CA Lyon, 1re ch. civ. B, 22 février 2011, n° 09-02141
LYON
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Tracol (Epoux)
Défendeur :
Automobiles Peugeot (SA), Pimas Orthopedie (SAS), Nedey (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Baizet
Conseillers :
Mme Chauve, M. Morin
Avoués :
SCP Laffly Wicky, SCP Brondel Tudela, Mes Morel, Barriquand
Avocats :
Mes Beal, Alagy, Couturier, SCP Latraiche Guerin Bovier Pira
EXPOSE DU LITIGE
Les époux Tracol ont acheté le 12 octobre 2002 à la société Nedey un véhicule Peugeot 406 pour le prix de 25 150 euro. Ils ont fait réaliser par la société Pimas Orthopédie des travaux d'aménagement pour l'aide à la conduite.
Des dysfonctionnements étant rapidement apparus, ils ont eu recours en juillet 2003 à un expert amiable qui a considéré que le véhicule était impropre à l'usage auquel il était destiné et qui a retenu la responsabilité du constructeur automobile et de la société Pimas Orthopédie.
Les époux Tracol ont saisi le 23 novembre 2004 le juge des référés du tribunal de grande instance de Lyon qui a désigné, par ordonnance du 10 janvier 2005, Mr Cambas en qualité d'expert. Le rapport d'expertise a été déposé le 13/7/2005.
Le 19/1/2006, ils ont assigné en résolution de la vente la société Automobiles Peugeot qui a appelé en cause la société Nedey et la société Pimas Orthopédie. Dans son jugement rendu le 11 janvier 2009, le Tribunal de grande instance de Lyon a considéré que le bref délai pour agir en garantie des vices cachés n'avait pas été respecté, a déclaré irrecevable la demande dirigée contre le vendeur et le constructeur et a rejeté la demande en dommages-intérêts dirigée contre la société Pimas Orthopédie.
Les époux Tracol ont relevé appel.
Dans leurs conclusions reçues le 3 août 2009, ils demandent l'infirmation du jugement. Soutenant n'avoir eu connaissance du vice qu'au cours des opérations de l'expert judiciaire, ils estiment que le bref délai de l'article 1648 du Code civil a été respecté. Le vice caché du véhicule étant établi, ils demandent la condamnation solidaire de la société Nedey et de la société Automobiles Peugeot à leur restituer le prix, outre intérêts au taux légal à compter du 8/12/2002, et à tout le moins du 2/11/2004, et capitalisation de ceux-ci, à leur payer la somme de 20 000 euro en réparation de leur préjudice moral ainsi que celle de 21 182,67 euro en réparation de leur préjudice matériel.
Subsidiairement, ils invoquent la responsabilité contractuelle de la société Pimas Orthopédie à laquelle ils réclament la somme de 10 000 euro en réparation de leurs préjudices matériel et moral.
Ils demandent la somme de 4 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
Dans ses conclusions reçues le 3 mai 2010, la société Automobiles Peugeot conclut à la confirmation du jugement.
Subsidiairement, elle conclut au rejet de la demande des époux Tracol comme mal fondée. Elle expose que les dysfonctionnements, apparus après l'installation par la société Pimas Orthopédie d'un accélérateur électronique et d'un frein à la main, ont disparu après leur déconnexion ; que le véhicule n'est pas impropre à son usage, l'apparition de messages électroniques erronés sur le tableau de bord ne constituant pas un vice rédhibitoire, qui plus est, antérieur à la vente. Elle fait observer qu'elle n'est pas tenue de restituer le prix de vente qu'elle n'a pas perçu.
Très subsidiairement, elle demande à être relevée et garantie de toute condamnation prononcée à son encontre par la société Nedey et la société Pimas Orthopédie.
Elle sollicite en tout état de cause le rejet de l'appel en garantie de la société Nedey à son encontre. Elle réclame la somme de 3 500 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
Dans ses écritures reçues le 12 mars 2010, la société Nedey conclut également à la confirmation du jugement, l'assignation en référé par les époux Tracol étant tardive.
Subsidiairement, elle demande à la cour de constater que l'expert judiciaire n'a retenu que la responsabilité de la société Automobiles Peugeot qui a pris en charge à 16 reprises le véhicule litigieux. Elle conclut au rejet des demandes des époux Tracol et subsidiairement à leur réduction à de plus justes proportions. Elle forme un appel en garantie contre le constructeur, n'ayant eu qu'un rôle de simple intermédiaire.
Elle réclame la somme de 3 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
Dans ses conclusions reçues le 28/9/2010, la société Pimas Orthopédie rappelle que les aménagements réalisés par elle n'ont eu aucune incidence sur l'apparition des anomalies constatées par l'expert judiciaire, qui existaient depuis la construction du véhicule. Elle demande par conséquent la confirmation du jugement. Elle réclame la condamnation des époux Tracol à lui payer la somme de 2 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
DISCUSSION
Sur la recevabilité de l'action en garantie des vices cachés :
L'expert intervenu à titre amiable en juillet 2003 a considéré que les dysfonctionnements du véhicule litigieux étaient avérés, même s'il n'avait pu personnellement les constater, a retenu la responsabilité de la société Pimas Orthopédie, qui ne démontrait pas l'absence de causalité entre son intervention et les anomalies constatées, et celle de la société Automobiles Peugeot, qui ne démontrait pas que les dysfonctionnements n'étaient pas le fait du véhicule, donc d'un vice. De telles conclusions n'ont pu révéler aux époux Tracol le vice affectant leur véhicule. Il ne peut donc leur être reproché de n'avoir pas saisi immédiatement le juge des référés d'une demande d'expertise et d'avoir espéré pendant plus d'un an que les multiples interventions du constructeur du véhicule permettraient de remédier aux dysfonctionnements. Celui-ci ayant mis fin d'une manière anticipée à sa garantie contractuelle sans avoir résolu les problèmes affectant le véhicule, ils ont demandé l'organisation d'une expertise judiciaire qui a permis de découvrir, après le changement de la carte électronique élaborée par la société Pimas Orthopédie, l'existence des véritables défauts rédhibitoires affectant le véhicule depuis sa livraison. Compte-tenu de ces circonstances et de la nature de ce vice, c'est à tort que le premier juge a considéré qu'ils n'avaient pas agi à bref délai. Leur action doit donc être déclarée recevable.
Sur le fond :
Les désordres constatés par l'expert judiciaire consistent essentiellement dans l'apparition inopinée de messages sur l'afficheur multifonctions, l'enregistrement de signaux anormaux dans les mémoires de certains calculateurs déclenchant des fonctionnements erratiques pouvant avoir des conséquences imprévisibles. Ils sont la conséquence d'un vice de conception/fabrication, qui est lié à l'adoption d'un " multiplexage " connu pour ses " facéties électroniques ". Les nombreuses anomalies ainsi provoquées empêchent la conduite du véhicule dans les conditions de quiétude indispensables et le rendent impropre à sa destination.
Les appelants agissent sur le fondement de l'article 1641 du Code civil tant à l'encontre de leur vendeur direct qu'à l'encontre de la société Automobiles Peugeot en sa qualité de constructeur du véhicule litigieux. Cependant, ils ne peuvent réclamer à l'un et à l'autre la restitution du prix, qui n'est due que par celui auquel ils rendront effectivement le véhicule (article 1644 du Code civil).
Dès lors qu'ils réclament la restitution du prix versé à leur vendeur, la cour prononcera la résolution de la vente intervenue avec la société Nedey et ordonnera à celle-ci de leur restituer ce prix, soit la somme de 25 150 euro, dès la remise effective du véhicule.
En application de l'article 1645 du Code civil, la société Nedey, vendeur professionnel et le constructeur, la société Automobiles Peugeot, sont tenus in solidum de réparer l'intégralité du préjudice provoqué par le vice caché affectant le véhicule vendu.
Les appelants n'ont pu utiliser normalement leur voiture, qui avait été adaptée par divers aménagements à leur état de santé, pendant les deux années qui ont suivi son achat avant de cesser toute utilisation de celle-ci à la fin de l'année 2004. Ce préjudice de jouissance s'est accompagné d'un préjudice moral, caractérisé par les désagréments liés à la succession d'incidents techniques puis à l'introduction d'une procédure judiciaire qui a duré plus de 6 ans. Il convient de réparer ce préjudice par l'allocation d'une indemnité de 10 000 euro.
En ce qui concerne le préjudice matériel, les éléments d'information et de preuve fournis par les appelants ne permettent pas à la cour d'être convaincue que Mr Tracol avait besoin du véhicule litigieux pour se rendre à son travail du moins jusqu'à son déménagement à Serezin et que l'acquisition en 2005 par son épouse d'une voiture était en relation directe avec l'impossibilité d'utiliser le véhicule Peugeot 406. Ne doivent donc être pris en compte que les frais de transport en taxi à partir de 2006, les frais d'assurance du véhicule litigieux lorsqu'il n'a plus été utilisé, soit à compter de 2005, ainsi qu'une partie des frais de son aménagement, dès lors que ceux-ci n'ont pas été intégralement à la charge des appelants. Ce préjudice matériel sera donc justement réparé par une indemnité de 10 000 euro, complétée par le paiement des intérêts au taux légal sur la créance de restitution du prix à compter de son paiement.
Il convient enfin de leur accorder une indemnité de 4 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
Sur l'appel en garantie de la société Nedey contre la société Automobiles Peugeot :
La société Nedey n'a pas demandé la résolution de la vente conclue avec le constructeur. Etant totalement étrangère au vice affectant le véhicule vendu aux époux Tracol, elle doit être relevée et garantie par la société Automobiles Peugeot des seules condamnations en dommages-intérêts prononcées à son encontre. La restitution du prix aux époux Tracol du fait de la résolution de la vente ne constitue pas un préjudice indemnisable.
La société Automobiles Peugeot doit en revanche être déboutée de ses appels en garantie dirigés contre la société Nedey et contre la société Pimas Orthopédie, dont la responsabilité n'est pas en cause.
L'équité ne commande pas de faire droit à la demande de la société Pimas Orthopédie en application de l'article 700 du Code de procédure civile dirigée contre les époux Tracol.
Par ces motifs, LA COUR, Infirme le jugement critiqué, Déclare recevable l'action en garantie des vices cachés introduite par les époux Tracol, Prononce la résolution de la vente intervenue entre la société Nedey et les époux Tracol, Ordonne la restitution du prix,soit la somme de 25 150 euro, par la société Nedey dès la remise par les époux Tracol du véhicule, Condamne in solidum la société Nedey et la société Automobiles Peugeot à verser aux époux Tracol à titre de dommages-intérêts la somme de 20 000 euro, les intérêts au taux légal sur la créance de restitution du prix à compter de son paiement, outre une indemnité de 4 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la société Automobiles Peugeot à relever et garantir la société Nedey des condamnations ci dessus-prononcées, Déboute la société Automobiles Peugeot des ses appels en garantie, Rejette la demande de la société Pimas Orthopédie en application de l'article 700 du Code de procédure civile.