CA Montpellier, 3e ch. corr., 23 septembre 2010, n° 10-00121
MONTPELLIER
Arrêt
Confirmation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Rajbaut
Conseillers :
Mme Bresdin, M. Andrieux
RAPPEL DE LA PROCEDURE
Par jugement contradictoire en date du 24 avril 2009, le Tribunal correctionnel de Narbonne, saisi par citation directe, a :
Sur l'action publique : déclaré X coupable :
* d'avoir à Murat (15) et Murol (63), les 8 juillet 2005 et 3 août 2005, en tout cas sur le territoire national et depuis temps n'emportant pas prescription, effectué une publicité comportant des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur sur la nature d'un bien ou d'un service, en l'espèce en ayant mis sur ses étals des bannières " les authentiques d'E ", la Fromagerie, Fromages fermiers" alors que tous les fromages exposés n'étaient pas fermiers ;
infraction prévue par les articles L. 121-1, L. 121-5, L. 121-1-1 du Code de la consommation et réprimée par les articles L. 121-6, L. 121-4, L. 213-1 al. 1 du Code de la consommation
* d'avoir à La Bourboule (63), le 2 juillet 2005, en tout cas sur le territoire national et depuis temps n'emportant pas prescription, trompé sa clientèle, contractant sur la nature de fromage de qualifiant Salers un fromage Cantal ;
infraction prévue par l'article L.213-1 du Code de la consommation et réprimée par les articles L. 213-1, L. 216-2, L. 216-3, L. 216-8 al. 5 du Code de la consommation
Et en répression, l'a condamné à la peine de 6 000 euro d'amende ;
Ordonné à l'égard de X la publication de la décision dans les journaux : la Montagne, le Midi Libre et l'Indépendant sans que le coût de chaque insertion n'excède la somme de 1000 euro.
FAITS
Le 2 juillet 2005 à 9 heures 30, les services de la Direction de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes se rendaient sur le marché de La Bourboule (Puy-de-Dôme) et procédaient au contrôle de l'étal de la société E. Ils constataient que dans la vitrine était présenté un morceau de fromage de Salers d'environ 8 kg au prix de 32,90 euro alors que celui-ci portait sur le côté, moins distinctement, des estampilles vertes indiquant Cantal, ce qui excluait que ce fromage soit du Salers.
Le vendeur, salarié de la société, était dans l'incapacité de leur présenter la plaque d'identification du fromage, de couleur différente selon son origine. Il expliquait que le fromage avait été découpé en 4 et que la plaque devait se trouver sur un morceau vendu ailleurs. Il ne disposait pas non plus des factures d'achat de ce fromage mais s'engageait à les adresser dès son retour à l'entreprise.
Un courrier de rappel était adressé par la DGCCRF qui donnait lieu à une réponse quelques jours plus tard, le 19 juillet 2005, avec la communication de factures. Après examen de ces documents, il apparaissait qu'il n'y avait pas la mention d'un achat de Salers. En revanche, il y a avait la trace d'un achat de Cantal Vieux au prix de 6,83 euro le kilo hors taxes.
M. X, dirigeant de la société E au niveau national et de la société F au niveau local, était entendu. Il invoquait une erreur d'étiquetage imputable au salarié, erreur qu'il déclarait avoir sanctionnée dès le lendemain.
Le 8 juillet 2005, sur le marché de Murat (Cantal), les agents de la DGCCRF constataient que la camionnette et le stand remorque constituant l'étal de vente comportaient les mentions 'la fromagerie fromages fermiers', que tous les fromages mis en vente sur le stand présentaient les caractéristiques de vieux fromages à la limite du consommable et que certains d'entre eux étaient présentés sous les noms de fromages connus bénéficiant d'une AOC. Le vendeur M. D déclarait travailler pour le compte de M. X
Le 3 août 2005, les agents de la DGCCRF se rendaient au marché de Murol (Puy-de-Dôme) où ils constataient la présence d'un stand de fromages avec deux bannières publicitaires mentionnant Les Authentiques d'E, La Fromagerie, Fromages Fermiers. Le vendeur M. O déclarait être employé pour le compte de la SARL F à Saint-Beauzire dont le responsable juridique était M. X
En l'absence de nombreux étiquetages, il était demandé au vendeur, pour justifier de l'origine 'fermier', de présenter les étiquetages initiaux ou les factures, ce qu'il ne pouvait pas faire.
Les agents relevaient que les fromages présentaient là aussi " les caractéristiques de vieux fromages à la limite du consommable " et pour certains, présentés sous le nom bénéficiant d'une AOC. Ils relataient qu'outre les inscriptions visibles sur le stand, le vendeur interpellait la clientèle en déclarant que les fromages vendus étaient tous fermiers et au lait cru. Ils constataient que les rares fromages ayant leur étiquette initiale se révélaient en réalité être de fabrication industrielle ainsi pour la Fourme d'Ambert et la Tome au lait de montagne.
Le 26 septembre 2005, poursuivant son contrôle, la DDCCRF recevait les factures d'achat des fromages présentés lors des marchés. De leur examen, il ressortait que ces marchandises ne pouvaient se prévaloir d'une quelconque origine fermière. En effet, les fromages provenaient d'une origine laitière industrielle et non d'une fabrication fermière.
Entendu par les enquêteurs, M. X déclarait qu'il avait déposé la marque du fait qu'il vendait " en grande partie des fromages fermiers ".
PRÉTENTIONS DES PARTIES
M. X est non comparant et représenté par son avocat à l'audience, muni d'un pouvoir.
La Direction de la Concurrence et de la Répression des Fraudes est entendue en son avis.
Le ministère public requiert la confirmation du jugement.
L'avocat du prévenu dépose des conclusions et plaide l'infirmation du jugement et la relaxe des faits objets de la poursuite.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Il est statué par arrêt contradictoire à l'encontre de M. X représenté à l'audience par son avocat détenteur d'un pouvoir de représentation.
Sur la recevabilité des appels
Les appels du prévenu et du Ministère public, interjetés dans les formes et les délais légaux, sont recevables.
Sur l'action publique
Sur la tromperie sur la nature d'une marchandise
Selon les dispositions de l'article L. 213-1 du Code de la consommation , est punissable quiconque, qu'il soit ou non partie au contrat, aura trompé ou tenté de tromper le contractant, par quelque moyen ou procédé que ce soit, même par l'intermédiaire d'un tiers, sur la nature, l'espèce, l'origine, les qualités substantielles la composition ou la teneur en principe utiles de toutes marchandises.
En l'espèce, il convient de rappeler que les agents de la Direction de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes ont constaté lors du contrôle effectué le 2 juillet 2005 sur le marché de plein air à La Bourboule (Puy-de-Dôme) fréquenté par de nombreux touristes pendant la période estivale, qu'était présenté à la vente à la coupe sur l'étal de la société F dont le gérant était M. X, un morceau de Salers d'environ 8 kg au prix de 32,90 euro le kg alors que celui-ci portait sur le côté des estampilles vertes presque invisibles indiquant Cantal, ce qui excluait qu'il s'agisse de Salers ; qu'après vérification des factures d'achat de fromages par le prévenu auprès de ses différents fournisseurs, il est apparu qu'il n'avait acheté aucun Salers, qu'en revanche, il y avait trace de l'achat de Cantal Vieux au prix de 6,83 euro le kg hors taxe.
La marge exceptionnelle avec un coefficient multiplicateur de plus de 4,5, très supérieure à celle réalisée habituellement dans les commerces spécialisés (de 1,5 à 2), était obtenue en raison de l'achat de Cantal de qualité moindre pour le revendre sous l'appellation prestigieuse de Salers alors qu'il existe des différences notables entre les deux fromages, expliquant les prix supérieurs du Salers, notamment : le Salers est fabriqué exclusivement l'été, quand les vaches sont à l'herbe, c'est un fromage fermier, et donc issu du lait d'un seul troupeau et d'une seule traite, avec une durée d'affinage de 3 mois contre 1 mois pour le Cantal. Ainsi vendre du Cantal en le facturant le prix du Salers représentait un avantage économique notable pour l'auteur de la tromperie.
M. X, qui ne pouvait ignorer qu'il n'avait pas procédé à un achat de Salers mais à un achat de Cantal, a sciemment décidé de mettre en vente ce fromage sous le nom de Salers et pour ce faire, a donné des instructions à son salarié de piquer une étiquette Salers sur la pièce de fromage, avec la mention d'un prix que l'employé n'avait pas compétence de fixer lui-même : C'est cette étiquette erronée " Salers 32,90 euro le Kg " qui était destinée à attirer l'oeil d'un acheteur non averti en lui faisant croire que le fromage à la vente présentait les caractéristiques et la qualité d'un Salers alors qu'il s'agissait en réalité de Cantal vieux.
Il ne s'agit pas d'une simple erreur d'étiquetage comme le prévenu l'a déclaré lors de l'enquête en précisant qu'il avait sanctionné son salarié M. D et en prétendant que le fromage aurait été découpé en 4 et que seul un des vendeurs aurait eu la bonne étiquette. Le morceau de fromage présenté à la vente n'avait pas sa plaque d'identification (plaque grise pour le Cantal et rouge pour le Salers), ce qui ne pouvait pas être imputé au salarié saisonnier n'ayant pas reçu de formation et qui se rendait le matin pour charger les marchandises sur le site de Saint-Beauzire.
M. X a, en sa qualité de gérant, engagé personnellement sa responsabilité pénale, en ne veillant pas à la présentation exacte du fromage pour éviter toute erreur du consommateur sur la nature de la marchandise.
Ainsi, le jugement attaqué est confirmé sur la déclaration de culpabilité du prévenu pour l'infraction poursuivie qui est établie en l'ensemble de ses éléments constitutifs.
Sur la publicité mensongère
Selon les dispositions de l'article L. 121-1 du Code de la consommation , est interdite toute publicité comportant, sous quelque forme que ce soit, des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur, lorsque celles-ci portent sur un ou plusieurs éléments ci-après : existence, nature, composition, qualité substantielle, erreur ou principe utile, espèce, origine, quantité, mode et date de fabrication, propriétés, prix et conditions de vente des biens ou services qui font l'objet de la publicité, condition de leur utilisation, résultats qui peuvent être attendu de leur utilisation, motifs ou procédés de la vente ou de la prestation de service, portée des engagements pris par l'annonceur, identité, qualités ou aptitudes du fabriquant, des revendeurs, des promoteurs ou des prestataires.
En l'espèce, les agents de la Direction de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes ont constaté lors des contrôles effectués le 8 juillet 2005 et le 3 août 2005 sur les marchés de plein air de Murol (Puy-de-Dôme) et de Murat (Cantal) qu'en vitrine, étaient offerts à la vente des fromages " les authentiques d'E - La Fromagerie - Fromages Fermiers " et que le vendeur s'adressait aux passants en déclarant que tous les fromages étaient fermiers et au lait cru ; les agents de la DDGGCCRF constataient également que les fromages étaient à la limite du consommable et que certains étaient présentés sous une Appellation d'Origine Contrôlée.
En réalité, après examen des factures des fournisseurs, presque tous les fromages proposés à la vente s'avéraient d'origine industrielle : ainsi sur le marché de Murat le 3 août 2005 pour le Comte extra 18 mois au prix de 29,90 euro le kg, Parmesan Reggiano au prix de 39,90 euro le kg, Gruyère Reserve à 30,90 le kg, Tome de Savoie à 24,50 le kg, Petit Tome de Montagne à 20,90 le kg, Cantal entre deux à 20,90 le kg ; et sur le marché de Murol le 8 juillet 2005 pour le Bleue de Gex à 26,90 euro le kg, Tome de Montagne de Savoie à 34,90 le kg, Gruyère Suisse Reserve à 34,90 le kg, Petite Tome Tradition 48% à 24,90 euro le kg, Tome de Montagne d'Auvergne à 20,90 le kg, Tome au Lait de Montagne à 20,90 euro le kg, Cantal entre deux à 22,90 le kg, Tome de Montagne à 25% de mg 18,90 euro le kg.
M. X qui ne pouvait ignorer la provenance ces fromages, a sciemment fait le choix de les présenter à proximité des termes " authentiques " associés à " fromages fermiers ", ce qui visait de façon trompeuse à permettre une association dans l'esprit des consommateurs de nature à les pousser à l'achat, en leur faisant croire que ces fromages, étaient issus d'une méthode de fabrication artisanale, traditionnelle, au lait cru et bénéficiaient donc d'une certaine qualité nutritionnelle et gustative ;
Même s'il s'agissait d'un nom commercial déposé régulièrement à l'INPI par la société E, la mention " La Fromagerie - Fromages Fermiers " était de nature, au regard des dispositions de l'article précité, à créer, en l'absence d'autres précisions, une confusion dans l'esprit de l'acheteur, en le laissant croire qu'il s'agissait de fromages " fermiers ", c'est-à-dire fabriqués à la ferme, alors qu'ils provenaient, pour ceux qui sont visés à la prévention, de fabrications industrielles.
La présentation des fromages démunis de leur étiquetage, obligatoire, sur leur origine industrielle, à proximité des bannières " fromages fermiers " renforçait l'impression pour le consommateur que ces fromages étaient d'origine fermière. De même, la présence sur chacun des étals de quelques rares morceaux de fromage authentiques (Abondance Fermier AOC, St Nectaire, Abondance AOC au lait cru, Morbier AOC au lait cru et Beaufort AOC) - pour lesquels le prévenu a effectivement justifié de leur provenance par la production des factures des fournisseurs correspondantes, venait égarer encore plus, si besoin était, l'acheteur non averti et conforter de façon trompeuse l'annonce de l'origine authentique de tous les fromages telle que déclamée par le vendeur.
En conséquence, par adoption des motifs du jugement et de ceux qui précèdent mettant en évidence tant la tromperie sur la nature de la marchandise que la publicité mensongère dont M. X, gérant de la société F, est responsable à titre personnel, le jugement attaqué est confirmé sur la déclaration de culpabilité pour l'ensemble des faits qui lui sont reprochés.
Sur la peine
Il convient de confirmer le jugement attaqué sur la peine de 6.000 euro d'amende délictuelle, sanction qui est proportionnée à la gravité des faits et bien adaptée à la personnalité du prévenu dont le casier judiciaire comporte plusieurs mentions d'infractions au Code de la consommation.
Le jugement est également maintenu sur la publication de la décision dans les journaux la Montagne, le Midi Libre et l'Indépendant.
Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement, par arrêt contradictoire, en matière correctionnelle, et après en avoir délibéré conformément à la loi, En la forme, Reçoit les appels du prévenu et du Ministère public, Au fond, Sur l'action publique : Confirme le jugement attaqué en toutes ses dispositions, en ce qu'il a condamné X à la peine de 6 000euro d'amende et à la publication de la décision dans les journaux La Montagne, Le Midi Libre et L'Indépendant, étant précisé que la publication est mise à la charge du condamné sans détermination de montant. Dit que le condamné sera soumis au paiement du droit fixe de procédure d'un montant de 120 euro prévu par l'article 1018 A du Code général des impôts ; Informe le condamné que le montant du droit fixe de procédure sera diminué de 20 %, s'il s'en acquitte dans le délai d'un mois, à compter du prononcé du présent arrêt ; Le tout par application des textes visés au jugement et à l'arrêt, des articles 512 et suivants du Code de procédure pénale.