CA Versailles, 12e ch. sect. 2, 13 octobre 2011, n° 10-05744
VERSAILLES
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Binet
Défendeur :
Renault (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Maron
Conseillers :
Mmes Brylinski, Beauvois
Avoués :
SCP Jullien - Lecharny - Rol - Fertier, Me Binoche
Avocats :
Mes Bouchaud, Guennec
FAITS ET PROCEDURE :
Arnaud Binet a, le 9 juillet 2003, fait l'acquisition d'un véhicule d'occasion de marque Renault, modèle Laguna Dynamic 1.9D 7CV, immatriculé 4594TZ 76, pour un prix de 19 175 euro.
Ce véhicule avait été mis en circulation le 17 mars 2002 et totalisait 9 000 kilomètres au compteur.
Il a exposé que le 25 mai 2005, le véhicule, dont le kilométrage était alors de 110 059 km, est tombé en panne.
Arnaud Binet a alors fait effectuer des réparations auprès de la concession Renault de Vannes pour un montant total TTC de 3 083,12 euro.
Les travaux portaient notamment sur la courroie de distribution (kit et main d'œuvre) pour un montant de 1 623,34 euro et le remplacement du turbocompresseur pour un montant de 1 168,58 euro
Le 12 juin 2006, alors que le véhicule totalisait 150 340 km, un défaut de fonctionnement du turbocompresseur a nécessité de nouvelles réparations - qui ont été intégralement prises en charge dans le cadre de la garantie annale pièces et main d'œuvre.
En août 2007, le véhicule a rencontré des problèmes d'amortisseurs puis en octobre 2007, alors que le véhicule totalisait 197 667 km, une panne de boîte de vitesse et d'embrayage, et Arnaud Binet a effectué des réparations pour un montant total de 2 960 euro.
Le 23 janvier 2008, alors que le véhicule totalisait 210 000 km, alerté par l'allumage du voyant de résistance, Arnaud Binet s'est rendu chez le concessionnaire Renault de Vannes qui a alors établi un devis en date du 22 février 2008 portant sur le remplacement du moteur et du turbocompresseur pour un montant total de 9 537,97 euro TTC.
Arnaud Binet s'est alors adressé à la direction commerciale de Renault par lettre RAR en date du 10 février 2010 afin de solliciter la prise en charge du véhicule et, le 6 mars 2010, la direction commerciale de Renault a refusé la prise en charge sollicitée au motif que le véhicule n'avait pas été entretenu conformément aux prescriptions du constructeur figurant sur le carnet d'entretien du véhicule.
Après vaines tentatives de solution amiable du litige, Arnaud Binet a assigné Renault devant le Tribunal de commerce de Nanterre, par acte en date du 8 septembre 2008 pour voir juger que le véhicule de marque Renault modèle Laguna immatriculé 4594TZ76 qu'il avait acquis était atteint d'un vice caché, pour obtenir condamnation de la société Renault SAS à réparer le préjudice, soit la somme de 15 000 euro se décomposant en 10 000 euro de préjudice économique et 5 000 euro de préjudice moral ainsi que 3 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par le jugement déféré, en date du 19 mai 2010, cette juridiction a débouté Arnaud Binet de ses demandes et l'a condamné à payer à Renault la somme de 1 200 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Arnaud Binet a interjeté appel de cette décision.
Sur ce, LA COUR
Vu l'article 455 du Code de procédure civile et les conclusions des parties en dates des 21 mars 2011 pour Arnaud Binet et 15 février 2011 pour Renault SAS,
Attendu qu'Arnaud Binet fait valoir que le véhicule qu'il a acquis était affecté d'un vice caché au niveau du turbocompresseur dont il est résulté une détérioration du moteur très grave et anormale résultant du non fonctionnement dudit organe ; qu'il avance, pour en démontrer l'existence, le fait que la première panne est survenue le 25 mai 2005 et a affecté le turbocompresseur qui a dû être remplacé alors que le véhicule affichait seulement 110 059 km ; que la seconde panne est intervenue moins d'un an plus tard, soit le 12 juin 2006 et que le turbocompresseur a de nouveau dû être remplacé alors que le véhicule affichait 150 340 km, précisant que les réparations ont alors été intégralement prises en charge dans le cadre de la garantie annale, pièces et main d'œuvre et que la troisième panne est survenue le 23 janvier 2008, le concessionnaire Renault de Vannes ayant alors établi un devis en date du 22 février 2008 portant sur le remplacement du moteur et du turbocompresseur, pour un montant total de 9 537,97 euro TTC ; qu'il fait valoir que dans ces conditions on ne saurait nier l'existence d'un vice caché, le turbocompresseur ayant dû être changé à trois reprises, en un laps de temps extrêmement réduit, et à 50 000km d'intervalle ; qu'il ajoute qu'une note confidentielle du constructeur relative à la détérioration mécanique du turbocompresseur affectant différents véhicules et en particulier la Laguna II spécifie que " pour éviter tout risque de récidive, suite au remplacement du turbocompresseur, il est impératif d'appliquer les opérations et les consignes de remplacement du turbocompresseur (voir NT 3938 A, moteur F9Q, Casse turbocompresseur : Consignes de remplacement) :
1 Nettoyage des conduits d'admission d'air,
2 Remplacement de l'échangeur air-air,
3 Remplacement du conduit d'air amont turbocompresseur,
4 Vidange de l'huile moteur,
5 Remplacement du filtre à huile,
6 Remplacement des tuyaux d'alimentation et retour d'huile turbocompresseur,
7 Remplacement de tous les joints d'étanchéité déposés. "
et indique qu'en outre des centaines d'articles de presse publiés sur les sites internet montrent que le vice affectant le turbocompresseur a été dénoncé par des centaines de consommateurs ;
Attendu qu'Arnaud Binet ajoute que le constructeur ne l'a jamais mis en garde sur l'existence du vice affectant cet organe alors qu'il était parfaitement connu du constructeur Renault ; que s'agissant du prétendu défaut d'entretien du véhicule, cette argumentation ne résiste pas à l'analyse des factures produites par lui et démontrant qu'il a toujours correctement entretenu son véhicule ;
Attendu que Renault fait valoir qu'Arnaud Binet a acquis le véhicule objet du litige alors qu'il s'agissait d'un véhicule d'occasion ; et qu'il l'a acquis pour un prix de 19 175 euro, auprès d'un concessionnaire de marque Citroën ; qu'il s'agissait d'un véhicule mis pour la première fois en circulation le 17 mars 2002, qui avait déjà parcouru au jour de la vente 9 000 kilomètres ; qu'il indique qu'après la première panne, dont on ne sait dans quelles conditions celle-ci est survenue, les réparations correspondantes ont été effectuées par le garage SVDA situé à Vannes ; que le 12 juin 2006, alors que le véhicule avait parcouru 150 340 kilomètres, le turbocompresseur a de nouveau dû être remplacé et qu'au début de l'année 2008, aux dires d'Arnaud Binet, celui-ci aurait été alerté par le témoin de résistance qui se serait allumé au tableau de bord de son véhicule et que le garage SVDA de Vannes aurait diagnostiqué un remplacement du moteur et du turbocompresseur à effectuer sur son véhicule, alors que ce véhicule affichait 207 730 kilomètres au compteur ; qu'elle estime que la preuve d'un prétendu vice caché affectant le véhicule n'est en l'espèce pas rapportée et que par conséquent les différentes demandes de celui-ci au titre de l'indemnisation de son prétendu préjudice sont infondées ;
Attendu que Renault fait valoir que, s'agissant du second remplacement du turbocompresseur intervenu près d'un an après le premier, au cours du mois de juin 2006, dans la mesure où les frais de remise en état ont été intégralement pris en charge par la garantie annale " pièces et main d'œuvre " du garagiste réparateur dans le cadre des réparations effectuées, on peut présumer que les réparations entreprises n'ont pas été réalisées dans les règles de l'art et qu'il a fallu de nouveau intervenir, comme cela résulte d'ailleurs de la note technique versée aux débats par l'appelant ; qu'enfin, s'agissant du devis établi au début de l'année 2008 préconisant le remplacement du turbocompresseur et du moteur dudit véhicule, alors que ce dernier avait parcouru près de 210 000 kilomètres, Renault estime qu'on ne sait pas si aujourd'hui ces réparations sont véritablement nécessaires au bon fonctionnement du véhicule qui n'est pas tombé en panne ; que Renault ajoute que, contrairement aux allégations d'Arnaud Binet, ce dernier n'a pas entretenu son véhicule aux intervalles et périodicités recommandées par le constructeur et qui sont rappelées dans le carnet d'entretien livré avec chaque véhicule mis en circulation qu'Arnaud Binet doit posséder et qui lui ont été rappelées dans un courrier qui lui a été adressé en date du 6 mars 2008 versé aux débats ; qu'ainsi l'entretien doit être effectué tous les 30 000 kilomètres (vidanges et changement de filtres) ou deux ans au premier des deux termes atteint ; que dès lors, le véhicule qui a aujourd'hui parcouru près de 210 000 kilomètres aurait donc dû faire l'objet d'un entretien aux intervalles suivants :
- 30 000 kilomètres
- 60 000 kilomètres
- 90 000 kilomètres
- 120 000 kilomètres
- 160 000 kilomètres
- 190 000 kilomètres ;
Que cependant, d'après les justificatifs d'entretien fournis par Arnaud Binet, la première révision est intervenue le 14 septembre 2004 alors que le véhicule affichait déjà 64 359 kilomètres, soit un dépassement de plus de 34 000 kilomètres par rapport aux préconisations de Renault ; que la révision des 90 000 kilomètres et intervenue à 98 428 kilomètres puis qu'il n'y a eu aucune révision du moteur (remplacement des filtres et vidange) aux échéances des 120 000 et 150 000 kilomètres, dernière révision devant intervenir à 190 334 kilomètres par le garage Modern'Garage ; qu'elle ajoute que, d'un point de vue technique, l'entretien d'un véhicule doit avoir été réalisé conformément aux préconisations du constructeur dans la mesure où une qualité d'huile usagée ou un filtre à air encrassé contribuent à détériorer prématurément le palier lubrifié de la turbine du turbocompresseur dont le graissage est fondamental au bon fonctionnement tout comme la qualité du circuit d'admission d'air ; qu'elle avance qu'en l'espèce l'entretien non conforme aux préconisations a été préjudiciable à la fiabilité du moteur ;
Attendu que la recevabilité de la demande d'Arnaud Binet fondée sur le vice caché n'est pas contestée ; qu'il y a lieu de dire Arnaud Binet recevable en sa demande ;
Attendu au fond qu'Arnaud Binet justifie, par la production de la note " confidentiel Renault " (pièce 21) et notamment de l'extrait de la revue " L'Automobile " de ce que les véhicules du type Laguna, dont il avait fait l'acquisition, étaient, au su du constructeur, susceptibles de présenter des défaillance au niveau du turbocompresseur, défaillances qui, au surplus, risquaient de se renouveler après réparation ;
Attendu qu'une telle caractéristique constitue un vice caché ;
Attendu que le fait qu'Arnaud Binet n'aurait pas entretenu son véhicule de façon conforme aux préconisations du constructeur ne saurait le priver de la garantie des vices cachés qu'il tient des articles 1641 et suivants du Code civil ;
Attendu qu'en l'état, il n'est pas justifié de ce que le véhicule objet du litige serait affecté du vice caché dont étaient atteints certains véhicules du même type ; qu'il y a lieu d'ordonner une expertise pour déterminer si tel était le cas.
Par ces motifs, LA COUR, Statuant par arrêt contradictoire et avant dire droit, Infirme le jugement déféré, Dit Arnaud Binet recevable en sa demande en garantie des vices cachés dont serait affecté le véhicule Renault, modèle Laguna Dynamic 1.9D 7CV, immatriculé 4594TZ 76, Avant dire plus ample droit, Ordonne une expertise et commet pour y procéder : Dominique Pages avec pour mission : - Convoquer les partie et se faire remettre tous documents utiles, examiner le véhicule, - Donner tous éléments qui permettront de déterminer si ce véhicule était atteint d'un vice caché, en particulier affectant le turbocompresseur après avoir décrit son état, vérifié l'existence des désordres allégués, notamment sur le turbocompresseur, les avoir décrits, en indiquer la nature et la date d'apparition, dire s'il s'agit d'un vice intrinsèque de fabrication, dire quelles sont les conséquences de ces désordres sur le véhicule, et dire s'il est apte à la circulation ; - Indiquer le cas échéant les travaux de réparation propre à remédier définitivement aux désordres, en évaluer le coût, l'importance et la durée ou indiquer la valeur résiduelle du véhicule en cas d impossibilité de réparation ; - Fournir tous les éléments techniques de fait de nature à permettre à la juridiction de déterminer les responsabilités encourues et évaluer tous les préjudices éventuellement subis, et notamment la gêne et le trouble de jouissance causés par ces désordres, - Donner d'une manière générale, tout avis motivé et utile ; Dit qu'Arnaud Binet devra consigner au greffe de la cour de ce siège la somme de 1 500 euro dans les deux mois du prononcé du présent arrêt, Dit qu'à défaut de consignation dans le délai, la désignation de l'expert sera caduque sauf prorogation du délai ou relevé de forclusion conformément aux dispositions de l'article 271 du Code de procédure civile, Dit que l'expert devra déposer son rapport dans les six mois de l'acceptation de sa mission, Dit qu'en cas d'empêchement de l'expert, il sera remplacé sur simple requête, Désigne le Président ou à défaut le conseiller de la mise en état pour en suivre les opérations, Renvoie l'affaire pour examen de mise en état le 20 Septembre 2012 pour conclusions après dépôt du rapport d'expertise. Réserve les dépens.