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Décisions

CA Angers, ch. com., 8 mars 2011, n° 10-00641

ANGERS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Daf Trucks France (SARL)

Défendeur :

Maison Pele (SARL), Etablissements Petit (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Vallée

Conseillers :

Mmes Rauline, Schutz

Avoués :

SCP Chatteleyn, George, SCP Gontier-Langlois, Me Vicart

Avocats :

Mes Schillings, Brecheteau, Boizard

T. com. Angers, du 17 févr. 2010

17 février 2010

EXPOSE DU LITIGE

Le 10 octobre 2003, la société Maison Pelé, qui a son siège à Candé (49) et a pour activité la fourniture de produits agricoles et de fuel domestique, a acquis auprès des Etablissements Petit, concessionnaire Daf, un camion de cette marque moyennant le prix de 55 016 euro TTC qu'elle a fait équiper d'une citerne en vue de la livraison de fuel.

A la suite de plusieurs bris de la courroie d'entraînement de la pompe à eau et de l'alternateur, la société Maison Pelé a saisi le président du Tribunal de commerce d'Angers d'une demande d'expertise en référé. Monsieur Thibeault a été désigné par une ordonnance du 25 juin 2008.

L'expert a déposé son rapport le 11 février 2009, complété par un additif le 30 mars suivant, concluant à l'existence d'un vice caché de la courroie, inadaptée aux poulies équipant le moteur.

Par actes d'huissier en date du 27 avril et du 5 mai 2009, la société Maison Pelé a fait assigner les Etablissements Petit et la société Daf Trucks France devant le tribunal de commerce d'Angers sur le fondement de l'article 1641 du Code civil pour solliciter la résolution du contrat, la restitution du prix de vente et le versement de dommages-intérêts et d'une indemnité de procédure.

Les Etablissements Petit ont sollicité la garantie intégrale de la société Daf Trucks France, laquelle a contesté l'existence d'un vice caché.

Par un jugement du 17 février 2010, le tribunal a :

- prononcé la résolution du contrat du 10 octobre 2003,

- condamné les Etablissements Petit à payer à la société Maison Pelé 55 016 euro au titre de la restitution du prix de vente avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation,

- donné acte à la société Maison Pelé qu'elle s'engage à restituer le véhicule,

- condamné les Etablissements Petit à payer à la société Maison Pelé 5 367,66 euro au titre du remboursement des factures de remise en état, 1 500 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens,

- débouté la société Maison Pelé de ses autres chefs de demande,

- débouté la société Daf Trucks France de l'intégralité de ses demandes à l'encontre de la société Maison Pelé,

- dit que les Etablissements Petit sera garantie à hauteur de la totalité des condamnations par la société Daf Trucks France,

- condamné la société Daf Trucks France à payer aux Etablissements Petit la somme de 1 500 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile,

- ordonné l'exécution provisoire.

La société Daf Trucks France a interjeté appel de cette décision le 5 mars 2010. Les Etablissements Petit et la société Maison Pelé ont relevé appel incident.

Les parties ont conclu. L'ordonnance de clôture a été rendue le 5 janvier 2011.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Dans ses dernières conclusions du 21 décembre 2010, la société Daf Trucks France demande à la cour d'infirmer le jugement et de :

- dire que le véhicule litigieux n'est pas affecté d'un vice caché et débouter la société Maison Pelé de toutes ses demandes,

- à titre subsidiaire, dire qu'elle ne pourra être condamnée à restituer que le prix de vente qu'elle a pratiqué à l'égard des Etablissements Petit, soit 36 423,10 euro HT, avec intérêts au taux légal à compter de l'arrêt à intervenir,

- confirmer le jugement en ce qu'il a limité l'indemnisation de la société Maison Pelé à la somme de 5 367,66 euro HT avec intérêts au taux légal à compter de l'arrêt à intervenir,

- condamner la société Maison Pelé et les Etablissements Petit à lui payer 2 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens de première instance et d'appel.

Elle indique qu'elle commercialise en France les camions fabriqués par Daf Trucks aux Pays-Bas et qu'en 2003, elle a vendu le camion litigieux aux Ets Petit moyennant le prix de 36 423,10 euro HT. Elle reproche à l'expert d'avoir procédé à une qualification juridique qui n'était pas de sa compétence en concluant à l'existence d'un vice caché et de s'être livré à des appréciations erronées. Elle s'étonne que l'usage du véhicule ait été diminué du seul fait du changement de la courroie à huit reprises en cinq ans alors que cette opération prend trois minutes selon le chauffeur de la société Maison Pelé, soit au total deux heures.

Selon elle, les conditions de l'article 1641 du Code civil ne sont pas remplies. Elle fait valoir à cet effet que, dans divers documents, le constructeur avertit l'utilisateur de l'usure de certaines pièces plus rapide que l'usure habituelle et préconise un entretien préventif avant 40 000 km. Or, pendant la livraison du fioul, le moteur continue de tourner et la courroie d'être sollicitée. Elle fait observer que les trois premiers changements de la courroie sont intervenus après une durée moyenne d'utilisation de 37 000 km et que celle-ci a chuté à 15 000 km au cours de la quatrième année d'exploitation. D'après Monsieur Velasco, ce n'était pas la courroie qui était en cause mais son fonctionnement dans un environnement poussiéreux (le fait que la majorité des aires de stationnement soit en terre battue), ce qui l'a conduit à préconiser la mise en place d'un déflecteur. Elle ajoute que, depuis la pose de celui-ci en mars 2009 puis l'échange complet du kit courroie-tendeur-galet en juin 2010, également préconisé par Monsieur Velasco en cours d'expertise, aucun incident n'a été signalé par la société Maison Pelé.

Elle soutient que le vice dont se plaint la société Maison Pelé n'a pas le caractère de gravité exigé par la jurisprudence parce qu'une courroie peut être rapidement remplacée (un quart d'heure maximum) et n'est pas un organe de sécurité essentiel du véhicule. Elle estime que si la conduite du véhicule avait été dangereuse, la société Maison Pelé aurait cessé de l'utiliser depuis longtemps. En outre, le vice a disparu, la courroie tenant beaucoup mieux avec un galet métallique.

A titre subsidiaire, elle demande à la cour d'exclure la TVA du prix de vente et des remboursements de factures, d'appliquer une indemnité pour dépréciation du véhicule et de débouter la société Maison Pelé de ses demandes au titre des frais de location qui ne sont pas justifiés compte tenu de la très courte durée des immobilisations, et des frais de transfert de la citerne, sans rapport direct avec le vice allégué, et de faire courir les intérêts de retard à compter de l'arrêt à intervenir. Sur l'appel en garantie, elle conclut au débouté les Etablissements Petit en ce qui concerne la partie du prix de vente correspondant à leur marge.

Dans ses dernières conclusions du 4 janvier 2011, les Etablissements Petit demandent à la cour d'infirmer le jugement en ses dispositions lui faisant grief et de :

- dire n'y avoir lieu à la résolution de la vente et réduire l'indemnisation allouée en déboutant la société Maison Pelé de toutes ses demandes,

- subsidiairement, réduire le montant à restituer en retenant un montant HT et en tenant compte de la dépréciation du véhicule liée à son utilisation,

- en toute hypothèse, confirmer le jugement en ce qu'il a dit qu'ils devaient être relevés indemnes des condamnations prononcées à leur encontre par la société Daf Trucks France,

- condamner cette dernière, ou à défaut la société Maison Pelé, à leur payer 3 500 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens.

Ils font valoir que l'expert a conclu à un défaut de conception après avoir exclu la responsabilité de l'utilisateur et des garages ayant remplacé les courroies mais que le 10 juin 2010, ils ont procédé au remplacement du kit courroie- tendeur- galet pour installer un galet en aluminium avec rebord renforcé à la place du galet en matière synthétique qui était à l'origine des désordres. Le vice a donc disparu et la remise en état était facile à effectuer, ce dont il résulte qu'il n'était pas d'une gravité suffisante pour justifier la résolution de la vente. Selon eux, le litige a évolué, la résolution de la vente n'est plus justifiée, comme elle l'était en première instance, ce qu'elle avait admis de bonne foi. La société Maison Pelé ne peut donc réclamer que des dommages-intérêts correspondant au remboursement de ses frais et à son trouble de jouissance.

Subsidiairement, ils sollicitent la confirmation du jugement qui a prononcé la garantie intégrale de la société Daf qui fait partie de la chaîne des contrats de vente et qui est entièrement responsable du défaut de conception, rappelant que sa propre responsabilité n'est recherchée qu'en qualité d'intermédiaire. Ils déclarent s'associer aux observations de cette dernière sur l'indemnisation du préjudice de la société Maison Pelé, notamment quant à la restitution du prix hors taxe, à la nécessaire prise en compte de la dépréciation survenue en sept ans d'utilisation du camion et au rejet des demandes au titre des frais de location et de transfert de la citerne.

Dans ses dernières conclusions du 30 décembre 2010, la société Maison Pelé demande à la cour de débouter la société Daf Trucks France et les Etablissements Petit de leurs appels principal et incident, de faire droit à son appel incident et de :

- confirmer le jugement en ses dispositions non contraires,

- condamner les Etablissements Petit à lui payer 30 843,92 euro HT outre la TVA à titre de dommages-intérêts avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation,

- condamner les Etablissements Petit et la société Daf Trucks France ou l'une à défaut de l'autre à lui payer 3 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens d'appel.

Elle expose qu'elle a rencontré des difficultés avec le véhicule au bout d'un an, que la courroie a été changée neuf fois entre octobre 2004 et avril 2008, date à laquelle elle a décidé de recourir à une expertise, puis quatre fois entre juillet 2009 et juin 2010 malgré la pose d'un déflecteur en mars 2009 sur les conseils de l'expert de la société Daf, qu'un tel changement intervient en principe tous les 80 000 à 100 000 km alors que celle du camion devait être surveillée au bout de 15 000 km.

Elle estime qu'il n'est pas sérieux de la part de la société Daf de dénier l'existence d'un vice caché affectant l'ensemble courroie- tendeur- galet compte tenu des conclusions du rapport d'expertise, l'expert ayant bien émis un avis technique et non juridique, contrairement à ce qui est allégué. Elle souligne que les Ets Petit avaient reconnu en première instance qu'elle n'aurait pas acquis le camion si elle avait eu connaissance de ce défaut, même si, depuis, ils ont changé de position. Elle répond que toutes les routes sont goudronnées et que seuls quelques accès à des propriétés privées ne le sont pas et que ses autres véhicules ne connaissent pas de problèmes de courroie malgré les mêmes arrêts fréquents. Elle dément avoir été en possession de documents de la société Daf faisant état d'un risque d'usure rapide et qualifie de partial l'avis de son conseiller technique. Elle considère que la pièce 6 de la société Daf démontre que d'autres camions ont rencontré le même problème. Elle considère qu'en ayant installé un nouveau kit avec des galets en aluminium, cette dernière a admis le défaut de conception et donc le vice caché. Elle souligne la gravité du vice en ce que le moteur s'endommage si le chauffeur ne s'arrête pas immédiatement, lequel n'a que quelques dizaines de mètres pour le faire, ce qui n'est pas toujours possible d'autant qu'il transporte un produit dangereux, ajoutant que c'est pour ce motif qu'en novembre 2007, il y a eu une rupture de la culasse. Il existe donc un risque pour la sécurité, contrairement à ce qui est allégué par la partie adverse. Elle déclare ne pas avoir été avertie de l'installation d'un nouveau kit en juin 2010 et soutient que ce fait nouveau n'est pas suffisant pour affirmer que le vice a disparu.

Sur les conséquences de l'annulation, elle fait valoir qu'elle est en droit de percevoir le prix toutes taxes comprises et que les dommages-intérêts doivent également inclure la TVA. Elle s'oppose à ce qu'il soit tenu compte de la dépréciation du véhicule liée à son utilisation en invoquant la jurisprudence de la cour de cassation. Elle déclare qu'elle va devoir démonter la citerne préalablement à la restitution du camion et que le coût de cette opération (23 000 euro HT), en lien direct avec la résolution de la vente, fait partie de son préjudice, contrairement à ce qui a été jugé. Elle demande également le remboursement des coûts de location d'un véhicule de remplacement liés aux immobilisations récurrentes (2 476,26 euro HT).

MOTIFS

I. SUR L'ACTION RÉDHIBITOIRE

La société Daf Trucks France conteste l'existence d'un vice caché et, subsidiairement, sa gravité. Elle demande également à la cour, ainsi que les Etablissements Petit, de tirer les conséquences de l'évolution du litige en appel tenant au fait que le constructeur a remédié au défaut de la courroie en substituant un galet en aluminium à un galet en plastique.

1°) Sur l'existence du vice caché

Il résulte du rapport d'expertise que :

- en juillet 2008, Monsieur Thibeault a constaté que la courroie, changée 11 477 km plus tôt, s'effilochait sur toute sa circonférence sur le côté intérieur, côté moteur (largeur de 18 mm alors que celle d'une courroie neuve est de 28 mm), que le galet de renvoi était endommagé latéralement côté intérieur (largeur diminuée de 2 mm), sa piste étant anormalement creusée par les 8 stries de la courroie, et que la piste du galet de tension était anormalement creusée par le passage du dos de la courroie ;

- l'expert a fait poser une courroie et des galets neufs et organisé deux nouveaux examens contradictoires en septembre puis en décembre 2008 : en septembre, il a constaté sur le dos de la courroie 7 traces correspondant aux 7 fonds des profils en V de la courroie ; il les explique par le fait que les sommets des profils V des poulies prennent anormalement appui en fond de gorge des profils V de la courroie (la hauteur des profils V des poulies est de 3,10 mm alors que la profondeur des profils V de la courroie est de 2,13 mm) ; en décembre, il a pratiqué de nouvelles mesures faisant apparaître que la courroie s'usait trop rapidement de l'intérieur ;

- selon l'expert, la cause des bris de la courroie est due à une inadaptation de la courroie aux poulies à profils en V équipant le moteur ; 'par défaut d'adhérence, elle patine, chauffe et finit par se détruire en se découpant suivant les lignes de marquage des profils V'; il n'a relevé aucun défaut d'utilisation ni aucun défaut de montage ;

- les désordres étant nombreux, anormaux et répétitifs, il s'agit, selon lui, d'un vice caché rendant le camion partiellement impropre à son usage, le changement de la courroie s'effectuant en principe tous les 80 000 à 100 000 km.

L'appelante reproche à l'expert d'avoir outrepassé sa mission en procédant à la qualification juridique de vice caché. Il est exact que ce dernier avait pour mission de décrire les désordres, vices ou anomalies et de dire s'ils rendent le camion litigieux impropre à l'usage auquel il est destiné. Toutefois, le juge est en droit de s'approprier l'avis de l'expert, même si celui-ci a exprimé une opinion d'ordre juridique. La cour constate que Monsieur Thibeault a procédé à des constatations et à une analyse des causes du désordre qui permettaient au tribunal de procéder lui-même à la qualification critiquée.

Sur le fond, la société Daf Trucks France prétend tout d'abord que la courroie doit être changée à moins de 40 000 km, et non à 80 000 - 100 000 km comme l'écrit l'expert.

Elle verse aux débats un fascicule de garantie pour l'Europe non daté, dont elle n'établit pas qu'il existait en 2003, comprenant en page 28 un schéma qui n'est pas compréhensible pour un non initié et dont il ne résulte pas que la courroie devait être vérifiée à 40 000 km. En tout état de cause, une seule courroie a dépassé ce kilométrage, la première, changée à 46 123 km.

Elle produit également en pièce 6 un extrait du manuel d'entretien relatif au contrôle de la courroie qui appelle l'attention sur les déchirures et les traces d'usure prématurée pouvant l'affecter et l'attention particulière à apporter aux poulies en plastique. Toutefois, comme le souligne justement la société Maison Pelé, compte tenu de la date de ce document (mai 2009) et de la mention en bas de page selon laquelle le contrôle ne s'applique qu'à certains véhicules en fonction du numéro de châssis, il tend à confirmer que d'autres camions de la même série que le sien étaient affectés du même défaut.

Quant au fait que le moteur continue à tourner pendant la livraison du fuel, cela relève d'un usage parfaitement normal d'un camion.

La société appelante soutient ensuite que la cause des bris de courroie provient de la poussière, la plupart des aires de stationnement étant en terre battue, et que la pose d'un déflecteur a permis de résoudre la difficulté. L'expert judiciaire a répondu à cette observation en disant que la poussière pouvait être un facteur d'accélération de l'usure mais qu'il avait néanmoins constaté un phénomène similaire sur un camion de marque Daf utilisé dans un autre environnement. La société Maison Pelé dément cette allégation en indiquant que les agriculteurs représentent moins d'un tiers de sa clientèle et que la plupart d'entre eux n'ont plus de cour et de chemin d'accès en terre depuis longtemps. Enfin, la cour observe que la pose en mars 2009 d'un déflecteur destiné à remédier à cette cause s'est avérée inutile puisque la courroie a cédé à nouveau quatre mois plus tard (cf le procès-verbal de constat de l'huissier de justice du 25 juillet 2009), puis encore deux fois après cette date, en décembre 2009 et en mai 2010.

Il résulte de ce qui précède que le rapport d'expertise n'est pas critiqué sérieusement.

Il met clairement en évidence que c'est l'inadaptation de la courroie aux poulies à profils en V équipant le moteur qui est à l'origine des bris successifs de celle-ci.

Il s'agit d'un défaut de conception du constructeur. Le changement du kit complet courroie- tendeur- galets en aluminium en juin 2010 et le fait qu'aucun incident n'est survenu depuis cette date alors que le camion a dû parcourir entre 55 000 et 60 000 km démontrent que c'est la matière synthétique des galets qui était en cause. Le vice était dès lors antérieur à la livraison et indécelable par un profane.

Le tribunal a donc exactement conclu à l'existence d'un vice caché.

2°) Sur la gravité du vice

Deux séries d'arguments sont avancés par la société Daf Trucks France et les Etablissements Petit pour soutenir que le vice n'est pas grave, la rapidité de changement d'une courroie par le chauffeur et sa remise en état en juin 2010.

Pour dire que le changement de la courroie est anodin, la société Daf Trucks France s'appuie sur la déclaration du chauffeur de la société Maison Pelé selon laquelle il la changeait en trois minutes. Elle conteste la conclusion de Monsieur Thibeault relative à l'immobilisation du camion une demi-journée à l'occasion du changement de la courroie.

Il ressort des pièces versées aux débats qu'entre octobre 2004 et juin 2010, la courroie a été changée par le chauffeur à trois reprises et par un garage à onze reprises. L'appelante ne répond pas à l'argument de la société Maison Pelé relatif aux conséquences d'un arrêt tardif du camion. Or, trois factures comportent d'autres réparations que le seul changement de la courroie dont l'expert a indiqué qu'elles étaient la conséquence du défaut de la courroie. Dans ces conditions, un temps moyen d'immobilisation du camion d'une demi-journée apparaît être un minimum.

Contrairement à ce qu'allègue l'appelante, la société Maison Pelé ne prétend pas que le défaut était dangereux mais que le chauffeur devait s'arrêter très vite après avoir entendu un bruit anormal sous peine d'endommager le moteur, ce qui est arrivé en novembre 2007 (changement de la culasse). Elle indique que les conditions de circulation ne lui permettaient pas toujours de le faire et que le chauffeur devait tenir compte de ce qu'il conduisait un produit dangereux. L'appelante n'est donc pas fondée à minorer les conséquences du défaut affectant la courroie dès lors que seuls le hasard et l'habileté du chauffeur ont permis de les limiter.

Enfin, l'expert judiciaire a dit que les changements de courroie étaient nombreux et anormaux au regard de la fréquence habituelle de changement d'une courroie. L'appelante prétend que les trois premières courroies ont eu une durée de vie moyenne de 37 000 km et que ce n'est qu'à partir de fin 2006 que celle-ci a chuté. Cette affirmation est cependant démentie par l'examen du kilométrage auquel les changements ont été opérés : entre le 18 octobre 2004 et le 16 avril 2008, le camion a parcouru 121 730 km et la courroie a été changée 8 fois, soit une moyenne de 15 216 km ; entre avril 2008 et mai 2010, elle a été changée 5 fois. Le camion a parcouru au total 201 877 km d'octobre 2004 à cette date, soit une moyenne de 15 529 km par courroie.

Au vu de ces éléments, la société Maison Pelé est fondée à soutenir que si elle avait eu connaissance du vice lors de la vente, elle aurait renoncé à l'acheter, et ce d'autant que Monsieur Pelé a déclaré à l'expert avoir acheté un camion neuf pour ne plus avoir d'ennuis mécaniques (page 2 du rapport).

Sur le second argument, le fait que le camion ait parcouru le kilométrage indiqué plus haut autorise la société Daf Trucks France et les Etablissements Petit à soutenir que la courroie a été remise en état en juin 2010. Toutefois, il ne peut être tenu compte de cet élément nouveau en appel, comme elles le demandent. En effet, il convient de rappeler que l'acquéreur d'une chose affectée d'un vice caché a le choix entre une action rédhibitoire et une action estimatoire, conformément à l'article 1644 du Code civil. Il est de jurisprudence constante qu'il exerce librement son option sans avoir à en justifier et sans que le vendeur puisse s'opposer à une demande de résolution en offrant le remplacement de la chose ou sa remise en état.

Il ne résulte d'aucune pièce que le changement du kit complet courroie - tendeur- galets a été réalisé avec l'assentiment de la société Maison Pelé (l'ordre de réparation et la facture ne sont pas produits). Cette dernière indique en page 14 de ses conclusions qu'elle n'avait pas été avertie et maintient sa demande de résolution de la vente. Il s'ensuit qu'elle aurait refusé la proposition du vendeur si elle lui avait été faite préalablement à la remise en état, comme elle en avait le droit.

Par ailleurs, les Etablissements Petit ne peuvent sérieusement soutenir que " la remise en état était facile à effectuer " alors que celle-ci est intervenue au bout de six ans et demi, après que le véhicule a parcouru 250 000 km et lors du 14e changement de courroie, alors que, pendant la même période, celle-ci n'aurait dû être changée que deux fois.

En conséquence, c'est à bon droit que le premier juge a dit que le vice caché était suffisamment grave pour justifier la résolution de la vente du 10 octobre 2003.

3°) Sur les conséquences de l'annulation de la vente

L'action rédhibitoire aboutit à l'anéantissement du contrat, l'acheteur devant restituer la chose et le vendeur le prix. Les parties contestent toutes les dispositions du jugement relatives aux conséquences de l'annulation.

La disposition du jugement qui a ordonné la restitution du camion sera confirmée.

La société Maison Pelé relève appel incident de celle qui l'a déboutée de sa demande en paiement des frais de démontage et de remontage de la citerne sur un autre camion, soit la somme de 23 000 euro HT selon un devis du 30 avril 2009. C'est à bon droit, cependant, que le tribunal a statué ainsi car de tels frais sont inhérents à l'usage qu'elle fait du camion et celui-ci a plus de sept ans et a parcouru plus de 300 000 km. La société Maison Pelé n'indique pas la durée d'amortissement d'un tel véhicule. Il y a donc lieu de les laisser à sa charge.

Sur le prix de vente, c'est à juste titre que la société Daf Trucks France et les Etablissements Petit demandent à la cour de condamner le vendeur à restituer le prix hors taxes, contrairement à ce qui a été jugé. En effet, en 2003, la TVA a été collectée par le vendeur et l'acquéreur, une société soumise au régime de la TVA, était habilitée à la récupérer. L'arrêt de la chambre commerciale de la cour de cassation du 26 juin 1990 dont la société Maison Pelé se prévaut n'est pas applicable en l'espèce car il avait censuré un arrêt qui avait rejeté une demande de l'acheteur en remboursement de la TVA au motif que le vendeur ne serait tenu de cette obligation que lorsqu'il aurait lui-même obtenu restitution de cet impôt par le Trésor public. En conséquence, elle ne peut prétendre qu'à la restitution du prix hors taxe. A défaut, elle serait indemnisée au-delà de son préjudice.

En revanche, la société Maison Pelé est fondée à soutenir que les parties adverses ne peuvent pas réclamer une indemnité liée à l'utilisation du véhicule ou à son usure résultant de cette utilisation (civile 1ère - 21 mars 2006).

S'agissant d'une restitution consécutive à la résolution d'un contrat, les intérêts de retard sont dus du jour de la demande en justice équivalent à la sommation de payer, conformément à l'article 1153 du Code civil. La demande de la société Daf Trucks France de paiement des intérêts à compter du présent arrêt sera donc rejetée.

En conséquence, le jugement sera infirmé en ce qu'il a ordonné la restitution de 55 016 euro TTC à la société Maison Pelé, cette somme étant réduite à 46 000 euro HT, mais confirmé sur le point de départ des intérêts au taux légal à compter de l'assignation.

II. SUR LES AUTRES DEMANDES

1°) Sur les demandes de dommages-intérêts

La disposition du jugement qui a condamné les Etablissements Petit à payer 5 367,66 euro au titre du remboursement des factures de réparation est critiquée par la société Maison Pelé en ce que le premier juge a prononcé une condamnation hors taxe, de même que celle qui a rejeté sa demande de paiement de la somme de 2 476,26 euro, outre la TVA, au titre des factures de location d'un autre camion pendant les temps d'immobilisation du camion litigieux.

Sur la TVA, le principe de la réparation intégrale posé par l'article 1149 du Code civil conduit à prohiber une double indemnisation, comme cela a été vu plus haut. Le préjudice de la société Maison Pelé est limité au montant hors taxe des factures.

Sur le second point, elle produit trois factures de location datées des 28 février, 30 avril et 30 novembre 2007 et justifie de l'immobilisation du camion les 30 avril et 30 novembre 2007 pour le remplacement de la courroie et d'autres réparations dont l'expert a indiqué qu'elles étaient consécutives à la rupture de celle-ci. Par contre, aucune facture n'est produite pour le 28 février. Il sera donc fait droit à la demande de dommages-intérêts à hauteur des deux dernières factures, soit 1 048,25 euro hors taxe.

Dès lors, le jugement sera confirmé sur le premier chef de l'appel incident et infirmé sur le second.

2°) Sur la demande au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et les dépens

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné les Etablissements Petit à verser une indemnité de procédure de 1 500 euro à la société Maison Pelé ainsi qu'aux dépens comprenant les frais d'expertise. Ils seront condamnés à lui payer, en outre, une somme de 2 500 euro au titre des frais irrépétibles d'appel et aux dépens d'appel.

III. SUR L'APPEL EN GARANTIE

Lorsque la vente d'un véhicule a été résolue, le vendeur ne peut obtenir du constructeur la garantie de la perte de prix auquel, du fait de la résolution de la vente et de la remise consécutive de la chose, il n'a plus droit et dont la restitution ne constitue pas pour lui un préjudice indemnisable (civile 1ère - 7 mars 2000). La restitution du prix de vente ne peut dés lors fonder un appel en garantie et aucune demande subsidiaire de dommages-intérêts n'a été formée par les Etablissements Petit. La cour constate, cependant, que la société Daf Trucks France sollicite uniquement une limitation de sa garantie à hauteur de la somme de 36 423,10 euro correspondant au montant du prix de vente hors taxe du camion aux Etablissements Petit en 2003. Ne pouvant statuer ultra petita, elle condamnera donc l'appelante à garantir ces derniers à hauteur de cette somme.

Le jugement sera confirmé pour le surplus, le vice caché résultant d'un défaut de conception et la société Daf Trucks France contestant l'étendue de sa garantie, non son principe. Elle devra dès lors indemniser intégralement les Etablissements Petit des dommages-intérêts, des indemnités de procédure et des dépens.

La société Daf Trucks France sera déboutée de sa demande d'indemnité au titre des frais irrépétibles et condamnée à payer aux Etablissements Petit 2 500 euro au titre de ses frais irrépétibles d'appel.

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement : Infirme partiellement le jugement déféré, Statuant à nouveau, Condamne les Etablissements Petit à payer à la société Maison Pelé 46 000 euro au titre de la restitution du prix de vente et 1 048,25 euro au titre des frais de location, Condamne la société Daf Trucks France à garantir les Etablissements Petit à hauteur de 36 423,10 euro au titre de la restitution du prix de vente et de l'intégralité des autres condamnations prononcées à l'encontre de cette dernière, Confirme les autres dispositions du jugement, Y ajoutant, Condamne les Etablissements Petit à payer à la société Maison Pelé 2 500 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel, Condamne la société Daf Trucks France à payer aux Etablissements Petit 2 500 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel, Condamne les Etablissements Petit aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.