CA Basse-Terre, 2e ch. civ., 12 décembre 2011, n° 09-00198
BASSE-TERRE
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Mizik & Music Productions (SARL)
Défendeur :
Cama (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Pierre
Conseillers :
M. De Romans, M. Fouasse
Avocats :
SELARL Deraine, Me Bille
Le 25 juin 2002, la société Cama a vendu à la société Mizik & Music Productions un véhicule Renault Vel Satis neuf moyennant le prix de 38 725 euro payé grâce à un crédit accessoire de 35 000 euro en principal contracté auprès de la Soguafi.
Suivant ordonnance de référé rendue le 18 novembre 2005, le président du tribunal de grande instance de Pointe à Pitre, saisi par assignation délivrée le 29 septembre 2005 à la demande de la société Mizik & Music Productions à la société Cama, a désigné M. Coyo en qualité d'expert afin d'examiner le véhicule qui aurait été l'objet de multiples pannes auxquelles la société venderesse n'aurait pu remédier.
Le 3 mai 2007, l'expert désigné a déposé son rapport en concluant à une absence de fiabilité du véhicule liée à l'existence d'un vice de construction.
Suivant jugement rendu le 10 octobre 2008 et auquel il est renvoyé pour l'exposé des prétentions initiales des parties, le tribunal mixte de commerce de Pointe à Pitre, saisi par assignation délivrée le 24 juillet 2007 par la société Mizik & Music Productions à la société Cama en résolution du contrat de vente en date du 25 juin 2002 portant sur le véhicule Renault Vel Satis et en paiement de la somme de 44 767,20 euro correspondant au crédit accessoire à l'acquisition de ce véhicule, de celle de 32 760 euro à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi et justifié et de celle de 2500 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, a notamment :
- constaté la forclusion de l'action engagée sur le fondement de l'article 1648 du Code civil,
- déclaré les demandes irrecevables,
- dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamné la demanderesse aux dépens.
Par déclaration reçue le 11 février 2009 au greffe de cette cour, la société Mizik & Music Productions a interjeté appel de cette décision.
Suivant ordonnance rendue le 20 juin 2011 et communiquée aux avocats, la clôture de l'instruction a été déclarée.
Prétentions des parties
Dans le dernier état de ses conclusions en date du 2 mai 2011, la société Mizik et Music Productions demande à la cour
à titre principal
vu les articles 1135, 1386-6 et suivants et 1183 et suivants du Code civil,
vu le rapport d'expertise de M. Coyo,
- d'infirmer la décision déférée,
- de constater que le véhicule litigieux est toujours dans les locaux de la société Cama,
- d'ordonner la résolution du contrat de vente du 26 juin 2002 portant sur le véhicule Renault Vel Satis immatriculé n° 103 ATE 971 pour défaut de conformité de la chose vendue et manquement par le vendeur à son devoir de conseil et à son professionnalisme,
- de condamner la société Cama Renault à lui payer :
- la somme de 44 767, 20 euro correspondant au coût du crédit accessoire à cette vente
- la somme de 32 760 euro à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi et justifié
- de dire que le paiement de la somme de 44 167,20 euro se fera contre remise du véhicule à la société Cama Renault,
subsidiairement, en cas d'une action soumise à bref délai,
- de constater le report du point de départ du délai de forclusion de l'action engagée du fait de pourparlers pour un arrangement à l'amiable entre les parties,
- de constater que la durée du délai a été prolongée ou suspendue du fait des pourparlers pour un arrangement à l'amiable entre les parties
- de constater que la société appelante ne pouvait avoir connaissance de la nature du vice caché sans la mise en œuvre de l'expertise judiciaire,
en tout état de cause
- de condamner la société Cama Renault à lui payer la somme de 4 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens en ce compris les frais d'expertise.
Dans le dernier état de ses conclusions en date du 17 mars 2011, la société Cama demande à la cour
- de statuer ce que de droit sur la recevabilité de l'appel,
vu les articles 1183 et suivants et l'article 1648 du Code civil (dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance de février 2005) et l'arrêt rendu par la Cour de Cassation le 14 mai 1996 ;
- de confirmer en toutes ses dispositions le jugement du 10 octobre 2008 en ce qu'il a notamment considéré irrecevable l'action en résolution pour vices cachés intentée après l'expiration du bref délai prévu à l'article 1648 du Code civil,
y ajoutant
- de dire que les pourparlers initiés après l'expiration du bref délai ne peuvent en aucun cas faire revivre un nouveau bref délai,
-de débouter l'appelante de toutes ses demandes,
- de condamner la société Mizik & Music Productions à payer à la somme de 5 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens dont distraction au profit de la SELARL Jean-Marc Deraine,
subsidiairement
- de dire que l'appelant ne démontre pas l'existence de vices graves existant au moment de la vente du véhicule de nature à en compromettre l'usage destiné à la conduite,
- de rejeter l'ensemble des demandes de l'appelante,
- de condamner cette dernière à lui payer la somme de 5 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens dont distraction au profit de la SELARL Jean-Marc Deraine.
Discussion
Sur la nature de l'action engagée
Aux termes des pièces produites et notamment des relevés ou factures d'intervention et des échanges de courrier entre les parties, il est établi que le véhicule Renault Vel Satis a présenté après huit mois d'utilisation des dysfonctionnements ne relevant pas des révisions habituelles en liaison avec l'intensité de son usage.
C'est ainsi que divers problèmes électriques ont été relevés occasionnant diverses interventions mais surtout la surchauffe du moteur, et du turbo qui lui est associé, conduisant à son remplacement après seulement environ 30 000 km parcourus mais que celui-ci s'est de nouveau arrêté entraînant des échanges de courriers par lesquels la société Renault Cama reconnaissait la multiplicité de ses interventions puis acceptait le dépôt du véhicule dans son garage afin de procéder à des examens approfondis, mettant alors à la disposition de la société Mizik & Music Productions un véhicule de courtoisie, ce qui dura environ huit mois jusqu'à la mise en œuvre de l'expertise rappelée ci-dessus.
Aux termes des conclusions de l'expertise réalisée par M. Coyo, après examen du véhicule et essai sur route d'une dizaine de kilomètres ainsi que communication du dossier d'intervention d'atelier, les pannes répétées affectant le véhicule litigieux ne relèvent pas d'un défaut d'entretien ou de négligence de l'utilisateur mais aussi que, malgré toutes les opérations techniques spéciales préconisées par le constructeur et effectuées sur ce véhicule, la société Cama Renault ne peut résoudre tous les problèmes présentés sur celui-ci pour garantir une fiabilité d'utilisation et, enfin, que ces pannes ont pour origine un défaut de construction.
A cet égard, dans le cadre de la détermination de l'action engagée, d'une part, cet élément d'analyse n'est pas contesté par les parties et spécialement par l'appelante qui le qualifie elle-même de vice de conception. D'autre part, elle ne démontre pas la non-conformité de la délivrance du véhicule par rapport à la commande ni l'erreur sur les qualités substantielles, d'ailleurs non alléguée à l'occasion de l'engagement de la procédure de référé-expertise fondée sur l'existence éventuelle d'un vice caché, et pas davantage l'existence d'un dommage résultant d'une éventuelle défectuosité du véhicule.
Dès lors, c'est à juste titre que le premier juge, constatant l'éventuelle existence d'un défaut de la chose vendue la rendant impropre à sa destination normale, a qualifié l'action engagée d'action en garantie des vices cachés fondée sur les articles 1641 et suivants du Code civil.
La décision déférée sera confirmée de ce chef.
Sur la forclusion
Aux termes de l'article 1648 alinéa 1 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à celle résultant de l'article 3 de l'ordonnance n° 2005-136 du 17 février 2005, l'action résultant des vices rédhibitoires doit être intentée par l'acquéreur, suivant la nature des vices rédhibitoires, et l'usage du lieu où la vente a été faite.
Il résulte des pièces produites que, à l'issue de la garantie contractuelle, consciente des interventions anormalement réitérées sur le véhicule Renault Vel Satis qu'elle avait vendu à la société Mizik & Music Productions, la société Renault Cama a d'abord assuré cette dernière de l'attention qui serait portée à ce véhicule puis lui a proposé de le conserver dans ses ateliers le temps nécessaire aux examens adéquats puis de trouver une solution adaptée aux dysfonctionnements constatés conjointement, tout en mettant à sa disposition un véhicule de courtoisie.
Le tout a duré environ huit mois aux termes desquels la société Mizik & Music Productions, faute de solution proposée par la société Renault Cama, qui est restée taisante sur la nature et le résultat des opérations de contrôle auxquelles elle aurait procédé pendant ce laps de temps, a engagé une procédure de référé expertise afin de faire vérifier si les pannes affectant notamment le moteur du véhicule avaient pour origine un vice de construction, véhicule toujours en dépôt dans les locaux de la société Renault Cama.
L'expertise a certes duré environ deux ans mais un délai a été laissé par l'expert, à la demande de la société Renault Cama, dans la perspective de propositions amiables qui n'ont en définitive pas été effectuées et se sont traduites par un dire de contestation des conclusions du prérapport.
Quoi qu'il en soit, il est incontestable que ce n'est qu'au terme du dépôt du rapport d'expertise que l'éventuel vice caché a pu être révélé, conduisant alors la société Mizik & Music Productions à faire assigner sur le fond la société Renault Cama.
Dans ces conditions, le véhicule étant toujours immobilisé depuis son dépôt pour examen dans les locaux de la société Renault Cama, à la demande de cette dernière, qui ne s'est plus manifestée jusqu'à l'engagement de la procédure de référé expertise qui, seule, a permis de connaître l'existence d'un vice caché en l'espèce de construction, il y a lieu de considérer que la société Mizik & Music Productions a agi à bref délai.
Dès lors, la décision déférée doit être infirmée de ce chef.
Sur le fond
Aux termes du rapport d'expertise qui se réfère, sans les détailler, aux éléments du rapport préliminaire soumis à l'examen contradictoire des parties, l'absence de fiabilité d'utilisation du véhicule litigieux est fondée notamment sur les désordres répétitifs affectant le moteur diesel et son turbo et entraînant de multiples immobilisations en dépit de multiples interventions puis du remplacement de ce dernier à l'issue de seulement 30 000 km de roulage dans des conditions normales, suivi d'une nouvelle immobilisation en raison d'une nouvelle défectuosité, alors même que, d'après l'annexe jointe à ce rapport, le constructeur Renault retient l'existence d'une casse anormale de ce turbomoteur diesel lorsqu'elle intervient après 80 000 à 120 000 km d'utilisation et la prise en charge de 80 % du montant des réparations.
Dans ces conditions, il y a lieu de considérer que le véhicule vendu est affecté d'un vice caché, inhérent à sa construction et entachant tellement la fiabilité du véhicule dans des conditions normales de roulage par l'existence de pannes multiples affectant notamment le moteur de ce véhicule qu'elle le rend impropre à son usage.
Dès lors, c'est à juste titre que la société Mizik & Music Productions sollicite la résolution du contrat de vente de ce véhicule pour vice caché et le remboursement par la société Cama Renault, vendeur professionnel, des frais qui ont été alors occasionnés et représentés par le montant du prix et des intérêts du prêt accessoire à la vente contracté pour le payer c'est-à-dire la somme de 44 767,20 euro par application des dispositions des articles 1644 et 1645 du Code civil.
En revanche, l'appelante sera déboutée du surplus de sa demande en paiement faute de démontrer l'existence du préjudice allégué, étant constaté au surplus qu'un véhicule de courtoisie a été mis à sa disposition.
Sur l'article 700 du Code de procédure civile
L'équité commande d'allouer la somme de 3 000 euro à la société Mizik & Music Productions.
Sur les dépens
La société Cama Renault succombant principalement supportera les entiers dépens en ce compris les frais d'expertise.
Par ces motifs - Infirme partiellement le jugement rendu le 10 octobre 2008 par le Tribunal mixte de commerce de Pointe-à-Pitre, - Statuant à nouveau : - Prononce pour vice caché la résolution du contrat de vente du 26 juin 2002 portant sur le rôle véhicule Renault Vel Satis immatriculé n° 103 ATE 971 passé entre la société Renault Cama et la société Mizik & Music Productions, - Condamne la société Cama Renault à payer à la société Mizik & Music Productions la somme de 44 767,20 euro en restitution du prix de vente et en réparation du préjudice subi dès restitution de la carte grise du véhicule, ce dernier étant toujours entre les mains de la société Cama Renault, - Déboute la société Mizik & Music Productions de sa demande en paiement de dommages et intérêts complémentaires.