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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 11, 28 janvier 2011, n° 09-05916

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Paris Nord Automobiles (SAS)

Défendeur :

Fourmal, Renault (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Jacomet

Conseillers :

Mme Beaudonnet, M. Schneider

Avoués :

SCP Bolling - Durand - Lallement, SCP Baufume - Galland - Vignes, SCP Duboscq - Pellerin

Avocats :

Me Le Bouard, Cartigny, Martel, Guennec

TGI Bobigny, du 8 janv. 2009

8 janvier 2009

M. Fourmal a acquis, le 2 janvier 2006, auprès de la société Paris Nord Automobiles un véhicule Renault Scenic au prix de 22 950 euro. Au cours de l'année, le véhicule est tombé en panne plusieurs fois et a été immobilisé.

À la demande de M. Fourmal le juge des référés a désigné, en qualité d'expert, M. Carporusso, lequel a conclu à l'existence d'un vice caché ayant pour caractéristique une consommation anormale d'électricité ayant pour effet de décharger la batterie et de rendre impossible le démarrage.

En se référant à cette mesure d'expertise, M. Fourmal a fait assigner son vendeur et la société Renault devant le tribunal de grande instance de Bobigny lequel, par jugement du 8 janvier 2009, objet du présent appel, a rejeté la demande de résolution de la vente, a condamné la société Paris Nord Automobiles à payer au demandeur une somme de 5 000 euro à titre de dommages-intérêts, rejeté la demande de garantie formulée par la société Paris Nord Automobiles contre la société Renault et l'a condamnée à payer au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, 2 000 euro au demandeur, 900 euro à l'appelée en garantie.

Par dernières conclusions signifiées le 3 novembre 2010, la société Paris Nord Automobiles, appelante, demande l'infirmation du jugement et que le demandeur soit débouté de toutes ses prétentions ; à titre subsidiaire, elle sollicite la garantie de la société Renault, celle-ci devant s'expliquer sur l'historique du véhicule, les pannes constatées courant 2004 et 2005 étant survenues, en l'espèce, sur un véhicule vendu par la Division des Ventes Spéciales d'Occasions.

Elle demande la condamnation de la société Renault à lui payer 3 000 euro par application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par dernières écritures signifiées le 15 novembre 2010, G. Fourmal, intimé et appelant incidemment, demande de retenir que le véhicule était affecté d'un vice caché et, en conséquence, de réformer le jugement et de prononcer la résolution de la vente pour vice caché, la société Paris Nord Automobiles étant tenue de reprendre le véhicule et de restituer le prix, soit 22 950 euro ; il demande, en outre, la condamnation de la société Paris Nord Automobiles à lui payer la somme de 11 948,60 euro en réparation de son préjudice et 3 000 euro par application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Il fait valoir, pour l'essentiel, qu'il rapporte la preuve de l'existence d'un vice caché connu du vendeur dès lors que bien avant la vente, fin août 2005, un ordre de réparation avait été donné faisant état de ce que la batterie se déchargeait et qu'à l'époque même de la vente, la livraison a été différée en raison d'une 'défaillance électrique'; que ce véhicule va subir sept autres interventions sur une période de neuf mois alors que les kilomètres parcourus n'excèdent pas 3 710 ; que le 25 octobre 2006, une autre panne est intervenue concernant le calculateur et la colonne de direction assistée qui ont dû être remplacés.

Il conteste la justesse de la décision du tribunal, laquelle, après avoir constaté l'existence d'un vice caché, a rejeté la demande de résolution de la vente au motif que le vice soumis à l'examen de l'expert avait dorénavant disparu ; qu'en effet, rien ne permettait de dire qu'un risque de réapparition de la panne qui s'est étendue longuement dans le temps avait totalement disparu et qu'il ne pouvait être prouvé que la réparation intervenue en novembre 2006 avait permis de remédier définitivement aux désordres électriques.

Par dernières conclusions signifiées le 18 novembre 2010, la société Renault demande la confirmation du jugement et qu'il soit jugé que :

-la société Paris Nord Automobiles n'est pas fondée en sa demande de garantie,

- la preuve d'un vice caché affectant le véhicule n'est pas rapportée, aucun défaut n'ayant été constaté par l'expert alors, qu'au surplus, le véhicule n'a connu aucun incident depuis le 20 novembre 2006.

La société Renault demande le paiement de 2 000 euro par application de l'article 700 du Code de procédure civile.

SUR CE

Considérant que l'expertise a été effectuée à la demande de l'acheteur, qui n'a fait assigner devant le juge des référés que son vendeur, la société Paris Nord Automobiles ; que, toutefois, la société Renault a pu prendre connaissance des opérations d'expertise, des conclusions de l'expert et des documents constitués par des courriers qu'elle a reçus ou adressés à la société Paris Nord Automobiles, son concessionnaire, de sorte qu'elle est en mesure de répondre dans le cadre de la présente procédure de façon contradictoire aux moyens développés par la société Paris Nord Automobiles et M. Fourmal et de prendre parti au regard des prétentions de son concessionnaire et du client de celui-ci ;

Considérant que la résolution de la vente peut être prononcée en raison des défauts cachés de la chose qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine ou qui diminuent tellement cet usage que l'acheteur ne l'aurait pas acquise ou n'en aurait donné qu'un moindre prix, s'il les avait connus ;

Considérant que le rappel et l'analyse des désordres effectués par M. Fourmal et par l'expert ne sont pas sérieusement discutés, seules étant discutées en fait les conséquences, c'est-à-dire le choix ou non de prononcer la résolution de la vente en fonction de la gravité des vices constatés et d'en tirer les conséquences de droit ;

Considérant qu'il suffit de rappeler que le véhicule Scenic c ii 1.9 dci 120 luxe, vendu en décembre 2005, au prix de 22 950 euro, une panne étant déjà survenue et ayant retardé la vente, n'a été livré à l'acheteur qu'en janvier 2006 alors qu'il avait parcouru 6 225 km, la première mise en circulation ayant été effectuée le 1er décembre 2004 ;

Considérant que lors de la première réunion d'expertise, le 25 octobre 2006, le véhicule avait effectué 11 481 km ;

Considérant qu'un examen a fait apparaître un défaut au niveau de la mémoire du calculateur de la colonne de direction assistée ce que la société Paris Nord Automobiles a ultérieurement remplacé ;

Considérant que les déclarations de M Fourmal, relatées en page 7 du rapport,

ne donnent pas lieu à une contestation factuelle :

- il y a eu 7 pannes en tout, chacune ayant pour conséquence une immobilisation compensée par le garage, sous forme d'un prêt gratuit de véhicule, mais donnant lieu, toutefois, à une perte de temps importante, ne serait-ce que pour chercher la voiture de location,

- à chaque fois, le véhicule a nécessité pour sa réparation une immobilisation variant entre une heure et 10 jours,

-après une panne sur l'autoroute entraînant une immobilisation pendant 10 jours, une autre panne est intervenue concernant la serrure de coffre,

- après cette dernière panne, il n'y en a pas eu d'autres pendant les 2 000 km suivants ;

Considérant que le rapport a été déposé le 5 mars 2007, l'expert concluant dans les termes suivants :

- le véhicule litigieux est affecté d'un vice caché qui provoque une consommation anormale de courant et décharge la batterie, rendant impossible le démarrage du moteur,

- cela apparaît sporadiquement et ne s'est pas produit lors de l'examen d'expertise ; de ce fait, cette anomalie n'a pu être ni être constatée ni diagnostiquée,

- néanmoins, l'étude de l'historique des interventions subies par le véhicule permet d'affirmer que cette anomalie ne peut nullement être contestée et qu'elle avait été constatée par des professionnels avant même l'achat du véhicule par M. Fourmal,

- les établissements Verdier sont intervenus ponctuellement à chaque panne, effectuant les interventions et le remplacement des pièces préconisées par le constructeur compte tenu que malgré cela, l'anomalie se reproduisait, les établissements Verdier ont manqué à leur obligation de résultat ;

Considérant qu'en page 7 de son rapport, l'expert analyse l'ensemble des événements constatés sur le véhicule et rappelle que la livraison prévue du 2 janvier 2006 n'a pas pu avoir lieu car le véhicule présentait une défaillance électrique qui a donné lieu à des interventions sur la programmation et sur les relais et la batterie ;

Considérant qu'il ajoute qu'entre janvier et octobre 2006, sur une période de 9 mois et pour un kilométrage parcouru de 3 710 km, sept autres interventions ont été effectuées sur le système électrique qui ont comporté entre autres le remplacement du tableau de bord et le câblage moteur ;

Considérant qu'il en conclut que :

"l'anomalie (électrique) qui n'est pas présente constamment mais qui apparaît de façon sporadique donne lieu à un diagnostic qui risque d'être imprécis car de très nombreux éléments peuvent être à l'origine des désordres (connexions, faisceaux, centrale électronique) ; de ce fait, pour déterminer les éléments en cause, les interventions nécessaires à la réparation du véhicule doivent être faites par élimination en remplaçant un par un tous les éléments susceptibles d'être défectueux" ;

Considérant que le moyen principal opposé à la demande de résolution de la vente par les sociétés Paris Nord Automobiles et Renault repose sur le fait que les pannes subies par le véhicule ont toujours donné lieu à réparation et ont finalement disparu dans les derniers 2 000 km ;

Considérant, toutefois, que c'est à bon droit que l'intimé persiste à soutenir qu'au moment où il l'a acheté, le véhicule présentait des défauts suffisamment importants pour être qualifiés de vice caché ; qu'en effet, ce véhicule s'est révélé impropre à sa destination eu égard à la répétition des pannes et à la nature du véhicule lequel avait peu roulé avant l'achat et avait été mis en circulation depuis à peine un an de telle sorte qu'eu égard à l'importance du prix payé et à sa faible ancienneté, ce véhicule n'aurait jamais dû tomber en panne de façon répétée ;

Considérant que quand bien même les désordres seraient appréciés au jour où la juridiction statue plutôt qu'au jour de la vente, force est de constater que l'expert n'a pas entièrement répondu à sa mission en ne donnant pas l'explication des pannes et en se bornant à exposer la difficulté de trouver la cause électrique première des pannes compte tenu du nombre important de facteurs et de circuits électriques à vérifier ce qui laisse entendre qu'après les différentes interventions du garage Verdier, les pannes ont apparemment disparu sans que pour autant ont puisse exprimer la certitude qu'elles ne réapparaîtront pas ;

Considérant que, dans ces circonstances, il convient de considérer qu'il existe un doute sérieux sur la disparition définitive des pannes reprochées au vendeur ce depuis l'achat en janvier 2006 ;

Considérant que l'acheteur d'un véhicule ayant parcouru peu de kilomètres, âgé d'un an, est fondé à exiger de ce véhicule une fiabilité " normale " et donc l'assurance, pour le moins, que les pannes passées ne se reproduiraient pas alors que ni l'expert ni les vendeurs ne fournissent des éléments qui permettraient de s'assurer que les pannes passées ne réapparaîtront pas ;

Considérant, dès lors, que l'addition des pannes déjà constatées et l'incertitude rapportée ci-dessus conduisent à juger que le véhicule était atteint au moment de son achat d'un vice caché au sens de l'article 1641 du Code civil et qu'il convient d'infirmer le jugement ;

Considérant que, de ce fait, l'acheteur qui, par application de l'article 1644 du Code civil, a la possibilité d'opérer le choix entre la mise à néant du contrat ou une demande de dommages-intérêts est, en l'espèce, fondé ici en sa demande de remise en état par la restitution du véhicule moyennant la restitution du prix ;

Considérant que par application de l'article 1645 du Code civil, le vendeur, lorsqu'il connaissait les vices de la chose, est tenu, outre la restitution du prix qu'il en a reçu, de tous les dommages-intérêts envers l'acheteur ;

Considérant que la société Paris Nord Automobiles, en sa qualité de professionnel, est présumée connaître les vices de la chose et que, de surcroît, cette société ne fournit pas d'information sur le comportement du véhicule entre sa première mise en circulation et la vente en décembre 2005 - janvier 2006 ; que du moins, il a été constaté par elle un défaut d'ordre électrique important retardant la livraison d'un mois ; qu'à ce moment, le dysfonctionnement ainsi apparu était obligatoirement de nature à faire rechercher la cause exacte de la panne et à différer la vente au profit d'un autre véhicule ; que les dommages-intérêts sont donc dus en leur principe ;

Considérant que l'intimé demande que son préjudice soit évalué à 11 948 euro soit la contre-valeur de 7,5 journées de travail perdues puisqu'il utilise le véhicule pour l'exercice de sa profession de visiteur médical et sollicite l'indemnisation d'un préjudice général constitué par le défaut de jouissance paisible du véhicule acheté ;

Considérant que la perte de temps pour son travail ainsi que les désagréments créés par la multiplicité des pannes constitutives d'une impossibilité de jouir paisiblement d'un véhicule ayant peu roulé, sont à l'origine d'un préjudice pour M. Fourmal, qu'il convient d'évaluer à 6 000 euro toutes cause de préjudice confondues ;

Considérant que la société Renault conteste les demandes formulées contre elle par la société Paris Nord Automobiles aux motifs essentiels que la société Paris Nord Automobiles ne représente pas pour elle un établissement secondaire avec lequel elle demeure liée et que, par conséquent, en sa qualité de vendeur autonome, auteur des réparations effectuées sur le véhicule, directement ou indirectement, la société Paris Nord Automobiles est entièrement responsable dans sa défaillance concernant la remise en état du véhicule en cause ; que du point de vue de la procédure, le recours à l'expertise s'est révélé tardif entre les parties et, de plus, n'a pas été rendu commun ;

Considérant que la société Renault fait valoir, à juste titre, qu'elle n'a pas été appelée dans la procédure d'expertise ;

Mais considérant, cependant, qu'une expertise complémentaires n'apparaît pas nécessaire dès lors qu'elle a eu connaissance du rapport de l'expert et qu'elle a pu le discuter dans le cadre de la procédure ;

Considérant, de surcroît, que le litige ne lui était pas inconnu, la société Paris Nord Automobiles avait appelé l'attention du responsable de la Division des Ventes des Véhicules d'Occasion par email du 16 février 2006, c'est-à-dire bien avant le dépôt du rapport de l'expert, en énumérant la multiplication des pannes ; qu'il est donc manifeste que la société Renault ne pouvait soutenir utilement avoir méconnu les difficultés rencontrées par la société Paris Nord Automobiles et ne peut maintenant opposer l'unique responsabilité de cette société chargée de la revente et de la gestion des pannes courantes ;

Considérant que la société Renault, vendeur du véhicule à la société Paris Nord Automobiles, devra garantir la société Paris Nord Automobiles du montant des dommages-intérêts alloués, soit la somme de 6 000 euro, à l'exclusion de la restitution du prix de vente dès lors qu'elle ne bénéficie pas de la restitution du véhicule, qu'elle était à même de connaître les défauts, en sa qualité de professionnel, au moment de la vente alors qu'elle disposait des éléments les plus complets de contrôle lui permettant de donner toutes indications pour mettre fin aux désordres ;

Considérant qu'il y a lieu de condamner la société Paris Nord Automobiles, à payer sous la garantie de la société Renault, la somme de 3 000 euro par application de l'article 700 du Code de procédure civile, le jugement étant confirmé sur l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs, LA COUR, Infirme le jugement, sauf sur l'article 700 du Code de procédure civile ;Prononce la résolution de la vente intervenue entre la société Paris Nord Automobiles et Gérard Fourmal ;Ordonne, en conséquence, la restitution intégrale du prix par la société Paris Nord Automobiles contre la restitution du véhicule ; Condamne la société Paris Nord Automobiles à payer à Gérard Fourmal la somme de 6 000 euro à titre de dommages-intérêts complémentaires ; Condamne la société Renault à garantir la société Paris Nord Automobiles du paiement de la somme de 6 000 euro ; Condamne la société Paris Nord Automobiles à payer, sous la garantie de la société Renault, la somme de 3 000 euro par application de l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne la société Paris Nord Automobiles aux entiers dépens d'appel ; Dit qu'il sera fait application de l'article 699 du Code de procédure civile.