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Décisions

CA Agen, 1re ch. civ., 1 février 2011, n° 10-00152

AGEN

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Fagor Brandt (SA), Fagor Électroménager (SA)

Défendeur :

Lescaut épouse Saydraouten, Geant Casino Discount (SAS), Caisse Primaire d'Assurance Maladie de Lot-et-Garonne

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme O'yl

Conseillers :

MM. Certner, Sarrau

Avocats :

Me Burg, SCP Tandonnet, SCP Narran, SCP Patureau, Rigault

TGI Marmande, du 23 oct. 2009

23 octobre 2009

Madame Françoise Lescaut épouse Saydraouten a fait l'acquisition, le 25 août 2007, d'un autocuiseur Fagor Brandt au magasin hypermaché Géant Casino Discount.

Le 9 décembre 2007, Madame Lescaut a été blessée par un jet de vapeur provenant de l'autocuiseur.

Par une ordonnance en date du 21 février 2008, le juge des référés du Tribunal de grande instance de Marmande a déclaré recevable l'intervention volontaire en la cause de la SA Fagor Brandt aux lieu et place de la SA Fagor Électroménager, a ordonné une expertise technique de l'autocuiseur et a désigné Monsieur Jean Guillot en qualité d'expert.

Monsieur Guillot a déposé son rapport le 16 février 2009.

Par actes d'huissier en date des 1er, 2 et 3 avril 2009, Madame Lescaut a fait assigner la société Géant Casino Discount, la S.A. Fagor Électroménager et la S.A. Fagor Brandt devant le Tribunal de grande instance de Marmande.

Madame Lescaut a fait assigner la Caisse Primaire d'Assurance Maladie de Lot-et-Garonne (CPAM) aux fins de déclaration de jugement commun par acte d'huissier du 2 juillet 2009.

Par jugement en date du 23 octobre 2009, le Tribunal de grande instance de Marmande a:

- débouté Madame Lescaut de ses demandes présentées à l'encontre de la Société Géant Casino Discount;

- déclaré la Société Fagor Brandt et la Société Fagor Électroménager solidairement responsables de l'accident d'autocuiseur dont Madame Lescaut a été victime le 9 décembre 2007 ;

- condamné solidairement la Société Fagor Brandt et la Société Fagor Électroménager à payer à Madame Lescaut une somme de 10 000 euro à titre de provision;

- ordonné une expertise médicale de la victime confiée au Docteur Barbes;

- déclaré le jugement opposable à la CPAM de Lot-et-Garonne et réservé ses demandes.

Dans son jugement, le Tribunal de grande instance de Marmande a rappelé qu'aux termes de l'article 1386-1 du Code civil , le producteur est responsable du dommage causé par un défaut de son produit, qu'il soit ou non lié par un contrat avec la victime. Il a relevé que le rapport d'expertise judiciaire permet de conclure d'une manière claire que l'autocuiseur fabriqué par la Société Fagor Brandt n'est pas conforme à la norme et que son ouverture sous pression est dangereuse. Il a retenu la responsabilité pleine et entière de la Société Fagor Brandt et de la Société Fagor Électroménager, pris en qualité de fabricant de l'autocuiseur.

Le Tribunal de Grande Instance de MARMANDE a rejeté l'action dirigée à l'encontre de la Société Géant Casino Discount, vendeur de l'autocuiseur, dans la mesure où le producteur de l'appareil est identifié.

La SA Fagor Brandt et la SA FAGOR ÉLECTROMÉNAGER ont interjeté appel de ce jugement par déclaration en date du 21 janvier 2010.

Par une ordonnance du 9 juin 2010, le conseiller de la mise en état a ordonné l'exécution provisoire du jugement déféré en ce qu'il ordonnait une expertise et commettait le Docteur BARBES pour y procéder.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 17 novembre 2010.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES :

Les Sociétés Fagor Brandt et Fagor Électroménager déclarent que l'appareil litigieux a été fabriqué en Espagne par la Société Fagor Electrodomesticos et que la Société Fagor Brandt est le revendeur de cet appareil auprès de la société Géant Casino Discount. Ils concluent à la mise hors de cause de la Société Fagor Électroménager qui n'a ni la qualité de fabricant, ni celle de revendeur de l'autocuiseur.

Elles rappellent les déclarations de Madame Lescaut devant l'expert et soutiennent qu'en faisant confiance à une fourchette pour maintenir ouverte la soupape de l'autocuiseur pendant qu'elle se rendait aux toilettes, et en dévissant sans méfiance le couvercle à son retour, Madame Lescaut n'a pas respecté les instructions d'utilisation de l'appareil. Elles prétendent qu'elle a commis une faute caractérisée en ne s'assurant pas que la pression à l'intérieur de l'appareil était tombée totalement. Elles affirment que le jet de vapeur a été provoqué par l'ouverture prématurée de l'appareil par l'utilisatrice alors que la pression n'avait pas été totalement évacuée et que l'accident est dû uniquement au défaut de précaution de Madame Lescaut. Elles font observer que la notice accompagnant l'autocuiseur attire expressément l'attention du consommateur sur la nécessité de ne jamais ouvrir l'autocuiseur de force et de s'assurer que la pression à l'intérieur était tombée totalement.

Elles exposent que l'appareil respecte en tous points les normes de sécurité et qu'il a fait l'objet d'une certification. Elles soutiennent que les conclusions du Laboratoire National d'Essais (LNE), précédent certificateur de la Société Fagor Electridomesticos, et du rapport d'expertise technique ne rapportent pas la preuve d'un défaut de sécurité ou d'une non-conformité aux normes d'un type d'appareil que le LNE avait lui-même certifié. Elles critiquent les conclusions de l'expert et demandent à la Cour de débouter Madame Lescaut de l'intégralité de ses prétentions et de la condamner à leur payer la somme de 5000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Madame Lescaut rappelle que l'expert conclut que l'autocuiseur doit être considéré comme dangereux, qu'il ne répond pas à la norme et que les sécurités ne sont pas respectées. Elle souligne que l'article 1386-7 du Code civil institue une responsabilité de plein droit du fabricant comme du vendeur et que le producteur ne peut être libéré de sa responsabilité que s'il rapporte la preuve que la faute de la victime a été pour lui imprévisible et irrésistible, ce que la Société Fagor Brandt ne démontre pas. Elle fait remarquer que l'expert conclut qu'elle a utilisé l'appareil conformément aux instructions.

Elle demande à la Cour de confirmer en toutes ses dispositions le jugement du Tribunal de grande instance de Marmande en date du 23 octobre 2009 et de condamner les Sociétés Fagor Brandt et Fagor Électroménager à lui verser la somme de 5.000 euro en application de l'article 700 du Code de Procédure civile.

La SAS Geant Casino Discount fait observer qu'aucune demande n'est présentée à son encontre. Elle conclut à la condamnation de Madame Lescaut ou de toute partie succombante au paiement de la somme de 2 000 euro au titre de l'article 700 du Code de Procédure civile.

La CPAM de Lot-et-Garonne demande à la Cour de:

- condamner qui de droit à lui rembourser d'une part la somme de 2 117,45 euro au titre des dépenses de santé actuelles et d'autre part la somme de 100,28 euro au titre des dépenses de santé futures;

- dire et juger qu'elle sera indemnisée par priorité sur les sommes qui seront allouées à la victime sur ces postes de préjudice ;

- lui donner acte de ce qu'elle réserve expressément ses droits pour le cas où de nouveaux frais seraient réglés à la victime ;

- condamner le ou les auteurs responsables à lui verser la somme de 739,24 euro au titre de l'indemnité forfaitaire prévue par l'ordonnance du 24 janvier 1996 ;

- les condamner au paiement de la somme de 1 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION:

- Sur la mise hors de cause de la Société Fagor Électroménager :

Les Sociétés Fagor Brandt et Fagor Electromenager exposent que l'autocuiseur litigieux a été fabriqué en Espagne par la Société Fagor Electrodomesticos et revendu par la Société Fagor Brandt à la Société Geant Casino Discount.

En l'état, Madame Lescaut ne rapporte pas la preuve que la Société Fagor Electromenager a la qualité de producteur, importateur ou vendeur de l'autocuiseur au sens des dispositions des articles 1386-1 et suivants du Code civil.

Il y a lieu de mettre hors de cause la Société Fagor Electromenager.

Le jugement déféré sera donc infirmé en ce qu'il a retenu la responsabilité de la Société Fagor Electromenager.

- Sur la responsabilité:

L'article 1386-9 du Code civil édicte que le demandeur doit prouver le dommage, le défaut et le lien de causalité entre le défaut et le dommage.

Il ressort du rapport d'essai réalisé par le laboratoire national de métrologie et d'essais à la demande de Monsieur Guillot que l'autocuiseur acheté par Madame Lescaut auprès de la Société Geant Casino Discount n'est pas conforme aux exigences vérifiées de la norme NF EN 12778 (avril 2003) et de son amendement A1 (novembre 2005). Le laboratoire national de métrologie et d'essais a relevé les non-conformités suivantes affectant l'appareil litigieux:

- 'l'absence de marquage de la pression maximale admissible sur l'appareil;

- la mesure de la pression de régulation de fonctionnement;

- l'absence de déclenchement de la soupape de sécurité;

- l'extrusion du joint ayant lieu avant le déclenchement de la soupape de sécurité,

- le dégagement de l'étrier de son logement lors du premier essai de sécurité à l'ouverture,

- la projection d'un jet de vapeur très important lors du second essai de sécurité.'

Il résulte du rapport d'expertise déposé par Monsieur Guillot (page 9) que lors de la réalisation de la série du second essai de type E concernant l'action sur le volant, le joint torique s'est extrudé 'laissant échapper un jet de vapeur d'environ 1 m de longueur sur 30 cm de large'. L'expert conclut que cet essai 'a un rapport direct avec l'accident' et que l'appareil litigieux n'est pas conforme à la norme qui, dans son article 4.3.3, stipule que la zone de fermeture doit être façonnée de manière que le jet de vapeur sortant d'une quelconque manière de l'autocuiseur ne puisse atteindre directement l'utilisateur ou les poignées.

En considération de ces éléments, force est de constater que Madame Lescaut, qui a été atteint directement par le jet de vapeur sortant de l'autocuiseur, rapporte la preuve du dommage, du défaut affectant l'appareil et du lien de causalité entre le défaut et le dommage au sens des dispositions de l'article 1386-9 du Code civil.

Contrairement aux affirmations de la Société Fagor Brandt, selon lesquelles Madame Lescaut n'aurait pas respecté les instructions d'utilisation de l'appareil et aurait commis une faute caractérisée, il ressort du rapport d'expertise (page 5) que les conditions d'utilisation de l'autocuiseur par Madame Lescaut sont conformes à la notice explicative.

Aucune faute n'étant établie à l'encontre de Madame Lescaut, c'est à bon droit que le premier juge a retenu la responsabilité pleine et entière de la Société Fagor Brandt et l'a condamnée à réparer l'entier préjudice.

Il y a lieu de constater que, devant la Cour, aucune demande n'est présentée à l'encontre de la Société Géant Casino Discount.

- Sur le préjudice :

Il ressort du certificat en date du 14 décembre 2007, établi par le Docteur Jean-Claude Viguier, que Madame Lescaut présentait les blessures suivantes:

- 'une brûlure du 1er degré de la partie gauche du front (2.5 cm X 2 cm)

- une brûlure de l'angle interne de l'oeil gauche

- une brûlure de la région malaire gauche (2 cm X 2 cm)

- une brûlure du 2ème degré du sein gauche (8 cm X 5 cm)

- une brûlure du 2ème degré de la partie gauche de l'abdomen (20 cm X 13 cm)

- une brûlure intermédiaire entre 2ème degré et 3ème degré de la face externe de la cuisse gauche (18 cm X 9 cm)

- un hématome de la racine de la cuisse gauche (6 cm X 3 cm)

- multiples petites brûlures du 1er degré de la face antérieure de l'épaule gauche, de la partie supérieure face externe du bras gauche.

En considération des blessures subies par Madame Lescaut, il convient de confirmer l'expertise médicale ordonnée par le premier juge ainsi que l'allocation d'une indemnité provisionnelle d'un montant de 10 000 euro.

C'est avec justesse qu'en l'état de la procédure et de l'expertise médicale ordonnée, le premier juge a réservé les demandes relatives à la liquidation de l'entier préjudice présentées par Madame Lescaut, en ce compris les prétentions formulées au titre du préjudice matériel ainsi que celles émises par la CPAM de LOT et GARONNE.

- Sur l'article 700 du Code de Procédure civile :

Il convient de fixer à 3 000 euro les sommes exposées par Madame Lescaut et non comprises dans les dépens qu'il serait inéquitable de laisser à sa charge.

L'équité ne commande pas de faire application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile au bénéfice des autres parties à l'instance.

Par ces motifs, - LA COUR, après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant par arrêt contradictoire, prononcé par mise à disposition au greffe et en dernier ressort, - Infirme partiellement la décision déférée mais seulement en ce qu'elle a déclaré la Société Fagor Electromenager solidairement responsable de l'accident d'autocuiseur du 9 décembre 2007, dont Madame Lescaut épouse Saydraouten a été victime, et l'a condamnée à lui payer une somme de 10 000 euro à titre de provision ; - Et statuant à nouveau, met hors de cause la Société Fagor Electromenager; - Confirme pour le surplus le jugement du Tribunal de grande instance de Marmande en date du 23 octobre 2009.