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Décisions

CA Agen, 1re ch. civ., 4 janvier 2011, n° 09-01618

AGEN

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

X...

Défendeur :

Lafarge Bétons Sud-Ouest (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme O'yl

Conseillers :

MM. Sarrau, Guengard

Avoués :

SCP Vimont, SCP Henri Tandonnet

Avocats :

SELARL Faggianelli-Celier-Danezan, SCP Cabinet Bloch Moreau

TGI Auch, du 9 sept. 2009

9 septembre 2009

Vu le Jugement du Tribunal de Grande Instance d'Auch en date du 9 septembre 2009,

Vu l'appel interjeté le 10 novembre 2009 par Monsieur Patrick M.,

Vu ses conclusions récapitulatives déposées au greffe de la cour et signifiées le 28 septembre 2010,

Vu les conclusions récapitulatives déposées au greffe de la cour et signifiées le 11 octobre 2010 par la SAS Lafarge Bétons Sud-Ouest (SAS Lafarge),

Vu l'appel qu'elle a provoqué par assignation du 13 août 2010 à l'encontre de la SAS Camozzi Matériaux,

Vu les conclusions déposées au greffe de la cour et signifiées le 2 septembre 2010,

Vu l'ordonnance de clôture en date du 12 octobre 2010.

Madame M. a commandé 7,5 m3 de béton B20 à la SAS Camozzi Matériaux ;

Ce béton, fabriqué par la SAS Lafarge Bétons Sud-Ouest, a été livré par celle-ci le 8 avril 2004 en début matinée à son domicile ;

Monsieur M. qui l'a aussitôt mis en œuvre a réalisé la chape de sa piscine dans la matinée ;

Quelques heures après il a présenté des brûlures au 3ème degré sur le devant de ses jambes nécessitant son hospitalisation, plusieurs interventions chirurgicales, des soins et des séances de rééducation ;

Monsieur M. a dans un premier temps fait assigner le 25 avril 2005 la SAS Camozzi Matériaux devant le Tribunal de Grande Instance d'Auch pour obtenir sur le fondement de l'article 1147 et de l'article 1386-1 du Code civil sa condamnation à réparer son préjudice ; celle-ci a appelé à sa garantie la SAS Lafarge Bétons Sud-Ouest ; par Jugement en date du 10 mai 2006 le Tribunal de Grande Instance d'Auch a déclaré Monsieur M. irrecevable en sa demande à l'encontre de la SA Camozzi Matériaux et a en conséquence constaté que l'appel en garantie de celle-ci à l'encontre de la SAS Lafarge Bétons Sud-Ouest était sans objet ;

Par assignation en date du 17 mai 2006 Monsieur Patrick M. a dans un second temps fait assigner la SAS Lafarge Bétons Sud-Ouest devant le Tribunal de Grande Instance d'Auch sur le fondement de l'article 1386-1 du Code civil , la SAS Lafarge Bétons Sud-Ouest appelant à sa garantie la SAS Camozzi Matériaux ;

Un sursis à statuer a été ordonné par le juge de la mise en état par ordonnance du 30 novembre 2006, une information étant en cours suite à la plainte déposée par Monsieur M. à l'encontre de la SAS Camozzi Matériaux ;

Par Jugement du Tribunal Correctionnel d'Auch en date du 27 mars 2008 la SAS Camozzi poursuivie pour blessures involontaires était relaxée ;

Par le jugement critiqué le Tribunal de Grande Instance d'Auch :

- a rejeté la fin de non recevoir tirée de l'autorité de la chose jugée attachée au jugement en date du 10 mai 2006 plainte,

- a déclaré l'action de Monsieur Patrick M. recevable,

- l'a débouté de l'intégralité de ses demandes,

- a constaté que l'appel en garantie formé par la SAS Lafarge Bétons Sud-Ouest est sans objet,

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,

- dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Sur la fin de non recevoir :

La SAS Lafarge Bétons Sud-Ouest invoque l'autorité de la chose jugée attachée au jugement du Tribunal de Grande Instance d'Auch en date du 10 mai 2006 ; elle fait valoir que l'action engagée alors par Monsieur M. qui avait pour objet d'obtenir réparation de ses blessures nées de l'étalement du béton sur le fondement des articles 1147 et 1386 est identique à la présente action de même que les parties à la cause ;

Monsieur M. avait certes fait assigner par acte du 25 avril 2005 la SAS Camozzi Matériaux sur le fondement des articles 1147 et 1386-1 du Code civil et cette société avait appelé à sa garantie la SAS Lafarge Bétons Sud-Ouest ; toutefois comme il n'avait conclu qu'à l'encontre de la seule société Camozzi, sa demande a été déclaré irrecevable tant sur le fondement de l'article 1147 du Code civil , son épouse ayant signé le bon de commande du béton litigieux, que sur celui de l'article 1386 du Code civil , le producteur du béton étant connu ; de ce fait le tribunal a constaté que l'appel en garantie de la SAS Camozzi Matériaux à l'encontre de la SAS Lafarge Bétons Sud-Ouest était sans objet ; il n'a donc pas eu à apprécier la responsabilité de celle-ci ;

En conséquence c'est par des motifs que la cour ne peut que faire siens que le premier juge a écarté cette fin de non recevoir ;

Sur la responsabilité des produits défectueux :

Monsieur M. explique qu' il a été éclaboussé par du béton lors de la livraison de la première gâchée, le tapis roulant de déversement ayant bougé, et que le chauffeur de la SAS Lafarge Bétons Sud-Ouest qui est resté sur les lieux une quarantaine de minutes et a assisté à la mise en œuvre du béton ne lui a fait aucune remarque concernant sa dangerosité ; il conteste s'être agenouillé pour étendre le béton, la configuration du fond de la piscine, à savoir la présence de tranchées de 40 cm de profondeur et d'un treillage, le lui interdisant ; il relève que le béton comme en témoigne le bon de livraison doit être mis en œuvre 2 h après sa gâchée et qu'il n'a signé celui-ci qu'après déchargement et utilisation comme cela se pratique usuellement ; il souligne encore que l'information relative à la dangerosité du produit ne figure qu'au verso de ce bon et est insuffisante ;

C'est Madame M. qui a commandé auprès de la SA Camozzi Matériaux 7 m3 de béton et un tapis roulant de déchargement ; la SA Camozzi a commandé ce béton à la SAS Lafarge Bétons Sud-Ouest qui le lui a facturé ;

Ce béton a été livré en deux temps par un chauffeur de la SAS Lafarge Bétons Sud-Ouest :

- la première gâchée effectuée à 7 h 22 a été livrée à 8 h et déchargée de 8 h 10 à 8 h 25, le chauffeur ayant quitté le chantier à 8 h 40,

- la seconde gâchée effectuée à 8 h 21 a été livrée à 8 h 45 et déchargée de 8 h 50 à 9 h 10, le chauffeur ayant quitté le chantier à 9 h 15 ;

Monsieur M. a signé les deux bons de livraison établis au nom de Béton Chantiers Toulouse devenue SAS Lafarge Bétons Sud-Ouest ; aucun élément objectif ne permet certes d'affirmer qu'il ait signé ces bons postérieurement à la livraison et à l'étirage du béton ; au recto de ces bons figure une mention selon laquelle le client reconnaît avoir pris connaissance des conditions générales de vente et un logo très discret signalant le caractère irritant du produit ; au verso, parmi les conditions générales de vente, il est mentionné "en aucun cas nos produits ne doivent être ingurgités et/ou entrer en contact avec la peau au risque de provoquer des allergies, des rougeurs ou des brûlures;il est impératif de porter une tenue de protection lors de leur mise en œuvre ; en cas de contact avec la peau ou les yeux, rincer abondamment avec de l'eau froide ; si malgré ces précautions, il y a irritation ou douleur consulter un médecin " ;

Le producteur est responsable du dommage causé par un défaut de son produit qu'il soit ou non lié par un contrat avec la victime ;

Il est incontestable que la SAS Lafarge Bétons Sud-Ouest est le producteur au sens de l'article 1386-1 du Code civil du béton litigieux ; de même il est incontestable au vu des certificats médicaux et de l'expertise amiable qui établissent que Monsieur M. a subi des brûlures chimiques au 3ème degré sur la face antérieure des deux membres inférieurs depuis le haut du genou jusque sur le coup de pied que le béton fabriqué par la SAS Lafarge Bétons Sud-Ouest est à l'origine de celles-ci ;

Le défaut du béton n'est pas invoqué ;

Un produit est défectueux lorsqu'il n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre ; dans l'appréciation de la sécurité à laquelle on peut normalement s'attendre, il doit être tenu compte de toutes les circonstances et notamment de la présentation du produit, de l'usage qui peut en être raisonnablement attendu ;

Il est acquis que le béton est un produit intrinsèquement dangereux et peut provoquer des irritations et des brûlures graves ; une mise en garde sur les dangers encourus et une information sur les précautions à prendre pour l'utiliser sans danger doit être en conséquence donnée au consommateur par le producteur ;

En l'espèce le béton fabriqué par la SAS Lafarge Bétons Sud-Ouest a en outre été livré par celle-ci ; il s'agissait d'un béton prêt à l'emploi, déjà gâché, qui devait être utilisé dans les deux heures suivant son gâchage ;

Le danger et les précautions à prendre pour utiliser ce béton figurent non pas au recto du bon de livraison délivré par la SAS Lafarge Bétons Sud-Ouest mais au verso, au sein des conditions générales de vente ; l'information qui y est donnée sur ce danger, ses conséquences et les précautions nécessaires est à l'évidence imprécise et très insuffisante pour assurer la sécurité de ses utilisateurs non professionnels, ce d'autant que la nécessité de le mettre en œuvre très rapidement n'est pas de nature à inciter ceux-ci à s'appesantir sur la lecture des conditions générales de vente écrites en tout petits caractères ;

Cette obligation d'information incombe au producteur, et d'autant plus lorsqu'il effectue la livraison ;

Ainsi la dangerosité anormale de ce produit résulte de l'insuffisance d'information données par le producteur sur les risques liés à son utilisation ;

Il n'est nullement établi que Monsieur M. était un utilisateur habituel du béton ; en conséquence il pouvait légitimement ignorer les précautions à prendre ;

Le fait que la SAS Bétons Lafarge Sud-Ouest, témoin assisté au cours de l'information diligentée à la suite de la plainte de Monsieur M., n'ait pas été mise en examen est sans effet sur la présente procédure, les éléments constitutifs de l'infraction de blessures involontaires et ceux de la responsabilité des produits défectueux étant différents ;

Aussi et quelques soient les circonstances dans lesquelles Monsieur M. a été blessé, qu'il ait été éclaboussé ou qu'il se soit agenouillé sur le béton pour l'étirer, la SAS Lafarge Bétons Sud-Ouest, qui ne rapporte pas la preuve d'une faute exonératoire commise par la victime, est responsable du préjudice subi par celle-ci en application des articles 1386-1 et 1386-4 du Code civil ;

Le jugement déféré sera en conséquence infirmé ;

Sur le préjudice :

Monsieur M. justifie par les certificats médicaux et l'expertise diligentée par le Docteur B. de la gravité de ses blessures, des interventions chirurgicales qu'il a subies et des soins qui lui ont été dispensés ; son incapacité de travail est justifiée jusqu'au mois de février 2006 ;

Il convient dans ces conditions de condamner la SAS Bétons Lafarge Sud-Ouest à lui payer une provision de 10 000 euro et d'ordonner une expertise médicale pour déterminer son préjudice ;

L'équité commande en outre de faire application de l'article 700 du Code de procédure civile à son profit à hauteur de 1 500 euro ;

Sur l'appel en garantie :

La SAS Lafarge Bétons Sud-Ouest demande à être relevée indemne par la SAS Camozzi ; elle fait valoir à cet effet que cette société en sa qualité de venderesse était la seule débitrice de l'obligation d'information, qu'elle connaissait la qualité de non professionnel de son client et l'usage qu'il entendait faire du béton qui lui avait été commandé ;

D'une part l'obligation de fournir un produit offrant une sécurité à laquelle le consommateur moyen peut légitimement s'attendre pèse sur le seul producteur lorsque celui-ci a été identifié aux termes de l'article 1386-7 du Code civil ;

D'autre part le Tribunal Correctionnel d'Auch en date du 27 mars 2008 a relaxé la SAS Camozzi Matériaux de l'infraction de blessures involontaires supérieures à trois mois qui lui était reproché d'avoir causé à Monsieur M. "en l'informant insuffisamment des précautions à prendre pour utiliser le béton" et le Tribunal de Grande Instance d'Auch par Jugement du 10 mai 2006 a estimé que la demande formulée sur le fondement de l'article 1147 du Code civil par Monsieur M. à son encontre était irrecevable, la commande ayant été passée par son épouse ;

En conséquence la SAS Lafarge Bétons Sud-Ouest sera déboutée de son appel en garantie et condamnée à payer à la SAS Camozzi une somme de 1 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Par ces motifs, LA COUR, après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant par arrêt contradictoire prononcé par mise à disposition au greffe et en dernier ressort, Confirme le jugement déféré en ce qu'il a déclaré recevable la demande de Monsieur Patrick M., Le réforme sur le surplus, Statuant à nouveau, Déclare la SAS Lafarge Bétons Sud-Ouest responsable du préjudice de Monsieur Patrick M. et la condamne à le réparer, La condamne à payer à Monsieur Patrick M. une provision de 10 000 euro Avant dire droit, Ordonne un expertise médicale, désigne à cette fin le docteur avec mission de :

Mission habituelle :

Dit que Monsieur Patrick M. devra consigner au greffe de la cour une somme de 800 euro à valoir sur les frais et honoraires de l'expert avant le 15 février 2011 et qu'à défaut de consignation dans le délai prescrit la désignation de celui-ci deviendra caduque, Déboute la SAS Lafarge Bétons Sud-Ouest de son appel en garantie à l'encontre de la SAS Camozzi Matériaux, La condamne à payer à Monsieur M. une somme de 1 500 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et à la SAS Camozzi celle de 1 000 euro, La condamne aux dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile .