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Décisions

CA Bourges, ch. civ., 12 mai 2011, n° 10-01332

BOURGES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Claas Tractor (SAS)

Défendeur :

Piters, Etablissements Jean Marié (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Richard

Conseillers :

MM Lachal, Tallon

Avoués :

Mes Guillaumin, Le Roy des Barres, Rahon

Avocats :

Mes Guennec, Lajoinie-Fonsagrive, Lacroix

TGI Bourges, du 24 juin 2010

24 juin 2010

Vu le jugement, frappé du présent appel, rendu le 24 juin 2010 par le Tribunal de grande instance de Bourges qui a :

prononcé la résolution judiciaire de la vente du tracteur intervenue le 18 mai 2001 entre M. Jean-Paul Piters et la SAS établissements Jean Marié ;

condamné en conséquence la SAS établissements Jean Marié à restituer à M. Jean-Paul Piters le prix de vente de 74 754,90 euro, le jugement tenant lieu de restitution du véhicule ;

rejeté les demandes au titre des frais de gardiennage, de frais de location et de dommages et intérêts ;

condamné la SAS Claas tractor à garantir la SAS établissements Jean Marié de toutes condamnations prononcées à son encontre ;

ordonné l'exécution provisoire de la décision ;

condamné la SAS établissements Jean Marié à payer à M. Jean-Paul Piters une somme de 1 500 euro au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

condamné la SAS Claas tractor à payer à la SAS établissements Jean Marié une somme de 1 000 euro sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

condamné la SAS établissements Jean Marié aux dépens comprenant les frais d'expertise ;

Vu les dernières conclusions signifiées le 16 mars 2011 par la SAS Claas tractor, anciennement dénommée Renault agriculture, appelante, tendant à :

infirmer le jugement déféré ;

constater que l'expert judiciaire a mis en évidence l'absence de graissage à la charge de l'utilisateur de l'engin, ayant contribué à l'usure de pièces mécaniques, provoquant par conséquence des jeux anormaux, entraînant des phénomènes vibratoires ayant pu inquiéter l'utilisateur ;

constater que cette conclusion ne justifie pas de l'existence d'un vice rédhibitoire mais d'un défaut d'entretien à la charge de l'utilisateur ;

avant dire droit, désigner de nouveau M. Chausset, expert judiciaire, ou tel expert qu'il plaira, avec pour mission complémentaire de fournir à la cour la démonstration technique et scientifique de l'existence du prétendu " choix technique de conception insuffisamment performant " qu'il invoque dans la conclusion de son rapport en date du 8 août 2008 ;

dire que l'existence d'un défaut rédhibitoire du tracteur dans les termes de l'article 1641 du code civil n'est nullement établie ;

débouter en conséquence M. Jean-Paul Piters de son action rédhibitoire ;

le débouter de ses autres demandes ;

déclarer irrecevable autant que mal fondée la SAS établissements Jean Marié en son action récursoire ;

Vu les dernières conclusions signifiées le 16 février 2011 par M. Jean-Paul Piters, intimé, tendant à :

confirmer le jugement déféré en ce qu'il a prononcé la résolution judiciaire de la vente du tracteur, condamné la SAS établissements Jean Marié à restituer à M. Jean-Paul Piters le prix de vente, la décision tenant lieu de restitution du véhicule ;

dire que la somme de 74 754,90 euro sera assortie des intérêts de droit capitalisés à dater de l'assignation introductive d'instance ;

recevoir M. Jean-Paul Piters en son appel incident ;

réformer le jugement déféré et condamner la SAS établissements Jean Marié à payer à M. Jean-Paul Piters la somme de 20 631 euro en réparation de son préjudice subi correspondant à l'achat d'un nouvel engin ;

à titre subsidiaire, condamner la SAS établissements Jean Marié à verser à M. Jean-Paul Piters les sommes de 8 800 euro hors-taxes pour frais de location et de 5 000 euro à titre de dommages et intérêts ;

en tout état de cause, condamner la SAS établissements Jean Marié à lui verser la somme de 4 664,40 euro au titre des frais de gardiennage ;

débouter la SAS Claas tractor et la SAS établissements Jean Marié de toutes leurs demandes ;

condamner la SAS Claas tractor et la SAS établissements Jean Marié à lui payer une somme de 5 000 euro sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Vu les dernières conclusions signifiées le 1er février 2011 par la SAS établissements Jean Marié, intimée, tendant à :

dire M. Jean-Paul Piters mal fondé en l'intégralité de ses demandes et conclusions ;

à titre subsidiaire, dire que le coût de la réparation et de 7 500 euro HT et en conséquence dire n'y avoir lieu à la résolution de la vente et au remboursement du prix moyennant la restitution du tracteur ;

en tout cas, débouter M. Jean-Paul Piters de ses demandes en paiement ;

condamner M. Jean-Paul Piters au paiement de la somme de 7 224,74 euro TTC au titre des frais de garage du tracteur ;

en cas d'insuccès de l'appel principal de la SAS Claas tractor, confirmer le jugement déféré en ce qu'il a condamné la SAS Claas tractor à garantir et relever indemne la SAS établissements Jean Marié de l'intégralité de ses condamnations qui pourraient être prononcées au bénéfice de M. Jean-Paul Piters ;

en tant que de besoin, débouter la SAS Claas tractor de l'intégralité de ses conclusions d'appel ;

condamner M. Jean-Paul Piters ou subsidiairement la SAS Claas tractor aux entiers dépens et au paiement de la somme de 2 000 euro sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et en tous cas la SAS Claas tractor à rembourser au titre de la garantie du vendeur à la SAS établissements Jean Marié les dépens de la procédure de première instance ;

Vu l'ordonnance de clôture en date du 6 avril 2011 ;

Sur quoi, la cour

Attendu que le 18 mai 2001, M. Jean-Paul Piters a acheté à la SA établissements Jean Marié un tracteur neuf de marque Renault de type Arés 825 RZ pour un prix de 490 360 F TTC soit 74 754,90 euro TTC ; que la livraison est intervenue le 12 juillet 2001 ; que fin 2003, le tracteur a connu une difficulté au niveau du pont avant ; que suite à un ordre de réparations du 2 décembre 2003, les établissements Marié ont effectué une opération de remise en état facturée le 4 janvier 2004 ; que M. Jean-Paul Piters s'est plaint d'un bruit persistant au niveau du pont avant ; que les établissements Marié sont intervenus à nouveau en octobre 2004 ; qu'excédé par l'absence de véritable réparation, M. Jean-Paul Piters a mis en dépôt, de manière définitive en juin 2006, le tracteur en cause dans les locaux des établissements Marié ; que les négociations entre les parties n'ayant pu aboutir, M. Jean-Paul Piters a fait assigner, le 14 septembre 2006, en résolution de la vente pour vice caché la SAS établissements Jean Marié, qui a elle-même assigné en garantie le constructeur, la SAS Claas tractor ; que par jugement mixte en date du 17 janvier 2008, le Tribunal de grande instance de Bourges a jugé que l'action était recevable et a, avant dire droit, ordonné une expertise judiciaire ; que M. Yves Chausset, expert judiciaire, a déposé son rapport le 10 septembre 2008 ;

que, par le jugement déféré, le tribunal a fait droit à l'action principale en résolution judiciaire de la vente et à l'action en garantie du vendeur contre le constructeur ;

Attendu que la SAS Claas tractor reproche au premier juge d'avoir retenu l'existence d'un vice caché alors que l'expert judiciaire l'a écarté et n'a conclu qu'à un choix technique de conception insuffisamment performant, sans même expliciter une telle affirmation ; qu'en application de l'article 1641 du code civil, le vice caché nécessairement inhérent à la chose elle-même doit être antérieur à la vente ; que l'expert judiciaire retient que les jeux excessifs de l'axe de la fourchette gauche et l'usure prématurée des axes, alésage et bagues de guidage, qui ont été constatés notamment lors de la deuxième réunion d'expertise, sont la conséquence d'un défaut de graissage ; que le constructeur et le vendeur du tracteur approuvent une telle conclusion en affirmant que ce défaut de graissage est imputable à l'acheteur qui doit alors subir les conséquences de sa négligence ; que cependant, l'expert judiciaire souligne que pour remédier aux problèmes techniques rencontrés, il est nécessaire de refaire le pont avant avec toutes les modifications que le constructeur, conscient des défauts de celui-ci, a fait évoluer jusqu'au 21 avril 2008, à savoir l'ajout de graisseurs et de nouvelles bagues d'usure selon note interne du constructeur en date du 14 mai 2004 et les modifications du pont avant suspendu selon spécifications de la note du 30 novembre 2007 , c'est à dire à des dates postérieures de plus de six ans à la date de la vente ; que par ailleurs, au jour de l'expertise, l'expert judiciaire a constaté que les transmissions du pont avant ont supporté pendant 2600 heures les défauts des liaisons mécaniques qui ont accéléré leur dégradation rendant le véhicule impropre à son utilisation ; que de plus, il n'est pas contesté qu'au moment de la vente, le montage initial comportait des bagues autolubrifiées ; que dès la première panne, comme cela ressort de la facture en date du 14 janvier 2004, la remise en état a consisté en une 'modification pour graissage bras de suspension percer et tarauder pour graisseurs'; qu'ainsi, avant même la note interne du constructeur en date du 14 mai 2004, les professionnels de la machine agricole, parties au présent litige, ont modifié, ou fait modifier, le pont avant du tracteur en cause pour remédier aux dysfonctionnements, dont se plaignait l'acquéreur, en remplaçant un système autolubrifié par un système nécessitant l'intervention de l'usager pour en assurer la lubrification ; qu'il convient de noter qu'auparavant, le défaut de graissage avait déjà entraîné une usure prématurée des pièces qui a conduit à cette intervention mécanique ; que le constructeur et le vendeur soutiennent que l'acheteur est responsable du défaut de graissage constaté lors des opérations d'expertise en 2008 alors que l'engin n'était plus utilisé depuis 2006 ; que cependant, il y a lieu de rappeler que l'usure prématurée des pièces mécaniques était antérieure à la première intervention et que de plus, l'expert judiciaire a constaté que, d'une part, seul le réducteur gauche était insuffisamment lubrifié et que, d'autre part, il existait un défaut d'étanchéité des joints des réducteurs comme le prouvaient des traces d'huile sur les pneus alors que ces joints avaient été changés en octobre 2004 ; qu'ainsi, le défaut de graissage, qui a conduit à rendre l'engin impropre à son utilisation, n'est pas imputable à M. Jean-Paul Piters ; que l'usure prématurée des pièces mécaniques est la conséquence d'un défaut antérieur à la vente auquel il ne peut être remédié que par des modifications techniques préconisées par le constructeur postérieurement à la vente ; qu'en conséquence, le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a prononcé la résolution judiciaire de la vente intervenue le 18 mai 2001 entre M. Jean-Paul Piters et la SAS établissements Jean Marié, l'acquéreur ayant choisi de rendre la chose et de se faire restituer le prix en vertu de l'article 1644 du code civil ; que la décision de première instance ayant été prononcée avec exécution provisoire, les intérêts au taux légal seront dus sur le montant de la restitution de prix à compter du 24 juin 2010 ;

Attendu que la SAS établissements Jean Marié sollicite la garantie totale de la SAS Claas tractor ; que cependant, ce constructeur considère qu'il ne saurait restituer que le prix de l'engin qu'il a lui-même reçu des établissements Marié ; que le vice caché cause des désordres est lié à un défaut de conception, inconnu du vendeur intermédiaire professionnel, et est alors exclusivement imputable au fabricant ; que l'action récursoire doit aussi être accueillie sur le fondement des articles 1641 et suivants du code civil ; que cependant, en vertu de l'article 1644, la SAS établissements Jean Marié ne peut obtenir du constructeur la garantie du prix qu'elle a obtenu de M. Jean-Paul Piters, prix auquel, du fait de la résolution de la vente entre ce dernier et elle-même, elle n'a plus droit et dont la restitution de la machine ne constitue pas pour elle un préjudice indemnisable ; qu'ainsi, les acquéreurs successifs n'ont droit qu'à la restitution du prix payé à leurs vendeurs respectifs ; qu'il y a lieu d'infirmer le jugement déféré en ce sens ;

Attendu que par application de l'article 1645 du code civil, le vendeur professionnel est tenu, outre la restitution du prix, de tous les dommages et intérêts envers l'acheteur ; que cependant, M. Jean-Paul Piters, d'une part, ne verse aux débats aucune facture de location de matériel et, d'autre part, ne justifie d'aucun préjudice particulier, le coût de l'achat d'un nouveau matériel ne pouvant lui être accordé, la résolution de la vente remettant les parties dans l'état dans lequel elles se trouvaient avant la vente ; que le jugement déféré sera confirmé sur ces points ;

Attendu que la SAS établissements Jean Marié demande le paiement des frais de gardiennage du tracteur à M. Jean-Paul Piters, ce dernier sollicitant également le remboursement de ces frais ; qu'il n'y a pas lieu de faire droit à de telles demandes, le tracteur ayant été mis en dépôt chez le vendeur en raison de la défaillance de l'engin et ce, dans l'attente de la solution judiciaire du litige ; que le jugement déféré sera confirmé sur ce point ;

Attendu qu'en application de l'article 696 du code de procédure civile, la SAS Claas tractor sera condamnée aux dépens, de première instance et d'appel, qui comprendront les frais d'expertise ; que le jugement déféré sera infirmé en ce sens ;

Attendu que, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, il y a lieu de condamner la SAS Claas tractor à verser une somme de 1 700 euro à M. Jean-Paul Piters et une somme de 1 000 euro à la SAS établissements Jean Marié.

Par ces motifs, LA COUR, Confirme le jugement déféré sauf sur l'appel en garantie et les dépens ; Statuant à nouveau sur ces points et y ajoutant, Dit que les intérêts au taux légal sur le montant de la restitution du prix de vente intervenue entre M. Jean-Paul Piters et la SAS établissements Jean Marié seront dus à compter du 24 juin 2010 ; Ordonne la restitution, par la SAS Claas tractor à la SAS établissements Jean Marié, du prix de vente du tracteur en cause intervenue entre ces deux sociétés, le véhicule devant être rendu au constructeur ; Condamne la SAS Claas tractor aux dépens, de première instance et d'appel, qui comprendront les frais d'expertise ; Condamne, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile , la SAS Claas tractor à verser une somme de 1 700 euro à M. Jean-Paul Piters et une somme de 1 000 euro à la SAS établissements Jean Marié.