CA Reims, ch. civ. sect. 1, 8 janvier 2008, n° 07-00223
REIMS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Simpra (SA)
Défendeur :
Davreux Noizet (SARL), Aviva Assurances (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Maunand
Conseillers :
M. Mansion, Mme Hussenet
Avocats :
SCP Thoma - Le Runigo - Delaveau - Gaudeaux, SCP Delvincourt - Jacquemet - Caulier-Richard
La SA Simpra a pour activité la fabrication et la vente de coffrages industriels pour le bâtiment. Pour fabriquer ces derniers, elle fait appel à deux sous-traitants, à savoir la Sarl Davreux-Noizet pour la fourniture d'anneaux de levage et de broches de blocage et la SA Carameaux pour la fabrication des banches à partir de divers accessoires fournis par la SA Simpra, dont les anneaux de levage fabriqués par la Sarl Davreux-Noizet.
Dans le cadre d'un marché qu'elle avait conclu avec la société Parietti portant sur des banches à coffrer à ossature métallique recouvertes d'un contreplaqué de 21 mm d'épaisseur en plusieurs dimensions, la SA Simpra a demandé, par télécopie du 9 février 2004, à la Sarl Davreux-Noizet de lui indiquer le prix de cent anneaux de levage. La Sarl Davreux-Noizet a répondu le lendemain en proposant l'utilisation d'un acier de type S235 JR. C'est dans ces conditions que la SA Simpra a commandé le 11 février 2004 à la Sarl Davreux-Noizet cent anneaux de levage en acier de type S235 JR et soixante-dix broches de blocage.
Le 8 avril 2004, lors de la manipulation d'une banche avec une grue, un anneau de levage s'est rompu brutalement, provoquant la chute de l'ensemble des banches sur une autre banche posée au sol.
Sur la base du rapport établi le 17 septembre 2004 par le cabinet Saretec, missionné par son assureur, la SA Simpra a mis en demeure le 18 octobre 2004 la Sarl Davreux-Noizet d'avoir à lui régler les factures relatives aux réparations consistant au remplacement des banches hors d'usage et des manilles de levage sur les banches livrées ou fabriquées.
Devant le refus de la Sarl Davreux-Noizet, la SA Simpra a obtenu du président du Tribunal de grande instance de Charleville-Mézières, le 16 février 2005, la désignation de M. Alain Cornet en qualité d'expert judiciaire.
Ce dernier a déposé son rapport le 12 juillet 2005, duquel il résulte, en substance, que la fragilité intrinsèque de la pièce litigieuse est due à l'excès du taux de cuivre dans la barre d'acier et à la technique utilisée pour transformer la barre en anneau de levage occasionnant des endommagements inévitables. En outre, la rupture résulterait d'un mauvais choix de l'acier commandé (S235 JR) au regard de la technique d'assemblage utilisée par la SA Simpra (la soudure).
Par acte du 10 novembre 2005, cette dernière a fait assigner devant le Tribunal de grande instance de Charleville-Mézières la Sarl Davreux-Noizet et son assureur, la SA Aviva Assurances, sur le fondement des articles 1386-1 et 1147 du Code civil en réparation des dommages matériels causés par la rupture de l'anneau.
Par jugement du 20 décembre 2006, le Tribunal de grande instance de Charleville-Mézières a débouté la SA Sempra de sa demande, l'a condamnée aux dépens et a rejeté les demandes formées par les parties au titre des frais irrépétibles.
La SA Simpra a relevé appel de ce jugement le 29 janvier 2007.
Par dernières conclusions notifiées le 18 mai 2007, la SA Simpra poursuit la réformation du jugement déféré et demande à la Cour de :
- dire et juger que la Sarl Davreux-Noizet est responsable des dommages causés par la rupture d'un anneau de levage sur le fondement de l'article 1386-1 du Code civil ;
- dire qu'elle a commis un manquement à son obligation de conseil et de renseignement ;
- condamner la Sarl Davreux-Noizet à lui payer la somme de 55 219,32 euro TTC à titre de dommages-intérêts, outre les frais d'expertise judiciaire d'un montant de 1 971 euro ;
- condamner la Sarl Davreux-Noizet au paiement de la somme de 2 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et aux entiers dépens.
Par dernières conclusions notifiées le 1er octobre 2007, la Sarl Davreux-Noizet et la SA Aviva Assurances poursuivent la confirmation du jugement entrepris et la condamnation de la SA Simpra au paiement de la somme de 3 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et aux entiers dépens.
Sur ce, LA COUR,
Attendu qu'il ressort des investigations conduites tant dans le cadre de l'expertise amiable et que de l'expertise judiciaire que la pièce rompue possédait une teneur trop importante en cuivre (0,55 %) à la limite de la fourchette autorisée ; que les essais effectués par l'expert judiciaire ont confirmé ceux réalisés à la demande du cabinet Saretec et confiés par cette dernière au Cetim Cermat ; que M. Cornet indique que le cuivre est soluble dans l'acier jusqu'à une teneur de 0,3 % et qu'il le fragilise au-delà de cette teneur ; que l'expert judiciaire estime que la nature fragile de la pièce est l'élément le plus important à prendre en compte ; qu'en outre, la mise en œuvre des barres d'acier pour les transformer en anneaux de levage a entraîné des endommagements inévitables (marques de pliage, traces de calamine) et qu'une pièce fragile casse toujours à l'endroit le plus faible, par exemple dans une zone affectée par la mise en œuvre ;
Que l'expertise judiciaire, corroborant les conclusions de l'expertise amiable et l'analyse du Cetim Cermat, démontre que le produit fabriqué et mis en circulation par la Sarl Davreux-Noizet était affecté d'un défaut qui est à l'origine de la rupture brutale de la pièce ;
Qu'il importe peu, à cet égard, que la Sarl Davreux-Noizet ait fabriqué les anneaux de levage suivant les plans de conception fournis par la SA Simpra et qu'elle ait utilisé un acier de type S235 JR, conformément à la commande, lequel pouvait être soudé ; que le défaut affectant l'anneau qui a rompu ne résidait pas dans la nature de l'acier ni dans la conception du produit, mais dans la composition de la barre d'acier ayant servi à sa fabrication, laquelle contenait une teneur trop élevée en cuivre ; qu'il est également sans importance que la solution choisie par la SA Simpra imposât la fixation par soudage dans la mesure où M. Cornet indique dans son rapport que la soudure est le révélateur et non la cause de la rupture ; que les développements des intimées sur la conformité des aciers à la commande et aux normes sont inopérants dans la mesure où, comme elles l'indiquent elles-mêmes dans leurs conclusions, la norme ne s'intéresse qu'à la résistance mécanique des aciers, qui n'est pas en cause en l'espèce, et non à la composition des aciers ; qu'en l'espèce, il est établi, notamment par les vérifications effectuées par M. Cornet, qu'une partie des anneaux de levage a été fabriquée à partir d'une barre d'acier contenant une teneur trop élevée en cuivre ;
Que contrairement à ce qu'ont retenu les premiers juges et à ce que soutiennent les intimées, les opérations d'expertise ont permis d'identifier la cause de la rupture de l'anneau de levage ; que, sur la base des analyses du Cetim Cermat, le cabinet Saretec mettait déjà en évidence une 'cause principale concernant l'utilisation d'un acier peu tenace et sensible à la fissuration à chaud ainsi que la présence d'aciers de caractéristiques différentes provenant de coulées différentes dont une est susceptible de rupture fragile' ; que les causes secondaires envisagées par le cabinet Saretec sont les endommagements inévitables qui sont provoqués par la mise en œuvre des aciers et qu'a évoqués l'expert judiciaire dans son rapport ;
Qu'il résulte de ce qui précède que la Sarl Davreux-Noizet ne s'exonère pas de la responsabilité de plein droit pesant sur elle en vertu de l'article 1386-11 du Code civil alors que la SA Simpra administre la preuve qui lui incombe en application de l'article 1386-9 en prouvant le dommage, le défaut et le lien de causalité entre les deux ;
Attendu qu'en toute hypothèse, la Sarl Davreux-Noizet, qui connaissait l'usage qui allait être fait des anneaux de levage dont la fabrication lui avait été confiée, lesquels étaient destinés à être soudés sur les banches, et qui était un professionnel des produits fabriqués en acier, aurait dû appeler l'attention de son contractant sur la nécessité de choisir une nuance d'acier présentant une meilleure résilience et, partant, contenant une teneur en cuivre plus faible que celle qu'elle a proposée ; qu'il ressort des constatations faites par M. Cornet que la Sarl Davreux-Noizet avait proposé un acier de type S235 JR uniquement parce ce que c'était un acier qu'elle utilisait régulièrement sans avoir rencontré de problème auparavant ; que, contrairement à ce que soutiennent les intimées, il n'appartenait pas à la SA Simpra, qui n'est pas un professionnel de l'acier, de spécifier la teneur maximale en cuivre que devait contenir l'acier utilisé pour la fabrication des anneaux de levage ; que les intimées ne peuvent pas, enfin, faire grief à la SA Simpra de ne pas avoir fourni de cahier des charges alors que le responsable de la Sarl Davreux-Noizet a indiqué à l'expert judiciaire que sa société ne travaillait jamais en fonction d'un cahier des charges ;
Attendu que la SA Simpra justifie de son préjudice résultant du remplacement des banches hors d'usage et de la banche endommagée sur le chantier (40 329,12 euro TTC) et du remplacement des manilles de levage sur les banches livrées ou fabriquées (14 890,20 euro TTC), soit un total de 55 219,32 euro TTC ;
Qu'elle peut également prétendre au remboursement des frais d'expertise, soit la somme de 1 971 euro ;
Attendu que la Sarl Davreux-Noizet, qui succombe dans ses prétentions, sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel ; qu'elle ne peut donc pas prétendre à l'indemnité qu'elle sollicite au titre de ses frais de procédure non compris dans les dépens ;
Que l'équité ne commande pas qu'il soit fait droit aux demandes formées par la SA Simpra et la SA Aviva Assurances au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Par ces motifs - Statuant publiquement et par arrêt contradictoire ; - Infirme en toutes ses dispositions le jugement déféré et statuant à nouveau : - Condamne la Sarl Davreux-Noizet à payer à la SA Simpra la somme de 55 219,32 euro TTC (cinquante-cinq mille deux cent dix-neuf euro et trente-deux centimes) en réparation de son préjudice et celle de 1 971 euro (mille neuf cent soixante et onze euro) au titre des frais d'expertise judiciaire ; - Rejette les demandes d'indemnités de procédure formées par les parties.