CA Nîmes, 2e ch. civ. B, 31 mai 2012, n° 10-05354
NÎMES
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Mutuelle d'Assurance du Bâtiment et des Travaux Publics (Sté) , SEU Société Enrobage de l'Uzège (Sarl)
Défendeur :
Lautier Roqueblave (Sarl)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Filhouse
Conseillers :
MM Bertrand, Gagnaux
Avocats :
SCP Monceaux - Favre de Thierrens - Barnouin - Thevenot - Vrignaud, SCP Marion - Guizard - Patricia - Servais, Me Pons
FAITS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :
Vu l'assignation délivrée le 5 novembre 2009 à la SA Lautier Roqueblave, dont le siège social est à la Calmette (30190), devant le Tribunal de commerce de Nîmes, par la Société Mutuelle d'Assurance du Bâtiment et des Travaux Publics (SMABTBP) et la Sarl Société d'Enrobage de l'Uzège (SEU) qui sollicitaient notamment, au visa des articles 1147 et 1641 et suivants du Code civil
- sa condamnation, comme tenue de garantir les vices cachés et les défauts de conformité des granulats vendus à la Sarl SEU, à payer à la SMABTP, subrogée dans les droits de ses sociétaires, la somme de 59 631,93 euro HT à titre de dommages et intérêts, correspondant au coût des travaux de réfection du revêtement,
- sa condamnation à payer à la Sarl SEU la somme de 6 625,80 euro HT, correspondant au montant de la franchise contractuelle de son assurance, restée à sa charge au titre des travaux de réfection du revêtement,
- sa condamnation à payer à la Sarl SEU et à la SMABTP la somme de 1 500.00 euro par application de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens
Vu la décision contradictoire en date du 16 septembre 2012, de cette juridiction qui a, notamment :
- débouté la Sarl SEU et la SMABTP de leurs demandes,
- condamné la Sarl SEU et la SMABTP à payer à la SA Lautier Roqueblave la somme de 1 500,00 euro par application de l'article 700 du Code de procédure civile et les dépens,
- rejeté les autres demandes des parties ;
Vu l'appel de cette décision interjeté le 23 novembre 2010 par la SMATBP et la Sarl SEU ;
Vu les dernières conclusions déposées au greffe de la cour le 22 mars 2011 et signifiées à leur adversaire le même jour auxquelles est joint un bordereau récapitulatif des pièces communiquées dans lesquelles la SMABTP et la Sarl SEU sollicitent notamment à l'égard de la SA Lautier Roqueblave :
- sa condamnation comme tenue de garantir les vices cachés et les défauts de conformité des granulats vendus à la Sarl SEU à paver à la SMABTP, subrogée dans les droits de ses sociétaires, la somme de 59 631,93 euro HT à titre de dommages et intérêts, correspondant au coût des travaux de réfection du revêtement ;
- sa condamnation à payer à la Sarl SEU la somme de 6 625,80 euro HT correspondant au montant de la franchise contractuelle de son assurance, restée à sa charge au titre des travaux de réfection du revêtement ;
- à titre subsidiaire l'organisation d'une expertise judiciaire portant sur les échantillons de bitume prélevés par un huissier de justice le 3 mars 2008, afin de les analyser et de déterminer s ils sont atteints d'un défaut les rendant impropres à leur usage normal ;
- la condamnation de la SA Lautier Roqueblave au paiement d la somme de 3 000,00 euro pour les frais de procédure prévus par l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens ;
Vu les dernières conclusions déposées au greffe de la cour le 22 aout 2011 et signifiées à ses adversaires le même jour auxquelles est joint un bordereau récapitulatif des pièces communiquées dans lesquelles SA Lautier Roqueblave demande notamment la confirmation de la décision entreprise, invoquant aussi l'irrecevabilité de l'action en garantie des vices cachés qui n'a pas été engagée à bref délai, et la condamnation de la SMABTP et de la Sarl SEU à lui paver une somme de 3 000,00 euro en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Vu l'ordonnance de clôture prononcée le 10 février 2012 ;
Vu les écritures des parties auxquelles il y a lieu de se référer pour une plus ample relation des faits de la procédure et des moyens de celles-ci ;
SUR CE :
SUR LA PROCÉDURE :
Attendu que la recevabilité de l'appel n'est ni contestée ni contestable au vu des pièces produites ;
SUR LA DEMANDE PRINCIPALE :
Sur l'action en garantie des vices cachés :
Attendu que lors de la réalisation de travaux d'élargissement d'un tronçon routier de la route départementale n° 999 à l'entrée du village de Quissac, en direction de Nîmes, effectués par la SAS Travaux Publics Carrière Robert (TPCR), cette société et les services techniques du département du Gard, lequel avait commandé les travaux, ont décelé, le 7 février 2008, une inconsistance du béton bitumineux qui avait été posé, diagnostiqué le 15 février suivant comme le détachement des granulats s'accumulant au bord de la chaussée ;
Que des travaux de reprise ont alors été mis en œuvre, toujours avec du béton bitumineux fourni par la Sarl SEU ; qu'ils ont été financés par la SMABTP, assureur de la société TPCR et de la société SEU et, pour la franchise contractuelle non prise en charge par l'assureur, par la Sarl SEU ;
Que cette dernière soutient que cette défectuosité du produit qu'elle a livré proviendrait des granulats fournis par la SA Lautier Roqueblave, ayant servi à sa confection, alléguant d'un vice caché les ayant affectés ;
Qu'elle indique avoir prélevé des échantillons du bitume livré par la SA Lautier Roqueblave le 7 février 2008 et soumis ceux-ci à l'analyse du Centre d'Etudes Techniques de l'Equipement (CETE), laboratoire dépendant du Ministère de l'Ecologie à Aix-en-Provence, qui avait lui-même prélevé des échantillons le 21 février 2008 ;
Que le CETE, après avoir aussi étudié la centrale d'enrobage et les documents du producteur de granulats, a établi un rapport le 20 mars 2008 dont les principales conclusions étaient les suivantes :
" -Les granulats utilisés pour la production d'enrobés et provenant de la carrière de la Calmette ont une porosité élevée qui nuit à la qualité d'enrobage satisfaisante, et sans doute à leurs performances mécaniques. L'utilisation d'un sable recomposé ne nous paraît pas judicieuse : la présence de grains siliceux rend le mélange encore plus friable que le sable calcaire seul. Le niveau de propreté, quoique conforme à la réglementation sur les granulats, indique que des problèmes de tenue à l'eau des enrobés sont probables. Le prélèvement de granulats du 7/02 montre que la qualité des granulats peut être très fluctuante sur cette carrière. La centrale d'enrobage avait sa pompe à bitume mal réglée ; ce déréglage occasionnait un sous-dosage théorique en liant de 8 % en relatif. L'étude de grave bitume utilisée pour la production de la centrale est obsolète : elle date de juillet 2002 et sa validité est de 5 ans. "
Que par ailleurs un constat d'huissier a été dressé à la requête de la Sarl SEU le 3 mars 2008 par Me Olivier Martel, huissier de justice associé au Vigan (30) lequel a procédé à des prélèvements de morceaux de bitume sur le bord de la chaussée, dont il lui a été indiqué par sa cliente qu'ils provenaient de la pose du revêtement effectuée les 7 et 8 février précédents mais qu'ils n'ont pas été analysés ;
Qu'une expertise amiable a été confiée par la SMABTP à M. Alain Lasserre, expert en construction à Nîmes, inscrit sur la liste des experts judiciaires de la Cour d'appel de Nîmes, qui a été réalisée en présence des Sarl SEU, société TPCR, société Lafarge Granulats et l'expert de son assureur, le cabinet Exetech ; que l'expert qui a déposé son rapport le 14 mars 2008 a calculé le coût du dommage à la suite de ce sinistre, soit la somme totale de 79 244,25 euro mais n'a pas été en mesure de déterminer l'origine du sinistre, préconisant des investigations supplémentaires notamment quant au sable reconstitué utilisé pour confectionner l'enrobage ;
Attendu que la SA Lautier Roqueblave invoque l'irrecevabilité de l'action en garantie des vices cachés exercée à son encontre par la Sarl SEU, sa cliente, l'assignation ayant été délivrée le 25 octobre 2009 pour un sinistre survenu le 7 février 2008, imputé à des granulats vendus le 31 janvier 2008 (facture n° 80100225, d'un montant de 13 127,43 euro TTC) ;
Mais attendu que l'article 1648 du Code civil, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2005-136 du 17 février 2005, dispose que l'action résultant des vices rédhibitoires doit être intentée par l'acquéreur dans un délai de deux ans à compter de la découverte du vice et non plus, comme avant cette modification du texte légal, à bref délai ; qu'elle est donc recevable puisque mise en œuvre 1 an et 8 mois après le sinistre ;
Attendu qu'à l'appui de leur allégation quant à l'existence d'un vice caché, la SMABTP, subrogée dans les droits des sociétés SEU à hauteur de la somme de 11 212,86 euro et TPCR, à hauteur de la somme de 48 419,07 euro, ainsi que la Sarl SEU, invoque la qualité des granulats vendus par la SA Lautier Roqueblave pour des matériaux de classe D alors que selon l'analyse du laboratoire CETE et l'expertise amiable de M. Lasserre, ils relèveraient de la catégorie F ;
Que la SA Lautier Roqueblave oppose le caractère non contradictoire a son égard de la collecte des prélèvements de bitume effectués en son absence à la demande de la société SEU ou de la SMABTP, pour le laboratoire CETE puis par un huissier de justice le 3 mars 2008, alors même que le revêtement de la route avait déjà été refait ;
Que cependant il apparaît que la société Lafarge Granulats Sud, représentant la SA Lautier Roqueblave qui fait partie du groupe Lafarge, selon l'intitulé de la facture de fourniture des matériaux litigieux en date du 31 janvier 2008 a participé aux opérations d'expertise amiable de M. Lassere le 15 février 2008, sans formuler d'observations quant aux prélèvements effectués précédemment, le 7 février ni par le laboratoire CETE le 21 février 2008 et soumis à l'appréciation de cet expert, au contradictoire avec les parties ; qu'elle n'est donc pas fondée à contester l'opposabilité a son égard des prélèvements ;
Que par contre elle est fondée à contester l'opposabilité à son égard des prélèvements effectués le 3 mars 2008 par un huissier de justice mandaté par la Sarl SEU, en son absence et dont elle n'a pu vérifier qu'ils portaient bien sur le bitume fabriqué avec ses matériaux, ce qui résultait des seules déclarations de M. Olivier Robert gérant de la Sarl SEU faites à l'officier ministériel, selon cet acte (pièce n° 3) :
Qu'il n'y a donc pas lieu d'ordonner d'expertise judiciaire de ces derniers prélèvements, comme sollicité à titre subsidiaire par les appelantes ;
Attendu qu'en ce qui concerne la qualité des matériaux fournis par la SA Lautier Roqueblave, tels qu'analysés par le laboratoire public CETE et appréciés par l'expert Lasserre il convient de relever que ce dernier conclut à l'absence de tout lien de causalité entre cette qualité et le sinistre survenu (page 4 de son rapport pièce n° 4) :
" Il semble donc que les granulats s'apparentent davantage à la classe F qu'à la classe D mais le fait d'utiliser des matériaux de classe F à la place de matériaux de classe D ne devait pas entraîner de problème à court terme, mais simplement une usure prématurée dans la durée ".
Que l'expert déclare ensuite qu'il conviendrait d'effectuer des investigations supplémentaires pout rechercher l'origine du sinistre, ce qui n'a pas été fait depuis lors, et émet une simple hypothèse, selon laquelle il se pourrait que l'ajout de sable mono siliceux destiné a augmenter la dureté du sable recomposé ait été partiellement oublié lors de l'assemblage des granulats avant injection du bitume ;
Que cette hypothèse ne repose sur aucune analyse la corroborant ou même la rendant probable et ne caractérise donc aucun vice caché des matériaux à l'origine du sinistre dont l'indemnisation est sollicitée par les appelantes ;
Que par la suite dans une note du 10 février 2009 (pièce n°6), l'expert Lasserre va même convenir que les matériaux livrés pourraient avoir été de catégorie E, supérieure à la catégorie F sans être non plus affirmatif à cet égard :
Que par ailleurs le laboratoire public CETE a constaté que lors de la confection de l'enrobage en bitume, incombant à la société SEU, la centrale d'enrobage avait sa pompe à bitume mal réglée, ce déréglage occasionnant un sous-dosage théorique en liant de 8 % en relatif (page 3 du rapport d'analyse) : que le cabinet d'expertise Exetech, mandaté par la société Lafarge Granulats Sud, dans une note en date du 2 octobre 2008 (pièce n°8), considère qu'il peut s'agir de la cause du sinistre, ce que conteste l'expert Lasserre dans sa réponse du 10 février 2009, indiquant que ce problème aurait eu des conséquences sur la dégradation du revêtement à long terme mais pas si rapidement ;
Qu'il convient, en cet état, de constater que la SMABTP ne recherche nullement la responsabilité éventuelle de son assurée, la Sarl SEU, chargée de la confection de l'enrobage et qu'aucune demande n'est présentée contre cette société ;
Qu'en l'état il n'est établi l'existence d'aucun vice caché des matériaux vendus par la SA Lautier Roqueblave à la Sarl SEU, rendant ceux-ci impropres à l'usage auxquels on les destinait ou en diminuant tellement cet usage que l'acheteur ne les aurait pas acquis ou en aurait donné un moindre prix s'il l'avait connu, et qui soit à l'origine du sinistre dû à la mauvaise qualité du revêtement de la route posé le 7 février 2008, dont l'indemnisation est sollicitée ;
Sur le défaut de délivrance conforme :
Attendu que les appelantes invoquent ensuite un défaut de délivrance conforme des granulats vendus comme matériaux de catégorie D à la Sarl SEU mais qui relèveraient d'une qualité inférieure et insuffisante soit F, en raison d'une porosité excessive mise en exergue par le laboratoire CETE, qui avait cependant aussi déclaré les sables " conformes " et les granulats " convenables " ;
Mais attendu que l'interprétation des résultats de l'analyse du laboratoire CETE par l'expert Lasserre n'est pas affirmative, ce dernier indiquant qu'il semble que les granulats s'apparentent à la classe F (page 4 du rapport du 14 mars 2008) ; que dans sa note en réponse au cabinet Exetech, en date du 10 février 2009, M. Alain Lasserre est encore moisn affirmatif sur ce point, indiquant que les granulats vendus se classeraient plutôt en catégorie E ou F (page 2) ;
Qu'en toute hypothèse l'expert a écarté tout lien de causalité entre cette qualité insuffisante des granulats, tenant à leur porosité excessive dans le sinistre du 7 février 2008 dont la réparation est sollicitée étant observé que l'acquéreur des granulats prétendument atteints par un défaut de conformité pour avoir été vendus comme catégorie D au prix de 13 127,43 euro TTC le 31 janvier 2008, la Sarl SEU ne sollicite pas d'indemnisation résultant de l'éventuel défaut de conformité des matériaux, indépendamment de la réparation de la route, dont il n'est pas établi qu'elle ait été rendue nécessaire par celui-ci ;
Sur la responsabilité contractuelle :
Attendu qu'en l'état des incertitudes de l'expert Lasserre sur l'origine du sinistre et en l'absence d'élément probant déterminant quant à la qualité éventuellement insuffisante des matériaux de granulats fournis par la Sarl Roqueblave et Lautier le 31 janvier 2008 à la Sarl SEU, il n'est pas rapporté la preuve d'une faute contractuelle commise par le vendeur, engageant sa responsabilité et l'obligeant à réparer le dommage causé par la réfection de la route après la pose du revêtement le 7 février 2008 ;
Que la SMABTP, partiellement subrogée à la société TPCR, qui n'avait pas de lien contractuel avec la SA Lautier et Roqueblave, n'est donc pas non plus fondée à voir réparer son préjudice issu de la prise en charge du coût de la réparation de cette route, qui ne résulte pas d'une faute contractuelle commise par le vendeur, ni d'un défaut de conformité des matériaux vendus qui soit prouvé ;
Attendu qu'il convient donc, confirmant le jugement déféré, de débouter la SMABTP et la Sarl SEU de leurs demandes de condamnation dirigées contre la SA Lautier Roqueblave.
SUR LES FRAIS DE PROCÉDURE ET LES DÉPENS :
Attendu qu'il y a lieu de confirmer aussi le jugement déféré ayant décidé d'allouer à la SA Lautier Roqueblave la somme de 1 500,00 euro sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, que devront lui payer la SMABTP et la Sarl SEU, condamnées aux entiers dépens de première instance et d'appel ;
Attendu qu'il n'est pas inéquitable en l'espèce de laisser à la charge de la SMABTP, de la Sarl SEU comme de la SA Lautier Roqueblave, les frais de procédure qui ne sont pas compris dans les dépens d'appel.
Par ces motifs, LA COUR, Statuant, publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort, Vu les articles 4, 5, 6, 9 et 16 du Code de procédure civile, Vu les articles 1134, 1147, 1315, 1604, 1641 et 1648 du Code civil, Vu l'article L. 121-12 du Code des assurances, Reçoit les appels en la forme, Déclare recevable l'action en garantie des vices cachés dirigée contre la SA Lautier et Roqueblave, mais la dit mal fondée et injustifiée ; Confirme le jugement du Tribunal de commerce de Nîmes prononcé le 16 septembre 2010, en toutes ses dispositions Condamne la SMABTP et la Sarl SEU aux dépens d'appel ; Rejette toutes autres demandes des parties.