CA Reims, ch. civ. sect. 1, 10 juillet 2012, n° 10-03301
REIMS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Taupin
Défendeur :
Prévost
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Hascher
Conseillers :
Mmes Hussenet, Dias Da Silva Jarry
Avocats :
SCP Delvincourt - Jacquemet - Caulier - Richard, Me Thoma
M. Taupin est entrepreneur de travaux agricoles spécialisé dans le pressage et la vente de fourrage et de paille. À partir de la fin juin 2004 il a réalisé à façon chez différents agriculteurs la récolte de paille d'orge d'hiver et de blé et en a acquis la propriété. La récolte était stockée en meules de balles cubiques recouvertes de bâches qui lui ont été vendues par M. Prévost exerçant sous l'enseigne Agri-Val suivant facture du 29 juin 2004.
Dès la fin du mois d'août 2004 M. Taupin a constaté la détérioration d'une partie de son stock de fourrage. Il a déclaré le sinistre auprès de son assureur la compagnie Groupama laquelle a mandaté M. Godot en qualité d'expert. Une seconde expertise a ensuite été confiée au Cabinet Texa.
Suivant exploit délivré le 22 août 2007, M. Taupin a fait assigner M. Prévost aux fins de voir engager sa responsabilité du fait de la fourniture d'un produit défectueux et condamner à l'indemniser de son préjudice subi réclamant à ce titre la somme de 100 000 euro.
Le 22 septembre 2008 le tribunal de commerce a ordonné une expertise judiciaire et désigné pour y procéder M. Sculfort lequel a déposé son rapport le 23 mai 2009.
Par jugement rendu le 22 novembre 2010, le Tribunal de commerce de Troyes a débouté M. Taupin de toutes ses demandes et l'a condamné à payer à M. Prévost la somme de 2 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi que les dépens.
M. Taupin a relevé appel de ce jugement le 21 décembre 2010.
Dans ses conclusions notifiées le 28 novembre 2011, il demande à la cour de :
- réformer le jugement en toutes ses dispositions,
- à titre principal, juger que la responsabilité de M. Prévost est engagée du fait de la fourniture d'un produit défectueux,
- à titre subsidiaire juger que M. Prévost a violé son obligation de délivrance conforme de la marchandise acquise par M. Taupin,
- en toute hypothèse condamner M. Prévost à lui régler la somme de 192 734 euro à titre de dommages et intérêts et celle de 6 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ,
- débouter M. Prévost de toutes ses demandes et le condamner aux dépens.
Dans ses conclusions notifiées le 26 août 2011, M. Prévost demande à la cour de confirmer la décision entreprise, de débouter M. Taupin de toutes ses demandes et de le condamner à lui payer une indemnité supplémentaire de 2 000 euro au titre des dispositions prévues par l'article 700 du Code de procédure civile ainsi que les dépens.
Sur ce, LA COUR,
Attendu qu'à l'appui de ses prétentions tendant à l'infirmation du jugement déféré, M. Taupin invoque à titre principal les dispositions des articles 1386-1 et suivants du Code civil pour voir juger que la responsabilité de M. Prévost est engagée du fait de la fourniture d'un produit défectueux ;
Que l'article 1386-1 susmentionné stipule que le producteur est responsable du dommage causé par un défaut de son produit qu'il soit ou non lié par un contrat avec la victime ; que l'article 1386-7 du Code civil précise que si le producteur ne peut être identifié, le vendeur, le loueur ou tout autre fournisseur professionnel est responsable du défaut de sécurité du produit dans les mêmes conditions que le producteur à moins qu'il ne désigne son propre fournisseur ou le producteur dans un délai de trois mois à compter de la date à laquelle la demande de la victime lui a été notifiée, que l'article 1386-9 dudit Code indique que le demandeur doit prouver le dommage, le défaut et le lien de causalité entre le défaut et le dommage, les cas d'exonération de la responsabilité en la matière étant énumérées limitativement par l'article 1386-11 ;
Attendu qu'en l'espèce l'intimé ne conteste pas le fait que sa responsabilité puisse être engagée sur le fondement choisi par l'appelant soutenant cependant que les conditions de mise en œuvre de cette responsabilité ne sont pas réunies dans la mesure où M. Taupin ne rapporte pas, selon lui, la preuve de la défectuosité des bâches qui lui ont été vendues ni de l'existence du lien de causalité entre les prétendues défectuosités des bâches et le pourrissement de sa paille ;
Attendu que les désordres allégués par M. Taupin n'est pas contestable, l'expert constatant lors de la visite sur les lieux que la paille d'orge stockée sous les bâches était pourrie en grande partie, la pourriture étant principalement installée aux raccords des balles formant la meule, précisant " il semble qu'une meule non bâchée à proximité n'a pas connu ce problème " (page 12 du rapport) ;
Attendu que l'expert judiciaire indique dans son rapport qu'il est prouvé par les tests réalisés au CEBTP et au LNE que les bâches testées étaient perméables à l'eau (page 13), qu'après avoir déplié la moitié de la bâche en se plaçant sous cette dernière il a été noté qu'il existait de nombreuses déchirures ou trous notamment au niveau des pliures et plus particulièrement tout le long de la pliure centrale et que si cette bâche est placée sur une meule de paille, des accumulations d'eau vont se former sous la bâche aux endroits où les trous et déchirures existent et que certaines bâches, neuves ou usagées présente nt des défauts liés à leur fabrication ou à leur préparation au sein de l'usine (page 14 du rapport) ;
Que l'expert explique encore qu'il a constaté que pour certaines bâches neuves ou usagées il a détecté des défauts en surface, que ces défauts sont caractéristiques de défauts de fabrication et non liés à leur utilisation, que ces bâches sont fragilisées ce qui selon l'expert explique les valeurs des propriétés mécaniques observées lors des tests ajoutant que ces problèmes de fabrication auraient dus être détectés lors de l'analyse de contrôle qualité (page 15 du rapport), qu'il explique en page 21 de son rapport que les désordres démontrent que les bâches avaient des défauts indéniables et que ces défauts étaient difficilement décelables lors de leur pose ;
Qu'il ressort de ces éléments que les bâches vendues par M. Prévost à M. Taupin présentaient des défauts au sens des dispositions susvisées ;
Attendu que l'expert conclut aux termes de son rapport que la cause de la détérioration de la paille est liée à l'utilisation d'une ou plusieurs bâches présentant des défauts conduisant à des trous et perforations accidentelles des bâches de sorte qu'il est ainsi prouvé le lien de causalité entre la défectuosité du produit et les désordres invoqués , qu'en conséquence M. Prévost sera condamné à indemniser M. Taupin de son préjudice subi du fait de la fourniture d'un produit défectueux et le jugement déféré sera infirmé en toutes ses dispositions ;
Attendu s'agissant du préjudice que l'expert judiciaire indique dans son rapport que " la totalité ou presque de la paille d'orge d'hiver entreposée [...] pour la meule bâchée a semble-t-il été perdue " ( page 13 du rapport) ;
Que c'est à tort que M. Taupin réclame l'indemnisation portant sur trois meules endommagées alors qu'il ressort des pièces versées au dossier et notamment du rapport d'expertise judiciaire qu'une seule meule a été endommagée par une bâche défectueuse ;
Attendu qu'une expertise amiable contradictoire réalisée par le Cabinet Texa annexée au rapport d'expertise judiciaire a proposé une évaluation du préjudice subi par M. Taupin après avoir examiné les éléments comptables qui lui ont été produits par ce dernier, que ledit cabinet après une étude minutieuse des contrats de vente, de la superficie de paille acquise, détermination de la production perdue et du taux de marge, a chiffré la perte de marge à hauteur de la somme de 43 044,48 euro ;
Que le cabinet Texa a encore après détermination de la perte du produit et des frais annexes comprenant le remplacement de la bâche défectueuse chiffré le préjudice matériel à la somme de 21 843,20 euro ;
Que la cour fait siennes ces évaluations, M. Taupin étant mal fondé à les contester par la production d'un autre rapport d'expertise non contradictoire alors qu'il lui était loisible de fournir tous éléments comptables supplémentaires pour contester le travail du cabinet Texa ;
Que par voie de conséquence M. Prévost sera condamné à payer à M. Taupin la somme totale de 64 887,68 euro et ce dernier sera débouté du surplus de ses demandes ne justifiant nullement de l'existence d'un préjudice moral ;
Attendu que M. Prévost qui succombe doit supporter les dépens de première instance et d'appel et ne peut prétendre à une indemnité au titre de ses frais irrépétibles ;
Qu'en revanche il sera condamné à payer à M. Taupin la somme de 3 000 euro au titre des dispositions prévues par l'article 700 du Code de procédure civile.
Par ces motifs, LA COUR, Infirme le jugement rendu le 22 novembre 2010 par le Tribunal de commerce de Troyes, Statuant à nouveau, Dit que la responsabilité de M. Prévost est engagée du fait de la fourniture d'un produit défectueux, Condamne M. Prévost à payer à M. Taupin la somme de 64 887,68 euro à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice subi du fait de la fourniture du produit défectueux, Condamne M. Prévost à payer à M. Taupin la somme de 3 000 euro au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile , Déboute les parties du surplus de leurs prétentions, Condamne M. Prévost aux dépens de première instance et d'appel avec application pour ces derniers des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.