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Décisions

CA Lyon, 6e ch. civ., 1 avril 2010, n° 09-01652

LYON

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Electricite de France (SA)

Défendeur :

Aviva Assurances (Sté), Everglades (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Mathieu

Conseillers :

Mmes Dumas, Guigue

Avocats :

Me Verriere, Me Morel

TGI Lyon, du 24 février 2009

24 février 2009

Invoquant une surtension du réseau basse tension consécutif à un creux de tension sur le réseau haute tension le 13 février 2003 à l'origine des dommages électriques causés à ses équipements de société de production, la société Everglades et son assureur Aviva Assurances ont assigné la société Electricité de France (EDF) par acte du 11 septembre 2007 devant le tribunal d'instance de LYON en responsabilité sur le fondement de l' article 1386-1 du Code civil , subsidiairement, des articles 1147 et suivants du même Code en responsabilité et indemnisation.

Par jugement du 24 février 2009, le Tribunal d'instance de Lyon a déclarée irrecevable comme prescrite la demande fondée sur l' article 1386-1 du Code civil , a déclaré la société EDF responsable sur le fondement de la responsabilité contractuelle de droit commun et a condamné la société EDF au paiement des sommes de 4569, 73 euro à la société Everglades, 3350,78 euro à la société Aviva Assurances, 500 euro à la société Everglades et à la société Aviva Assurances en application de l' article 700 du Code de procédure civile .

La cour renvoie, pour plus ample exposé, aux faits relatés dans le jugement frappé d'appel par la société EDF.

Par dernières conclusions, la société EDF et la société ErDF, intervenante volontaire, demandent à la cour d'infirmer le jugement entrepris, de mettre hors de cause la société EDF aux droits de laquelle vient la société ErDF, de dire irrecevables comme prescrites les demandes de la société Everglades et la société Aviva Assurances, de débouter la société Everglades et la société Aviva Assurances de leurs demandes et de les condamner solidairement au paiement de la somme de 3000 euro en application de l' article 700 du Code de procédure civile .

La société ErDF soutient que le premier juge a déclaré à bon droit prescrite la demande fondée sur la responsabilité des produits défectueux mais a admis à tort que la responsabilité contractuelle était engagée dès lors que le remplacement du régime prétorien de l'obligation de sécurité de résultat par celui de la responsabilité des produits défectueux interdit le cumul d'action.

Elle fait valoir que le contrat " tarif bleu professionnel " liant les parties soumettant la société ErDF à une obligation de moyens renvoie à la norme EN 50 160 de laquelle il résulte que la mesure de tension doit être effectuée sur une durée moyenne de 10 minutes de sorte que les phénomènes d'une durée de quelques millisecondes ne peuvent mettre en évidence un manquement du fournisseur à son obligation contractuelle de moyens, que si EDF ne conteste pas l'existence d'un creux de tension sur le réseau de distribution 20 000 volts, ce creux de tension ne peut être considéré comme un défaut de qualité de la fourniture en ce qu'il résulte du fonctionnement normal du réseau de distribution 20000 volts et respecte la norme EN 50 160 notamment en son article 3.5 rappelant le caractère incontournable et aléatoire de creux de tension conditionnés au temps de déclenchement du disjoncteur sur le départ 20 000 volts en défaut, que la surtension de manœuvre invoquée par l'expert de la société Aviva Assurances visant un phénomène distinct de celui reconnu par EDF est techniquement erronée et ne peut endommager du matériel normalement conçu en ce que les surtensions de manouvre ne dépassent pas 815 volts et sont inférieures au niveau de tension supportable par les matériels sensibles définis par la norme C 15 100 comme pouvant supporter une tension de tenue aux chocs ne dépassant pas 1500 volts, que le cabinet Saretec ayant conclu que les matériels avaient été endommagés par une surtension, une coupure ne peut avoir eu de rôle causal, qu'il appartenait à la société Everglades de mettre en place un dispositif stabilisant l'alimentation comme prévu à l'article 8 alinéa 2 du contrat, que la société Everglades et la société Aviva Assurances ne rapportent pas la preuve d'une faute de la société ErDF et doivent être déboutés de leurs demandes.

Par dernières conclusions, la société Everglades et la société Aviva Assurances demandent à la cour d'infirmer le jugement entrepris, de déclarer recevable la demande fondée sur l' article 1386-1 du Code civil , de dire que la responsabilité des sociétés EDF et ErDF est engagée sur le fondement de la responsabilité des produits défectueux, à titre subsidiaire, de confirmer le jugement en ce qu'il a reconnu la responsabilité contractuelle du fournisseur d'électricité et de condamner les sociétés EDF et ErDF à payer en tous les cas les sommes visées par le jugement de première instance outre la somme de 1000 euro chacune à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive et la somme de 2500 euro en application de l' article 700 du Code de procédure civile .

La société Everglades et la société Aviva Assurances répliquent que le défaut du produit n'a été déterminé qu'en novembre 2004 après étude des éléments techniques fournis par EDF le 17 juin 2004 de sorte que le délai de prescription de trois ans n'était pas écoulé au moment de l'assignation du 11 septembre 2007.

Elles font valoir que le régime général de responsabilité a été maintenu par l' article 1386-18 du Code civil lors de la transposition de la directive communautaire n'interdisant pas le cumul d'actions, que la surtension du réseau basse tension consécutif à un creux de tension sur le réseau haute tension décrits par le cabinet Girerd et la société Saretec comme par les documents techniques EDF est à l'origine des dommages en ce que l'obligation imposée à EDF par l' arrêté du 29 mai 2006 fixant les valeurs de tension normes de la 1ère catégorie et la norme NF C02-160 ont été dépassées par une valeur supérieure à 244 volts caractérisant la responsabilité pour produit défectueux, qu'à titre subsidiaire, la responsabilité contractuelle d'EDF est engagée du fait que la continuité de la fourniture d'électricité, prévue à l'article V-1 des conditions générales de vente, n'a pas été respectée, sans que soit prouvé un cas d'exclusion de responsabilité défini par cet article, qu'en outre, EDF a manqué à son obligation d'informer correctement son co-contractant des risques occasionnés par une surtension.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Attendu que selon l'article 1386-17 du Code civil , l'action en réparation exercée en application des règles de la responsabilité du fait des produits défectueux se prescrit dans un délai de trois ans à compter de la date à laquelle le demandeur a eu ou aurait dû avoir connaissance du dommage, du défaut et de l'identité du producteur ;

Que le premier juge a exactement relevé que la société Everglades et la société Aviva Assurances ont eu connaissance du dommage, de sa cause et de la faculté de l'imputer au fournisseur d'énergie par le rapport d'expertise établi le 2 octobre 2003 par le cabinet Girerd à l'initiative de la société Aviva Assurances imputait la cause des dommages à " la remise sous tension du réseau EDF suite à un creux ou une coupure de tension qui a généré des surtensions ou des surintensités " ; qu'ayant introduit leur action par assignation du 11 septembre 2007 alors que l'assureur d'EDF avait contesté la responsabilité de son assurée par courrier du 5 février 2004 avant l'expiration du délai de prescription, le premier juge a retenu à bon droit que la demande fondée sur la responsabilité des produits défectueux est irrecevable comme étant prescrite ; que le jugement entrepris sera confirmé sur ce point ;

Attendu qu'en application de l'article 1386-18 du Code civil, les dispositions relatives à la responsabilité du fait des produits défectueux ne portent pas atteinte aux droits dont la victime du dommage peut se prévaloir au titre du droit de la responsabilité contractuelle sur un fondement différent, tel celui tiré des articles 1147 et suivants du Code civil pour faute contractuelle ; que la demande de la société Everglades est recevable ;

Attendu que depuis le 1er janvier 2008, la société ErDF vient aux droits et obligations de la société EDF prise en qualité de distributeur d'électricité en application des dispositions de l'article 14-1 de la loi du 9 août 2004 ; qu'il convient de déclarer recevable l'intervention volontaire de la société ErDF et de mettre hors de cause la société EDF ;

Attendu que selon les conditions de vente d'électricité faisant référence aux normes législatives et réglementaires ainsi qu'au cahier des charges de la concession, la société ErDF s'engage à assurer une fourniture continue et de qualité d'électricité, sauf dans les cas qui relèvent de la force majeure ou de contraintes insurmontables liées à des phénomènes atmosphériques ou des limites des techniques existantes au moment de l'incident, et dans des cas limitativement énumérés d'intervention programmée sur le réseau avec information des clients, de raisons accidentelles liées à des interruptions ou de défauts de faits de tiers sans faute d'EDF ;

Qu'il s'ensuit que la valeur et la qualité de la tension délivrée doit s'apprécier selon les normes définies par l'arrêté du 29 mai 1986 et la norme NF EN 50160 (classement C 02-160), soit une tension monophasée du courant électrique délivré par EDF comprise entre 207 et 244 volts ;

Qu'il résulte du rapport du cabinet Polyexpert, mandaté par l'assureur d'EDF en date du 19 juin 2003 que la société Everglades a subi un creux de tension par diminution brusque de la tension de fourniture à une valeur située entre 90 % et 1% de la tension contractuelle suivie d'un rétablissement après 420 millisecondes, résultant de l'écrasement de la tension du transformateur TR 311 au poste source "Achille Lignon" pendant le temps nécessaire au fonctionnement du disjoncteur de protection sur le départ de 20 000 volts en défaut, suite à un défaut sur un câble souterrain ;

Que la simultanéité des dommages subis par certains équipements de la société Everglades, dotés de composants électroniques, avec le creux de tension du réseau haute tension n'est pas contestée ;

Que cependant, la mesure invoquée par ErDF d'un creux de tension de 420 millisecondes concernant le réseau haute tension n'est pas la mesure de la perturbation subie par la société Everglades dans la mesure où celle-ci est raccordée au réseau de distribution basse tension, en exécution du contrat tarif bleu professionnel ;

Que, par ailleurs, la mesure moyennée de 10 minutes, invoquée par l'appelante, prévue dans la norme pour mesurer les variations de la tension fournie, s'entend, selon l'article 2.3, des conditions normales d'exploitation, en dehors des situations faisant suite à des défauts ou à des interruptions ;

Qu'il résulte de la documentation technique détaillée élaborée par les ingénieurs d'EDF en page 20 et suivantes du document intitulé "les cahiers de l'énergie qualité de l'alimentation électrique", figurant en annexe du rapport du cabinet Saretec que compte tenu des caractéristiques du réseau de distribution, fonction des équipements appartenant à EDF (transformateurs, disjoncteurs) entre le réseau haute tension et l'alimentation électrique basse tension fournie par EDF, un creux de tension sur le réseau haute tension est susceptible d'entraîner une surtension dite de manouvre sur le réseau basse tension délivré au client de nature à endommager les matériels électriques sensibles notamment ceux contenant des composants électroniques ; que ces éléments techniques mettent en évidence la relation entre un creux de tension sur le réseau haute tension et une surtension sur le réseau basse tension ;

Qu'il est, par ailleurs, précisé à l'article 2.8 de la norme NF EN 50160 (classement C 02-160), que des surtensions temporaires sur le réseau entre phases et terre peuvent générer, par suite d'un défaut en amont d'un transformateur, des surtensions du côté basse tension pendant la durée du courant de défaut, ne dépassant pas généralement la valeur efficace de 1,5 kV ;

Que cette description correspond exactement à la situation invoquée par ErDF pour expliquer la perturbation électrique subie par la société Everglades; que la société ErDF qui dispose nécessairement des moyens internes susceptibles de permettre l'analyse du phénomène constaté sur le réseau basse tension fournissant de l'électricité à la société Everglades à partir du réseau haute tension, se contente de simples affirmations lorsqu'elle allègue l'impossibilité technique de dépassement d'une valeur de 815 volts, sans invoquer de cause dommageable extérieure qui ne lui serait pas imputable ;

Que le premier juge a retenu à bon droit la relation de causalité entre le dommage et des valeurs de surtension nécessairement supérieures à la norme NF EN 50160 (classement C 02-160) en ce que les équipements à composants électroniques de la société Everglades ont été endommagés alors que selon la norme européenne NF C 15-100, ils présentent une tenue aux chocs de surtension de l'ordre de 1500 volts ;

Que la responsabilité de la société ErDF pour inexécution fautive des prestations contractuelles est établie; que l'appelante n'établit pas l'existence d'une négligence fautive de la société Everglades au regard de l'obligation générale figurant à l'article 8 du contrat prévoyant la nécessité pour le client de "prendre des précautions élémentaires pour se prémunir contre les conséquences des interruptions et des défauts dans la qualité de la fourniture", faute d'établir l'existence d'un dispositif technique élémentaire, normalement accessible au client, de nature à le prémunir des conséquences du dysfonctionnement en cause ;

Qu'il convient, en conséquence, de confirmer la décision déférée, sauf à dire que la société ErDF, venant aux droits de la société EDF, supporte les condamnations prononcées à l'encontre de la société EDF au profit de la société Everglades et de la société Aviva Assurances ;

Attendu que la résistance abusive de l'appelante n'est pas caractérisée ; que la demande de dommages et intérêts ne peut être accueillie ;

Par ces motifs,- LA COUR - Déclare recevable l'intervention volontaire de la société ErDF ; - Met hors de cause la société EDF ; - Confirme le jugement entrepris, sauf à dire que la société ErDF, venant aux droits de la société EDF, supporte les condamnations prononcées au profit de la société Everglades et de la société Aviva Assurances ; - Déboute la société Everglades et la société Aviva Assurances de leurs demandes de dommages et intérêts pour résistance abusive.