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Décisions

Cass. crim., 13 février 2007, n° 06-85.022

COUR DE CASSATION

Arrêt

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Cotte

Aix-en-Provence, 5e ch., du 17 mai 2006

17 mai 2006

LA COUR : - Statuant sur le pourvoi formé par X, contre l'arrêt de la Cour d'appel d'Aix-en-Provence, 5e chambre, en date du 17 mai 2006, qui, pour tromperie, l'a condamné à 3 000 euro d'amende avec sursis, et a prononcé sur les intérêts civils ;

Vu les mémoires produits en demande et en défense ;

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 213-1, L. 216-2 et L. 216-3 du Code de la consommation, 54 et 55 de la Constitution du 4 octobre 1958, directive 84/450/CEE du Conseil du 10 septembre 1984, 5 du Code civil, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale, ensemble, violation du principe de l'autorité de la chose jugée ;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Jean-Luc X coupable de tromperie sur les qualités substantielles d'une marchandise vendue, en l'espèce un véhicule, l'a condamné à une amende de 3 000 euro avec sursis et a prononcé sur les intérêts civils ;

"aux motifs que Jean-Luc X, responsable de la société Amadeus automobiles, savait que le véhicule vendu à Jean Y et à Ludovic Z avait déjà été immatriculé ;

l'importateur Kia automobiles avait joint différents documents attestant d'une précédente immatriculation ; en contrepartie il était accordé dans les conditions d'achat une remise de 20 % ; il n'est pas contesté que le véhicule acquis par Jean Y avait 14 kilomètres au compteur ; il peut effectivement être considéré comme n'ayant pas roulé ; il n'est pas non plus contesté qu'il avait fait l'objet d'une immatriculation par Kia automobiles, sous le numéro 891 DBW 92, à son entrée sur le territoire français ; il importe peu que l'immatriculation ait été obligatoire pour la mise en conformité de la voiture avec les normes françaises anti-pollution alors qu'il résulte de la jurisprudence constante de la Cour de cassation que pour être qualifié de neuf, un véhicule doit non seulement n'avoir pas circulé, mais aussi n'avoir pas encore été immatriculé ; la mention " véhicule neuf " sur les bons de commande constitue une tromperie sur les qualités substantielles de la marchandise ainsi vendue ;

"alors, d'une part, qu'il ressort de la directive 84/450/CEE du Conseil du 10 septembre 1984, telle qu'interprétée par la Cour de justice des Communauté européennes dans une décision C-373/90 du 16 janvier 1992, qu'un véhicule est neuf dès lors qu'il n'a pas circulé et qu'il est immatriculé pour les seuls besoins de l'importation ; qu'en condamnant Jean-Luc X du chef de tromperie sur les qualités substantielles pour avoir vendu des véhicules présentés comme neufs, bien qu'il se prévalût de cette interprétation qui s'imposait aux juges nationaux, en relevant qu'un véhicule neuf doit non seulement n'avoir pas circulé mais aussi n'avoir pas encore été immatriculé, la cour d'appel a violé l'autorité de la chose interprétée par la Cour de justice des Communautés européennes ;

"alors, d'autre part, que ne constitue pas une tromperie sur les qualités substantielles, telle que prévue par l'article L. 213-1 du Code de la consommation, le fait de vendre un véhicule présenté comme neuf, dès lors qu'il n'a pratiquement pas roulé et qu'il n'a été immatriculé que pour les besoins de l'importation ; qu'en condamnant de ce chef Jean-Luc X, qui faisait pourtant expressément valoir dans ses conclusions que les véhicules litigieux n'avaient pratiquement pas roulé et que leur immatriculation n'avait été faite que pour les besoins de leur importation en France, en prétendant que pour être qualifié de neuf, un véhicule neuf doit non seulement n'avoir pas circulé, mais aussi n'avoir pas encore été immatriculé, la cour d'appel a méconnu le sens et la portée des textes susvisés et du principe ci-dessus énoncé ;

"alors, d'autre part, qu'en se bornant à relever, pour condamner Jean-Luc X du chef de tromperie sur les qualités substantielles, qu'il importe peu que l'immatriculation ait été obligatoire pour la mise en conformité de la voiture avec les normes françaises anti-pollution, sans rechercher, comme cela lui était pourtant demandé, si cette immatriculation n'était pas faite pour les besoins de l'importation, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des textes et du principe susvisés ;

"alors, enfin, qu'il est fait défense aux juges de se prononcer par voie de disposition générale et réglementaire sur les causes qui leur sont soumises ; que dès lors, en condamnant Jean-Luc X du chef de tromperie sur les qualités substantielles, en se prévalant de la jurisprudence constante de la Cour de cassation, la cour d'appel a violé l'article 5 du Code civil et le principe susvisé" ;

Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 63 a de la Convention européenne des droits de l'homme, L. 213-1, L. 216-2 et L. 216-3 du Code de la consommation, du décret n 2000-576 du 28 juin 2000, des articles 388, 591 à 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale, ensemble violation des droits de la défense et excès de pouvoirs ;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Jean-Luc X coupable de tromperie sur les qualités substantielles d'une marchandise vendue, en l'espèce un véhicule, l'a condamné à une amende de 3 000 euro avec sursis et a prononcé sur les intérêts civils ;

"aux motifs que si le décret n° 2000-576 du 28 juin 2000 a abrogé les notions de millésime et d'année modèle, la disparition du millésime ne fait pas obstacle à la cotation des véhicules d'occasion dans la presse, désormais établie en tenant compte de la date de première mise en circulation ; l'indication sur les bons de commande de la mention " année modèle 2002 " est de nature à conforter l'idée que le véhicule a été mis en circulation dans le courant de l'année 2002, alors qu'en réalité, l'examen de la carte grise du véhicule acquis par Jean Y révèle que la date de première mise en circulation est le 11 décembre 2001, et que ce véhicule est considéré au regard de la cotation des véhicules d'occasion dans la presse comme un véhicule de 2001 ; cette mention constitue bien une tromperie sur les qualités substantielles de la marchandise vendue ;

"alors, d'une part, que le juge ne peut ajouter des faits à ceux de la prévention, à moins que le prévenu ait accepté expressément d'être jugé sur ces faits nouveaux ; qu'en condamnant Jean-Luc X pour tromperie sur les qualités substantielles pour avoir indiqué sur le bon de commande du véhicule acquis par Jean Y la mention " année modèle 2002 ", faits contenus dans le procès-verbal de la direction générale de la concurrence et de la répression des fraudes du 14 mars 2003, mais qui n'étaient pas repris dans l'acte de saisine de la juridiction qui se bornait à reprocher l'utilisation de la notion de " millésime ", et pour lesquels le prévenu n'a pas accepté expressément d'être jugé, la cour d'appel a excédé ses pouvoirs ;

"alors, d'autre part, que depuis l'abrogation par le décret n° 2000-576 du 28 juin 2000 de la notion de " millésime d'une année modèle ", qui n'a plus à être indiquée sur le bon de commande, "l'année modèle " et le " millésime " ne sont plus des qualités substantielles ; qu'en condamnant néanmoins Jean-Luc X du chef de tromperie sur les qualités substantielles pour avoir indiqué sur le bon de commande du véhicule acquis par Jean Y la mention " année modèle 2002 " pour un véhicule mis en circulation en décembre 2001, la cour d'appel a violé les textes susvisés" ;

Les moyens étant réunis ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que Jean-Luc X, responsable de la société Amadeus automobiles, a vendu, le 22 avril 2002, à Jean Y, un véhicule immatriculé en décembre 2001, en adjoignant à la dénomination de vente du véhicule figurant sur le bon de commande la mention 'année modèle 2002" ; qu'il a été poursuivi pour tromperie sur les qualités substantielles du bien vendu et qu'il a accepté de discuter de ces faits devant le tribunal qui l'a déclaré coupable des agissements reprochés ;

Attendu que, pour confirmer le jugement entrepris sur la culpabilité, l'arrêt attaqué énonce que le prévenu se devait, en sa qualité de professionnel, de vérifier les caractéristiques du véhicule avant de le commercialiser sur le marché et d'informer clairement son client, préalablement à la signature du bon de commande, sur le fait qu'une voiture, immatriculée en décembre 2001, ne pouvait pas être qualifiée comme étant de l'année modèle 2002 ;

Attendu qu'en l'état de ces seuls motifs, et abstraction faite des motifs critiqués par le premier moyen, la cour d'appel, qui n'a pas excédé sa saisine, a justifié sa décision ; d'où il suit que les moyens ne sauraient être accueillis ;

Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 2, 3, 5, 464, 591 à 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a déclaré recevable la constitution de partie civile de Jean Y et a condamné Jean-Luc X à lui payer 1 500 euro à titre de dommages-intérêts, outre 800 euro sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale ;

"aux motifs que devant le tribunal de commerce la partie civile demandait la condamnation de la société Amadeus automobiles, à titre principal en réduction de prix avec dommages-intérêts alors que devant la juridiction répressive elle demande à Jean-Luc X la réparation du préjudice lié à la tromperie dont elle a été victime ; il n'y a donc pas d'identité de cause, de parties et d'objet et en conséquence il convient de réformer la décision du tribunal et de déclarer recevable les demandes de la partie civile de Jean Y ; celui-ci subit un préjudice personnel que la cour fixe à 1 500 euro, découlant directement de la tromperie dont il a été victime en raison des diverses procédures qu'il a dû initier et des incertitudes liées à une future revente de la voiture ; l'équité commande en outre de lui attribuer la somme de 800 euro sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale ;

"alors, d'une part, que la partie qui a exercé son action devant la juridiction civile ne peut pas la porter devant la juridiction répressive ; que la règle "electa una via" doit s'appliquer lorsque les deux actions, opposant les mêmes parties, ont la même cause et le même objet ; que tel était le cas en l'espèce, Jean Y... ayant d'abord fait assigner devant le tribunal de commerce la société Amadeus automobile, dont le gérant est Jean-Luc X, aux fins de venir entendre dire et juger qu'il a été trompé lors de l'acquisition du véhicule de marque Kia modèle Sportage 2.0 L TD et a demandé en conséquence 3 000 euro à titre principal en réduction de prix et 1 500 euro à titre de dommages-intérêts pour le préjudice subi, puis s'est constitué partie civile à l'encontre de Jean-Luc X poursuivi du chef de tromperie sur les qualités substantielles du même véhicule, en réclamant des dommages-intérêts ; qu'en refusant de déclarer irrecevable cette seconde demande introduite après l'instance civile, la cour d'appel a violé les textes et le principe susvisés ;

"alors, d'autre part, que la personne qui intente l'action civile doit avoir subi un préjudice certain ; que le préjudice éventuel n'ouvre pas droit à réparation ; qu'en allouant à Jean Y des dommages-intérêts pour les incertitudes liées à une éventuelle future revente de sa voiture, la cour d'appel a violé les textes et le principe susvisé ;

"alors, enfin, que l'action civile en réparation du dommage causé par un délit appartient à tous ceux qui ont personnellement souffert du dommage directement causé par l'infraction ; qu'en allouant des dommages-intérêts à Jean Y en raison des diverses procédures qu'il a engagées, alors que ce préjudice n'était que la conséquence indirecte de l'infraction, et qu'il a de surcroît déjà été indemnisé sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale, la cour d'appel a méconnu le sens et la portée des textes susvisés et du principe ci-dessus énoncé" ;

Attendu que, pour allouer des dommages-intérêts à la partie civile, l'arrêt prononce par les motifs repris au moyen ;

Attendu qu'en statuant ainsi, dès lors que, d'une part, la demande en réduction du prix relevant du juge civil différait par son objet de la demande en réparation du dommage portée devant le juge pénal et que, d'autre part, cette dernière demande tendait à la réparation du préjudice économique résultant du trouble directement causé à la partie civile par l'infraction ou de la prolongation certaine et directe de ce trouble dont les conséquences pouvaient être immédiatement évaluées, la cour d'appel a justifié sa décision ; d'où il suit que le moyen doit être écarté ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme.

Rejette le pourvoi.