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Décisions

CA Pau, 1re ch., 22 novembre 2010, n° 09-00810

PAU

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Jaguar Land Rover France (SAS)

Défendeur :

Labrucherie, SBM Land Rover Automobile (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Pons

Conseillers :

Mme Beneix, M. Augey

Avoués :

SCP Longin - Longin - Dupeyron - Mariol, SCP Piault - Lacrampe - Carraze, SCP De Ginestet - Duale - Ligney

Avocats :

Me Serreuille, SCP Etcheverry, SCP De Ginestet - Moutet - Leclair

TGI Bayonne, du 9 févr. 2009

9 février 2009

FAITS

Le 9 novembre 2001 M. Labrucherie a acquis auprès de la SA SBM Land Rover Automobile (SA SBM) un véhicule 4X4 Land-Rover modèle Défender neuf au prix de 27 809,01 euro, avec une garantie anticorrosion de six ans.

Dès le mois d'octobre 2002 des phénomènes de corrosion sont apparus. Il n'a pu y être remédié malgré deux reprises sous garantie. Deux expertises amiables ont été diligentées et le juge des référés du tribunal de grande instance de Bayonne a désigné M. Bleu en qualité d'expert par décision du 29 mars 2006.

PROCEDURE

Par acte du 8 juin 2007 M. Labrucherie a assigné la SA SBM en garantie des vices cachés. Celle-ci a suivant acte du 9 juillet 2007, appelé en garantie la SAS FMC Automobiles devenue la SA Jaguar Land Rover.

Par jugement du 9 février 2009, le Tribunal de grande instance de Bayonne a :

- prononcé la résolution de la vente entre M. Labrucherie et la SA SBM,

- condamné cette dernière à rembourser le prix de 27 809 euro TTC contre la restitution du véhicule,

- débouté M. Labrucherie de sa demande de dommages-intérêts en réparation du préjudice matériel correspondant au montant des travaux de réparation et en réparation du préjudice esthétique,

- prononcé la résolution de la vente entre la SA SBM et la société FMC Automobiles,

- ordonné le remboursement par cette dernière du prix de vente soit 21 313,54 euro HT outre les dommages-intérêts d'un montant de 1 938,14 euro,

- et accordé une indemnité de 2 500 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile au bénéfice de M. Labrucherie et de la SA SBM à la charge du constructeur la société FMC Automobiles.

La SA SBM a interjeté appel suivant déclaration au greffe en date du 27 février 2009.

MOYENS ET PRETENTIONS DES PARTIES

La SA Jaguar Land Rover venant aux droits de la société FMC Automobiles, dans ses dernières conclusions du 21 avril 2010 conclut à la réformation du jugement et au débouté des demandes.

Subsidiairement elle soutient qu'elle ne serait tenue qu'au remboursement de la somme de 21 313,54 euro correspondant au prix de la vente à la SA SBM et encore sous déduction d'une indemnité de dépréciation qui ne saurait être inférieure à 15 000 euro. Enfin l'obligation de garantie anticorrosion ne peut fonder la demande d'indemnisation des frais de réparation et du préjudice esthétique. Elle sollicite l'allocation de la somme de 4 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

A titre préliminaire elle soulève la fin de non recevoir tirée du défaut de qualité à agir de M. Labrucherie qui ne justifie pas de sa qualité de propriétaire du véhicule.

Quant au fond elle soutient que les conditions de la garantie des vices cachés ne sont pas réunies :

le vice n'était pas caché lors de la vente. C'est en toute connaissance du vice que M. Labrucherie qui avait financé le bien par une location avec option d'achat, a acquis ce véhicule en octobre 2006 lors de la levée de l'option, puisque l'action en référé avait été engagée en janvier 2006 ;

le vice n'est pas inhérent à la chose mais à son utilisation. L'importance de la présence du chlore signe une utilisation dans des conditions extrêmes c'est-à-dire des séjours fréquents dans le milieu marin sans rinçage à l'eau claire. La cause de la corrosion n'est donc pas l'assemblage par rivets comme l'a affirmé le tribunal, ce n'est qu'une hypothèse donnée par l'expert et ce d'autant que le phénomène ne touche pas que la carrosserie mais également les pièces mécaniques. Par ailleurs aucun autre véhicule de ce type n'a connu cette situation qui apparaît donc exceptionnelle. Or on sait que M. Labrucherie est surfeur et qu'il range sa planche de surf directement dans le véhicule. La cause est donc extérieure, étrangère à la chose ;

dès lors le vice n'est pas antérieur à la vente ;

le vice ne rend pas le véhicule impropre à sa destination puisqu'il peut être réparé (selon l'expert la remise en peinture s'élève à 10 914,78 euro) et qu'il a été et est toujours utilisé depuis 8 ans (500 km par mois).

Subsidiairement la SA Jaguar Land Rover demande la réduction du prix. En effet seul le prix de vente avec la SA SBM peut être restitué soit 21 313,54 euro HT. Mais les choses devant être remises en leur état initial, il y a lieu d'affecter ce prix du montant de la dépréciation de la chose comme l'autorise une jurisprudence constante. Cette indemnité, destinée à compenser la perte de valeur est estimée à 15 000 euro, somme qui constitue une évaluation juste et raisonnable.

Sur la garantie contractuelle :

elle ne s'applique que si le défaut de fabrication est prouvé et s'il s'agit d'une rouille transversante, c'est-à-dire provenant de l'intérieur, ce qui n'est pas le cas ici puisque selon l'expert, l'oxydation va de la surface de la carrosserie à l'intérieur sous la peinture ;

quant au préjudice esthétique il n'est qu'hypothétique : dès lors que le véhicule sera utilisé dans des conditions normales, le phénomène ne réapparaîtra pas.

La SA Jaguar Land Rover sollicite le rejet de la demande de M. Labrucherie fondée sur l'article 700 du Code de procédure civile puisqu'il bénéficie de l'assurance protection juridique qui prend en charge tous les frais.

M. Labrucherie dans ses dernières conclusions en date du 3 mars 2010 conclut à la confirmation du jugement. Il sollicite la condamnation de la SA Jaguar Land Rover au paiement des sommes de 3 000 euro à titre de dommages-intérêts considérant le caractère dilatoire de la fin de non recevoir soutenue et 4 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Il rejette la fin de non recevoir, tirée du défaut de qualité pour agir : le véhicule a été acquis au moyen d'une location avec option d'achat dont le financement est réglé depuis 2006 date à laquelle il a opté pour l'acquisition du véhicule par paiement du solde. La carte grise est aujourd'hui à son nom.

Quant au fond, il expose que :

l'expert met en cause le mode d'assemblage par rivets, inaccessible aux habituels traitements anticorrosion. C'est donc un vice de fabrication ;

la preuve d'une mauvaise utilisation ou d'un mauvais entretien par l'acheteur n'est pas rapportée, la cause du dommage étant le défaut de résistance au chlore présent dans l'atmosphère en raison du climat marin de la côte basque. Il n'a pas été informé de la nécessité d'un entretien spécial d'autant que le véhicule est présenté sur la fiche publicitaire comme pouvant rouler dans l'eau de mer ce qui implique qu'il est doté de qualités de résistance. L'expert met en cause l'utilisation dans des " conditions extrêmes " qui auraient nécessité un rinçage systématique, sans les décrire. Il indique également que M. Labrucherie n'aurait pas respecté " l'enveloppe d'utilisation ", concept qu'il n'explicite pas et ce d'autant qu'il écrit ne pas avoir pu déterminer les conditions de l'entretien du véhicule. La preuve d'un non usage en bon père de famille n'est donc pas rapportée ;

ce vice rend le véhicule impropre à sa destination puisqu'il est évolutif et ne peut être réparé définitivement ;

dès lors le prix doit être restitué sans décote pour utilisation comme il est couramment admis en jurisprudence. Subsidiairement une décote ne saurait être supérieure à 6 804 euro.

La SA SBM Land Rover Automobile dans ses dernières conclusions en date du 1er décembre 2009 sollicite la confirmation du jugement et à défaut sa réformation.

Subsidiairement elle sollicite l'application d'une indemnité de dépréciation du véhicule devant se compenser avec toute somme pouvant être due. Elle soutient la garantie du constructeur et la condamnation de ce dernier et M. Labrucherie in solidum au paiement d'une indemnité de 4 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

A l'appui de ses prétentions elle soutient en premier lieu l'irrecevabilité de l'action pour tardiveté : la connaissance du vice supposé remonte à 2002 selon l'acheteur lui-même alors qu'il n'a engagé l'action qu'en 2007.

Elle conclut quant au fond au débouté de l'action qui lui apparaît mal fondée au seul vu du rapport de l'expert :

la corrosion provient d'un mauvais entretien et non de vices inhérents à la chose,

il n'est donc pas antérieur à la vente,

il ne rend pas la chose impropre à sa destination mais ne provoque qu'un préjudice esthétique.

Subsidiairement elle soutient que dans le cas où la vente entre elle et M. Labrucherie serait résolue, la SA SBM devrait rembourser le prix de vente amputé d'une indemnité de dépréciation de 17 234 euro TTC (valeur à neuf moins valeur argus) voire à tout le moins une indemnité qui ne saurait être inférieure à 13 000 euro.

En outre la cour devrait prononcer la résolution de la vente entre les deux professionnels : la SA Jaguar Land Rover devrait alors lui rembourser le prix de vente de 25 491 euro TTC contre la restitution du véhicule sous déduction de l'indemnité de dépréciation. Et sur le fondement de l'article 1645 du Code civil, la SA Jaguar Land Rover serait condamnée au paiement à titre de dommages et intérêts de la perte de la marge soit 2 318 euro TTC et de l'ensemble des dommages et intérêts accordés à M. Labrucherie.

En tout état de cause la SA Jaguar Land Rover devra être condamnée à la garantir de toutes sommes auxquelles elle serait condamnée.

Elle maintient sa demande en résolution de la vente entre elle, vendeur intermédiaire et le vendeur originaire dès lors que la cour jugerait que le vice proviendrait d'un défaut d'assemblage. Le prix serait alors restitué déduction faite d'une indemnité de dépréciation estimée à 17 234 euro TTC considérant l'âge du véhicule, 8 ans, son kilométrage, 47 600 km, outre sa cote argus évaluée à 15 575 euro. Dans les rapports entre vendeur et constructeur le prix de vente de 25 491 euro TTC sera restitué outre la marge de 2 318,01 euro TTC déduction faite de l'indemnité de dépréciation.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 11 mai 2010.

MOTIVATION

Sur la recevabilité de l'action

L'action de M. Labrucherie est aujourd'hui exclusivement fondée sur les articles 1641 et suivants du Code civil. Il n'y a donc pas lieu de statuer sur la garantie contractuelle anticorrosion soutenue par la SA Jaguar Land Rover.

En vertu de l'article 1648 du Code civil l'action en garantie des vices cachés doit être engagée dans le délai de deux ans à compter de la découverte du vice. En l'espèce seule l'expertise judiciaire a permis la découverte du vice dans son étendue, sa matérialité et son évolution. L'assignation ayant été délivrée le 8 juin 2007 alors que le rapport d'expertise avait été déposé le 26 février 2007, l'action fondée sur les articles 1641 et suivants du Code civil n'est pas prescrite en application de l'article 1648 du Code civil.

Par ailleurs en levant l'option attachée au contrat de location avec option d'achat, M. Labrucherie a acquis la qualité de propriétaire du véhicule. La carte grise est d'ailleurs actuellement à son nom. Son action est donc recevable.

Sur le fond

En vertu des articles 1641 et suivants du Code civil, le vendeur doit garantir l'acheteur des vices cachés au moment de la vente, inhérents à la chose vendue et la rendant impropre à sa destination. Le vendeur n'est pas tenu des vices apparents. Mais l'apparence implique la connaissance du vice dans son existence et son étendue.

En vertu de l'article 1645 du Code civil, le vendeur qui connaissait l'existence des vices antérieurement à la vente doit en outre des dommages et intérêts à l'acheteur. Il pèse sur le vendeur professionnel une véritable obligation de résultat consistant dans la délivrance d'une chose dépourvue de vice c'est à dire apte à l'usage pour lequel elle a été prévue. En effet eu égard à ses compétences et à la maîtrise technique qu'il a sur la chose qu'il vend, il pèse sur le vendeur professionnel une présomption de mauvaise foi et donc de responsabilité.

Il s'agit d'une présomption irréfragable. Seule la preuve d'une cause étrangère peut libérer le professionnel.

Il ressort du rapport de l'expert judiciaire M. Bleu, que le véhicule présente de nombreuses et diverses atteintes de corrosion, tant au niveau des tôles de carrosserie, que de certaines pièces mécaniques, pièces de quincaillerie, visseries et rivets. Il estime que le facteur déclenchant de ce phénomène de corrosion au chlore est lié à l'exposition du véhicule à une atmosphère saline. Il évoque plusieurs causes possibles à ce phénomène de multi-corrosion mais retient comme hypothèse déterminante le " type de construction du véhicule, par l'utilisation de tôles assemblées par rivets " ne permettant pas d'obtenir toutes les garanties du traitement anticorrosion. La SA Jaguar Land Rover reconnaît dans son dire du 20 février 2007 rappelant celui du 17 janvier 2007, qu'à l'époque de la conception de ce type de véhicule, le montage et l'assemblage se faisaient à la main et l'immersion de la carrosserie dans un bain protecteur n'était pas d'usage.

Toute autre cause doit être rejetée et notamment celles concernant un usage anormal et un mauvais entretien du véhicule à défaut de preuve sérieuse en ce sens. En effet l'usage en bord de mer d'un véhicule décrit dans la fiche de présentation, comme un véhicule tout-terrain " le plus polyvalent au monde ", et le rangement d'une planche de surf directement à l'intérieur, ne constituent pas une utilisation anormale et un défaut d'entretien et ce d'autant qu'il n'est justifié d'aucune information de l'acheteur quant à des précautions particulières à prendre pour ce type d'activité et dans ce type de région et notamment un rinçage régulier voire systématique à l'eau claire.

S'agissant d'un vice de construction, il est inhérent à la chose et antérieur à la vente entre M. Labrucherie et la SA SBM. Il était inconnu de l'acheteur au moment de la vente puisqu'une expertise a été nécessaire pour le déterminer dans sa nature et son étendue. Evoluant tant sur la carrosserie que sur les éléments mécaniques, il rend le véhicule impropre à son usage normal puisqu'il réapparaît malgré les traitements et reprises.

Dès lors la décision du tribunal visant la résolution de cette vente doit être confirmée.

En matière de garantie des vices cachés, lorsque l'acheteur exerce l'action rédhibitoire, le vendeur, tenu de restituer le prix qu'il a reçu, n'est pas fondé à obtenir une indemnité liée à l'utilisation de la chose vendue ou à l'usure résultant de cette utilisation.

Dans ces conditions la SA SBM sera tenue de rembourser à M. Labrucherie la somme de 27 809 euro TTC correspondant au prix de vente sans aucune déduction. L'exercice d'une action en justice de même que la défense à une telle action constitue en principe un droit et ne dégénère en abus pouvant donner lieu à réparation que s'il constitue un acte de malice ou de mauvaise foi, ou une erreur grossière équipollente au dol, insuffisamment caractérisée en l'espèce pour justifier le caractère dilatoire de la fin de non recevoir soulevée par la SA Jaguar Land Rover.

Sur la garantie

Le vendeur actionné sur le fondement de la garantie des vices cachés dispose d'une action récursoire de nature contractuelle contre son propre vendeur en l'espèce la SA Jaguar Land Rover importateur de la marque.

La présomption de connaissance du vice lui est applicable. Elle est irréfragable à son égard au contraire de l'acheteur professionnel.

L'expert a mis en évidence un vice de construction sans que la preuve d'une cause étrangère soit rapportée par la SA Jaguar Land Rover. De même n'est pas non plus rapportée la preuve que la SA SBM avait eu connaissance de ce vice et que c'était donc en toute connaissance de cause qu'elle avait revendu le véhicule à M. Labrucherie.

Dès lors le prononcé de la résolution de la vente entre les deux professionnels s'imposait.

En contre partie de la restitution du véhicule à la SA Jaguar Land Rover, celle-ci est tenue au remboursement à la SA SBM de la somme de 21 313,54 euro HT, correspondant au prix de vente sans aucune déduction liée à la dépréciation ou à l'usage pendant plusieurs années.

En vertu de l'article 1645 du Code civil le vendeur professionnel censé connaître parfaitement la chose qu'il vend est tenu à l'égard de l'acheteur profane ou de l'acheteur professionnel de réparer les préjudices en lien avec la vente résolue. C'est donc à bon droit que la demande en remboursement de la marge bénéficiaire d'un montant de 1 938,14 euro a été accueillie par le tribunal.

Sur les demandes annexes

Eu égard aux circonstances de la cause et à la position des parties, il est inéquitable de laisser à la charge de M. Labrucherie et de la SA SBM la totalité des frais exposés pour agir en justice et non compris dans les dépens, ce qui commande l'octroi de la somme de 2 500 euro au profit de M. Labrucherie et 1 500 euro au profit de la SA SBM sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs, LA COUR, Après en avoir délibéré, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort ; Constate que la SA Jaguar Land Rover vient aux droits de la société FMC Automobiles ; Confirme en toutes ses dispositions le jugement du Tribunal de grande instance de Bayonne en date du 9 février 2009 ; Y ajoutant : Déboute M. Labrucherie de sa demande de dommages-intérêts ; Condamne la SA Jaguar Land Rover venant aux droits de la société FMC Automobiles au paiement à M. Labrucherie de la somme de deux mille cinq cents euro (2 500 euro) sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne la SA Jaguar Land Rover venant aux droits de la société FMC Automobiles à payer à la SA SBM Land Rover Automobile la somme de mille cinq cents euro (1 500 euro) sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne la SA Jaguar Land Rover venant aux droits de la société FMC Automobiles aux dépens.