CA Nancy, 1re ch. civ., 6 janvier 2011, n° 09-02455
NANCY
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Meny Automobiles (SAS)
Défendeur :
Houillon, Assurances du Crédit Mutuel Iard (SA), Fiat France (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Schamber
Conseillers :
Mme Deltort, M. Bruneau
Avoués :
SCP Millot - Logier & Fontaine, SCP Leinster - Wisniewski & Mouton, SCP Merlinge - Bach-Wassermann & Faucheur-Schiochet
Avocats :
Mes Berna, Tassigny, Gazagnes
FAITS ET PROCÉDURE :
Le 15 janvier 2003, la société Mény Automobiles, distributeur agréé du réseau Alfa Roméo, a vendu à M. Fabrice Houillon un véhicule neuf de marque Alfa Roméo, modèle 147, type JTD, que son propriétaire a fait assurer par la société Les Assurances du Crédit Mutuel. Dans le cadre d'une campagne de rappel n° 4757, il a été procédé, le 6 octobre 2003, à une modification du boîtier du réchauffeur additionnel et du fusible protégeant l'alimentation de ce réchauffeur.
Suite à une lettre recommandée adressée à M. Houillon par la société Fiat France, importateur du véhicule, celui-ci a été confié le 21 avril 2005 à la société Mény Automobiles, dans le cadre de la campagne de rappel n° 4770, pour modifier l'organe de verrouillage du capot. Entre temps, par circulaire du 13 octobre 2004, la société Fiat France avait lancé, pour les véhicules du même type, la campagne n° 4778, relative à la vérification de la résistance du réchauffeur. Lorsqu'elle a restitué le véhicule à M. Houillon le 28 avril 2005, la société Mény Automobile n'était intervenue que sur le système de verrouillage du capot.
Le 3 janvier 2007, alors qu'il était conduit par M. Houillon, le véhicule a pris feu et a été entièrement détruit. La valeur de remplacement a été fixée à 15 000 euro et la société Les Assurances du Crédit Mutuel a payé à M. Houillon une somme de 14 750 euro après déduction de la franchise de 250 euro.
La société Mény Automobiles et la société Fiat France ont contesté les conclusions de l'expert saisi par l'assureur, et qui imputait le sinistre à l'absence de mise en œuvre des prescriptions du fabriquant dans le cadre de la campagne de rappel n° 4778. C'est dans ces conditions que, sur les assignations de l'importateur et du vendeur du véhicule, M. Houillon et son assureur ont obtenu du juge des référés la désignation d'un expert judiciaire, en la personne de M. Cuny.
Puis, se fondant sur les conclusions du rapport déposé le 16 février 2008, qui confirment la thèse retenue par l'avis technique initial, et invoquant la garantie des vices cachés, M. Houillon et la société Les Assurances du Crédit Mutuel, par acte du 8 août 2008, ont fait assigner la société Mény Automobiles devant le tribunal de grande instance de Nancy en réparation des préjudices subis par les demandeurs en leurs qualités respectives de tiers lésé et d'assureur subrogé. Le 15 octobre 2008, la société Mény Automobiles a appelé en garantie la société Fiat France. Reconventionnellement, cette dernière a demandé réparation du préjudice que lui a occasionné le manquement par la société Mény Automobiles à ses obligations contractuelles.
Par jugement du 11 septembre 2009, le tribunal a condamné la société Mény Automobiles à payer une somme de 14 750 euro à la société Les Assurances du Crédit Mutuel et une somme de 250 euro à M. Houillon. La demande incidente a été rejetée et il a été alloué tant aux demandeurs principaux qu'à l'appelée en garantie une somme de 1 500 euro au titre des frais irrépétibles de défense.
Pour se prononcer ainsi, en ce qui concerne la demande principale, le tribunal a constaté que le fait que le véhicule en cause ait été concerné par la campagne de rappel n° 4778 et que selon les experts, l'incendie a pris naissance à l'emplacement du réchauffeur additionnel, dont la résistance aurait dû être vérifiée, constitue la preuve suffisante de l'existence d'un vice caché antérieur à la vente, dont la société Mény Automobiles doit répondre, au titre de la garantie des vices cachés, sur le fondement de l'article 1641 du Code civil. S'agissant de l'appel en garantie, le tribunal a estimé qu'en dépit de l'existence d'un vice de construction, le vendeur intermédiaire ne saurait se retourner contre l'importateur en raison de sa propre faute, qui est avérée, dès lors qu'il est certain que la société Mény Automobiles connaissait la circulaire de rappel n° 4478, qui désignait précisément les véhicules concernés, et qu'elle a cependant limité son intervention à la reprise du système de verrouillage du capot.
La société Mény Automobiles a interjeté appel par déclaration du 6 octobre 2009.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES :
Par ses dernières conclusions, notifiées et déposées le 21 septembre 2010, la société Mény Automobiles demande à la cour, par voie de réformation du jugement déféré, de rejeter les demandes principales, et, à titre subsidiaire, de condamner la société Fiat France à la garantir de toute condamnation qui serait prononcée à son encontre. Elle demande que la partie perdante soit condamnée à lui payer une somme de 2 000 euro en remboursement de ses frais de défense non compris dans les dépens.
L'appelante fait valoir que M. Houillon et son assureur ne rapportent pas la preuve de l'existence d'un vice antérieur à la vente empêchant l'usage normal de la chose vendue, l'acquéreur ayant pu circuler avec le véhicule sans incident entre 2003 et 2007. Elle fait grief aux premiers juges d'avoir présumé l'existence d'un vice au seul motif de l'organisation par le constructeur du véhicule de la campagne de rappel n° 4778. En ce qui concerne la demande incidente, la société Mény Automobiles soutient que cette campagne de rappel, qui est une circonstance postérieure à la vente initiale, ne saurait modifier les obligations dont l'importateur est lui-même tenu au titre de la garantie des vices cachés, la société Fiat France ne pouvant pas non plus s'en exonérer en raison de la mauvaise organisation de cette campagne de rappel, dont elle n'a pas donné connaissance aux acquéreurs finaux, alors que les distributeurs n'avaient quant à eux pas été mis en mesure d'identifier les véhicules concernés. Elle ajoute que les dispositions de l'article 564 du Code de procédure civile ne lui interdisent pas d'invoquer, à l'appui des mêmes prétentions qu'en première instance, le moyen nouveau tiré de la responsabilité contractuelle de droit commun dont doit aussi répondre la société Fiat France.
Par leurs écritures dernières, notifiées et déposées le 1er octobre 2010, M. Houillon et la société Les Assurances du Crédit Mutuel concluent à la confirmation du jugement en ce qu'il a statué dans leurs rapport avec la société Mény Automobiles, à laquelle ils réclament une somme supplémentaire de 2 500 euro en remboursement des frais irrépétibles exposés pour leur défense en appel.
M. Houillon et son assureur répliquent que les opérations d'expertise ne sont pas critiquables et que la jurisprudence admet que la démonstration de l'antériorité du vice repose sur la vraisemblance, alors surtout qu'en l'espèce est en cause un vice de fabrication.
Par ses dernières conclusions, notifiées le 28 octobre 2010 et déposées le 3 novembre 2010, la société Fiat France forme appel incident pour faire annuler l'expertise judiciaire et rejeter les prétentions de M. Houillon ainsi que de la société Les Assurances du Crédit Mutuel. Subsidiairement, elle sollicite la confirmation du jugement en ce qu'il a rejeté la demande en garantie. Encore plus subsidiairement, elle demande l'organisation d'une nouvelle expertise, à défaut de quoi, elle conclut reconventionnellement à la condamnation de la société Mény Automobiles au paiement d'une somme de 5 000 euro à titre de dommages et intérêts. En tout état de cause, elle entend être indemnisée par l'appelante par une somme supplémentaire de 3 000 euro de ses frais non compris dans les dépens exposés pour sa défense en appel.
La société Fiat France reproche à l'expert d'avoir fondé ses conclusions sur les seules affirmations de M. Houillon, sans procéder à aucune vérification technique, et sans recourir à un sapiteur, alors que M. Cuny n'est pas spécialiste en incendies. Il lui fait encore grief d'avoir ignoré les observations formulées par son conseil après l'unique réunion d'expertise, cette attitude traduisant un manque certain d'impartialité. La société Fiat France soutient en tout état de cause que M. Houillon et son assureur ne rapportent pas la preuve d'un vice caché antérieur à la vente, ajoutant que le défaut n'est devenu rédhibitoire qu'en raison des manquements par la société Mény Automobiles à ses obligations dans la mise en œuvre de la campagne de rappel. Elle considère que si ces moyens ne devaient pas être reconnus fondés, il y aurait lieu d'ordonner une nouvelle expertise. S'agissant de la demande incidente dirigée à son encontre, elle estime irrecevables, comme nouvelles, les prétentions non fondées sur la garantie des vices cachés. Subsidiairement, elle affirme que l'appel en garantie ne peut avoir un fondement distinct de la demande principale et que le défaut invoqué ne peut être sanctionné autrement que sur la base de la garantie des vices cachés, ajoutant que ne sont de toute façon pas réunies les conditions d'application de la responsabilité du fait des produits défectueux, pas plus que n'est caractérisé un manquement à l'obligation de délivrance. Sur le fond, elle réplique que ses distributeurs agréés avaient été informés de la campagne de rappel n° 4778, tant par une circulaire sur support papier, que par voie électronique, dont la rubrique 'campagnes' doit, par l'effet des engagements contractuels, être consultée à chaque entrée d'un véhicule de la marque dans l'atelier d'un distributeur du réseau. La société Fiat France en déduit qu'en limitant son intervention au système de verrouillage du capot, alors qu'elle aurait dû simultanément vérifier la résistance du réchauffeur additionnel, la société Mény Automobile a commis une faute exonératoire de la garantie due par le fabricant. Elle s'estime fondée à obtenir, en cas d'admission de la demande principale, réparation de l'atteinte portée, par ce manquement, à son image de marque.
L'instruction a été déclarée close le 5 novembre 2010.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
Sur la régularité des opérations d'expertise :
L'expert avait notamment reçu pour mission de rechercher l'origine de l'incendie ayant abouti le 3 janvier 2007 à la destruction du véhicule en cause. La réunion d'expertise, au cours de laquelle l'expert Cuny a examiné ce véhicule, a eu lieu en présence de M. Houillon et de son avocat, qui est aussi celui des ACM, du chef d'atelier de la société Mény et du conseil de cette dernière, ainsi que d'un conseiller technique de la société Fiat, assisté de l'avocat de cette dernière. Aucune critique sérieuse ne peut donc être faite à l'expert quant au respect du principe de la contradiction.
Les observations écrites du conseil de la société Fiat France, en date du 24 janvier 2008, qui font suite au pré-rapport que M. Cuny avait reçu pour mission de dresser, ne tendaient nullement à remettre en cause l'avis de l'expert sur l'origine de l'incendie, à savoir le défaut qui affectait le circuit électrique du réchauffeur additionnel, mais portait uniquement sur les informations dont disposait ou non la société Mény Automobiles sur la campagne de rappel n° 4778. En annexant ces observations écrites à son rapport, et en y apportant une réponse, qui ne nécessitait pas une réunion supplémentaire, l'expert a satisfait aux obligations découlant pour lui des dispositions de l'article 276 du Code de procédure civile.
De plus, les termes du rapport sont parfaitement mesurés et ne traduisent aucun parti pris. Du reste, la société Fiat France s'est abstenue de toute démarche pour récuser l'expert pour cause d'impartialité. Ses critiques actuelles invoquées pour faire annuler ou écarter le rapport d'expertise judiciaire s'avèrent dès lors non fondées.
Sur les demandes principales :
Non seulement le rapport d'expertise ne sera pas annulé, mais au contraire ses conclusions seront adoptées, s'agissant de l'origine de l'incendie, la preuve de cette circonstance de fait pouvant être librement rapportée, y compris par présomptions. A cet égard, il ne saurait être reproché à l'expert d'avoir recueilli le récit de M. Houillon pour confirmer la localisation du début de l'incendie, à savoir l'arrière du tableau de bord, à proximité du réchauffeur additionnel, au sujet duquel l'assistant technique de la société Fiat France a précisé devant l'expert qu'il a occasionné d'autres sinistres du même type, raison de l'organisation de la campagne de rappel n° 4778. Tous ces éléments, qui avaient déjà été relevés dans l'avis technique de la société Berami, qui concluait dans le même sens que M. Cuny, caractérisent, par présomptions graves et concordantes, l'existence d'un vice caché de fabrication, qui avait d'emblée un caractère rédhibitoire, puisque le défaut de la pièce était susceptible de provoquer un incendie, risque qui s'est réalisé s'agissant du véhicule acquis par M. Houillon. C'est donc par des motifs pertinents que les premiers juges ont reconnu fondée l'action en garantie des vices cachés exercée à l'encontre du vendeur, la société Mény Automobiles.
Sur la demande incidente :
Par la pièce portant le n° 3 de son bordereau, la société Fiat France rapporte la preuve que par le contrat de distribution conclu avec la société Mény Automobiles, cette dernière s'est engagée, dans les termes suivants, à exécuter scrupuleusement les travaux imposés dans le cadre des campagnes de rappel :
" Article 16.1: le distributeur prendra toutes les mesures nécessaires pouvant être exigées par Alfa Romeo, et s'engage ainsi à effectuer avec toute la diligence nécessaire sur tous les véhicules de la marque Alfa Romeo circulant dans l'EEE, les opérations requises par Alfa Romeo dans le cadre de campagnes de rappel ou de service décidées par Alfa Romeo ou par une entité désignée.
Article 16.2: le distributeur s'engage à exécuter scrupuleusement, sur tous les véhicules Alfa Romeo, les opérations demandées par Alfa Romeo ou par l'entité désignée en vue de la mise en œuvre des campagnes de service spécial, de rappel ou de rectification notifiées par Alfa Romeo et de coopérer avec Alfa Romeo à cette fin. "
Par une exacte analyse des productions, les premiers juges ont retenu que la société Mény Automobiles avait eu connaissance de la circulaire papier du 23 novembre 2004, relative à la campagne de rappel n° 4778, avant que M. Houillon ne lui remette le véhicule, le 21 avril 2005, dans le cadre de la campagne de rappel n° 4770. En effet, avant cette date, la société Mény Automobile était déjà intervenue sur d'autres véhicules pour exécuter les travaux prescrits par la circulaire du 23 novembre 2004, qui permettait sans ambiguïté de déterminer les véhicules concernés, et qui précisait que certains d'entre eux étaient également concernés par la campagne de rappel n° 4470, au sujet de laquelle les clients avaient déjà été informés par lettre recommandée, comme c'était le cas de M. Houillon.
Le défaut d'exécution par la société Mény Automobiles des travaux impérativement prescrits par le fabricant, par l'intermédiaire de la société Fiat France, pour remédier au vice de fabrication qui entachait la résistance du réchauffeur constitue donc pour le constructeur une cause exonératoire de garantie, si bien que le jugement sera encore confirmé en ce qu'il a rejeté les demandes dirigées par la société Mény Automobiles à l'encontre de la société Fiat France.
Sur les demandes accessoires :
L'atteinte à l'image de marque du constructeur, portée par le manquement par la société Mény Automobiles à ses obligations contractuelles sera intégralement réparée par l'octroi d'une somme de 2 000 euro à titre de dommages et intérêts. Succombant en son recours, comme telle tenue aux dépens, la société Mény Automobiles, par application de l'article 700 du Code de procédure civile, sera condamnée à indemniser tant M. Houillon et la société ACM, que la société Fiat France à hauteur de 2.000 euro des frais non compris dans les dépens exposés pour leur défense en appel.
Par ces motifs, LA COUR, statuant en audience publique, contradictoirement, Rejette la demande tendant à l'annulation du rapport d'expertise judiciaire ; Confirme en toutes ses dispositions le jugement déféré ; Y ajoutant ; Condamne la société Mény Automobiles à payer à la société Fiat France une somme de deux mille euro (2 000 euro) à titre de dommages et intérêts ; La condamne à payer à M. Houillon et à la société Assurances du Crédit Mutuel d'une part, et à la société Fiat France d'autre part, une somme de deux mille euro (2 000 euro) en remboursement des frais irrépétibles de défense en appel ; Condamne la société Mény Automobiles aux dépens de l'instance d'appel et accorde aux avoués des autres parties un droit de recouvrement direct dans les conditions prévues par l'article 699 du Code de procédure civile.