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Décisions

CA Saint-Denis de la Reunion, ch. com., 7 mai 2012, n° 11-00272

SAINT-DENIS DE LA RÉUNION

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Clain

Défendeur :

Sorequip (SAS), Piec Christophe, Maitre Chavaux & Selarl AJ Partenaires, Invest Loc 01 (SNC)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Ferrière

Conseillers :

Mme Pony, M. Rousseau

Avocats :

Me Riess, Ass Lagourgue - Dandrade, SCP Canale - Gauthier - Antelme, SCP BZL Associés

T. mixte com. Saint-Denis, du 25 nov. 20…

25 novembre 2010

FAITS ET PROCÉDURE

Le 21 septembre 2006, Monsieur Daniel Paul Clain, artisan exerçant sous le nom commercial de CDP Tractopelle, a souscrit auprès de la SNC Invest Loc 01 un contrat de location avec promesse d'achat à l'expiration du bail portant sur une pelle hydraulique New Holland MH 3.6 acquise au prix de 140 000 euro auprès de la SA Réunion Poids Lourds aux droits de laquelle vient aujourd'hui la SAS Sorequip, et ce pour une durée de 60 mois, moyennant un loyer principal de 1 669,74 euro HT.

Par acte d'huissier de justice en date du 16 février 2009, Monsieur Clain a fait assigner la SA Réunion Poids Lourds devant le tribunal mixte de commerce de Saint-Denis de la Réunion aux fins de lui voir ordonner, sous astreinte de 500 euro par jour de retard, de procéder au remplacement de cette pelle hydraulique défectueuse, et aux fins de la voir condamnée à lui payer la somme de 8 000 euro à titre de dommages-intérêts, outre une somme de 2 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par acte d'huissier de justice en date du 29 mai 2009, Monsieur Clain a mis en cause la SNC Invest Loc 01.

Par acte d'huissier de justice en date du 15 juin 2010, Monsieur Clain a mis en cause Maître Chavaux & Selarl AJ Partenaires es-qualité d'administrateur à la procédure de sauvegarde de la SA Réunion Poids Lourds. Maître Piec, mandataire judiciaire est intervenu volontairement à l'instance.

Dans le dernier état de ses demandes, Monsieur Clain a subsidiairement sollicité du tribunal la résolution de la vente conclue entre la SA Réunion Poids Lourds et la SNC Invest Loc 01 et la résolution du bail avec option d'achat conclu avec cette dernière, à charge pour lui de rembourser le prêt consenti par la SNC Invest Loc 01 outre le paiement de l'indemnité contractuelle de résiliation de 14 000 euro. Il a porté sa demande de dommages-intérêts à la somme de 23 000 euro et sa demande sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile à la somme de 2 300 euro.

Par jugement en date du 25 novembre 2010, le Tribunal mixte de commerce de Saint-Denis de la Réunion a débouté Monsieur Clain de toutes ses demandes.

Par déclaration reçue au greffe de la cour le 10 février 2011, Monsieur Clain a interjeté appel de cette décision.

L'instruction a été clôturée le 13 février 2012 et l'affaire fixée pour être plaidée à l'audience du 2 avril 2012 lors de laquelle les débats ont eu lieu.

MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Aux termes de ses dernières conclusions signifiées et déposées le 14 novembre 2011, Monsieur Clain fait valoir que depuis la livraison de la pelle hydraulique litigieuse, en septembre 2006, celle-ci a été en panne à 19 reprises au moins et s'est trouvée fréquemment et parfois très longuement immobilisée au garage du vendeur ; qu'ainsi, tombée en panne le 3 mars 2008, la pelle hydraulique n'a pu être réparée que le 5 janvier 2009, soit après 9 mois d'immobilisation, pour être de nouveau déposée au garage 15 jours plus tard jusqu'en avril 2009 et tomber encore en panne sur un chantier le 22 juillet 2009 ; qu'après 16 interventions sous garantie, il a dû supporter le coût de réparations qui n'étaient plus prises en charge ; que finalement, il n'utilise plus la pelle hydraulique de crainte qu'elle tombe de nouveau en panne sur un chantier et soit contraint de payer des sommes importantes pour son remorquage.

Monsieur Clain expose qu'en vertu de l'article 8 alinéa 6 du contrat de location conclu avec la SNC Invest Loc 01, il lui appartient de mettre en jeu les garanties légales et/ou conventionnelles ; qu'il engage donc la garantie des vices cachés de l'article 1641 du Code civil de la pelle défectueuse par la voie oblique conformément aux dispositions de l'article 1166 du même Code ; que l'article 1648 dispose que l'action en garantie de vices cachés doit être intentée dans un délai de 2 ans à compter de la découverte du vice ; que le point de départ de ce délai est retardé si le défaut a fait l'objet d'une expertise, ou d'une tentative inefficace de réparation ou de négociations avec le vendeur ; qu'en l'espèce, son action est donc parfaitement recevable.

Monsieur Clain soutient qu'il résulte du rapport d'expertise du cabinet Mommey & Associés déposé le 27 avril 2009, à l'occasion de la panne survenue le 3 mars 2008, que la pelle hydraulique est affectée d'un défaut de construction, son châssis n'étant pas assez rigide ; que l'existence de vices cachés n'est pas contestable compte-tenu des très nombreuses pannes survenues sur un matériel neuf, le vendeur ne parvenant pas à réparer véritablement des défauts récurrents empêchant l'utilisation normale et permanente de l'engin ; que c'est donc à juste titre, qu'en vertu de l'option ouverte par l'article 1184 alinéa 2 du Code civil entre l'exécution et la résolution du contrat, il sollicite le remplacement pur et simple de la pelle défectueuse par un engin neuf en bon état de fonctionnement ; que puisqu'il ne s'agit pas d'une demande en paiement, cette demande est compatible avec le redressement judiciaire de la SAS Sorequip prononcé en suite de la procédure de sauvegarde ; qu'en outre, il est bien-fondé à demander que sa créance, qu'il a régulièrement déclarée le 10 février 2011 entre les mains de Maître Piec mandataire judiciaire, soit fixée à la somme de 24 521 euro au titre de son manque à gagner causé par l'indisponibilité de la pelle litigieuse dans l'attente d'un engin de remplacement et au titre des frais de réparation hors garantie qu'il a supportés.

Monsieur Clain demande à la cour :

- d'infirmer le jugement rendu le 25 novembre 2010,

et statuant à nouveau,

- de déclarer son action oblique recevable,

- de dire et juger que la pelle hydraulique New Holland MH 3.6 n° de série ZEF 119WTN6LB01049 présente de nombreux vices cachés,

- en conséquence, d'enjoindre à la SAS Sorequip de remplacer l'engin défectueux par le même engin ou équivalent neuf exempt de tout vice, et ce sous astreinte de 500 euro par jour de retard à compter de la signification de l'arrêt à intervenir,

- de voir fixer sa créance au redressement judiciaire de la SAS Sorequip à la somme de 24 521 euro au titre du manque à gagner et des frais de réparation payés, et à la somme de 4 500 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Aux termes de ses conclusions signifiées et déposées le 10 octobre 2011, la SAS Sorequip oppose qu'à défaut d'identification de la cause des défauts incriminés, Monsieur Clain ne démontre pas l'existence des vices cachés qu'il allègue ; qu'en réalité, les fiches de dépannage de la pelle hydraulique litigieuse atteste de la réparation de différents désordres et non pas d'un désordre récurrent causé par un vice caché ; que Monsieur Clain ne démontre pas davantage que le vice prétendu préexistait à la vente ; qu'enfin, dès lors que ce vice n'est pas caractérisé, la cour n'est pas en mesure d'apprécier si l'action a bien été introduite dans le délai de 2 ans à compter de sa découverte ; qu'elle ne pourra qu'être rejetée.

A titre subsidiaire, la SAS Sorequip indique que si, par extraordinaire, la cour considérait que les vices cachés sont caractérisés, elle ne pourrait de toutes façons pas faire droit à la demande de remplacement de la pelle hydraulique, l'article 1644 du Code civil disposant que dans le cas des articles 1641 et 1643, l'acheteur a le choix de rendre la chose et de se faire restituer la prix, ou de garder la chose et de se faire rendre une partie du prix ; que s'agissant de la demande de Monsieur Clain en paiement de dommages-intérêts, la Cour ne pourra que constater qu'il ne justifie pas du préjudice que la SA Réunion Poids Lourds, qui a toujours été diligente pour intervenir en réparation et prêter un matériel de remplacement, lui aurait causé par sa faute ; qu'il prétend à un manque à gagner de 500 euro par jour, sans produire la moindre preuve de la facturation horaire dont il se prévaut, ainsi qu'à un manque à gagner de 30 jours à compter du 22 juillet 2009, alors que dès réception de sa réclamation à cette époque, la SA Réunion Poids Lourds y a donné suite sans délai.

La SAS Sorequip demande à la cour :

- de dire et juger Monsieur Clain irrecevable et en tout cas mal-fondé en ses demandes et en conséquence, de confirmer en son entier la décision déférée,

- de condamner Monsieur Clain à lui payer une somme de 3 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Aux termes de ses conclusions signifiées et déposées le 21 juillet 2011, la SNC Invest Loc 01 explique qu'elle a été constituée pour permettre à Monsieur Clain de procéder à l'acquisition de la pelle hydraulique litigieuse en bénéficiant de l'aide fiscale aux investissements réalisés dans les départements d'outre-mer ; que pour ce faire, elle a contracté un emprunt auprès de la Sorefi ; que le montant des loyers dus par Monsieur Clain est strictement identique au montant de ses propres échéances d'emprunt ; que son intervention est donc purement financière ; que de ce fait le contrat de location dont s'agit est proche d'un contrat de crédit-bail et comporte de même des dispositions dérogatoires ; qu'ainsi, l'article 3 dispose que le locataire reconnaît qu'il a choisi lui-même le matériel auprès du fournisseur et qu'en conséquence, le loueur ne supporte aucune responsabilité à raison de sa conception, de son état, de sa conformité ou de son fonctionnement ; que l'article 7 dispose que le locataire s'est déterminé en considération de ses seuls impératifs économiques et renonce à exercer tout recours à l'encontre du loueur au titre de l'obligation de délivrance et de jouissance ; qu'enfin l'article 8 prévoit que le locataire fait son affaire personnelle de tout recours contre son fournisseur pour toute cause que ce soit, notamment mises en jeu des garanties légales et/ou conventionnelles.

Monsieur Clain n'ayant pas maintenu sa demande subsidiaire en résolution de la vente de la pelle hydraulique litigieuse, les conclusions de la SNC Invest Loc 01 sur ce point sont devenues sans objet.

La SNC Invest Loc 01 s'en remet à la décision souveraine de la cour sur le bien-fondé des demandes formées par Monsieur Clain.

MOTIFS DE LA DÉCISION

La recevabilité de l'action oblique de Monsieur Clain, auquel il appartient de mettre en jeu les garanties légales ou conventionnelles en vertu de l'article 8 alinéa 6 du contrat conclu avec la SNC Invest Loc 01, n'est pas contestée.

Monsieur Clain exerce l'action en garantie des vices cachés de l'article 1641 du Code civil. Il lui incombe donc de rapporter la preuve du vice caché affectant la pelle hydraulique litigieuse et de ses différents caractères : défaut grave antérieur à la vente, inhérent à la chose vendue, et compromettant son usage.

En l'espèce, à l'appui de ses demandes, Monsieur Clain produit 12 fiches de dépannage à l'en-tête Réunion Poids Lourds.

Ces fiches de dépannage concernent des interventions effectuées entre le 13 septembre 2006 (8 jours d'ailleurs avant la signature du contrat de location de matériel conclu entre Monsieur Clain et la SNC Invest Loc 01) et le 29 août 2007.

Il apparaît que ces fiches de dépannages concernent des défauts divers. Elles ne rapportent donc pas la preuve d'un vice récurrent à l'origine de pannes successives identiques, que le vendeur se serait trouvé dans l'impossibilité de réparer.

D'autre part, ces fiches de dépannage ne démontrent pas que ces défauts divers ont rendu la pelle hydraulique impropre à son usage puisqu'il est établi qu'entre la première et la dernière intervention dont elles rendent compte, l'engin a été utilisé 1 353 heures, soit plus de 180 heures par mois puisqu'aux termes de son attestation en date du 18 mai 2007, la société Réunion Poids Lourds a reconnu qu'il avait été immobilisé pendant 2 mois et demi, du 30 mars au 15 juin 2007, période pendant laquelle il est établi que Monsieur Clain a bénéficié gratuitement d'une pelle hydraulique identique en remplacement.

Aucun désordre n'est démontré ni même allégué pour la période du 29 août 2007 au 3 mars 2008, date à laquelle il n'est pas contesté qu'une nouvelle panne est survenue qui a entraîné une nouvelle immobilisation, toujours avec mise à disposition gratuite d'un engin de remplacement jusqu'au 5 janvier 2009.

La note d'information déposée par Monsieur Jean-Gaël Grosso - Sarl Expertise Automobile - Bernard Mommey & Associés le 5 mars 2008 et le rapport d'expertise amiable qu'il a établi le 27 avril 2009, lesquels ne font pas l'objet d'objections techniques, établissent 'une cassure de la soudure reliant la tourelle au châssis'. Monsieur Grosso indique qu'il s'agit d'un défaut de construction consistant en un défaut de rigidité du châssis à l'origine de contraintes au niveau de la fixation de la tourelle entraînant une fatigue du métal à la jonction entre eux.

Ce désordre semble en rapport avec la fiche de dépannage du 29 août 2007 qui évoque une 'fissure dans châssis'. Il pourrait donc cette fois s'agir d'un désordre récurrent constitutif d'un vice caché, à la condition toutefois qu'il n'ait pas été réparé et compromette toujours l'usage normal de la pelle hydraulique. En effet, l'acheteur d'une chose comportant un vice caché qui accepte que le vendeur procède à la remise en état de la chose ne peut plus invoquer l'action en garantie dès lors que le vice originaire a disparu.

Or, en l'espèce, il résulte du procès-verbal contradictoire signé le 5 janvier 2009 par Monsieur Clain, Monsieur Traxel, représentant la société Réunion Poids Lourds, et Monsieur Grosso qu'à cette date, la soudure châssis-tourelle avait été reprise, que des renforts avaient été posés sur le châssis pour le rigidifier, et que la pelle hydraulique pouvait être restituée, " conforme " et fonctionnant normalement. Il est précisé que Monsieur Clain n'a pas supporté le coût de la réparation prise en charge en totalité, soit par la société Réunion Poids Lourds, en exécution de la garantie vendeur, soit par la société New Holland, en exécution de la garantie constructeur.

Certes, une dernière panne est encore intervenue le 20 janvier 2009. Mais il résulte du second rapport d'expertise amiable de Monsieur Grosso en date du 22 juin 2009 que cette panne ne concerne pas directement le défaut de rigidité du châssis précédemment constaté puisqu'elle résulte d'un défaut de puissance du balancier.

Monsieur Grosso conclut que la cause réelle de ce dysfonctionnement n'est pas déterminée clairement. Il indique qu'il est vraisemblablement dû à un défaut de montage ou de remontage lors de l'opération de réparation du châssis 15 jours plus tôt. Cependant, il ne s'agit que d'une hypothèse que l'expert lui-même n'a pas confirmée et qui en tout cas, n'a pas été vérifiée contradictoirement.

Au demeurant, encore une fois, le 17 février 2009, Monsieur Grosso a constaté que le matériel était réparé, toujours intégralement aux frais de la société Réunion Poids Lourds, une pelle hydraulique identique ayant encore été gratuitement fournie à Monsieur Clain pendant la réparation.

Monsieur Clain ne démontre pas que cette réparation n'a pas permis de remédier au défaut de puissance du balancier.

En réalité, à ce moment-là, ainsi qu'il l'a lui-même indiqué à Monsieur Grosso, Monsieur Clain a décidé de ne pas reprendre possession du matériel réparé sur conseil de son avocat. Il convient de relever que les courriers recommandés qu'il a adressés à la société Réunion Poids Lourds en mars et juillet 2009 attestent qu'à cette période, il disposait toujours de la pelle hydraulique de prêt dont on ignore d'ailleurs si elle a été restituée depuis, et si oui, à quelle date. Il convient également de relever que Monsieur Clain n'a pas mis à profit l'immobilisation de la pelle hydraulique litigieuse dans les locaux de la société Réunion Poids Lourds pour solliciter l'organisation d'une mesure d'expertise judiciaire comme il est d'usage dans ce type de contentieux.

Il résulte de tout ce qui précède que Monsieur Clain n'a pas rapporté la preuve que la pelle hydraulique New Holland MH 3.6 acquise auprès de la SA Réunion Poids Lourds est affectée de vices persistants déterminés à l'origine de pannes répétitives compromettant l'usage normal de l'engin. Il ne rapporte pas davantage la preuve que le vendeur n'est pas parvenu à remédier aux divers désordres successifs qui ont affecté la pelle hydraulique et que depuis le 17 février 2009, date de la dernière réparation, ensuite de laquelle il n'a plus voulu en reprendre possession, elle ne peut pas fonctionner normalement.

Le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu'il a débouté Monsieur Clain de toutes ses demandes au motif qu'il ne démontrait pas l'existence des vices cachés allégués.

Monsieur Clain qui succombe sera condamné aux dépens d'appel, mais l'équité et la situation respective des parties conduisent à rejeter les demandes de la SAS Sorequip et de la SNC Invest Loc 01 sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement, en matière commerciale, par arrêt contradictoire et en dernier ressort, Confirme en toutes ses dispositions le jugement entrepris. Déboute la SAS Sorequip et la SNC Invest Loc 01 de leurs demandes sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile; Condamne Monsieur Clain aux dépens d'appel.