CA Douai, 6e ch. corr., 20 janvier 2011, n° 10-02605
DOUAI
Arrêt
Infirmation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Monier
Conseillers :
MM Brunel, Duchemin
Avocat :
Me Cochet
Vu toutes les pièces du dossier,
La cour, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu publiquement l'arrêt suivant assistée du greffier, en présence du ministère public :
Marc X a été cité devant le Tribunal correctionnel de Lille pour y répondre de la prévention :
* d'avoir à Lille, entre le 5 décembre 2006 et le 29 mai 2007, par quelque moyen que ce soit, trompé ou tenter de tromper les consommateurs, sur les qualités substantielles des viandes reconditionnées et distribuées au sein des restaurants du "groupe Marc X",
- en réalisant sur les viandes proposées à la vente, une activité de manipulation, transformation et reconditionnement de ces viandes en l'absence de tout agrément sanitaire officiel délivré par la direction des services vétérinaires,
- en utilisant un étiquetage non conforme, par estampille sanitaire ne correspondant pas à l'activité,
Faits prévus et réprimés par les articles L. 213-1, L. 213-2, L. 213-6, L. 216-1, L. 216-2, L. 216-3 du Code de la consommation, 131-38. 131-39 du Code pénal,
* d'avoir à Lille, les 5 décembre 2006 et le 18 janvier 2007, en l'espèce en détenant en vue de sa commercialisation 103 sachets avec un étiquetage non conforme en terme de qualité nette et de marquage officiel,
Faits prévus et réprimés par les articles L. 214-2, R. 112-6 et R. 112-7 du Code de la consommation,
* d'avoir à Lille, entre le 5 décembre 2006 et le 18 janvier 2007, exploité un établissement de traitement de denrées animales ou d'origine animale sans déclaration préalable,
Faits prévus et réprimés par les articles R. 231-20 et R. 237-2 7° du Code rural,
* et d'avoir à Lille, entre le 18 décembre 2006 et le 18 janvier2007, détenu 59 lots de viande bovine en vue de leur commercialisation sans tenir de registre des quantités de produits identifiés entrées et sorties de l'établissement, conformément à l'article 2 du décret n° 99-260 du 2 avril 1999,
Faits prévus et représentés par l'article 2 du décret n° 99-260 du 2 avril 1999 et l'article L. 214-2 du Code de la consommation.
Par jugement contradictoire en date du 24 septembre 2009, le tribunal correctionnel a rejeté l'exception soulevée, déclaré Marc X coupable des infractions reprochées et l'a condamné à 2 000 euro d'amende délictuelle et s'agissant des contraventions, à 103 amendes à 50 euro, à 500 euro d'amende et à 75 euro d'amende.
Le prévenu a interjeté appel le 5 octobre 2009 de ce jugement. Le ministère public en a fait de même le même jour.
À l'audience de la cour, le prévenu a comparu assisté de Maître Lefebvre et de Maître Cochet, avocat, lequel a déposé des écritures.
Le ministère public a pris ses réquisitions.
Les avocats du prévenu ont présenté sa défense, indiquant qu'ils renonçaient à l'exception soulevée dans leurs écritures.
SUR CE
Les faits
Le 21 septembre 2001, le parquet de Lille était rendu destinataire d'un PV d'infractions n° CX12 dressé le 18 juin 2007 par la Direction régionale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes du Nord Pas de Calais à l'encontre de Marc X, président de la société Y [xxx] à Lille pour :
- tromperie et tentative de tromperie sur les qualités substantielles des viandes, sur les contrôles effectués, relatifs aux denrées animales, manipulées dans l'atelier et sur les contrôles effectués quant à leur commercialisation en l'absence d'agrément sanitaire : infraction à l'article L. 213-1 du Code de la consommation,
- défauts d'étiquetage et de traçabilité de la viande bovine commercialisée : 103 infractions à l'article R. 112-6 du Code de la consommation pour non respect des dispositions en matière d'étiquetage des viandes bovines, notamment leur poids et leur traçabilité,
- absence de registres de comptabilité matière de la' viande bovine : 59 infractions à l'article 2 du décret n° 99-206 du 2 avril 1999 relatif à l'étiquetage et à la traçabilité des viandes bovines.
Ces services avaient procédé à partir de constatations effectuées entre le 18 janvier et le 29 mai 2007 à une enquête relative à l'établissement Y, lequel achète des sachets sous vide de viande, notamment bovine, pour les déconditionner, les travailler (tranchage, piéçage, parage) avant de les reconditionner sous vide, à destination des restaurants clients tels la brasserie de la Paix, la brasserie Le Flore ou encore La Chicorée, ces deux derniers établissements ayant par ailleurs fait l'objet de contrôles le 5 décembre 2006 par les mêmes services.
Sur l'action publique,
Il convient tout d'abord pour la cour de relever que les motifs du jugement entrepris ne se rapportent en rien aux faits dont le tribunal correctionnel était saisi en sorte que le jugement ne peut être que réformé dans son ensemble, la cour y substituant ses propres motifs.
Sur le délit de tromperie des consommateurs sur les qualités substantielles des viandes distribuées par les restaurants du groupe Marc X.
Il résulte de l'enquête du service des fraudes que M. X regroupe, depuis plusieurs années, le travail des viandes destinées à ses restaurants au sein de la société Y. Selon le service de la répression des fraudes, il ne respecte pas les exigences réglementaires en matière de sécurité alimentaire et de déclaration d'activité. En effet, ces services ont constaté que Y livre notamment de la viande aux restaurants tels Le Flore ou La Chicorée sans qu'aucun enregistrement spécifique pour la traçabilité n'ait été mis en place et par ailleurs que Y exerce sans qu'aucune demande d'agrément n'ait été déposée ni aucune déclaration d'activité faite auprès des services vétérinaires.
Il résulte de la même enquête, notamment par regroupement des contrôles effectués au sein des restaurants La Chicorée et Le Flore et du contrôle de Y que cette dernière n'utilise comme étiquetage pour ses viandes reconditionnées, que celui d'origine apparaissant sur les produits livrés par ses fournisseurs. Ainsi malgré les transformations des produits et leurs manipulations par Y (il a été relevé à plusieurs reprises que le poids réel des sachets de viande livrés à tel ou tel des restaurants susmentionnés et le poids étiqueté diffèrent très sensiblement) les seuls agréments sanitaires qui figurent sont ceux du lieu d'abattage et de découpe en amont, alors même que le restaurant en question l'affiche ensuite dans sa salle, pour justifier de l'origine de la viande bovine qui se trouve dès lors faussée.
Le prévenu soutient qu'il doit être relaxé de ce chef de prévention, le service des fraudes n'établissant pas en quoi la qualité substantielle des denrées alimentaires a pu être affectée par les transformations et manipulations effectuées.
La Cour rappelle que l'article L. 213-1 du Code de la consommation énonce que "Sera puni d'un emprisonnement de deux ans au plus et d'une amende de 37 500 euro au plus ou de l'une de ces deux peines seulement quiconque, qu'il soit ou non partie au contrat, aura trompé ou tenté de tromper le contractant, par quelque moyen ou procédé que ce soit, même par l'intermédiaire d'un tiers :
1° Soit sur la nature, l'espèce, l'origine, les qualités substantielles, la composition ou la teneur en principes utiles de toutes marchandises ;
2° Soit sur la quantité des choses livrées ou sur leur identité par la livraison d'une marchandise autre que la chose déterminée qui a fait l'objet du contrat ;
3° Soit sur l'aptitude à l'emploi, les risques inhérents à l'utilisation du produit, les contrôles effectués, les modes d'emploi ouïes précautions à prendre."
La cour retient, dans le cas d'espèce, que le prévenu transforme de la viande bovine, pour la reconditionner, dans des conditions non conformes puisque cette activité est dépourvue de déclaration et de validation en l'absence d'obtention d'un agrément sanitaire qui est un élément d'information obligatoire. En procédant ainsi, le prévenu a commercialisé des denrées animales qui n'ont pu être reconnues propres à la consommation, faute de contrôles officiels et d'enregistrement de son activité de transformation auprès des autorités compétentes.
Cette situation, contrairement à ce que soutient le prévenu, est nécessairement constitutive d'une tromperie sur les contrôles effectués quant â la commercialisation des viandes puisque l'article L. 213-1 du Code de la consommation les prévoit expressément dans son alinéa 3 et que dans le cas d'espèce les contrôles initiaux se trouvent indirectement faussés par les modifications apportées ultérieurement à la viande de manière ni régulière et ni déclarée.
En outre s'agissant de viande de boucherie préemballée, les qualités substantielles de celles-ci sont modifiées et altérées par le fait que leurs dates de conditionnement et leurs dates limite de consommation se trouvent modifiées par le fait même d'être déconditionnée, travaillée et reconditionnée. En effet la date limite de consommation déterminée à l'origine par le conditionneur n'est plus viable, et ceci quand bien même les services du prévenu agrafent l'étiquetage d'origine sur les paquets qu'ils reconditionnent. En particulier, les viandes ainsi travaillées sont rendues plus fragiles, ce phénomène échappant à tout contrôle et à toute information pour le consommateur.
Il y a lieu de relever enfin s'agissant des pièces de viande bovine répertoriées le 18 janvier 2007 que celles-ci présentaient un total de poids étiquetés de 278,915 kg et un poids réel de 317,91 kilogrammes et que s'agissant de coeur de Rumsteck, d'onglet, de bavette d'aloyaux ou de basse côte, une telle différence de poids constitue nécessairement une tromperie quant aux qualités substantielles de cette viande.
Il y a lieu par suite de déclarer l'infraction de tromperie constituée.
Sur les contraventions de défaut d'étiquetage de la viande bovine commercialisée.
Les contrôles effectuées par les services de la répression des fraudes le 5 décembre 2006 dans les restaurants La Chicorée et Le Flore ont fait apparaître que ceux-ci détenaient vingt, trois sachets de viande, en prévenance de Y présentant tous un poids réel très nettement différent du poids affiché sur l'étiquetage. Le contrôle du 18 janvier 2007 dans les locaux de Y a fait apparaître également que 80 sachets de viande sous vide étaient détenus, pour être commercialisés, lesquels présentaient un poids réel différent de celui mentionné sur leur étiquetage. En outre aucun sachet ne présentait d'estampille sanitaire permettant d'identifier Y.
Le prévenu fait plaider qu'il doit être relaxé de ces infractions au motif que le manquement aux règles de l'article 112-9 du Code de la consommation n'est constitué que s'il existe une carence au niveau de l'étiquetage et que si cette carence n'est pas supplée par les documents commerciaux.
La cour retient que contrairement à ce que soutient le prévenu, l'article R. 112-9 du Code de la consommation exige que l'étiquetage des denrées alimentaires préemballées contienne la quantité nette contenue, ce qui n'est pas le cas dans chacun des sachets vérifiés et par ailleurs que les documents commerciaux ne permettaient pas, en eux mêmes, d'y suppléer. D'où il suit que les contraventions poursuivies sont établies,
Sur l'exploitation d'un établissement de traitement de denrées animales ou d'origine animale sans déclaration préalable.
Il résulte des constations effectuées par les services de la répression des fraudes que M. X, s'agissant de la société Y n'avait pas déclaré cette activité en contravention avec les dispositions de l'article R. 237-2 7° du Code rural.
Le prévenu a admis ce fait mais sollicite sa relaxe en invoquant l'erreur de droit, ayant ignoré que cette activité, crée en 2001 était soumise notamment aux dispositions des arrêtés du 17 mars 1992, du 28 juin 1994 et du 3 avril 1996. Le fait que l'enquête ait été réalisée dans son intégralité par des services spécialisés est selon lui révélateur de la complexité de la matière, preuve de sa bonne foi et de son absence de volonté de se soustraire à ses obligations.
La cour relève qu'en sa qualité de professionnel très expérimenté, le prévenu ne pouvait ignorer durablement la réglementation nationale en la matière (arrêtés du 17 mars 1992, du 28 juin 1994 et du 3 avril 1996), étant observé que la réglementation européenne, certes plus récente, n'a fait que pérenniser la procédure de déclaration d'activité et de validation par les autorités compétentes en vue de la délivrance d'une estampille sanitaire.
Il résulte en outre d'un courrier du 29 juillet 2008 du directeur départemental des services vétérinaires au procureur de la République de Lille qu'à cette date, s'agissant de l'établissement SAS Y, le prévenu n'avait toujours pas cherché à ce que l'activité de cette structure soit déclarée et ainsi régularisée.
La cour considère par suite que l'infraction reprochée est établie.
Sur le défaut de tenue de registre de comptabilité matière de la viande bovine commercialisée,
L'enquête à laquelle le service de la répression des fraudes a procédé dans l'établissement Y a fait apparaître qu'il ne tenait aucun registre des entrées et sorties des lots, de viande bovine commercialisés (59 lots de viande bovine ayant été réceptionnés puis commercialisés par Y pendant le temps de la prévention).
Le prévenu objecte que le décret du 2 avril 1999 ne concerne que les bovins abattus en France et fait valoir par ailleurs qu'il était de bonne foi, les factures retrouvées par les services enquêteurs permettant d'assurer la traçabilité des produits.
La cour relève que l'article 2 du décret du 2 avril 1999 est de portée générale et que M. X a manqué à ses obligations en s'abstenant de mettre en place l'enregistrement des lots de viande bovine au niveau des registres de traçabilité et de comptabilité matière tel qu'exigés par la réglementation.
En outre, contrairement à ce que soutient le prévenu, l'existence des factures de vente de viande bovine par Y, en l'absence de registres de comptabilité des entrées, ne permet pas de faire le lien avec les lots d'origine, d'autant que la provenance de la viande est très variée et par ailleurs que les quantités mentionnées ne se réfèrent qu'à la dénomination culinaire du produit destiné aux restaurants concernés.
Par suite, la cour considère que les infractions poursuivies sont établies.
Compte tenu des circonstances de fait, la cour considère qu'il n'est pas opportun d'ajourner le prononcé des peines concernant M. X et inflige à celui-ci 2 000 euro d'amende pour le délit, 103 amendes à 10 euro pour la contravention d'étiquetage non conforme, une amende de 250 euro pour la contravention d'exploitation d'établissement de traitement de denrées animales sans déclaration préalable et 75 euro d'amende pour l'absence de tenue de registre.
Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement, Déclare les appels recevables, Donne acte à M. X de ce qu'il a renoncé à l'exception soulevée, Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions et statuant à nouveau, Déclare Marc X coupable des infractions reprochées, Le condamne à 2 000 euro d'amende pour le délit de tromperie sur les qualités substantielles des denrées animales, Le condamne à 103 amendes de 10 euro chacune pour les contraventions de défaut d'étiquetage et de traçabilité de la viande bovine commercialisée, Le condamne à 250 euro d'amende pour la contravention de non déclaration d'un établissement de traitement de denrées animales, Le condamne à 75 euro d'amende pour la contravention de défaut de tenue de registre de comptabilité matière de la viande bovine commercialisée.