CA Lyon, 1re ch. civ. A, 22 septembre 2011, n° 10-03978
LYON
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Blaya
Défendeur :
Mercedes-Benz Lyon (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Gaget
Conseillers :
Mme Devalette, M. Semeriva
Avoués :
Me Morel, SCP Aguiraud - Nouvellet
Avocats :
Mes Degache, Thevenet
EXPOSÉ DU LITIGE
M. Blaya a assigné la société Mercedes-Benz Lyon en résolution de la vente d'un véhicule pour vice caché, constitué selon lui par le bruit important causé par la vibration de sa capote lors de son utilisation.
Après avoir ordonné une expertise, le tribunal a rejeté cette demande, au motif que le véhicule est conforme à la spécification technique du constructeur et ne comporte pas de vice caché, mais il a retenu que le vendeur avait commis une faute en s'abstenant d'attirer l'attention de l'acquéreur sur ce point, alors que cette précaution était nécessaire, s'agissant d'une voiture de luxe au grand confort et que le dit confort se doit aussi d'être acoustique ; le jugement entrepris a en conséquence condamné le vendeur à payer une somme de 5 000 euro à titre de dommages-intérêts sur le fondement de l'article L. 111-1 du Code de la consommation et de l'article 1147 du Code civil outre une indemnité de 3 000 euro par application de l'article 700 du Code de procédure civile et rejeté la demande reconventionnelle pour procédure abusive.
M. Blaya fait grief du rejet de son action en résolution, en rappelant qu'il a payé un prix important pour acquérir ce véhicule, qu'il ne l'avait pas essayé, et qu'en toute hypothèse, un essai dans les rues proches de la concession n'aurait pas révélé le problème ; il soutient :
- que, comme tout un chacun, il voulait qu'on puisse parler ou écouter de la musique en roulant entre 100 et 120 km/h,
- que l'expert judiciaire a constaté qu'à ces vitesses, le bruit était de 89 à 96 décibels, au-dessus du seuil de danger pour l'homme, et obligeait à crier pour s'entendre ; qu'il ajoute que ce véhicule a été conçu pour rouler dans le désert, sur sol mou, et non sur des routes européennes,
- que pour autant, le vendeur l'a présenté comme un véhicule de luxe et de grand confort, adapté à tout trajet,
- que les premiers juges ont méconnu la portée de l'article 1641 du Code civil en réduisant le champ contractuel à la brochure technique du constructeur.
Il en conclut que toutes les conditions de garantie du vice caché sont réunies et demande de réformer le jugement, de prononcer la résolution de la vente et de condamner la société Mercedes à lui payer une somme de 92 400 euro, celle de 5 000 euro, à titre de dommages-intérêts, subsidiairement, de confirmer le jugement en son principe, tout en portant l'indemnisation à 70 000 euro, et en toute hypothèse, de lui allouer une indemnité de 3 000 euro pour ses frais irrépétibles.
La société Mercedes expose que la vente a eu lieu " le 15 juin 2007 " et que " deux mois après, le 28 mai 2008 ", M. Blaya a rapporté le véhicule en se plaignant d'un problème concernant la capote, que le contrôle a démontré l'absence de toute anomalie, et :
- que par la suite l'expert judiciaire a constaté que le véhicule est en parfait état de fonctionnement et que la capote ne présente aucun défaut mécanique,
- que le représentant allemand du constructeur confirme qu'il est normal que des bruits dans l'habitacle apparaissent à une certaine vitesse, la capote ayant pour fonction de protéger les occupants des intempéries, et non d'atténuer 'les bruits extérieurs',
- que l'aérodynamisme du véhicule est susceptible d'aggraver les phénomènes acoustiques, que les constructeurs ne sont soumis à aucune norme de bruit intérieur et que l'installation phonique est à dire d'expert conforme à ce que l'on peut en attendre.
Elle objecte, en toute hypothèse :
- qu'il ne s'agit pas d'un vice caché,
- que le vice prétendu n'est pas grave, M. Blaya ayant acquis un véhicule classe G tout terrain, connu pour ses qualités de franchissement sur les chemins et hors pistes, mais conçu à la fin des années 70, époque où les études aérodynamiques étaient minimales,
- que d'ailleurs il n'a allégué l'existence de ce vice qu'après avoir parcouru plusieurs milliers de kilomètres,
- que le raisonnement selon lequel un véhicule coûteux est silencieux est simpliste.
Elle soutient qu'elle n'a pas manqué à son obligation d'information, dans la mesure notamment où l'acquéreur avait déjà eu l'occasion de voyager à bord d'une automobile de même type et qu'en toute hypothèse, il faut tenir compte de la dépréciation en cas de résolution ; elle conclut à la réformation du jugement, en ce qu'il a retenu un manquement sur ce point, au rejet des demandes adverse et à la condamnation de M. Blaya au paiement d'une somme de 1 500 euro pour procédure abusive et d'une indemnité de 3 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Le véhicule en cause est un Mercedes Classe G, version cabriolet.
L'expert judiciaire a relevé que 'l'acquisition d'un tel véhicule ne peut être réalisée que via une plaquette commerciale, car le modèle est fabriqué à la commande'.
Il a constaté que le bruit dans l'habitacle atteint 70 décibels, capote fermée, dès que la vitesse de 60 km/h est atteinte et dépasse les 80 et même les 90 décibels à 120 ou 130 km/h.
L'ouverture de la capote diminue, à dire d'expert, la perception subjective du bruit, mais sa réalité demeure.
Sans préjudice du risque pour la santé que crée l'exposition à de pareils niveaux sonores, il en résulte, contrairement à ce que soutient la société Mercedes Benz, qu'à dire d'expert, " à partir de 80 dBA, il est impossible de se parler ".
Pour autant, l'expert a ainsi répondu aux questions résultant du jugement le désignant, dans les termes précis où elles lui étaient posées :
- l'installation phonique est conforme à ce qu'on peut en attendre
- sur le plan technique, il n'existe pas de désordre sur ce véhicule.
C'est dire, comme l'a retenu le tribunal, que cette voiture est conforme à la spécification technique du constructeur.
Mais il n'en résulte pas qu'elle n'est pas atteinte d'un vice, qui peut découler précisément d'une erreur de conception.
Or, " ce qu'on peut attendre " d'un véhicule acheté en France et destiné à rouler en France est, pour un consommateur moyen, qu'il lui permette d'emprunter le réseau routier et autoroutier français sans s'exposer à un niveau de bruit dangereux pour la santé et, en tout cas, très inconfortable.
L'absence de norme réglementaire régissant le bruit maximum dans l'habitacle d'un véhicule n'implique nullement, au plan des obligations contractuelles des parties à la vente, que l'acquéreur a entendu acheter un véhicule dans lequel il est interdit de converser ou d'écouter de la musique à une vitesse supérieure à 60 km/h.
En effet, si ce dernier est décrit dans la plaquette de présentation comme un " grand classique du tout terrain ", il est aussi présenté comme " une voiture aux mille facettes ", qui " maîtrise les terrains les plus ardus avec la même facilité qu'il effectue les dépassements ", doté " d'un comportement routier optimal et particulièrement discret ", car " une voiture qui porte l'étoile Mercedes est une promesse de qualité et de finition précise " ; il est notamment doté " d'un coffre suffisamment grand pour votre prochain voyage autour du monde ".
Il est encore indiqué que " les systèmes audio offrent une qualité sonore sans pareille " ; il est d'ailleurs à noter que, parmi d'autre options, M. Blaya a fait choix d'équiper son véhicule d'un chargeur apte à contenir six compact disques.
Selon la notice, encore, " pour la Classe G, les véritables épreuves commencent en-dehors de la route ; nous l'y préparons sur nos parcours d'essais tout-terrain ; la classe G doit d'abord y passer son examen de conduite avant de passer le brevet de chauffeur de maître sur les boulevards ".
La voiture ainsi décrite n'est donc pas un simple " tout-terrain ", comme le soutient la société Mercedes Benz, mais un véhicule offrant un confort rare - voire un luxe rare, le prix de 92 400 euro en témoigne - en mode normal d'utilisation et capable en outre d'affronter dans les mêmes conditions les terrains les plus difficiles.
Cette société soutient encore que cette plaquette commerciale n'a aucune valeur contractuelle ; d'une part, cependant, elle ne le précise pas ; d'autre part, s'agissant d'un véhicule fabriqué sur commande, l'acquéreur ne dispose que des informations qu'elle contient et auxquelles il est donc obligé de se fier.
En conséquence, un décalage entre cette description et la réalité peut constituer un manquement aux obligations du vendeur.
Dès lors que le bruit produit par la capote excède largement le seuil habituellement constaté dans l'habitacle d'un véhicule de tourisme et qu'il résulte des informations qu'il avait données que le vendeur garantissait au contraire un haut niveau de confort, le véhicule en question est bien atteint d'un vice qui, apprécié à la mesure de la nature, des caractéristiques et de la destination de la chose vendue, est assez grave pour en diminuer tellement l'usage que M. Blaya ne l'aurait pas acquise, ou n'en aurait donné qu'un moindre prix, s'il l'avait connu.
Pour soutenir que ce vice n'était pas caché, la société Mercedes Benz fait valoir qu'il est immédiatement décelable par un acquéreur profane, que le bruit en question est par définition apparu dans ses premières manifestations au moment de la vente et que la prétention de l'acquéreur, qui n'aurait pas été exprimée concomitamment doit être rejetée.
Elle ajoute que ce dernier reconnaît d'ailleurs dans ses dernières écritures qu'il a eu pour le moins connaissance du vice au moment de son premier essai avec le véhicule, c'est-à-dire lors de livraison ou, en tout état de cause, lors des premiers kilomètres parcourus.
Quant à ce dernier argument, la société Mercedes Benz n'indique pas précisément le passage des conclusions adverses auquel elle fait allusion.
Les seuls paragraphes paraissant en rapport avec son assertion exposent " qu'après avoir pris possession du dit véhicule et en roulant notamment sur des nationales et le réseau autoroutier où la vitesse autorisée est supérieure à 60km/h, M. Blaya se rendit compte que le véhicule faisait un bruit anormal dès que la vitesse de conduite s'élevait " et " qu'il lui était impossible d'essayer le véhicule dans l'enceinte du garage Mercedes ou à proximité dans la mesure où la vitesse au sein de ladite enceinte et dans les rues adjacentes ne peut être supérieure à 60 km/h ".
En déduire qu'il concéderait ainsi avoir eu connaissance du vice dès la livraison dénature ces conclusions.
Le fait que M. Blaya en a rapidement pris conscience sans exprimer concomitamment sa prétention est sans incidence sur caractère caché du vice lors de la vente, comme sur la recevabilité ou le bien fondé de cette prétention.
L'acheteur n'a pu se convaincre lui-même de ce vice, qui n'était pas apparent lors de la vente.
Il est enfin, à exclure qu'il l'ait de toute façon connu pour avoir circulé dans le désert à bord d'un véhicule similaire, de telles circonstances n'étant pas celles dans lesquelles se manifeste le problème.
A dire d'expert, il n'existe pas de solution technique capable de remédier au désordre, car il faudrait revoir la conception de la capote, ce qui conduirait à un véhicule " différent ".
Deux courriers d'artisans selliers confirment cette conclusion (" tout ajout empêcherait le fonctionnement de la capote électrique, je ne vois pas quelle solution apporter, je ne peux rien faire de satisfaisant ").
En conséquence, l'action rédhibitoire est fondée, la résolution du contrat doit être prononcée et il n'y a pas lieu d'examiner la demande subsidiaire fondée sur un défaut d'information de la part du vendeur.
En matière de garantie des vices cachés, lorsque l'acquéreur exerce l'action rédhibitoire prévue à l'article 1644 du Code civil, le vendeur n'est pas fondé à obtenir une indemnité liée à l'utilisation de la chose vendue ou à l'usure résultant de cette utilisation ; il n'y a pas lieu à la minoration demandée par la société Mercedes, tenue de restituer le prix qu'elle a reçu et ses autres réclamations se trouvent dépourvues de fondement, dès lors que l'action principale est reçue.
Faute de preuve d'un préjudice dont la résolution du contrat n'assurerait pas la réparation, la demande complémentaire de M. Blaya en paiement de dommages-intérêts n'est pas fondée.
Aucune circonstance n'amène à écarter l'application de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par ces motifs, LA COUR, - Réforme le jugement entrepris, - Statuant à nouveau, prononce la résolution de la vente de véhicule conclue entre la société Mercedes-Benz Lyon et M. Blaya, - Condamne la société Mercedes-Benz Lyon à payer à M. Blaya la somme de 92 400 euro, contre restitution du véhicule immatriculé 410 BCH 34, dans les locaux de la société Mercedes-Benz Lyon, à diligence de M. Blaya, - Rejette la demande de dommages-intérêts formée par M. Blaya, - Rejette les demandes de la société Mercedes-Benz Lyon, - Condamne la société Mercedes-Benz Lyon à payer à M. Blaya la somme de 2 500 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile.