Livv
Décisions

Cass. crim., 7 octobre 2008, n° 08-80.230

COUR DE CASSATION

Arrêt

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Farge (conseiller le plus ancien faisant fonction)

Avocat :

SCP Boullez

Papeete, du 22 nov. 2007

22 novembre 2007

LA COUR : - Statuant sur le pourvoi formé par X, contre l'arrêt n° 413-296 de la Cour d'appel de Papeete, chambre correctionnelle, en date du 22 novembre 2007, qui, pour tromperie et contraventions connexes, l'a condamné, pour le délit, à quatre mois d'emprisonnement avec sursis et 1 000 000 de F CFP d'amende et, pour les contraventions, à quarante-trois amendes de 10 000 F CFP ; Vu le mémoire produit ;

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 1er et 7 de la loi du 1er août 1905, 18 du décret n° 84-1147 du 7 décembre 1984, R. 112-25 du Code de la consommation, de la délibération n° 88-15 AT du 11 février 1988 portant création du service des affaires économiques du territoire de la Polynésie française, de la délibération N° 98-189 APF du 19 novembre 1998, des articles 28, 388, 427, 485, 512, 591, 593 et 809 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a rejeté le moyen tiré de la nullité de la procédure et notamment des procès-verbaux d'infraction du 22 octobre 2003 ;

"aux motifs que, le 27 janvier 2004, Patrice Y et Angelo Z, tous deux agents du service des affaires économiques de la Polynésie française régulièrement habilités (le premier le 28 octobre 2003, le second le 12 mai 2003) " à constater les infractions aux réglementations dont le contrôle relève de la compétence de ce service ", se sont présentés au magasin à l'enseigne Cash & Carry à Faa'A géré par Bruno X et ont d'abord constaté, dans le rayon réfrigéré réservé aux viandes, treize préemballages de " côtelettes d'agneau " comportant une étiquette mentionnant " emballée le 19 janvier 2004 à consommer avant le 27 janvier 2004 ", placée par-dessus celle apposée par le conditionneur initial " à consommer avant le 20 janvier 2004 ", ensuite, dans le congélateur libre-service réservé aux produits de charcuterie et produits d'origine asiatique congelés, dix-sept préemballages dont la date limite de vente était dépassée soit depuis le 29 novembre 2003 soit pour d'autres depuis le 30 novembre ou encore le 2 décembre 2003, tandis que dans le congélateur libre-service réservé aux denrées animales ils constataient encore la présence de treize préemballages de viandes (steaks hachés et rôti de porc) dont la date limite de vente indiquée (17 janvier, 21 janvier, 23 et 24 janvier 2004) était dépassée ; qu'ils établissaient alors, au vu de leurs constatations, un procès-verbal en date du 2 février 2004, relevant d'une part quarante-trois contraventions pour infractions à l'article 22 de la délibération n° 98-189/APF du 19 novembre 1998 " réglementant l'information du consommateur en matière de denrées alimentaires au moyen de l'étiquetage ", contraventions passibles chacune d'une amende prévue pour les contraventions de 3ème classe (soit 53 398 FCP) et d'autre part le délit de tromperie sur les qualités substantielles des produits mis en vente ; que le décret du 22 août 1940, portant réglementation publique pour la loi du 1er août 1905 sur la répression des fraudes aux EFO (devenus depuis la Polynésie française) a précisé que sur ce territoire, les infractions à la loi du 1er août 1905 sont recherchées et constatées par un " service constitué à cet effet ", organisé par " un arrêté pris par le gouverneur en conseil privé " et qu'il précise en désignant les personnes qualifiées pour procéder " aux recherches, opérer des prélèvements et s'il y a lieu effectuer des saisies " que " le gouverneur peut désigner en outre pour concourir à l'application de la loi des fonctionnaires d'une compétence particulière qu'il soumissionne " ; que, dans la lignée de ce texte et compte tenu de la législation propre à la Polynésie française découlant de son statut particulier, l'assemblée territoriale (visant la loi n° 84-820 du 6 septembre 1984 portant statut, l'arrêté n° 297 CM du 17 décembre 1984 regroupant les services des affaires économiques, le service du commerce extérieur et le service territorial du plan en un service territorial dénommé " service des affaires économiques et du plan " a créé par délibération n° 88-15 AT du 11 février 1988 le " service des affaires économiques ayant compétence générale dans le domaine des affaires économiques " avec pour principale attribution notamment : " la qualité des produits et répression des fraudes " ; que cette dénomination générique emporte à l'évidence le contrôle de la qualité des produits mis en vente sur le Territoire ainsi que, nécessairement, la constatations des infractions relatives à la qualité de ces produits ; que dans ces circonstances, les agents assermentés appartenant à ce service comme Angelo Z et Patrice Y sont en conséquence aptes à procéder à la constatation de pareilles infractions ; que le moyen soutenu par Bruno X est d'autant moins pertinent que la délibération n° 98-89 /APF du 19 novembre 1998 réglementant " l'information du consommateur en matière de denrées alimentaires au moyen de l'étiquetage " prise par l'assemblée territoriale, après avoir rappelé en son article 1er qu'il est " interdit de détenir en vue de la vente ou de la distribution des denrées alimentaires dont l'étiquetage ou la présentation ne sont pas conformes aux prescriptions de la présente délibération " édicte en son article 24 : " sont qualifiés pour procéder à la recherche et à la constatation des infractions aux dispositions de la présente délibération les agents du service des affaires économiques " ; que, par ailleurs, force est de constater que certains articles de la loi du 1er août 1905 sur les produits et les services ont été modifiés pour être adaptés au statut du territoire, notamment, l'article 11 qui a prévu la possibilité de prendre des arrêtés en conseil des ministres sur " les mesures à prendre pour assurer l'exécution de la présente loi " en ce qui concerne : 10° " les mesures d'ordre administratif de protection immédiate des consommateurs nonobstant les règles de procédure pénale de recherche et de constatation des infractions propres à la répression des fraudes et au contrôle fixées par l'Etat " ; qu'ainsi, c'est en vain que Bruno X fait référence aux dispositions de l'article L. 215-1 du Code de la consommation (au demeurant non applicable en Polynésie) qui selon lui constituerait la loi spéciale accordant à certains agents des pouvoirs d'investigations propres les habilitant à constater les infractions en matière de fraude (arrêt, pages 4 à 6) ;

"1°) alors que, conformément à l'article 28 du Code de procédure pénale, les agents des administrations auxquels des lois spéciales attribuent certains pouvoirs de police judiciaire exercent ces pouvoirs dans les strictes limites fixées par ces lois ; que la délibération n° 88-15 AT du 11 février 1988 portant création du service des affaires économiques du territoire de la Polynésie française se borne à préciser les attributions de ce service, qui se résument aux " études générales et propositions d'orientation en matière économique ... ; préparation et contrôle de l'application de la réglementation en matière économique ... ; préparation et contrôle des mesures de correction de disparités économiques et en particulier celles nécessaires au désenclavement des archipels et au soutien à certaines productions d'intérêt territorial " ; qu'ainsi, une telle délibération ne confère aux agents du service des affaires économiques aucun pouvoir d'enquête concernant la recherche des infractions à la réglementation relative à la qualité des denrées alimentaires ou à leur étiquetage ; que, dès lors, en estimant, pour valider la procédure d'enquête, que ce texte emporte nécessairement le contrôle de la qualité des produits mis en vente sur le territoire, et confère nécessairement aux agents de ce service compétence pour procéder à la constatations des infractions s'y rapportant, la cour d'appel a violé le texte susvisé" ;

"2°) alors que l'article 1er de la délibération N° 98-189 APF (et non 98-89 comme indiqué par erreur dans l'arrêt attaqué) se borne à interdire la mise en vente de denrées alimentaires dont l'étiquetage n'est pas conforme aux prescriptions de la présente délibération, c'est-à-dire - ainsi qu'il résulte de l'article 3 de ce texte - un étiquetage susceptible de tromper le consommateur sur, notamment, la durée de conservation du produit ; qu'en estimant, dès lors, qu'en vertu de ce texte, les agents du service des affaires économiques avaient compétence pour constater les infractions reprochées au prévenu, tout en relevant par ailleurs qu'il est exclusivement reproché au demandeur d'avoir proposé à la vente des denrées dont la date limite de consommation était dépassée, sans que l'intéressé ait entrepris de dissimuler cette date limite par un étiquetage frauduleux, ce dont il résulte que les faits constatés n'entraient pas dans le champ de compétence des enquêteurs, la cour d'appel a violé les textes susvisés" ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que, le 27 janvier 2004, des agents du service des affaires économiques de la Polynésie française ont constaté que plusieurs denrées alimentaires, dont la date de consommation se trouvait dépassée, étaient proposées à la vente dans le magasin exploité par Bruno X ; que celui-ci a été poursuivi pour tromperie et contraventions connexes devant le tribunal de première instance de Papeete qui l'a déclaré coupable par jugement dont il a relevé appel ;

Attendu que, pour écarter l'exception soulevée par Bruno X, qui soutenait qu'en l'absence de loi spéciale conférant auxdits agents un pouvoir de police judiciaire en matière de fraude, leur procès-verbal d'infraction, en date du 2 février 2004, devait être annulé, les juges du second degré retiennent que la délibération n° 88-15 AT de l'Assemblée territoriale de la Polynésie française attribue au service des affaires économiques compétence pour contrôler l'application de la réglementation en matière économique, qui inclut la répression des fraudes ; qu'ils ajoutent que la délibération n° 98-189 APF, qui réglemente l'information du consommateur en matière de denrées alimentaires au moyen de l'étiquetage, habilite expressément les agents de ce service à rechercher et constater les infractions aux dispositions de ce texte ;

Attendu qu'en se déterminant ainsi, la cour d'appel a justifié sa décision au regard des dispositions des articles 28 et 809 du Code de procédure pénale ; d'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;

Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 1er et 7 de la loi du 1er août 1905, 18 du décret n° 84-1147 du 7 décembre 1984, R. 112-25 du Code de la consommation, 6 de la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 388, 427, 485, 512, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Bruno X coupable de tentative de tromperie sur les qualités substantielles de marchandises ;

"aux motifs que le fait d'exposer dans des rayonnages, en vue de la vente, des marchandises dont la date de consommation est manifestement dépassée parfois de plusieurs jours avec comme corollaire une détérioration évidente de leurs propriétés de nature à les rendre impropres à l'alimentation de l'homme et susceptibles de nuire à la santé des consommateurs, acheteurs potentiels, constitue le délit de tentative de tromperie sur les qualités substantielles desdites marchandises, tentative qui n'a manqué son effet, en l'espèce, que par suite d'une circonstance indépendante de Bruno X, savoir l'intervention des agents du service des affaires économiques ; qu'il convient en conséquence de requalifier en ce sens le délit reproché au prévenu et de l'en déclarer coupable (arrêt, page 7) ;

"1°) alors que tout accusé ayant, conformément aux dispositions de l'article 6 § 3 a) de la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales, le droit d'être informé des faits matériels qui lui sont imputés et de la qualification juridique donnée à ces faits, ainsi que le droit de disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense, la juridiction pénale, qui opère une requalification des faits poursuivis, doit en informer préalablement le prévenu et le mettre en mesure de présenter utilement sa défense sur la nouvelle qualification envisagée ; qu'ainsi, l'éventualité d'une requalification des faits doit être portée à la connaissance du prévenu au plus tard au cours des débats devant la juridiction correctionnelle ; qu'en l'espèce, en se bornant à énoncer que les faits visés à la prévention sous la qualification de tromperie caractérisent, en réalité, le délit de tentative de tromperie, pour en déduire que le prévenu doit être déclaré coupable de ce délit, quoiqu'il ne résulte d'aucune mention de l'arrêt que la requalification des faits ait été envisagée au cours des débats devant la cour d'appel, ni, partant, que le demandeur ait pu présenter ses observations en temps utile sur la nouvelle qualification pénale ainsi retenue, la cour d'appel a violé l'article 388 du Code de procédure pénale, ensemble le principe de l'égalité des armes et l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

"2°) alors que le seul fait de mettre en vente des denrées alimentaires dont la date limite de consommation est dépassée caractérise la contravention prévue à l'article 18 du décret n° 84-1147 du 7 décembre 1984, devenu l'article R. 112-25 du Code de la consommation, et ne peut être qualifié de tromperie ni de tentative de tromperie, dès lors qu'il ne s'accompagne d'aucune manœuvre ayant pour objet ou pour effet de dissimuler la véritable date limite de consommation des denrées ; que, dès lors, en estimant au contraire que le fait d'exposer dans des rayonnages, en vue de la vente, des marchandises dont la date de consommation est manifestement dépassée parfois de plusieurs jours avec comme corollaire une détérioration évidente de leurs propriétés de nature à les rendre impropres à l'alimentation de l'homme et susceptibles de nuire à la santé des consommateurs, acheteurs potentiels, constitue le délit de tentative de tromperie sur les qualités substantielles desdites marchandises, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

"3°) alors que, subsidiairement, lorsqu'un même fait tombe sous le coup d'une qualification générale et d'une qualification spéciale, seule la seconde doit prévaloir, conformément au principe à la règle " specialia generalibus derogant " ; qu'à supposer que le fait d'exposer dans des rayonnages, en vue de la vente, des marchandises dont la date de consommation puisse caractériser le délit de tromperie ou tentative de tromperie, cette qualification générale doit être écartée au profit de celle, spéciale, de l'article 18 du décret n° 84-1147 du 7 décembre 1984, devenu l'article R. 112-25 du Code de la consommation, aux termes duquel est interdite la mise en vente de denrées alimentaires comportant une date limite de consommation dépassée ; qu'en l'espèce, il est constant qu'il est uniquement reproché au prévenu d'avoir exposé dans des rayonnages, en vue de la vente, des marchandises dont la date de consommation était manifestement dépassée ; que, dès lors, en déclarant le demandeur coupable de tentative de tromperie, quand seule la qualification spéciale de la contravention de l'article R. 112-25 du Code de la consommation pouvait être retenue, la cour d'appel a violé les textes susvisés" ;

Attendu que, pour déclarer Bruno X coupable, après requalification, de tentative de tromperie, l'arrêt retient qu'il a mis en vente treize lots de côtelettes d'agneau préemballés sur lesquels a été rajoutée une étiquette comportant une date limite de consommation postérieure à celle figurant sur le conditionnement d'origine ; que, pour déclarer le prévenu également coupable de quarante-trois contraventions à la réglementation sur l'étiquetage des denrées alimentaires, les juges du second degré relèvent qu'en plus des treize articles précités, ont été exposés à la vente trente produits alimentaires dont les dates de péremption étaient expirées ;

Attendu qu'en prononçant ainsi, et dès lors qu'en requalifiant en tentative le délit de tromperie poursuivi, les juges n'ont rien ajouté aux faits dont ils étaient saisis, et sur lesquels le prévenu s'est expliqué, la cour d'appel a justifié sa décision ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme.

Rejette le pourvoi.