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Décisions

CA Versailles, 14e ch., 6 juin 2012, n° 12-02055

VERSAILLES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Teva Santé (SAS)

Défendeur :

Almirall (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Marcus

Conseillers :

Mme Dabosville, M. Boiffin

Avocats :

SCP Lissarrague - Dupuis & Associés, Me Guttin

T. com. Nanterre, du 16 mars 2012

16 mars 2012

FAITS ET PROCÉDURE,

La société Almirall exploite deux médicaments antihistaminiques dénommés Kestin 10mg et KestinLyo 10mg lyophilisat oral à base d'ébastine micronisée dont le brevet est en vigueur jusqu'au 1er décembre 2012.

La société Teva Santé a obtenu le 8 septembre 2011 une autorisation de mise sur le marché (AMM) pour un médicament dénommé " Ebastine Teva 10 mg comprimé orodispersible " en tant que générique de KestinLyo 10 mg lyophilisat, puis, le 23 décembre 2011, son inscription sur la liste des spécialités pharmaceutiques remboursables aux assurés sociaux.

Reprochant à la société Teva Santé d'avoir entrepris en janvier et février 2012 une campagne de promotion de sa spécialité Ebastine Teva 10 mg constitutive d'un acte de concurrence déloyale et à l'origine d'un trouble manifestement illicite puisqu'elle n'était, selon elle, pas conforme aux règles applicables en matière de publicité relatives aux médicaments et avait pour effet d'induire en erreur les pharmaciens sur la possibilité d'exercer sans attendre leur droit de substitution alors que ce médicament n'était pas encore inscrit au répertoire des génériques et que sa commercialisation était interdite avant l'expiration de ses droits de propriété intellectuelle, soit le 1er décembre 2012, la société Almirall a assigné celle-ci le 17 février 2012 en référé à heure indiquée afin d'obtenir le prononcé des mesures propres à la faire cesser.

Par ordonnance contradictoire en date du 16 mars 2012, le juge des référés du tribunal de commerce de Nanterre a :

- ordonné " le rapatriement au siège de Teva Santé, sous 15 jours calendaires, de tous stocks des visuels " coups d'audace ", en quelques mains qu'ils se trouvent (siège, agences dépositaires, grossistes-répartiteurs, directions régionales, visiteurs et délégués médicaux, etc) à la seule exception des exemplaires devant être détenus au siège pour satisfaire à la réglementation ",

- dit que le rapatriement devrait avoir été achevé dans les quinze jours calendaires de la signification de l'ordonnance,

- ordonné 'la destruction, sous le contrôle d'un huissier, de tous les stocks ainsi rapatriés, dans un délai de sept jours calendaires de la date prévue pour l'achèvement du rapatriement',

- dit qu'il devrait être justifié sans délai de cette destruction à Almirall par la transmission à cette dernière du procès-verbal de constat de l'huissier,

- ordonné " la publication, dans quatre revues professionnelles du choix d'Almirall, d'extraits de l'ordonnance, (extraits également au choix d'Almirall), aux frais de Teva Santé, dans la limite d'un coût global de 20 000 euro HT ",

- autorisé Almirall " à requérir ces publications aux frais avancés de Teva Santé ",

- enjoint à Teva Santé " d'adresser, sous huit jours du prononcé de l'ordonnance, à chacun des pharmaciens qui ont été destinataires de l'e-mailing du 18 janvier 2012 ou d'un e-mailing similaire - et sous le contrôle d'un huissier de justice qui pourra accéder à cet effet au fichier commercial de Teva Santé - un courrier rédigé en ces termes : Madame, Monsieur, par e-mailing du mois de janvier 2012, nous vous avons annoncé le lancement en exclusivité de notre spécialité Ebastine Teva 10 mg présentée comme générique de KestinLyo, spécialité exploitée par les laboratoieres Almirall, et nous vous avons invités à en passer commande. Or, notre spécialité Ebastine Teva 10 mg n'est pas inscrite au répertoire des génériques et de ce fait, n'est pas substituable. Le présent courrier rectificatif vous est adressé en exécution d'une ordonnance de référé rendue le 16 mars 2012 par M. le président du Tribunal de commerce de Nanterre ",

- fait " défense à Teva Santé de promouvoir sa spécialité Ebastine Teva 10 mg sous quelque forme que ce soit jusqu'au 1er décembre 2012 ",

- assorti " chacune des injonctions et défense ci-dessus d'une astreinte de 8 000 euro par jour de retard et par infraction constatée ", en s'étant réservé la liquidation de cette astreinte,

- condamné Teva Santé aux dépens et à verser à la société Almirall une indemnité de 10 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile .

Vu l'appel de cette ordonnance formé par la société Teva Santé et l'ordonnance rendue à sa requête le 23 mars 2012 ayant fixé le jour auquel l'affaire serait appelée par priorité,

Vu les conclusions signifiées le 11 avril 2012 par lesquelles la société Teva Santé demande à la cour, à titre principal, d'annuler en toutes ses dispositions l'ordonnance entreprise ou, à titre subsidiaire, de lui donner divers actes, de prononcer l'annulation de la défense lui ayant été faite de promouvoir sa spécialité jusqu'au 1er décembre 2012, à défaut, de limiter cette interdiction " aux seuls termes susceptibles d'induire en erreur les pharmaciens ayant effectivement eu connaissance de l'annonce diffusée dans la presse ", de ne pas assortir cette défense d'une astreinte ou de limiter celle-ci à la somme de 1 000 euro par jour, de prononcer l'annulation de la mesure de publication d'extraits de l'ordonnance entreprise dans quatre revues professionnelles et, en tout état de cause, d'ordonner, 'par parallélisme', à la société Almirall d'adresser, sous contrôle d'un huissier, aux 14 065 pharmaciens destinataires du courrier rectificatif envoyé le 26 mars 2012 par elle en exécution de l'ordonnance entreprise, un courrier dont elle définit le texte dans le dispositif de ces conclusions, d'ordonner la publication d'extraits de la décision dans quatre publications de son choix, aux frais de la société Almirall et dans la limite d'un coût global de 20 000 euro HT, d'assortir ces injonctions d'une astreinte de 10 000 euro par jour de retard et de condamner la société Almirall aux entiers dépens ainsi qu'à lui verser la somme de 20 000 euro par application de l'article 700 du Code de procédure civile,

Vu les conclusions signifiées le 11 avril 2012 par lesquelles la société Almirall, intimée, demande à la cour de confirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance entreprise, de lui donner acte de ce qu'elle n'entend pas solliciter " la récupération entre les mains des pharmaciens qui les auraient conservés des journaux ou magazines dans lesquels est parue la publicité illicite " et de condamner la société Teva Santé aux entiers dépens ainsi qu'à lui verser la somme de 18 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

MOTIFS DE LA DÉCISION,

Sur la jonction des instances enregistrées sous les numéros RG 12/02283 et RG 12/02055 :

Considérant que l'intérêt d'une bonne administration de la justice commande de joindre les deux instances susvisées ;

Sur les demandes de la société Almirall :

Considérant qu'il est constant et admis par la société Teva Santé que celle-ci a commencé à commercialiser sa spécialité Ebastine Teva 10 mg à compter du 16 janvier 2012 et a, pour annoncer sa mise sur le marché et la promouvoir, d'une part, diffusé dans quatre revues spécialisées, entre les 19 et 28 janvier 2012, un 'support visuel' sur une pleine page et, d'autre part, adressé le 18 janvier 2012 par voie électronique un e-mail aux pharmaciens ;

Considérant qu'estimant que ces publicités étaient constitutives d'un trouble manifestement illicite et l'exposaient à un dommage imminent, la société Almirall fait valoir, comme en première instance, qu'elles contrevenaient aux règles édictées par les articles L. 5122-2 et R. 5122-9 du Code de la santé publique en ce qui concerne, en particulier, les 'visibilité, lisibilité et emplacement' de l'avertissement " AMM générique de KestinLyo du 8/09/2011 en attente d'inscription au répertoire des génériques " et avaient ainsi pour objet et effet d'induire en erreur les pharmaciens sur la possibilité d'exercer sans attendre leur droit de substitution alors, de plus, qu'en application des dispositions de l'article L. 5121-10 du Code de la santé publique, la commercialisation de ce générique est interdite avant l'expiration de ses droits de propriété intellectuelle, soit jusqu'au 1er décembre 2012 ;

Considérant qu'à l'appui de son recours et pour soutenir que le premier juge ne pouvait faire droit aux demandes de la société Almirall, la société Teva Santé soutient qu'à la date à laquelle celui-ci a statué, le 16 mars 2012, les communications litigieuses, par voie de presse ou électronique, avaient cessé, de même que, par voie de conséquence, le trouble qu'elles étaient censées avoir provoqué ;

Qu'elle estime que la publicité incriminée qui ne peut constituer le délit de tromperie prévu par l'article L. 213-1 du Code de la consommation, ne revêt, en tout état de cause, aucun caractère trompeur et ne pouvait induire en erreur les pharmaciens sur leur capacité à substituer KestinLyo par Ebastine Teva dès lors que, contrairement à ce qu'a retenu le premier juge, la mention, précédée d'un astérisque, " ...en attente d'inscription au répertoire des génériques' est, dans ses présentation et typographie, conforme aux recommandations de l'Autorité de régulation professionnelle de la publicité et parfaitement lisible, 'même pour un consommateur moyennement avisé ", alors qu'elle s'adresse à des pharmaciens, professionnels du médicament à qui il incombe de consulter le répertoire des génériques avant de procéder à une substitution ;

Qu'elle se prévaut, en outre, de l'absence d'effet réel de cette publicité au regard du nombre réduit de courriers électroniques effectivement lus par leurs destinataires et de la faible quantité de ventes de sa spécialité réalisées en janvier et février 2012, sans qu'il soit établi qu'il s'agisse de substitution à des prescriptions de KestinLyo ;

Qu'elle ajoute que le premier juge ne pouvait, sans méconnaître l'étendue de ses pouvoirs et l'article 12 du Code de procédure civile, retenir une violation de l'interdiction faite par l'article L 5121-10 du Code de la santé publique alors que ces dispositions n'avaient pas été invoquées par la société Almirall au soutien de ses prétentions, que leur application suppose l'examen préalable de la validité des droits de propriété intellectuelle revendiqués et de l'existence d'une contrefaçon et qu'une telle appréciation était de la compétence exclusive du tribunal de grande instance de Paris ;

Considérant qu'aux termes de son assignation, délivrée le 17 février 2012, la société Almirall demandait au juge des référés d'ordonner " la cessation " de la campagne publicitaire composée des documents suivants : - un visuel " coup d'audace " " Ebastine Téva déjà en exclusivité - 10 mois d'avance pour vos marges ", - un e-mailing " info lancement Teva Sante - Ebastine Teva 10 mg " " cher client, nous avons le plaisir de vous annoncer le lancement d'une nouvelle spécialité Ebastine Teva 10 mg en boites de 30 comprimés orodispersibles ", en invoquant le trouble manifestement illicite que lui causait celle-ci en raison de son caractère " illicite, déloyal et dommageable " pour elle ;

Considérant qu'il n'est pas discuté que ces campagne et communications ont, s'agissant tant du 'visuel' que de 'l'e-mailing', eu lieu en janvier 2012, comme cela a été précédemment exposé, et n'ont pas été réitérées après le 28 janvier 2012 et avant le 16 mars 2012 ;

Que lorsque le premier juge a statué, cette campagne et le trouble allégué par la société Almirall avaient donc cessé, sans qu'il ne soit démontré ni même prétendu par celle-ci qu'une nouvelle diffusion du visuel litigieux par voie de presse ou par tout autre moyen auprès des pharmaciens, ni qu'une autre communication par voie électronique, identique à celle opérée le 18 janvier 2012, aient été envisagées et programmées à bref délai par la société Téva Santé ;

Considérant que la société Almirall soutient que la poursuite et l'augmentation des ventes d'Ebastine Téva constatées en février 2012 rend " sans objet ni intérêt " " l'invocation de cette cessation " par la société Teva Santé ;

Considérant toutefois que, comme cela a été dit, le trouble dont se prévalait la société Almirall pour solliciter des mesures de remise en état propres, selon elle, à le faire cesser et à prévenir le dommage pouvant en résulter, était la campagne publicitaire et non la mise sur le marché, la commercialisation et la vente aux pharmaciens ou à leurs clients de la spécialité Ebastine Teva 10 mg ;

Qu'il en résulte qu'au 16 mars 2012, il n'y avait effectivement plus lieu à référé sur les demandes de la société Almirall fondées sur l'article 873 alinéa 1 du Code de procédure civile, devenues sans objet, et qu'en particulier, il n'y avait lieu, à défaut de trouble existant à la date de la décision entreprise, d'ordonner des publications sollicitées à titre de mesures de remise en état ;

Qu'en conséquence et sans qu'il soit nécessaire d'examiner les autres moyens de la société Teva Santé, l'ordonnance entreprise doit être non pas annulée mais infirmée en toutes ses dispositions ;

Sur les demandes de la société Teva Santé :

Considérant que pour solliciter " l'envoi d'un courrier rectificatif aux pharmaciens " et la " publication par extraits de la décision à intervenir dans quatre revues professionnelles ", la société Teva Santé se contente d'énoncer que ces mesures s'imposent " par parallélisme des formes " ; qu'elle n'articule aucun moyen en droit et en fait de nature à fonder ces demandes qui ne peuvent donc qu'être rejetées ;

Sur les dépens et l'article 700 du Code de procédure civile :

Considérant que la société Almirall qui, en définitive, succombe en ses action et demandes, doit être condamnée aux dépens de première instance et d'appel ;

Que des raisons tirées de l'équité du sens de cet arrêt conduisent à écarter l'application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs, LA COUR, Statuant contradictoirement et en dernier ressort, Prononce la jonction des instances enregistrées sous les numéros RG 12/02283 et RG 12/02055 ; Infirme en toutes ses dispositions l'ordonnance entreprise ; Statuant à nouveau, Dit n'y avoir lieu à référé sur les demandes de la société Almirall ; Déboute la société Teva Sante de ses demandes tendant à " l'envoi d'un courrier rectificatif aux pharmaciens " et à la " publication d'extraits de la décision à intervenir " ; Condamne la société Almirall aux dépens de première instance et d'appel, qui pourront en ce qui concerne ces derniers être recouvrés conformément à l'article 699 du Code de procédure civile ; Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile.