinenfabrik GMBH à payer aux demandeurs la somme de 3 000 euro sur le fondement de l' article 700 du Code de procédure civile ,
- débouté la société Schaffer Machinenfabrik GMBH et la SARL Ema de leur demande d'indemnité procédurale,
- ordonné l'exécution provisoire du jugement,
- débouté les parties de toutes " demandes plus amples ou contraires ",
- condamné la société Schaffer Machinenfabrik GMBH aux dépens en ce compris les frais d'expertise judiciaire.
La société Schaffer Machinenfabrik GMBH a interjeté appel de la décision le 27 avril 2009. L'affaire a été enregistrée sous le numéro 3 017/09.
Dans le cadre d'une procédure diligentée par les époux Decaudain agissant tant es qualités de représentants légaux de leur fille mineure qu'à titre personnel à l'encontre du centre équestre Les Ecuries du Manoir, de la Crama du Nord Est, d'Hubert Lequette, de la SARL Ema, de la SA Gan Assurances Iard, de la compagnie d'assurances Groupama, de la société Schaffer Machinenfabrik GMBH, de la mutuelle Avilog Gestion Prévoyance et de la CPAM du Var à l'effet d'obtenir notamment l'indemnisation de leur préjudice, le tribunal de grande instance d'Arras a, par jugement du 15 octobre 2009:
- rejeté l'exception de nullité de l'assignation soulevée par la SARL Ema, par la compagnie d'assurances Gan et par la société Schaffer Machinenfabrik GMBH,
- rejeté l'exception d'irrecevabilité de l'assignation soulevée par la SARL Ema et par la compagnie d'assurances Gan,
- constaté le désistement d'instance des époux Decaudain es qualités et à titre personnel à l'encontre de la SARL Ema et de la compagnie d'assurances Gan,
- mis hors de cause la compagnie d'assurances GROUPAMA et le centre équestre les Ecuries du Manoir,
- réservé le préjudice au titre de l'incidence professionnelle du dommage subi par Océane Decaudain,
- condamné in solidum Hubert Lequette et son assureur la Crama du Nord Est à payer à Monsieur Decaudain, en qualité de représentant d'Océane, en réparation de son préjudice corporel, en deniers ou quittances, la somme de 62 630 euro au titre du préjudice extra-patrimonial,
- condamné in solidum Hubert Lequette et la Crama du Nord Est à payer aux époux Decaudain la somme de 2 274 euro en deniers ou quittances au titre de leur préjudice patrimonial,
- condamné in solidum Hubert Lequette et la Crama du Nord Est à payer aux époux Decaudain la somme de 2 000 euro chacun au titre de leur préjudice extra-patrimonial,
- condamné la société Schaffer Machinenfabrik GMBH à garantir Hubert Lequette et la Crama du Nord Est de toutes les condamnations prononcées contre eux motif pris de l'autorité de chose jugée attachée au jugement du 11 juillet 2007 qui a déclaré la société Schaffer Machinenfabrik GMBH entièrement responsable,
- ordonné l'exécution provisoire,
- rejeté le surplus des demandes des parties,
- condamné la société Schaffer Machinenfabrik GMBH à payer aux époux Decaudain la somme de 1 500 euro au titre de l' article 700 du Code de procédure civile ,
- déclaré la présente décision commune à la caisse primaire d'assurance maladie d'Arras,
- condamné la société Schaffer Machinenfabrik GMBH au paiement des frais et dépens y compris les frais d'expertise.
Le 3 décembre 2009, la société Schaffer Machinenfabrik GMBH a interjeté appel de la décision à l'encontre de Hubert Lequette et de la Crama du Nord Est. L'affaire est enregistrée sous le numéro 8 597/09.
CONCLUSIONS DES PARTIES AU TITRE DE L'APPEL DU JUGEMENT DU 11 JUILLET 2007:
Dans ses dernières conclusions du 11 octobre 2010, la société Schaffer Machinenfabrik GMBH demande:
- à titre principal, sous réserve de l'appel du jugement du 15 octobre 2009, d'infirmer le jugement du 11 juillet 2007 en toutes ses dispositions en ce qu'il l'a notamment déclarée entièrement responsable de l'accident subi par Océane Decaudain. Elle demande à la cour de dire et juger qu'elle n'est pas responsable de l'accident du 4 mai 2002 et de débouter Hubert Lequette et la Crama du Nord Est de leurs demandes, fins et conclusions.
Elle soutient que c'est à tort que le tribunal a retenu que sa responsabilité était engagée sur le fondement des articles 1386-1 et suivants du Code civil , dès lors que le produit livré offrait la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre dans la mesure où l'opérateur suit les consignes de sécurité, et que le produit n'était pas défectueux. Elle conteste les conclusions de l'expertise judiciaire, soutenant pour sa part que le valet de ferme n'est devenu dangereux que du fait des erreurs d'utilisation de Monsieur Lequette, se prévalant des conclusions de Messieurs Bölling et Schulz qu'elle verse aux débats. Elle ajoute que les manquements de Hubert Lequette aux consignes de sécurité sont nombreux et seuls à l'origine de l'accident.
- à titre subsidiaire, l'organisation d'une expertise, arguant de la divergence entre les conclusions de l'expert judiciaire et celles de Messieurs Bölling et Schulz.
En tout état de cause, la société Schaffer Machinenfabrik GMBH demande la condamnation de Hubert Lequette et de la Crama du Nord Est à lui payer la somme de 2 000 euro au titre de l' article 700 du Code de procédure civile .
Dans leurs dernières écritures en date du 24 juin 2010, Hubert Lequette et la Crama du Nord Est demandent à la cour:
- à titre principal de:
* les recevoir en leur appel incident,
* dire et juger que la société Schaffer Machinenfabrik GMBH est entièrement responsable de l'accident subi par Océane Decaudain sur le fondement des articles 1386-1 à 1386-18 du Code civil ,
* dire et juger que la responsabilité de la SARL Ema est engagée tant sur le fondement des dispositions des articles 1386-1 à 1386-18 du Code civil que sur le fondement des dispositions des articles 1134 et suivants du Code civil et 1147 et suivants du Code civil,
* par suite, dire et juger que les sociétés Schaffer Machinenfabrik GMBH et Ema doivent indemniser Océane Decaudain, les époux Decaudain et la CPAM du Var,
* condamner la compagnie d'assurances Gan à garantir la SARL Ema de toutes condamnations intervenant à l'encontre de cette dernière,
* par suite condamner in solidum la société Schaffer Machinenfabrik GMBH, la SARL Ema et la compagnie d'assurances Gan à rembourser à la Crama du Nord Est ( subrogée dans les droits et actions d'Océane Decaudain, de ses parents et de la CPAM et en tant que de besoin subrogée dans les droits de Monsieur Lequette ) l'intégralité des sommes acquittées et qui seront acquittées par la Crama du Nord Est en vue d'indemniser le préjudice subi par Océane Decaudain, ses parents, la CPAM et la mutuelle Avilog Gestion Prévoyance,
* en l'état, condamner in solidum la SARL Ema, la compagnie d'assurances Gan et la société Schaffer Machinenfabrik GMBH à payer à Hubert Lequette et à la Crama du Nord Est subrogée dans ses droits les sommes de 62 630 euro au titre du préjudice extra-patrimonial d'Océane Decaudain, celle de 2 274 euro au titre du préjudice patrimonial subi par les époux Decaudain et celle de 2000 euro au titre du préjudice extra-patrimonial subi par les époux Decaudain,
* condamner in solidum la SARL Ema, la compagnie d'assurances Gan et la société Schaffer Machinenfabrik GMBH au paiement de 5 000 euro à titre de dommages-intérêts,
* débouter la société Schaffer Machinenfabrik GMBH de sa demande de contre-expertise judiciaire,
* confirmer le jugement du 11 juillet 2007 en ce qu'il leur a alloué la somme de 3 000 euro au titre de l' article 700 du Code de procédure civile ,
* y ajoutant, condamner in solidum la société Schaffer Machinenfabrik GMBH, la SARL Ema et la compagnie d'assurances Gan au paiement d'une somme de 4 000 euro au titre de l' article 700 du Code de procédure civile .
A l'appui de leurs demandes, Hubert Lequette et son assureur se prévalent des conclusions du rapport d'expertise desquelles il ressort selon eux que le matériel vendu était particulièrement dangereux puisque le godet pouvait se décrocher facilement et que l'utilisateur moyen ne pouvait pas se rendre compte si le godet était ou non correctement accroché à la chargeuse. Ils s'opposent compte-tenu du caractère explicite de l'expertise à la demande de contre-expertise présentée par l'appelante. Ils contestent toute faute d'imprudence d'Hubert Lequette.
Ils ajoutent qu'il est possible de cumuler des demandes présentées à l'encontre des intimés fondées sur les articles 1386-1 et suivants du Code civil et sur les dispositions relatives à la responsabilité contractuelle de droit commun.
Au soutien de sa demande de dommages-intérêts, Hubert Lequette expose que l'accident lui a causé un préjudice incontestable.
- à titre subsidiaire de:
vu les articles 1386-1 à 1386-18 du Code civil et les articles 1641 et suivants du Code civil ,
* les recevoir en leur appel incident,
* dire et juger que les sociétés Schaffer Machinenfabrik GMBH et Ema ont fourni à Hubert Lequette un matériel atteint d'un vice caché le rendant dangereux à son usage,
* dire et juger que les sociétés Schaffer Machinenfabrik GMBH et Ema sont entièrement responsables de l'accident subi par Océane Decaudain,
reprenant pour le surplus des demandes identiques à celles formées à titre principal.
Dans les motifs des conclusions d' Hubert Lequette et de son assureur qui ont déposé des conclusions identiques dans les deux procédures d'appel, ces derniers demandent toutefois précisément s'agissant de l'appel du jugement du 11 juillet 2007:
- de confirmer le jugement en ce qu'il a consacré la responsabilité de la société Schaffer Machinenfabrik GMBH et en ce qu'il l'a condamnée à les garantir de toute condamnation intervenant à leur encontre,
- de l'infirmer en ce qui concerne la mise hors de cause de la SARL Ema et le rejet de la demande de dommages-intérêts d'Hubert Lequette,
- de le confirmer enfin au titre de l'indemnité procédurale qui leur a été allouée.
Dans leurs dernières écritures en date du 16 septembre 2010, la SARL Ema et la SA Gan Assurances Iard demandent à la cour de confirmer le jugement du 11 juillet 2007 et de débouter la société Schaffer Machinenfabrik GMBH de son appel. Elles se prévalent de l'application des dispositions de l' article 1386-7 du Code civil .
Subsidiairement, elles demandent à la cour de ' dire et juger que Hubert Lequette est à l'origine de l'accident, exonérant en conséquence la société Ema '.
Les intimées réclament enfin la condamnation de la société Schaffer Machinenfabrik GMBH à leur payer la somme de 2 000 euro pour appel abusif et celle de 2 500 euro au titre de l' article 700 du Code de procédure civile .
CONCLUSIONS DES PARTIES AU TITRE DE L'APPEL DU JUGEMENT DU 15 OCTOBRE 2009:
Les dernières conclusions en date du 29 juillet 2010 de la société Schaffer Machinenfabrik GMBH sont identiques à celles développées dans le cadre du précédent appel, tant à titre principal qu'à titre subsidiaire.
Il a déjà été indiqué qu'Hubert Lequette et son assureur avaient déposé des conclusions identiques dans les deux instances.
Toutefois dans les motifs de leurs conclusions, ces derniers demandent précisément s'agissant de l'appel du jugement du 15 octobre 2009:
- la confirmation du jugement en ce qu'il a condamné la société Schaffer Machinenfabrik GMBH à garantir la Crama du Nord Est de toutes condamnations intervenant à son encontre,
- faisant droit à leur appel incident, de condamner la SARL Ema et la compagnie d'assurances Gan à garantir la Crama du Nord Est des condamnations prononcées à son égard.
MOTIFS
Il existe entre les deux litiges un lien tel qu'il est de l'intérêt d'une bonne administration de la justice de les faire juger ensemble. Il y a donc lieu d'ordonner la jonction des affaires enregistrées sous les numéros 3 017-09 et 8 597-09 sous le seul numéro 3 017-09.
Aux termes de l'article 1386-4 du Code civil , un produit est défectueux lorsqu'il n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre. Dans l'appréciation de la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre, il doit être tenu compte de toutes les circonstances et notamment de la présentation du produit, de l'usage qui peut en être raisonnablement attendu et du moment de sa mise en circulation.
La société Schaffer Machinenfabrik GMBH d'une part, Hubert Lequette et son assureur d'autre part, s'opposent sur le caractère défectueux du valet de ferme.
Le valet de ferme est par nature destiné à recevoir plusieurs équipements différents, en vue des travaux à réaliser. A cette fin, un procédé permet d'adapter les différents équipements sur l'embout de bras. C'est donc à l'étude de cet assemblage que s'est livré Jean Scherpereel dans le cadre de son expertise judiciaire puisque c'est à l'occasion du décrochage d'un godet qu'Océane Decaudain a été blessée aux jambes.
L'assemblage est ainsi décrit par l'expert: " je retrouve donc la partie tablier, solidaire de l'extrémité du bras de chargeuse, comprenant notamment en partie supérieure un profilé destiné à recevoir la partie supérieure du godet, en partie basse un logement permettant de solidariser l'axe de verrouillage, qui relie les deux alésages du tablier à celui du godet. Pour faciliter la manœuvre, l'axe est solidaire d'un levier articulé, et le verrouillage est maintenu en position normale ( c'est-à-dire verrouillé ) par un ressort qui bloque cet ensemble en position ". Il ajoute que lors de la manœuvre de décrochage, il convient de pousser le levier latéralement puis de le bloquer dans l'encoche prévue à cet effet et que lors de la manœuvre d'accrochage, il convient de faire glisser le godet sous la rainure supérieure, de lever alors légèrement le bras de la chargeuse pour que par effet de son propre poids, l'équipement vienne prendre sa place en partie basse. C'est alors manuellement que le dégagement du levier de manœuvre de l'axe permet à cet axe de se déplacer latéralement, et de traverser l'alésage du godet, rendant ce dernier solidaire du tablier.
Or Monsieur Scherpereel a expérimenté lors de l'expertise que pour venir enclencher le godet dans la rainure supérieure du tablier, il convenait de positionner ce tablier selon un angle permettant au renfort gauche du godet de venir heurter la boule ou le levier terminant le levier de manœuvre de l'axe. Il relevait alors qu'une simple pression sur ce levier, dans le sens longitudinal, faisait dégager ce levier de son logement, et sous l'effet du ressort, l'axe sortait et prenait sa place alors que l'alésage du godet n'était pas encore à sa place en partie basse et que de ce fait, l'oreille du godet venait se positionner en appui sur l'axe et non pas dans l'axe.
L'expert judiciaire a relevé que bien que l'emboîtement ne soit que partiel au niveau de la traverse supérieure du tablier sous le godet, au ras de la zone inclinée justement destinée à favoriser l'emboîtement de l'un dans l'autre, le godet était devenu manoeuvrable. Il a souligné l'absence de verrouillage positif (qui ne peut s'enclencher que si la position requise est la bonne) lequel assure le blocage du godet sur l'engin.
Les conclusions d'expertise fournies par la société Schaffer Machinenfabrik GMBH émanant de Monsieur Bölling sur ce point sont identiques: " l'accident a montré que le godet peut être soulevé sans être correctement encliqueté sur le système d'accrochage ".
Or, il n'y avait aucune précision à ce sujet dans le mode d'emploi du valet de ferme. Monsieur Bölling vient d'ailleurs préciser que dans le mode d'emploi de l'appareil concerné, le passage suivant : ' Attention! Après chaque processus d'assemblage, veuillez vérifier que la barre de verrouillage est correctement ajustée sur l'outil de travail ', n'était pas imprimé et ne sera incorporé que plus tard à la notice. Il ne saurait dans ces conditions être reproché à Hubert Lequette comme le fait la société Schaffer Machinenfabrik GMBH d'avoir mal accroché le godet.
En conséquence dès lors que la notice d'utilisation du valet de ferme n'enjoignait pas à l'utilisateur de vérifier l'ajustement de la barre de verrouillage alors que le godet pouvait fonctionner dans l'hypothèse d'un emboîtement partiel, le valet de ferme constituait donc un produit défectueux au sens de l'article 1386-4 du Code civil .
C'est bien le défaut affectant le valet de ferme qui est à l'origine du décrochage du godet lequel a entraîné les blessures d'Océane Decaudain. La responsabilité de la société Schaffer Machinenfabrik GMBH est donc engagée en sa qualité de producteur.
Toutefois ce défaut n'est pas seul à l'origine de cet accident. C'est à juste titre en effet que la société Schaffer Machinenfabrik GMBH soutient qu'Hubert Lequette a commis des fautes dès lors qu'il n'a pas respecté certaines des consignes de la notice d'utilisation. Alors qu'il était interdit de se trouver dans la zone de travail de la chargeuse, la jeune Océane Decaudain et son fils prendront place dans le godet. Par ailleurs alors que l'utilisateur doit, avant de quitter le siège du conducteur, descendre le système oscillant de chargement jusqu'à sa position la plus basse, Hubert Lequette laissera le godet à environ un mètre du sol.
En conséquence dès lors que les blessures subies par Océane Decaudain ont été causées concurremment par le défaut du valet de ferme et par les fautes d'Hubert Lequette, la responsabilité de la société Schaffer Machinenfabrik GMBH doit être réduite. Au regard des fautes commises par l'utilisateur, la responsabilité de la société doit être fixée à 90%.
Hubert Lequette et son assureur doivent être déboutés de leurs demandes en ce qu'elles sont dirigées à l'encontre de la SARL Ema sur le fondement des dispositions des articles 1386-1 et suivants du Code civil dès lors que la responsabilité du vendeur n'est que subsidiaire en application de l' article 1386-7 du Code civil , dans sa rédaction applicable à la date des faits.
Hubert Lequette et son assureur reprochent ensuite à la SARL Ema de ne pas avoir opéré livraison d'un matériel offrant toutes garanties de sécurité. Or ces derniers ne sont pas fondés à agir à l'encontre de cette dernière sur le terrain de l'obligation de sécurité du vendeur puisqu'elle repose sur le même fondement que le régime mis en place par la directive de 1985 sur la responsabilité du fait des produits défectueux.
Hubert Lequette et son assureur reprochent encore au vendeur de ne pas avoir satisfait à son obligation de conseil et d'information.
Il est constant que la SARL Ema, vendeur professionnel, n'a pas donné à Hubert Lequette, lors de la vente du valet de ferme, toutes les indications nécessaires à son utilisation. Elle ne lui a en effet donné aucune information sur les vérifications à effectuer après chaque processus d'assemblage, consistant à s'assurer que la barre de verrouillage était correctement ajustée sur l'outil de travail.
La SARL Ema a donc commis une faute qui a entraîné pour Hubert Lequette la perte d'une chance très importante d'éviter le décrochage du godet, qui doit être évaluée à 90%. L'opération de vérification était en effet simple à réaliser, celle-ci aurait permis à Hubert Lequette de rectifier l'accrochage du godet et d'éviter ainsi l'accident en dépit de la présence des deux enfants dans le godet.
Au vu de ces éléments, il convient donc de condamner in solidum la société Schaffer Machinenfabrik GMBH, la SARL Ema et la société Gan Assurances Iard à garantir Hubert Lequette et la Crama du Nord Est à hauteur de 90% des sommes qu'ils ont été condamnés à régler à Monsieur Decaudain es qualités de représentant légal de sa fille et aux époux Decaudain à titre personnel.
Hubert Lequette et son assureur demandent ensuite à la cour d'infirmer la décision du 11 juillet 2007 en ce qu'elle a rejeté la demande d'Hubert Lequette visant à obtenir la condamnation de la société Schaffer Machinenfabrik GMBH, la SARL Ema et son assureur à lui payer la somme de 5 000 euro à titre de dommages-intérêts. Or c'est à juste titre que le tribunal a écarté cette demande, Hubert Lequette n'établissant pas que son image et son crédit auraient été altérés par cet accident.
Au vu de ces éléments, il convient:
- d'infirmer le jugement du 11 juillet 2007 sauf en ce qu'il a débouté Hubert Lequette de sa demande de dommages-intérêts, a condamné la société Schaffer Machinenfabrik GMBH à payer la somme de 3000 euro au titre de l' article 700 du Code de procédure civile à Hubert Lequette et à son assureur, a débouté la société Schaffer Machinenfabrik GMBH et la SARL Ema de leur demande d'indemnité procédurale,
- d'infirmer le jugement du 15 octobre 2009. Le tribunal avait en effet considéré à tort que le jugement du 11 juillet 2007 était assorti de l'autorité de la chose jugée pour condamner la société Schaffer Machinenfabrik GMBH à garantir Hubert Lequette et son assureur des condamnations prononcées contre eux.
La SARL Ema et la SA Gan Assurances Iard doivent être déboutées de leur demande de dommages-intérêts dès lors que la société Schaffer Machinenfabrik GMBH n'a pas abusé de son droit d'exercer une voie de recours.
Parties succombantes, la société Schaffer Machinenfabrik GMBH , la SARL Ema et la SA Gan Assurances Iard doivent être condamnées in solidum aux dépens - en ce compris les frais de référé et d'expertise judiciaire - à l'exception de ceux relatifs au jugement du 15 octobre 2009 qui resteront à la charge de la société Schaffer Machinenfabrik GMBH, et déboutées de leur demande d 'indemnité procédurale.
La somme qu'il convient de mettre à la charge de la société Schaffer Machinenfabrik GMBH, de la SARL Ema et de son assureur au titre des frais irrépétibles d'appel d'Hubert Lequette et de la Crama du Nord Est peut être équitablement fixée à la somme de 3 000 euro.
Par ces motifs - LA COUR, - Ordonne la jonction des affaires enrôlées sous les numéros 3017/09 et 8597/09 sous le seul numéro 3017/09. - Infirme le jugement du 11 juillet 2007 sauf en ce qu'il a débouté Hubert Lequette de sa demande de dommages-intérêts, a condamné la société Schaffer Machinenfabrik GMBH à payer la somme de 3000 euro au titre de l' article 700 du Code de procédure civile à Hubert Lequette et à son assureur, a débouté la société Schaffer Machinenfabrik GMBH et la SARL Ema de leur demande d'indemnité procédurale. - Infirme le jugement du 15 octobre 2009. - Statuant à nouveau, - Déclare la société Schaffer Machinenfabrik GMBH responsable des conséquences de l'accident dont Océane Decaudain a été victime le 4 mai 2002 à hauteur de 90%. - Dit que le manquement de la SARL Ema à son obligation de conseil a entraîné pour Hubert Lequette une perte de chance d'éviter l'accident de 90%. - Condamne in solidum la société Schaffer Machinenfabrik GMBH, la SARL Ema et la SA Gan Assurances Iard à garantir Hubert Lequette et la Crama du Nord Est à hauteur de 90% : - de la somme de 62 630 euro qu'ils sont condamnés à régler à Monsieur Decaudain en qualité de représentant légal de sa fille, - de la somme de 2 274 euro qu'ils sont condamnés à régler aux époux Decaudain, - de la somme de 2 000 euro qu'ils ont été condamnés à régler à chacun des époux Decaudain. - Y ajoutant, - Déboute la SARL Ema et la SA Gan Assurances Iard de leur demande de dommages-intérêts pour appel abusif.