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Décisions

CA Douai, 1re ch. sect. 1, 31 janvier 2011, n° 10-01036

DOUAI

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Seccacier (SARL)

Défendeur :

E.S.N (Sté), SMABTP (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Merfeld

Conseillers :

M. Parichet, Mme Doat

Avoués :

SCP Levasseur-Castille-Levasseur, SCP Carlier-Regnier

Avocats :

Mes Horiot, Verley

TGI Boulogne sur Mer, du 15 déc. 2009

15 décembre 2009

Le 27 janvier 1999 la société ESN a commandé à la société Seccacier trois chaudières destinées à être installées au lycée Sophie Berthelot à Calais, deux chaudières à condensation inox primarex L11 et une chaudière modurex B 32.

Ces chaudières ont été installées par la société ESN.

Cette installation est intervenue dans le cadre de travaux de rénovation concernant plusieurs lycées de la région Nord - Pas de Calais, le conseil régional ayant souscrit auprès de la SMABTP une convention cadre police unique de chantier, l'ensemble des entrepreneurs intervenant sur le chantier étant assurés en responsabilité civile décennale, ce qui était le cas de la société ESN titulaire du lot plomberie, sanitaire, chauffage, ventilation, désenfumage.

Le 11 avril 2006 le conseil régional du Nord - Pas de Calais a adressé une déclaration de sinistre à la SMABTP concernant deux fuites affectant les chaudières à condensation Inox Primarex L11.

La SMABTP a alors désigné un expert, le Cabinet Saretec qui a déposé un rapport préliminaire le 18 juillet 2006 puis un rapport complémentaire le 2 octobre 2006.

Le 26 septembre 2006 le conseil régional Nord Pas-de-Calais a refusé la solution de réfection de la chaudière n° 1 et a décidé son remplacement aux frais de qui il appartiendra, estimant que le changement s'imposait de manière urgente eu égard à la fréquentation de l'établissement par 1 500 élèves à l'approche de l'hiver.

La SMABTP a donné son accord pour le remplacement de la chaudière n° 1 et la poursuite des investigations concernant la chaudière n° 2 et en a effectué le règlement.

Par une ordonnance du 31 octobre 2006 rendue sur requête de la société ESN et de la SMABTP le Président du Tribunal de grande instance de Boulogne sur Mer a désigné un expert avec mission d'examiner les deux chaudières.

L'expert commis, Monsieur Nacci, a déposé son rapport le 28 juillet 2008.

Saisi par la société ESN et la SMABTP, le Tribunal de grande instance de Boulogne sur Mer, par jugement en date du 15 décembre 2009 rendu au visa des articles 1641 et suivants du Code civil, a entériné le rapport d'expertise, condamné la société Seccacier à payer la somme de 31 976,95 euro à la SMABTP assortie des intérêts judiciaires au taux légal à compter du 27 septembre 2007, condamné la société Seccacier à verser la somme de 11 694,00 euro à la société ESN assortie des intérêts au taux légal à compter du 27 septembre 2007, condamné la société Seccacier à verser à la SMABTP et à la société ESN la somme de 1 500,00 euro chacune au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et a condamné la société Seccacier aux dépens.

Par déclaration en date du 12 février 2010 la SARL Seccacier a interjeté appel de ce jugement.

Aux termes de ses conclusions déposées le 14 juin 2010 la SARL Seccacier sollicite l'infirmation en toutes ses dispositions du jugement déféré, demande que soit ordonnée en tant que de besoin la restitution de la somme de 50 610,52 euro qu'elle a versée en application de l'exécution provisoire attachée au jugement attaqué et reconventionnellement sollicite la condamnation des sociétés SMABTP et ESN in solidum à lui payer la somme de 10 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile. Elle fait valoir que la demande est mal fondée dans son principe pour plusieurs raisons :

- d'abord la décision de remplacement de la chaudière n° 1 a été prise par la SMABTP de sa propre initiative sans tenir compte de sa proposition de réparation en la privant de la possibilité d'exercer sa garantie contractuelle et lui est inopposable,

- ensuite que sa responsabilité au titre de la garantie des vices cachés n'est pas établie, l'acheteur ne rapportant pas la preuve d'une part du vice caché et d'autre part de l'antériorité du vice par rapport à la vente, la chaudière ayant fonctionné normalement depuis son installation en 1999 jusqu'en 2006,

- enfin que contrairement à ce qui lui était demandé dans le cadre de sa mission l'expert n'a pas chiffré le coût des réparations mais a simplement affirmé que compte tenu du caractère délicat d'une réparation celle-ci était exclue,

- en outre l'expert n'a pas correctement rempli sa mission dès lors qu'il n'a pas pris en considération les observations ou réclamations des parties en se refusant à procéder à des investigations complémentaires qui lui étaient demandées,

La SARL Seccacier ajoute que la demande de la SMABTP et de la société ESN n'est pas plus valablement fondée sur les articles 1134 et 1382 du Code civil qui étaient également visés sans précision et sans articulation avec les éléments du litige dans leurs écritures,

A titre subsidiaire la SARL Seccacier fait valoir que la demande est mal fondée en son montant.

En premier lieu la somme de 43 050,00 euro a été fixée par la SMABTP hors de toute discussion et de toute procédure contradictoire.

En second lieu et surtout, au titre de la garantie des vices cachés, le montant de la condamnation ne pouvait dépasser le prix de la vente soit 36 586,00 euro et de plus dans l'hypothèse où l'action rédhibitoire est accueillie le montant correspondant au prix de vente doit être diminué à raison de l'utilisation qui a été faite par l'acquéreur de la chose avant la résolution et si l'expert dans son rapport a d'ailleurs effectué un calcul en ce sens il a commis une erreur puisque si l'on tient compte du fait que la chaudière a fonctionné normalement pendant 6 ans, la valeur qui aurait dû être retenue est de 25 609,50 euro.

En toute hypothèse la société Seccacier estime que même si il est établi qu'elle est responsable de la fuite elle ne peut être condamnée à payer une somme supérieure au coût de la réparation consistant à remplacer la pièce siège de la fuite qu'elle avait proposée d'effectuer immédiatement et gratuitement dès l'origine.

Aux termes de leurs dernières écritures déposées le 8 septembre 2010 les sociétés SMABTP et ESN concluent à la confirmation en toutes ses dispositions du jugement déféré et au débouté de la totalité des demandes de la société Seccacier.

Les intimées font valoir que la chaudière était effectivement affectée d'un vice caché, que la société Seccacier est seule responsable des dysfonctionnements observés, que la chaudière n'était pas réparable, l'origine de la fuite n'ayant pu être détectée, que la preuve de l'existence du vice caché ressort clairement tant du rapport de la société Saretec que des conclusions de l'expertise judiciaire de Monsieur Nacci dont la société Seccacier conteste la qualité mais qui s'est abstenue de saisir le juge chargé du contrôle des expertises des difficultés qu'elle allègue.

Elle précise que l'expert a pris soin de répondre à chaque dire qui lui a été adressé par le conseil de la société Seccacier et que tous les essais que celle-ci a sollicités ont été réalisés même si ils se sont révélés difficilement réalisables voire inopérants de sorte que l'expert judiciaire a conclu en toute connaissance de cause que la seule solution consistait à remplacer la chaudière.

S'agissant du quantum de la réparation les sociétés ESN et SMABTP font valoir que la société Seccacier a l'obligation de remettre les parties dans les mêmes et semblables états où elles se trouvaient avant le sinistre et que dès lors leur demande de réparation intégrale du préjudice subi est fondée.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur l'existence d'un vice caché :

L'article 1641 du Code civil dispose que le vendeur est tenu de la garantie en raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine ou qui diminuent tellement cet usage que l'acheteur ne l'aurait pas acquise ou n'en aurait donné qu'un moindre prix s'il les avait connus.

Le vice caché se définit par un défaut inhérent à la chose vendue affectant la chose elle-même dans sa conception, sa fabrication, ses caractéristiques techniques compromettant l'usage de la chose. Il doit être antérieur à la vente.

La charge de la preuve incombe à l'acheteur.

Du rapport d'expertise judiciaire déposé par Monsieur Ange Nacci le 28 juillet 2008 il ressort :

- que la chaudière n° 2 est en état de fonctionnement,

- que la chaudière n° 1 présente une fuite importante,

- que la localisation de la fuite au moyen d'un endoscope s'est avérée impossible,

- que la chaudière n'est pas raisonnablement réparable, la fuite n'ayant pu être localisée, qu'il existe une ou plusieurs hypothèses de fuites internes ne pouvant être déterminées, que la réparation exigerait des investigations complexes et des démontages de tôles soudées sans certitude d'obtenir un résultat et que le coût de ces investigations serait supérieur au prix de la chaudière sans que l'on puisse être certain malgré les moyens mis en œuvre de pouvoir la réparer,

- que la chaudière doit donc être considérée en perte totale,

L'expert en définitive conclut que les fuites constatées sur la seule chaudière n° 1 fabriquée par Seccacier sont la conséquence d'un défaut d'assemblage par soudure des tôles qui constituent la chaudière. Des fissures se sont développées dans le temps aux droits des gorges de soudures sous l'effet des contraintes mécaniques et thermiques.

En dehors de toute considération d'origine de la cause de la fuite la conception par double parois en tôle mécano soudé des chaudières leur confère un très haut rendement thermique au détriment d'un mode opératoire à la construction qui ne peut respecter les règles de l'art ni assurer des opérations de maintenance pour le colmatage des fuites.

Il résulte donc bien de ces conclusions circonstanciées de l'expert que la chaudière litigieuse présente un vice l'affectant dans sa conception, sa fabrication et ses caractéristiques techniques empêchant l'utilisation de celle-ci de manière normale et conforme à sa destination.

L'impossibilité de localisation exacte de la fuite est indifférente dès lors que l'origine de ce dysfonctionnement est interne à la machine elle-même.

L'expert a examiné toutes les hypothèses de travail, a répondu aux dires que lui ont adressés les parties contrairement à ce qu'allègue la société Seccacier, précise même en page 15 de son rapport que les demandes qu'il a pu formuler pour tenter de restreindre le champ des investigations afin de localiser la fuite et de limiter les coûts de la réparation sont restées sans réponse. Il ajoute en page 17 de son rapport qu'il regrette que la société Seccacier ne lui ait pas communiqué une méthode de réparation fiable et ne lui ait pas davantage communiqué les zones d'intervention en vue d'une réparation définitive.

De l'ensemble de ces éléments il ressort donc sans ambiguïté que la chaudière n° 1 est affectée d'un vice inhérent à sa conception et sa fabrication et antérieur à la vente, qui présente les caractères d'un vice caché au sens de l'article 1641 du Code civil.

Sur le montant de la réparation :

L'article 1643 du Code civil dispose que le vendeur est tenu des vices cachés quand même il ne les aurait pas connus à moins que dans ce cas il n'ait stipulé qu'il ne sera obligé à aucune garantie.

Aux termes de l'article 1644 dans le cas des articles 1641 et 1643 l'acheteur a le choix de reprendre la chose et de se faire restituer le prix ou de garder la chose et de se faire rendre une partie du prix telle qu'elle sera arbitrée par les experts.

Enfin l'article 1645 dispose que si le vendeur connaissait les vices de la chose il est tenu outre la restitution du prix qu'il en a reçu de tous dommages-intérêts envers l'acheteur.

La SMABTP a fait choix de l'action estimatoire qui lui permet de solliciter la restitution d'une partie du prix correspondant à la remise en état.

En l'espèce le coût du remplacement de la chaudière tel qu'il a été évalué par l'expert est supérieur au prix de la vente et la société Seccacier soutient que la somme à restituer ne peut être supérieure à ce montant.

Cependant la réduction du prix est proportionnelle à la diminution de la valeur de la chose et trouve sa limite maximale dans le montant total de ce qu'a payé l'acquéreur. Les dommages et intérêts sont dus jusqu'à réparation intégrale du préjudice subi si le vendeur est un professionnel. L'acquéreur est donc en droit, tout en conservant le chose, de demander une indemnisation qui dépasse le montant du prix.

Les dispositions de l'article 1645 sont applicables au vendeur professionnel comme au fabricant tenus de connaître les vices affectant la chose et qui doivent réparer l'intégralité du préjudice provoqué par le vice affectant la chose vendue.

En conséquence aucun abattement pour vétusté ayant pour objet de réduire la réparation du préjudice subi ne peut être pratiqué, l'acquéreur ayant droit à réparation intégrale de son préjudice, qui ne peut être assurée autrement que par le remplacement de la chaudière.

L'expert en page 15 de son rapport a évalué le préjudice à la somme globale de 43 050,00 euro HT, et en pratiquant un abattement pour vétusté, a arrêté l'indemnité à 34 440 euro HT.

La Cour ayant écarté l'abattement pour vétusté, c'est donc le montant de 43 050,00 euro qui doit être retenu.

Cette évaluation correspond d'ailleurs exactement aux demandes formées par la SMABTP et la société ESN en première instance. Le premier juge a cependant retenu un mode de calcul différent en se fondant sur les factures établies par la société ESN à la suite des travaux de remplacement de la chaudière.

Cependant la Cour ne peut se fonder sur ces factures puisqu'elles émanent de la société ESN partie à l'instance. Le préjudice retenu doit être celui arrêté par l'expert.

Celui-ci avait également intégré au préjudice les frais de recherche et d'investigation nécessaires pour définir la faisabilité de la réparation mais sans les chiffrer. En l'absence d'évaluation neutre et objective desdits frais aucune indemnisation se saurait être allouée de ce chef.

Le jugement sera donc réformé du chef du montant de l'indemnisation qui sera fixé à la somme de 43 050 euro HT.

Des pièces produites il ressort que :

- le total des travaux effectués par ESN s'élève à 43 970,75 euro HT,

- la SMABTP a versé une somme de 32 276,75 euro, le différentiel de 11 694 euro correspondant à la franchise contractuelle.

La SMABTP, assureur dommage ouvrage qui est subrogée dans les droits du conseil général ne peut agir que dans la limite du montant qu'elle a payé.

La société ESN assurée auprès de la SMABTP est tenue envers le conseil général au titre de la garantie décennale des constructeurs. En sa qualité d'acquéreur initial de la chaudière elle bénéficie de la garantie des vices cachés de la chose vendue.

En conséquence compte tenu du montant global de l'indemnisation, fixé à 43 050 euro, il convient de condamner la société Seccacier à payer:

- à la SMABTP la somme de 32 276,75 euro montant de l'indemnité qu'elle a réglée,

- et à la société ESN la somme de 10 773,25 euro,

Lesdites sommes étant assorties des intérêts au taux légal à compter du jugement, date d'évaluation de la créance.

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a dit qu'il était inéquitable de laisser à la charge des sociétés ESN et SMABTP les entiers frais irrépétibles et leur a alloué à chacune la somme de 1 500 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Même si la condamnation à paiement prononcée par le premier juge est réformée dans son montant, en son principe la condamnation de la société Seccacier est confirmée et celle-ci succombe donc en son appel. Elle supportera dès lors la charge des dépens d'appel et de ce fait sa demande d'allocation d'une somme de 10 000 euro sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ne peut qu'être rejetée.

Par ces motifs : - LA COUR statuant contradictoirement, - Confirme le jugement en ses dispositions non contraires au présent arrêt, - Le réforme du chef du montant de la condamnation prononcée en principal, - Condamne la société Seccacier à payer à la SMABTP la somme de 32 276,75 euro et à la société ESN la somme de 10 773,25 euro, lesdites sommes portant intérêt au taux légal à compter du 15 décembre 2009, date du jugement.