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Décisions

CA Aix-en-Provence, 1re ch. B, 9 juin 2011, n° 09-21025

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Blard

Défendeur :

Renault Retail Group (SA), Rousseau Cergy-Pontoise (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Grosjean

Conseillers :

MM Naget, Fournier

Avoués :

SCP Boissonnet - Rousseau, SCP Latil - Penarroya - Latil, SCP Magnan

Avocats :

Mes Donsimoni, Ayoun, Guennec, Petit, SCP Petit - Marçot - Houillon

TGI Toulon, du 27 aout 2009

27 août 2009

RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE,

Le 31 juillet 2003, Madame Emmanuelle Blard a acquis de la société Renault Retail Group, qui portait alors la dénomination commerciale RFA Provence Languedoc-Roussillon, et qui exerce son activité à La Valette du Var, un véhicule Renault Avantime Privilège V6 immatriculé 816 DFA 92, puis 665 AQM 83, pour le prix de 22 000,00 euro. Il s'agissait d'un monospace d'occasion dont la date de première mise en circulation était le 3 avril 2002, et qui avait parcouru 19 900 kilomètres.

Madame Blard a fait réaliser, sur ce véhicule des travaux d'installation d'un système GPL, à ce qu'il résulte d'une facture de la société Electronic Service/GPL Sud du 13 octobre 2003. Il est à préciser que ce véhicule avait été construit, d'origine, pour une carburation à essence, et que la transformation a consisté à l'équiper d'une bicarburation essence/gaz. La voiture avait alors parcouru 27 845 kilomètres.

Le 28 mars 2006, Monsieur Jean-Pierre Blard, qui utilisait cette voiture en région parisienne est tombé en panne, après avoir constaté une chute de la puissance du moteur. Il a du faire remorquer le véhicule au garage Rousseau Cergy-Pontoise, concessionnaire Renault d'Osny près de Pontoise, auquel la réparation a été confiée. Une facture a alors été établie par ce garage, le 4 avril 2006, pour un montant de 135,15 euro, ne correspondant qu'à des tests de compression et au contrôle du calage de la distribution. Toutes les autres interventions : contrôle de l'injection électronique, contrôle du câblage de l'injection, dépose et repose des bobines d'allumage, dépose et repose du précatalyseur, ainsi que la fourniture des bobines et du précatalyseur y figurent en prestations gratuites.

Le 11 avril 2006, ont été constatées les mêmes pertes de puissance, accompagnées de bruits anormaux. Le démontage a alors révélé une avarie grave de la ligne d'arbre.

Par lettre du 27 avril 2006, la société Rousseau Cergy-Pontoise a informé Madame Blard de la nécessité de remplacer le moteur. Selon les explications figurant dans cette lettre, un premier diagnostique avait conduit au remplacement du pré-catalyseur et du catalyseur, et ce n'est qu'au " retour d'essai, suite à ces interventions ", qu'un bruit anormal aurait été mis en évidence.

Par ordonnance de référé en date du 12 septembre 2006, le Président du Tribunal de grande instance de Toulon a, sur la demande de Madame Blard, ordonné l'expertise technique du véhicule en présence de la société Garage Automobile Renault (nom sous lequel la société Renault Retail Group a été attraite à l'instance) et de la société Garage Rousseau Cergy-Pontoise.

L'expert désigné, Monsieur Gérard Boutaric a déposé un rapport du 12 décembre 2007, d'après lequel :

Les avaries constatées sont les suivantes :

-destruction du monolithe du pot précatalytique d'échappement,

-dysfonctionnement des bobines d'allumage,

-disparition de la couche régulée à la surface des coussinets de bielles, par usure progressive, due à la contamination du lubrifiant par (des) particules étrangères, telles que déterminées par analyse d'huile.

Toujours selon l'expert, 'sachant que l'avarie considérée tient à deux causes conjuguées, la répétition de dysfonctionnement des bobines d'allumage et la précarité des opérations d'entretien du dispositif GPL, il convient de retenir à la fois l'implication de Renault, constructeur au titre des défectuosités d'allumage et celle de l'utilisateur au titre d'une insuffisance d'entretien. Le Garage Renault (de) La Valette n'a pratiqué que les révisions conformes aux préconisations du constructeur, hors révisions GPL, telles que mentionnées sur les factures éditées par ce prestataire.'

Enfin, le coût d'une remise en état est estimé à 10 209,82 euro.

Le véhicule n'a jamais été ni réparé, ni restitué, pour des raisons qui tenaient aux garanties contractuelles, dont l'une ne couvrait pas les sinistres en rapport avec la transformation effectuée, et dont l'autre avait été mise en œuvre tardivement.

Suivant assignation du 2 juin 2008, Madame Blard a introduit, devant le Tribunal de grande instance de Toulon une demande dirigée contre le 'Garage Automobile Renault " de La Valette du Var, et contre le " Garage Renault Rousseau Cergy-Pontoise', et tendant à ce que les deux sociétés, en leurs qualités respectives de vendeur et de réparateur du véhicule, soient condamnées solidairement à lui payer les sommes suivantes à titre de dommages-intérêts:

<EMPLACEMENT TABLEAU>

outre celle de 4 000,00 euro réclamée en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

A l'appui de cette demande, elle s'est efforcée de démontrer le défaut de pertinence de l'expertise judiciaire, qui selon elle :

-aurait admis à tort un rôle causal attribué au défaut d'entretien du système GPL,

-n'aurait pas suffisamment tenu compte, dans son analyse d'une anomalie liée au fait que le véhicule affiche un kilométrage inexplicablement supérieur de 1 068 kilomètres, à celui qui figurait au compteur, lorsqu'il avait été pris en charge par le réparateur. En effet, les factures et autres pièces émanant de celui-ci mentionnent un kilométrage de 142 300, puis 142 350 kilomètres, tandis que, selon le rapport d'expertise, le véhicule a parcouru 143 416 kilomètres.

D'après elle, " la mise hors service des bobines et l'obstruction du catalyseur " seraient " les seules causes qui auraient immobilisé le véhicule ". Puis, la destruction de l'embiellage ne serait apparue que par la suite, au cours d'une utilisation injustifiée par le personnel du garage Rousseau auquel la voiture avait été confiée. Elle tirait cette explication d'une étude réalisée à sa demande par Monsieur Jean Jouve, conseiller technique automobile, d'après lequel " durant les 1068 kilomètres effectué par un tiers, il est parfaitement concevable que le véhicule aurait respiré une grande quantité de particules catalytiques en provenance de la voiture qui le précédait ".

Elle tirait de tout ceci la conséquence que " ... en définitive, les véritables responsabilités ... se répartissent ... entre le vendeur ... puisqu'il apparaît indiscutablement que le véhicule était atteint d'un défaut constitutif d'un vice caché ou d'un défaut de conformité afférent à des défectuosité d'allumage, et le garage Rousseau ... réparateur tenu d'une obligation de résultat et gardien du véhicule, lorsque la panne majeure est survenue lors d'un essai effectué par ses soins ".

Par jugement en date du 27 août 2009, le Tribunal de grande instance de Toulon a débouté Madame Emmanuelle Blard de l'ensemble de ses demandes dirigées contre le la société Rousseau Cergy-Pontoise à laquelle elle a été condamnée à payer la somme de 4 200,00 euro à titre de frais de gardiennage.

Le Tribunal a, d'autre part, dit que le véhicule était affecté, au jour de la vente d'un vice caché le rendant impropre à l'usage auquel il était destiné ; et que ce vice était à l'origine de la panne constatée au garage Rousseau Cergy-Pontoise, et de la destruction du moteur à la proportion de 50%.

Ainsi, la société Renault Retail Group a-t-elle été condamnée à payer à Madame Emmanuelle Blard :

-la somme de 5 104,91 euro au titre du remplacement du moteur,

-celle de 4 725,00 euro à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice de jouissance,

-celle de 67,58 euro, à titre des travaux effectués par la société Rousseau Cergy-Pontoise,

-celle de 2 100,00 euro au titre des frais de gardiennage postérieurs au 30 juin 2009, outre encore celle de 70,00 euro par mois jusqu'à la date de l'enlèvement du véhicule des locaux de la dite société.

Enfin, les dépens de l'instance ont été partagés par moitié entre la société Renault Retail Group et Madame Blard.

Madame Emmanuelle Blard a interjeté appel de ce jugement, suivant déclaration reçue au greffe de la cour le 23 novembre 2009.

En l'état de ses dernières conclusions, elle demande la réformation de cette décision, et reprend l'argumentation qu'elle avait déjà développée en première instance, selon laquelle les deux sociétés Renault Retail Group et Rousseau Cergy-Pontoise sont, en leurs qualités respectives de vendeur et de réparateur, responsables in solidum de l'entier dommage qu'elle affirme avoir subi, et pour lequel elle réclame, en appel, les sommes de suivantes :

<EMPLACEMENT TABLEAU>

outre la somme de 8 000,00 euro réclamée en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

De son côté, la société Renault Retail Group a relevé appel incident, et elle conclut à la réformation du jugement entrepris, et au rejet de toutes les prétentions de l'appelante, à laquelle elle réclame la somme de 2 000,00 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Quant à la société Rousseau Cergy-Pontoise, à la charge de laquelle le Tribunal n'a prononcé aucune condamnation, elle a, sur l'essentiel, conclu à la confirmation de cette décision, et à ce que Madame Blard soit, en tous cas, déboutée de l'ensemble de ses prétentions. Elle demande, enfin sa condamnation à lui payer la somme de 10 000,00 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

MOTIFS,

Selon les explications de l'expert, " les avaries affectant la ligne d'arbre (coussinets de bielles et de paliers de vilebrequin) sont le résultat d'une usure progressive par élimination de la surface régulée des coussinets, en raison de phénomènes abrasifs, mais non d'une surchauffe ponctuelle. Ce phénomène d'abrasion est vérifié sur l'ensemble des composants internes du moteur, tel que le révèle l'analyse d'huile : excès d'aluminium, de fer, de cuivre, de plomb. Pour qu'une usure généralisée affecte ce moteur, il faut que des particules parasites aient été véhiculées parmi ses composants, soit par circuit d'admission d'air, ce qui ne peut être le cas, la cartouche de filtre d'air étant en bon état ... , soit par circuit de recyclage des gaz d'échappement, et nous avons ici le rapprochement avec la destruction du monolithe de pot précatalytique. Nous notons que le remplacement de la ligne d'échappement est récent, réalisé le 5 décembre 2005, à 128 331 km. Les défectuosités du précédent pot catalytique sont à considérer, dès ce moment, comme facteur de production de résidus abrasifs. Cette ligne d'échappement ne dure que jusqu'à l'avarie du 28 mars 2006, à 142 300 km ".

A ce rapport d'expertise se trouve par ailleurs annexé un résultat d'analyse de prélèvements d'huile dont les conclusions sont les suivantes : " Au vu de ces résultats, nous relevons une très forte présence métallique dont l'origine semble provenir de l'ensemble des pièces métalliques de ce moteur. Traces d'eau de condensation. L'observation au microscope fait apparaître une forte pollution par des débris non métalliques abrasifs et de fibres. "

Bien que l'expert judiciaire se soit montré peu explicite sur ce qu'il appelle le 'circuit de recyclage des gaz d'échappement', il admet, et le rapport d'analyse de l'huile prélevée dans le moteur conduit à considérer, que le lubrifiant a été pollué par des particules provenant du pot catalytique, changé récemment, mais fortement dégradé lorsque le véhicule a été confié pour réparation au garage Rousseau de Cergy-Pontoise, puis remplacé une nouvelle fois par ce dernier.

Ces constatations conduisent a écarter une responsabilité du réparateur, alléguée par l'appelante, même si une utilisation injustifiée était admise, sur une distance de 1 068 kilomètres. En effet, l'expertise a montré que la détérioration de l'embiellage n'a été que progressive, et ne peut être consécutive à une baisse du niveau d'huile. Par contre, l'encrassement des parties mécaniques non diagnostiqué lors d'un premier examen, a subsisté à la mise en place d'un pot catalytique neuf.

En second lieu, et toujours selon l'expertise, la détérioration prématurée du pot catalytique serait en lien avec un dysfonctionnement chronique du circuit d'allumage, que Monsieur Boutaric explique de la façon suivante :

" Dans la pratique, nombreux sont les véhicules ainsi équipés " (pour fonctionner au GPL). " Les dysfonctionnement éventuels tiennent à l'état d'usure du moteur, au fur et à mesure des kilomètres parcourus, par déperdition de gaz et par ondes de déflagrations parasites en cas de défaut d'étanchéité des unités-cylindres, et notamment des soupapes. Le passage de déflagrations à détonations peut provoquer la fusion du monolithe assurant le processus de catalyse du pot d'échappement... Le même phénomène destructif peut se produire en cas de défectuosité d'allumage. Nous avons constaté ... que le monolithe du pot précatalytique est totalement détruit, qu'il existe des résidus répandus jusque dans les canalisations d'admission, de même, dans le lubrifiant moteur " (page 17);

" Les bobines d'allumage sont remplacées sous garantie du constructeur successivement les 6 avril 2004 à 51 167 km, 16 juillet 2004 à 65 400 km, 13 janvier 2005 à 91 028 km, 21 novembre 2005 à 125 190 km, 4 avril 2006 à 142 350 km. La longévité insuffisante de ces composants est avérée, et d'ailleurs connue du réseau après-vente, sur ce type de moteur ".

Cependant, c'est l'association d'un défaut d'allumage avec une transformation réalisée après l'achat du véhicule qui a occasionné le dommage dont se plaint Madame Blard, et il ne résulte nullement de l'avis de l'expert que la détérioration du pot catalytique et le grippage de l'embiellage se seraient produits de la même façon, si l'utilisatrice n'avait pas fait installer la bi-carburation au GPL. Par ailleurs, le seul défaut d'origine, concernant les bobines d'induction et pris en charge par le constructeur au titre de sa garantie contractuelle, ne présente pas un caractère de gravité suffisant pour pouvoir entraîner soit la résolution de la vente, soit la réduction du prix, selon ce que prévoient les articles 1641 et suivants du Code civil. Ce n'est d'ailleurs pas sur ce point que porte la demande de Madame Blard.

C'est donc à juste titre que la société Renault Retail Group a fait valoir, à l'appui de son appel incident, que le constructeur ou le vendeur du véhicule ne pouvait être tenu pour responsable d'un dysfonctionnement apparu postérieurement à la transformation du véhicule, que ce soit au titre de la garantie légale des vices cachés, ou au titre de sa garantie contractuelle, laquelle exclut d'ailleurs expressément ce cas.

Il convient donc de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté Madame Blard de sa demande dirigée contre la société Rousseau Cergy-Pontoise. En revanche, ce jugement doit être infirmé en ses autres dispositions, par lesquelles la société Rousseau Retail Group a été condamnée à l'indemnisation partielle du préjudice dont l'appelante réclamait réparation.

Les dépens de première instance et d'appel seront donc laissés à la charge de l'appelante, qui sera, d'autre part, et en équité, au regard des circonstances particulières de l'affaire, telles qu'elles sont rappelées ci-avant, dispensée de toute autre condamnation, sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs, LA COUR, Statuant en audience publique et par arrêt contradictoire, mis à disposition au greffe, Déclare Madame Emmanuelle Blard recevable, mais mal fondée en son appel principal du jugement rendu le 27 août 2009, par le Tribunal de grande instance de Toulon. Et faisant droit à l'appel incident de la société Renault Retail Group, Infirme le jugement entrepris sur toutes les condamnations prononcées à la charge de cette dernière, de même que sur les dépens de l'instance. Et statuant à nouveau, Déboute Madame Blard de l'ensemble de ses demandes. La condamne aux dépens de première instance. Confirme, par ailleurs, le jugement entrepris en toutes ses autres dispositions, et déboute les parties de toutes plus amples demandes. Condamne Madame Emmanuelle Blard aux dépens d'appel, qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.