Cass. crim., 30 novembre 2010, n° 10-81.132
COUR DE CASSATION
Arrêt
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Louvel
Avocats :
SCP Piwnica, Molinié
LA COUR : - Statuant sur les pourvois formés par M. X, M. Y, M. Z, la société A, contre l'arrêt de la Cour d'appel de Versailles, 21e chambre, en date du 25 janvier 2010, qui, pour tromperie, a condamné les trois premiers, chacun, à 10 000 euro d'amende et la dernière à 100 000 euro d'amende ; Joignant les pourvois en raison de la connexité ; Vu le mémoire, commun aux demandeurs, et les observations complémentaires produits ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, 2, 427, 446, 485, 593, 802 du Code de procédure pénale, L. 213-1, L. 215-1 du Code de la consommation ;
"en ce que l'arrêt attaqué, après avoir constaté que la direction régionale de la concurrence, la consommation, la répression des fraudes d'Ile-de-France représentée par Mme Bourgoin, inspecteur, était partie intervenante, a été entendue en ses observations après le rapport du président et avant le réquisitoire du substitut général sans prestation de serment, est entré en voie de condamnation à l'encontre de MM. X, Y, et Z et la société A ;
"1°) alors que les agents de la direction de la concurrence de la consommation et de la répression des fraudes ne tiennent d'aucun texte la possibilité d'intervenir comme parties à l'instance ; qu'ils ne peuvent être entendus qu'en qualité de témoin après prestation de serment ; que l'intervention des agents et l'inobservation de la formalité du serment entraînent la nullité de la décision si cette intervention et cette omission ont eu pour effet de porter atteinte aux intérêts des prévenus ; qu'en l'espèce, il résulte des notes d'audience, qu'entendue en qualité de partie intervenante sans prestation de serment, Mme Bourgoin, inspecteur de la DGCCRF, a soutenu l'appel du ministre, considérant que les éléments matériels et intentionnel du délit étaient caractérisés ; qu'elle a déposé lors de l'audience du 7 décembre 2009 " une note " de quatre pages auprès de la juridiction tendant à la condamnation des prévenus pour tromperie sur les qualités essentielles et requérant contre eux l'application de la loi pénale ; que les motifs de l'arrêt reprennent la problématique et les arguments de cette note ; que, par suite, l'intervention de la DGCCRF, qui s'est comportée comme un second ministère public ayant intérêt à faire reconnaître la culpabilité des prévenus et sur laquelle la cour d'appel s'est fondée pour affirmer sa conviction sur la culpabilité des prévenus, leur a fait grief ; qu'en entrant en voie de condamnation sur la base de cette intervention, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés ;
"2°) alors qu'il appartient à la cour d'appel d'assurer le débat contradictoire en ordonnant la communication à la défense de tous les documents qui lui sont remis, quelle qu'en soit l'origine ; qu'il ressort des pièces de la procédure qu'à l'issue de l'audience des débats, Mme Bourgoin, inspecteur de la DGCCRF, a remis à la cour d'appel une " note " sur laquelle les juges du fond se sont fondés pour entrer en voie de condamnation ; qu'en s'abstenant d'ordonner la communication de ce document au conseil des prévenus au cours de l'audience des débats, la cour d'appel a méconnu le principe et les textes susvisés" ;
Attendu que les demandeurs ne sauraient se faire un grief de ce que l'arrêt ait attribué la qualité de partie intervenante devant la juridiction correctionnelle à la direction de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes des Hauts-de-Seine, dès lors que, d'une part, il se déduit des dispositions combinées de l'article L. 141-1 II, 6°, du Code de la consommation, dans sa rédaction issue de l'article 39 de la loi du 3 janvier 2008, immédiatement applicable aux litiges en cours et de l'article L. 470-5 du Code de commerce, auquel il renvoie, que l'intervention de l'administration est autorisée par la loi et que, d'autre part, cette intervention est restée dans les limites tracées par l'article L. 470-5 du Code précité, l'agent qui n'a soutenu, dans la note écrite déposée à l'audience, aucune prétention distincte de celle du ministère public, n'étant intervenu oralement que pour la développer et le conseil des prévenus, chargé de les représenter, qui a eu la parole le dernier ayant, ainsi, été mis en mesure de lui rétorquer ; d'où il suit que le moyen doit être écarté ;
Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, L. 213-1, R. 112-6, R. 112-7, R. 112-14, R. 112-31 du Code de la consommation, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré MM. X, Y, Z et la A coupables de tromperie sur les qualités substantielles, a condamné MM. X, Y et Z, chacun à une amende de 10 000 euro et la société A à une amende de 100 000 euro ;
"aux motifs que, s'il est constant que la viande utilisée était effectivement du filet de poulet, il reste que l'expression est présentée de telle façon qu'elle est susceptible de tromper le consommateur, même modérément attentif, sur les caractéristiques essentielles du produit vendu ; qu'en l'espèce, certes est présenté à la vente le nouveau produit " Chicken Première " qui, certes, montre un sandwich composé de différents éléments dont un morceau enrobé de panure, mais les explications données en complément de l'image, mettent en valeur la mention " 100 % filet de poulet " ; qu'en effet, l'astérisque qui renvoie en bas de l'affiche publicitaire et indique "spécialité panée de morceaux de filet de poulet" est inscrite en très petits caractères, difficilement lisibles sur les écrans de télévision, comme sur les pancartes apposées dans les établissements de restauration rapide, comme écrite à l'encre claire et de façon proportionnée par rapport à la mention " 100 % filet de poulet ; que si le consommateur peut concevoir aisément que le produit " filet de poulet " puisse se présenter haché et pané, ce qui au surplus se remarque sur les affiches, il s'agit d'un traitement mécanique qui n'enlève ni n'ajoute rien à la composition même du produit ; que la prévention ne fait aucun grief à A de ces chefs ; qu'en revanche, il ressort de l'enquête et des analyses que le produit mis en vente était un agglomérat de morceaux de filet de poulet, dont une partie était saumurée, le tout mariné, soit 55,1 % de la préparation à base de poulet, dont 27,2 % de viande brésilienne saumurée ; que c'est donc une préparation à base de filet saumuré et mariné qui était offerte au consommateur ; que le filet de poulet se définit comme de la poitrine entière ou coupée en deux, désossée, sans notamment la présence de la peau ; que la marinade implique la mention de l'ingrédient constituant la base de la marinade dans le but d'attendrir et de parfumer la chair ; quant à la saumure, elle concerne les produits crus ayant subi une addition d'eau additionnée de sel ; que le complément d'enquête effectué auprès du fournisseur de A, la SA B, vient corroborer la nature du produit mis en vente qui ne correspond en rien à la définition du filet de poulet et ne peut être présenté en cette qualité ; que, contrairement à ce qui est plaidé, la réglementation des articles R. 112-1, R. 112-6 et R. 112-7 du Code de la consommation, qui visent toutes les denrées alimentaires, quelles soient préemballées ou non, doit trouver application à l'espèce ; qu'au vu des seules informations disponibles sur les documents publicitaires présentés, nul ne peut savoir, à l'avance, que ce filet de poulet a été mélangé à d'autres ingrédients (eau, farine de blé, huile végétale hydrogénée, chapelure, arômes, amidon de maïs modifié de blé et de tapioca, albumine d'oeuf, amidon de maïs, sel, sucre, agents levants : E 450, E 500, poudre de moutarde, protéine de lait, colorants E 160 et E 100), de sorte que le produit acheté est une préparation à base de poulet mariné, ce, dans des proportions qui laissent une place très relative à la quantité de poulet pur ; qu'indiquer seulement " filet de poulet " pour un produit qui a subi autant de transformations ne reflète pas la réalité et trompe les consommateurs ; que la mauvaise foi des responsables de A ne réside pas seulement dans le non-respect de la réglementation fournie par le Code des bonnes pratiques précité, ainsi que l'indique le jugement, mais qu'elle résulte de la parfaite connaissance qu'avaient ces dirigeants de l'écart entre la présentation du produit (100 % filet de poulet) et sa composition exacte (environ 27 % de pur filet dans le morceau supposé être du filet de poulet) ; qu'en effet, ils ne pouvaient ignorer la différence de qualité entre les produits bénéficiant de l'appellation valorisante de " 100 % de filet de poulet " et le produit commandé et acheté à leur fournisseur, la SA B, en l'espèce " une préparation à base de filet de poulet saumuré et mariné " ; que cette conscience est d'autant plus apparente qu'ils ne recevaient des produits dont le conditionnement ne laissait aucun doute sur la réalité du contenu et qu'ils ont donc sciemment substitué à une mention claire un libellé destiné à tromper les consommateurs sur la qualité de la viande qui leur était servie ; que la notion de qualité substantielle doit être appréciée au regard des qualités de la marchandise en raison desquelles le consommateur a décidé de l'achat du sandwich et sans lesquelles il ne l'aurait pas choisi et tel est bien le cas en l'espèce ; que, pour ces raisons, la campagne publicitaire organisée par A, afin de lancer son nouveau produit, trompe les consommateurs sur les qualités substantielles de son ingrédient principal tant sur le plan quantitatif que qualitatif, cela d'autant plus que les seules informations dont disposent les clients sont ces supports publicitaires ;
"1°) alors que la cour d'appel ne pouvait sans contradiction relever que le consommateur, compte tenu de la spécificité des plats servis dans les restaurants A et de l'affiche du produit, pouvait aisément concevoir que le produit filet de poulet puisse se présenter haché et pané, ce qui impliquait que ce morceau de viande avait été transformé et mélangé à d'autres ingrédients tels que l'eau, la farine de blé, l'huile végétale hydrogénée, la chapelure, les arômes, l'amidon de maïs modifié de blé et de tapioca, l'albumine d'oeuf, l'amidon de maïs, le sel qui sont les ingrédients nécessaires pour obtenir une viande panée et cependant, considérer que l'appellation 100 % filet de poulet était de nature à tromper le consommateur qui attendait nécessairement un filet de poulet qui n'aurait subi aucune transformation et qui n'aurait pas été mélangé aux ingrédients précités ; que l'arrêt attaqué ne satisfait pas aux exigences de l'article 593 du Code de procédure pénale ;
"2°) alors que le délit de tromperie sur les qualités substantielles suppose que la présentation du produit soit de nature à tromper le consommateur moyen sur les qualités substantielles du produit vendu ; que ces qualités peuvent être définies par rapport à la réglementation et les Codes de bonne conduite à condition qu'ils soient applicables au produit vendu ; qu'un restaurateur, par définition, transforme le produit que son fournisseur lui livre, lui ajoutant des ingrédients pour obtenir un plat cuisiné ; qu'en appliquant à la société A, restaurateur, une réglementation dans laquelle l'appellation 100 % de filet de poulet implique que le filet est pur sans adjonction du moindre ingrédient, ce qui revient à considérer qu'un restaurateur ne peut en aucune manière utiliser cette appellation alors même que la viande qu'il a utilisée pour confectionner son plat ne serait, comme en l'espèce, que du filet de poulet, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision ;
"3°) alors que la réglementation sur l'étiquetage impose de dénommer le produit proposé au consommateur de la manière la plus détaillée et la plus fidèle qu'il soit ; qu'il s'ensuit que la dénomination ainsi retenue pour une denrée alimentaire ne se confond pas avec ses qualités substantielles nécessairement plus sélectives ; qu'en décidant que la société A avait trompé le consommateur sur les qualités substantielles de son sandwich au seul motif qu'elle n'avait pas repris la dénomination utilisée par son fournisseur, la société B, sur l'étiquetage du produit qu'il lui avait livré, au surplus différent de celui proposé par la société A au consommateur final, la cour d'appel a méconnu le sens et la portée de l'article L. 213-1 du Code de la consommation ;
"4°) alors que la dénomination d'une denrée alimentaire doit être conforme à sa nature de sorte qu'elle ne peut être identique à tous les stades de la production ; que la denrée alimentaire livrée par la société B à la société A consistait en une préparation à base de filets de poulet marinés et saumurés ; que la société A, restaurateur, a élaboré à partir de cette préparation, une nouvelle denrée alimentaire, un sandwich, de sorte que ses éléments essentiels ne consistaient plus dans la préparation des filets de poulet mais dans la composition de la viande présente dans le sandwich ; qu'en jugeant que la société A avait trompé le consommateur final sur les qualités substantielles de son sandwich au motif qu'elle n'avait pas repris la dénomination retenue par son fournisseur, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés ;
"5°) alors qu'il appartenait à la cour d'appel de rechercher si un restaurateur qui, par hypothèse, adjoint à un produit brut, tel un morceau de viande, des ingrédients, ne peut légalement dénommer son produit cuisiné en ne tenant compte que de la nature du produit brut principal quand bien même son fournisseur lui aurait livré un produit déjà préparé, tel un morceau de viande saumuré, mariné et pané dans la mesure où cette dernière préparation aurait été en toutes hypothèses effectuée par le restaurateur ; qu'en l'espèce, il est constant que la viande utilisée pour la confection des sandwichs litigieux était du filet de poulet ; qu'en ne recherchant pas si, dans ces conditions, l'appellation 100 % filet de poulet pouvait être légalement utilisée même si la marinade et la saumure appliquées sur ces filets ont été réalisées par son fournisseur, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision" ;
Attendu que les énonciations de l'arrêt attaqué mettent la Cour de cassation en mesure de s'assurer que la cour d'appel a, sans insuffisance ni contradiction, répondu aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie et caractérisé en tous ses éléments, tant matériels qu'intentionnel, le délit dont elle a déclaré les prévenus coupables ; d'où il suit que le moyen, qui se borne à remettre en question l'appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, ne saurait être admis ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme.
Rejette les pourvois.