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Décisions

CA Montpellier, 3e ch. corr., 28 janvier 2010, n° 09-01397

MONTPELLIER

Arrêt

Infirmation partielle

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M Rajbaut

Conseillers :

Mme Bresdin, M. Pons

Avocats :

Mes Andrieux, Gandini

TGI Béziers, du 29 juin 2009

29 juin 2009

RAPPEL DE LA PROCEDURE :

Par le jugement du 29 juin 2009, le Tribunal correctionnel de Béziers :

Sur l'action publique :

Reçoit X en son opposition,

Met à néant le jugement de défaut du 17 novembre 2008,

Déclaré X coupable :

* d'avoir à Vendargues le 20 octobre 2004 , trompé M. et Mme P., contractant sur les qualités substantielles du véhicule Peugeot 806 immatriculé 9618 XR 34, en l'espèce en dissimulant volontairement l'état du véhicule et en apposant une mention inexacte relative au kilométrage présenté comme étant réel alors qu'il l'avait lui-même acquis pour 1 kilométrage non garanti ;

infraction prévue par l'article L. 213-1 du Code de la consommation et réprimée par les articles L. 213-1, L. 216-2, L. 216-3, L. 216-8 al. 5 du Code de la consommation

Condamne X à un emprisonnement délictuel de 4 mois avec sursis mise à l'épreuve pendant 18 mois avec obligation particulière de réparer les dommages causés par l'infraction,

Sur l'action civile :

Déclare recevable la constitution de partie civile de P. Nora et de P. Jacky ;

Condamne X à leur payer la somme de 2 000 euro au titre de dommages-intérêts, outre 500 euro au titre de l'article 475-1 du code de procédure pénale.

FAITS

Le 20 février 2004, les époux P ont acheté à la société Y à Vendargues, dont le gérant est Monsieur X, un véhicule d'occasion de marque Peugeot 806, immatriculé 9618 XR 34 pour un montant de 9 900 euro et garanti contractuellement pour une durée de 3 mois.

Dès le lendemain de l'achat, ils constataient une panne du véhicule et le 18 mars ils adressaient une lettre recommandée avec demande d'avis de réception au vendeur relatant les ennuis qu'ils rencontraient depuis l'achat du véhicule.

La situation persistant, malgré les engagements pris par Monsieur X, une expertise contradictoire était organisée et l'expert V retenait le 19 juillet 2004 que : les anomalies constatées rendent la chose impropre à l'usage auquel elle était destinée, les anomalies étant antérieures à la date d'acquisition ; il préconisait de demander l'annulation de la vente avec restitution des sommes versées. Etait jointe au rapport la fiche descriptive des Grands Garages de l'Hérault auquel Y avait acheté le véhicule avec la mention que la boîte de vitesses présente des anomalies et doit être révisée, que l'embrayage est à remplacer et que le kilométrage au compteur n'est pas le kilométrage réel.

Faute de parvenir à un règlement amiable, les époux P ont saisi le tribunal de grande instance d'une demande en résolution de la vente et en paiement de dommages-intérêts.

La société Y a fait l'objet d'une dissolution anticipée le 24 août 2005, avec désignation de M. X en tant que liquidateur, à effet du 30 avril 2005.

Par jugement du 15 février 2006, le Tribunal de grande instance de Montpellier a prononcé la résolution de la vente et Y représentée par son liquidateur a été condamnée à payer aux époux P la somme principale de 10 376 euro outre 1 000 euro de dommages intérêts et 1 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, jugement assorti de l'exécution provisoire.

L'huissier a signifié la décision et obtenu un certificat de non appel le 6 juin 2006.

Un commandement de payer a été délivré le 2 novembre 2006 et le 14 novembre 2006 un procès-verbal de carence a été dressé, Monsieur X ayant indiqué à l'huissier que la société n'avait plus d'actif.

La situation n'a pas évolué alors que les renseignements recueillis par les époux P faisaient apparaître que Monsieur X avait un train de vie des plus honorables.

Par lettre de leur avocat adressée au Procureur de la République le 2 avril 2007, ils ont invoqué l'organisation de son insolvabilité par Monsieur X alors qu'ils se trouvent eux-mêmes dans une situation très difficile avec une créance de 13 000 euro toujours irrécouvrée et sans moyens suffisants pour acheter un autre véhicule. Ils déposaient plainte et sollicitaient la somme de 15 000 euro à titre de dommages-intérêts.

Entendu sur ces faits, par les gendarmes de l'unité de Pézenas, X confirmait avoir vendu une voiture aux époux P 9 900 euro par l'intermédiaire d'un vendeur Monsieur Z. L'acheteur a prétendu dès le départ que le véhicule avait eu une panne. Après l'expertise, l'acheteur voulait une boîte de vitesses neuve alors que la voiture était d'occasion. Y a tenté de régler cette affaire à l'amiable mais l'acheteur s'y est opposé catégoriquement.

P. Jacky a déclaré que dès le lendemain de l'achat le véhicule était en panne. Le 16 mars 2004 à nouveau, il rencontrait des ennuis avec la boîte de vitesse qui se bloquait, il a du rentrer en seconde, péniblement.

Contrairement à ce que déclarait Monsieur X, il n'avait pas imposé de remplacer la boîte de vitesse par une boîte de vitesses neuve. Il voulait tout simplement que le véhicule soit réparé et qu'il soit en bon état de fonctionnement. Il aurait accepté une proposition de remboursement si elle avait existé, ce qui n'est pas le cas. Il évaluait son préjudice à 9 900 euro montant payé plus les frais, soit un total de 13 000 euro. Y n'existant plus, il attendait une action en justice afin de pouvoir être dédommagé suite à ces faits.

L'enquête permettait d'établir que :

- Y a acheté le véhicule aux Grands Garages de l'Hérault pour 5 900 euro le 23 janvier 2004, avec un kilométrage au compteur non garanti de 144 902 km ; cette même mention kilométrage non garanti a été répercuté par Grands Garages de l'Hérault lors de la vente à Y.

- Sur la fiche d'estimation de la reprise à Monsieur F. par les garages, fiche datée du 9 janvier 2004, avant l'achat du 27 janvier 2004, il est fait mention de défauts relevés : boîte de vitesses " vitesses sautent " ; embrayage à changer - le reste illisible. Il est également noté un défaut affectant les feux AR et l'absence de double de clés qui commande la centralisation des portes.

La comparaison entre ces documents et le bon de commande émis au profit des époux P. un mois plus tard, le 5 avril 2004, met en évidence que le véhicule n'a pas fait l'objet d'une révision de la part de Y (le feu n'a pas été changé et la 2e clé est toujours défectueuse). En outre, le kilométrage est annoncé comme étant " réel parcouru ". Les anomalies de la boîte de vitesse sont apparues très peu de temps après l'achat, pas de révision.

- L'expertise V. datant du 19 juillet 2004 fait mention des mêmes graves défauts de la boîte de vitesse que ceux constatés par les Grands Garages de l'Hérault en janvier 2004. Ces anomalies qui ne pouvaient être ignorées du vendeur professionnel qu'est le GARAGE Y et de son gérant M. X, ont été cachées aux époux P lors de la vente le 20 février 2004.

C'est dans ces conditions que Monsieur X a été cité par le ministère public devant la Juridiction répressive pour répondre de l'infraction de tromperie sur les qualités substantielles de la marchandise.

Par un premier jugement du 17 novembre 2008, par défaut, il a été déclaré coupable des faits qui lui sont reprochés, condamné à la peine de 4 mois d'emprisonnement avec sursis et mise à l'épreuve pendant 18 mois et obligation d'indemniser la victime ; sur l'action civile, le tribunal l'a condamné à payer aux époux P la somme de 12 000 euro à titre de dommages-intérêts outre 500 euro au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.

Sur opposition de Monsieur X, la décision déférée a été rendue.

PRETENTIONS DES PARTIES

Les Consorts P concluent et plaident en demandant à la cour de déclarer Monsieur X coupable des infractions qui lui sont reprochées, de statuer ce que de droit sur les réquisitions du ministère public ; Sur l'action civile, de les recevoir en leur constitution de partie civile, de condamner Monsieur X à leur payer 15 000 euro de dommages-intérêts et 4 784 euro sur le fondement des dispositions de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.

Le Ministère Public s'en rapporte à la sagesse de la cour.

Monsieur X conclut et plaide en sollicitant de constater la prescription de l'action pénale acquise au 20 février 2007, de déclarer la constitution de partie civile des époux P irrecevable en raison de leur choix de la procédure civile ; sur le fond : de constater que le véhicule a été acquis et revendu pour un kilométrage réel, de juger que le délit n'est pas constitué, de relaxer Monsieur X du chef de la poursuite, de condamner les époux P à la somme de 2 000 euro en application de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la recevabilité des appels

Les appels des parties civiles, du prévenu et du ministère public, interjetés dans les formes et les délais légaux, sont recevables.

Sur l'action publique

Sur la prescription

Quoique la tromperie soit une infraction instantanée, ceci n'empêche pas que ce délit, consistant à tromper le contractant, par un moyen ou un procédé quelconque, sur la nature, l'espèce, l'origine, les qualités substantielles, la composition de toutes marchandises, ou sur l'aptitude à l'emploi, les contrôles effectués, constitue une infraction clandestine par nature ; en effet, il s'agit nécessairement de tenir le contractant dans l'ignorance de la réalité des caractéristiques des marchandises ; la clandestinité est inhérente au délit, à défaut de quoi il ne pourrait se commettre ni être tenté ; la tromperie est forcément dissimulée et réalisée de manière occulte ; le caractère clandestin de l'infraction existe indépendamment de la réalisation d'un dommage ; le législateur n'a pas pris parti, même implicitement, sur le point de départ de la prescription du délit de tromperie ; en conséquence la prescription du délit de tromperie doit partir du jour où l'infraction est apparue ou a pu être constatée dans des conditions permettant l'exercice de l'action publique ;

En l'espèce, indépendamment des problèmes matériels de pannes rencontrés immédiatement après l'achat du véhicule par les époux P, c'est avec l'expertise réalisée le 19 juillet 2004 qu'ils ont appris que le vendeur avait sciemment caché les vices dont il avait connaissance puisqu'ils avaient été portés sur la fiche établie par l'ancien propriétaire qui a été jointe par l'expert à son rapport, mettant en évidence l'absence de révision du véhicule et la nécessité de travaux pour son bon fonctionnement ; c'est ainsi à cette date du 19 juillet 2004 que l'infraction de tromperie sur la qualité substantielle de la marchandise a été constatée dans des conditions permettant l'exercice de l'action publique.

L'action publique par dépôt de plainte en date du 2 avril 2007, a donc été engagée dans le respect du délai de prescription de 3 ans ayant commencé à courir le 19 juillet 2004.

Il résulte des éléments réunis lors de l'enquête et des débats à l'audience que les éléments matériel et intentionnel du délit poursuivi sont constitués à l'encontre de Monsieur X.

En conséquence, le jugement est confirmé sur la déclaration de culpabilité de Monsieur X et sur la peine de 4 mois d'emprisonnement avec sursis et mise à l'épreuve pendant 18 mois avec obligation particulière de réparer les dommages causés par l'infraction, sanction qui est proportionnée à la gravité des faits et bien adaptée à la personnalité du prévenu dont le casier judiciaire comporte deux mentions.

Sur l'action civile

Sur la recevabilité de la constitution de partie civile

Par application de l'article 5 du Code de procédure pénale, la partie qui a exercé son action devant la juridiction civile compétente ne peut la porter devant la juridiction répressive lorsque les deux demandes formées devant le juge civil et le juge pénal opposent les mêmes parties et qu'elle ont le même objet et la même cause.

Or en l'espèce, s'il est constant que la demande des époux P a le même objet et la même cause que celle ayant conduit à la décision civile du Tribunal de grande instance de Montpellier en date du 15 février 2006, puisqu'ils sollicitent la réparation du préjudice qu'ils ont subi du fait de la tromperie dont ils ont été victimes à la suite de l'achat du véhicule en date du 20 février 2004, en revanche, l'action civile est dirigée dans la présente instance pénale à l'encontre de Monsieur X, personne physique, et non pas à l'encontre de la société Y qui était défenderesse devant la juridiction civile. Il n'y a donc pas identité de parties, de sorte que la juridiction répressive est régulièrement saisie.

Il apparaît dès lors que la constitution de partie civile des époux P-S. est recevable, par confirmation du jugement déféré.

Sur le quantum de l'indemnisation

Les époux P justifient du préjudice qu'ils ont subi du fait de l'acquisition au comptant au prix de 9 900 euro qui ne leur a pas été restitué, d'un véhicule qui n'a pas fonctionné et n'a pas été réparé malgré les engagements de Monsieur X. Outre le prix d'achat, ils ont engagé des frais de carte grise et d'assurance qu'il convient de réparer.

Cette situation leur a également causé des difficultés d'organisation dans leur vie quotidienne, alors qu'ils ont trois enfants en bas âge, avant de pouvoir, plus d'une année après les faits, faire l'acquisition d'un nouveau véhicule, pour lequel ils ont dû recourir à l'emprunt ; ils ont en outre engagé des frais de procédure et d'exécution à l'encontre de la société Y qui sont restés à leur charge à la suite de la liquidation de cette société et de son absence d'actifs.

Il apparaît ainsi que compte tenu des éléments d'appréciation soumis à la Cour, il y a lieu de fixer à la somme de 12 000 euro le montant des dommages-intérêts de nature à réparer le préjudice subi par les époux P toutes causes confondues, avec rejet du surplus de la demande comme n'étant pas fondée.

L'équité commande d'allouer aux époux P une somme de 1 500 euro sur le fondement des dispositions de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.

Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, en matière correctionnelle, après en avoir délibéré, En la forme, Déclare les appels recevables, Au fond, Sur l'action publique : Confirme le jugement attaqué en toutes ses dispositions pénales, Sur l'action civile : Confirme le jugement attaqué en ce qu'il reçoit Madame S. Nora épouse P et Monsieur P. Jacky en leurs constitutions de partie civile, L'infirme pour le surplus, Condamne Monsieur X à payer aux époux P la somme de 12 000 euro à titre de dommages-intérêts, Condamne Monsieur X à payer aux époux P la somme de 1 500 euro sur le fondement des dispositions de l'article 475-1 du Code de procédure pénale, Rejette le surplus des demandes, Dit que le condamné sera soumis au paiement du droit fixe de procédure d'un montant de 120 euro prévu par l'article 1018 A du Code général des impôts. Informe le condamné que le montant du droit fixe de procédure sera diminué de 20 % s'il s'en acquitte dans le délai d'un mois à compter du prononcé du présent arrêt. Le tout conformément aux articles visés au jugement et au présent arrêt et aux articles 512 et suivants du code de procédure pénale.