CA Rouen, ch. corr., 5 janvier 2006, n° 05-00097
ROUEN
Arrêt
Confirmation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Massu
Avocats :
Mes Di Costanzo, Delacroix
Rappel de la procédure
Prévention
B et la SARL V ont été, à la requête du procureur de la république, cités directement, par actes d'huissier qui leur ont été délivrés le 30 juin 2004, à comparaître le 17 septembre 2004 devant le Tribunal de police des Andelys.
Ils étaient prévenus :
- d'avoir à Mainneville (27), courant octobre 2002, refusé de rembourser à O, consommateur exerçant son droit de rétractation dans le cadre d'une vente à distance, le prix d'un ordinateur portable.
Infraction prévue et réprimée par les articles R. 121-1 alinéa 1, R. 121-1-2, L. 121-20-1, L. 121-16 du Code de la consommation.
- d'avoir à Mainneville, (27), courant avril 2003, refusé de rembourser à Monsieur K, consommateur exerçant son droit de rétractation dans le cadre d'une vente à distance, le prix d'une imprimante.
Infraction prévue et réprimée par les articles R. 121-1-2, L. 121-20-1, L. 121-16 du Code de la consommation.
- d'avoir à Mainneville (27), courant septembre 2003, refusé de rembourser à Monsieur D, consommateur exerçant son droit de rétractation dans le cadre d'une vente à distance, le prix d'un scanner.
Infraction prévue et réprimée par les articles R. 121-1-2, L. 121-20-1, L. 121-16 du Code de la consommation.
Jugement
Le tribunal, après débats du 17 septembre 2004, a, par jugement contradictoire du 10 décembre 2004, adopté les dispositions suivantes :
- constate l'extinction de l'action publique par l'effet de la prescription de l'infraction concernant O,
- déclare B coupable des faits visés à la prévention et concernant D,
- le relaxe pour le surplus,
En répression,
- condamne B à une peine d'amende de 500 euro,
- déclare la SARL V coupable des faits visés à la prévention concernant D
- la relaxe pour le surplus,
En répression,
- condamne la SARL V à une amende de 1 000 euro,
- dit que la présente décision est assujettie à droit fixe de procédure d'un montant de 22 euro dont est redevable chaque condamné,
Sur l'action civile
- déclare irrecevables les constitutions de partie civile de O et de K,
- reçoit la constitution de partie civile de D,
- déclare la SARL V seule et entièrement responsable du préjudice subi par D,
- condamne la SARL V à payer à D la somme de 500 euro au titre de dommages et intérêts,
- reçoit la constitution de partie civile de l'Union Fédérale des consommateurs de l'Eure,
- condamne B et la SARL V à payer à l'Union des Consommateur de l'Eure une somme de 1 000 euro au titre de dommages et intérêts, ainsi qu'une indemnité de 300 euro sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.
APPELS
Par déclarations effectuées au greffe du tribunal, il a été interjeté appel de ce jugement le 20 décembre 2004 par les prévenus B et la SARL V sur les dispositions pénales et civiles et par la partie civile K sur ses intérêts, et le 22 décembre 2004 par le procureur de la république.
DECISION
Rendue après en avoir délibéré conformément à la loi
En la forme,
Les parties ont été citées devant la cour à la requête du procureur général par actes d'huissier délivrés respectivement :
-- à B le 14 février 2005 (à sa personne) ;
-- à la SARL V le 14 février 2005 (à la personne de son gérant B) ;
-- à K le 8 février 2005 (à sa personne) ;
-- à D le 9 février 2005 (en mairie) puis le 7 juillet 2005 (en mairie, lettre recommandée non réclamée) ;
-- à O le 8 février 2005 (à sa personne) puis le 17 juin 2005 (en mairie, accusé de réception signé le 1er juillet 2005) ;
-- à l'Union Fédérale des Consommateurs de l'Eure (UFCE) le 17 février 2005 (à personne habilitée) puis le 15 juin 2005 (à personne habilitée).
À l'audience du 6 octobre 2005, après renvois des 3 mars et 2 juin 2005, le prévenu B a comparu assisté de son avocat et la prévenue SARL V ainsi que la partie civile L'Union Fédérale des Consommateurs de l'Eure se sont fait représenter par leurs avocats. Le présent arrêt sera donc contradictoire à leur égard et rendu par défaut à l'égard des partie civiles K, D et O, absents et non représentés.
Au vu des énonciations qui précèdent et des pièces de la procédure, les appels interjetés par les prévenus, la partie civile K et le Ministère Public dans les formes et délais des articles 498 et suivants du Code de Procédure Pénale sont réguliers ; ils sont donc recevables.
Au fond,
Par conclusions écrites de leur avocat développées oralement à l'audience, les prévenus B et SARL V demandent à la cour de :
Sur l'action pénale :
-- confirmer le jugement du Tribunal de police des Andelys en ce qu'il a constaté l'extinction de l'action publique par l'effet de la prescription de l'infraction concernant O et relaxer la SARL V et Monsieur B de l'infraction concernant D,
- réformer le jugement du Tribunal de police des Andelys du 10 décembre 2004 en ce qu'il a déclaré B et la SARL V, coupables des faits visés à la prévention et concernant D et ainsi relaxer B et la SARL V et la SARL V de l'ensemble des faits de la prévention.
Sur l'action civile :
- confirmer le jugement du Tribunal de police des Andelys en ce qu'il a déclaré irrecevable les constitutions de partie civile de O et de K
- réformer le dit jugement en ce qu'il a retenu les constitutions de partie civile de D et de l'Union Fédérale des Consommateurs de l'Eure et en conséquence, dire et juger que ces constitutions de partie civile sont tout autant irrecevables, que mal fondées et les débouter de l'ensemble de leurs demandes.
- laisser les dépens à la charge du Trésor Public.
B et la SARL V font principalement valoir :
-- que l'exception au droit de rétractation prévue par l'article L. 121-20-2 du Code de la consommation, qui a été introduite en droit communautaire puis en droit français pour éviter le piratage et les infractions aux droits de propriété intellectuelle, s'applique à toute forme de descellé, physique (CD ou disquette) ou numérique (disque dur) ;
-- que la vente à distance n'est pas une vente à l'essai ni une vente forcée, mais une vente sous condition d'examen ;
-- que le droit de rétractation ne pouvait s'appliquer au cas de O, qui avait descellé les logiciels informatiques préalablement chargés sur le disque dur de l'ordinateur portable, et que la SARL V n'a accepté de reprendre le matériel acheté qu'à titre commercial ;
-- que la clé d'activation de ces logiciels ayant été validée, le centre logistique a dû régler les droits des éditeurs et facturer ce service à la SARL V qui en a déduit le montant (208,90 euro) du remboursement effectué au profit de O ;
-- que l'exception au droit de rétractation doit également s'appliquer à D, qui a lui-même descellé les logiciels informatiques fournis avec le scanner en ouvrant l'emballage plastique des supports CD et en les installant, ce qui a permis aux logiciels de faire partie intégrante du matériel informatique vendu ;
-- que l'imprimante vendue à K ne peut non plus faire l'objet d'un droit de rétractation, le produit ayant été endommagé par ce client, et que l'infraction sanctionnée par l'article R. 121-1-2 du Code de la consommation n'est pas constituée en l'absence d'élément matériel, le produit n'ayant pas été retourné par l'acheteur dans le délai légal ;
-- que B et la SARL V dont il est le gérant ne peuvent être pénalement condamnés pour une seule et même infraction ;
-- que la DDCCRF a eu une attitude partiale en voulant faire un exemple avec la SARL V, et que son interprétation expose cette société au risque pénal important d'être mise en cause pour avoir permis, par négligence ou manque de vigilance, la copie de logiciels, alors que les professionnels de la vente à distance subordonnent l'exercice du droit de rétractation à des conditions identiques.
Le parquet général estime que les faits concernant la victime O ne sont pas prescrits et requiert une déclaration de la culpabilité des prévenus B et SARL V sur les faits concernant D et O et la condamnation de B à 2 amendes de 600 EUR et de la SARL V à 2 amendes plus élevées.
Par conclusions écrites de son avocat développées oralement à l'audience, l'Union Fédérale des Consommateurs de l'Eure demande à la cour de :
-- Déclarer B et la SARL V coupables des faits qui leur sont reprochés ;
- confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le Tribunal de police des Andelys le 10 décembre 2004 ;
Y ajoutant,
- condamner B et la SARL V à verser une somme supplémentaire de 1 500 euro au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.
Les résultats des investigations réalisées dans le cadre de la présente procédure ont été, pour l'essentiel, correctement rapportés dans le jugement déféré au contenu duquel la cour renvoie pour leur relation objective, et il suffit d'y ajouter ce qui suit :
Les services de la Direction Générale de la Concurrence, de la consommation et de la Répression des Fraudes (DGCCRF) du département de l'Eure ont été saisis le 16 décembre 2002 par O du litige de vente à distance l'opposant à la SARL V et le 10 septembre 2003 par D de celui l'opposant à la même société. Ils ont enquêté spontanément sur les modalités d'application par la SARL V à ses clients des articles L. 121-20 et L. 121-20-1 du Code de la consommation relatifs à l'exercice du droit de rétractation, notamment en sollicitant des précisions fournies le 15 janvier 2003 par courrier de son gérant B et en se présentant au siège de la société le 15 mai 2003 pour recueillir ses explications. Par lettres recommandées avec accusé de réception expédiées le 4 novembre 2003, ils ont invité B et la SARL V à venir signer dans les locaux de la Direction Générale de la Concurrence, de la consommation et de la Répression des Fraudes à Evreux le 18 novembre 2003 le procès-verbal relatant les faits relevés à leur encontre comme constitutifs de l'infraction de refus du remboursement pendant le délai légal de rétractation d'un produit vendu à distance. Ce procès-verbal, établi et signé le 18 novembre 2003 par l'inspecteur habilité, mentionne que B ne s'est pas présenté ce jour-là et qu'un double du procès-verbal lui a été envoyé par lettre recommandée avec accusé de réception le 19 novembre 2003, et il a été transmis au procureur de la république le 28 novembre 2003. Sur instructions données par ce magistrat le 5 décembre 2003, B a été entendu par un enquêteur de gendarmerie sur les faits concernant O et D (PV d'audition du 23 janvier 2004).
Saisi de la plainte de K datée du 14 avril 2003 pour refus de remboursement d'un produit vendu à distance par la SARL V, le procureur de la république a prescrit le 23 avril 2003 l'audition du responsable légal de cette société, qui a été réalisée sur ces seuls faits par un enquêteur de gendarmerie sur procès-verbal du 7 novembre 2003.
Aucun acte de poursuite ou d'instruction de nature à interrompre le délai de prescription de l'action publique, fixé à un an en matière contraventionnelle par l'article 9 du Code de procédure pénale, n'a été formalisé sur les faits concernant O entre le 15 novembre 2002, date du refus de remboursement intégral par la SARL V du prix du matériel vendu, et le procès-verbal d'infraction daté du 18 novembre 2003, le procès-verbal d'audition du 7 novembre 2003 portant sur des faits commis en avril 2003 et concernant K, qui ont été distincts dans leur matérialité et dans le temps et sans lien de connexité avéré.
Aux termes des articles L. 121-20 et L. 121-20-1 du Code de la consommation, le consommateur dispose d'un délai de sept jours francs pour exercer son droit de rétractation sans avoir à justifier de motifs ni à payer de pénalités, à l'exception, le cas échéant, des frais de retour. Ce délai court à compter de la réception pour les biens. Lorsque le droit de rétractation est exercé, le professionnel est tenu de rembourser sans délai le consommateur et au plus tard dans les trente jours suivant la date à laquelle ce droit a été exercé.
Selon l'analyse effectuée dans le procès-verbal du 18 novembre 2003 par la Direction Générale de la Concurrence, de la consommation et de la Répression des Fraudes , la vente de matériel informatique, qui n'est pas spécifiquement visée par la liste de l'article L. 121-20-2 du Code précité prévoyant les exceptions à l'exercice du droit de rétractation, est soumise aux règles générales de la vente à distance. Cette législation permet au consommateur d'essayer le produit qu'il a commandé, notamment parce que la vente à distance ne permet pas de voir ou d'essayer le produit en magasin. Le retour d'un produit doit être accepté systématiquement si celui-ci n'est pas abîmé, et en aucun cas l'exercice du droit de retour et de remboursement n'impliquent l'intégrité de l'emballage du produit.
Dans une note adressée au procureur de la république le 22 mars 2004, la Direction Générale de la Concurrence, de la consommation et de la Répression des Fraudes a notamment exprimé l'avis suivant : "(...) lorsqu'un client désire bénéficier de son droit de rétractation dans le délai légal de sept jours et ce même si le produit est endommagé, M. B. doit accepter le retour du produit et rembourser le consommateur. Il lui appartient après ces démarches de faire expertiser le produit endommagé afin d'établir la cause du dommage et, le cas échéant si ce dernier est imputable au client, de le poursuivre devant les tribunaux civils compétents (...)."
Communiquant sa position aux services de la Direction Générale de la Concurrence, de la consommation et de la Répression des Fraudes, B a expliqué que le droit de rétractation du consommateur ne pouvait s'exercer que si le produit n'avait pas été utilisé, estimant que cette législation n'était pas faite pour permettre d'essayer un produit, ce qui établirait une distinction curieusement discriminatoire entre les commerçants " à distance " et les magasins, et faisant observer que, pour faire fonctionner la grande majorité des matériels informatiques, il faut utiliser un logiciel, que des risques de piratage existent alors, et qu'après cette manipulation le matériel n'est plus neuf ni commercialisable.
Selon les déclarations de B sur procès-verbal d'audition du 23 janvier 2004, D avait commandé à la SARL V un produit appelé Canoscan FS 4000 US, composé d'un scanner de films, d'accessoires et de logiciels. Comme la plupart des produits informatiques, ce matériel ne pouvait fonctionner sans mettre en service les logiciels livrés avec lui. Matériel et logiciels étaient donc indissociables. D ayant reconnu avoir mis en service ce produit, il avait dû ainsi copier les logiciels sur son ordinateur et le droit de rétractation ne s'appliquait pas aux logiciels descellés.
L'examen de la fiche descriptive fournie par le fabricant, dont B a produit une copie, confirme que ce scanner était livré avec les logiciels suivants :
-- Film Get FS et Adobe Photoshop 5,0 Le (inclus)
--Pilote (Plug-In Adobe Photoshop et Pilote Windows)
-- Logiciel Adobe Photoshop Le.
D ayant reconnu avoir installé, configuré et mis en service l'appareil et constaté qu'il fonctionnait très bien, il a nécessairement descellé les logiciels fournis, qui en étaient indissociables.
L'article L. 121-20-2 4°du Code de la consommation excluant l'exercice du droit de rétractation, sauf si les parties en sont convenues autrement, notamment pour les contrats de fourniture de logiciels informatiques lorsqu'ils ont été descellés par le consommateur, et le contrat de vente à distance du scanner informatique conclu entre D et la SARL V ayant eu partiellement pour objet la fourniture de logiciels informatiques qui ont été descellés en raison de la mise en service du matériel après livraison, D, qui a fait le choix de les utiliser à cette fin, s'est lui-même privé de son droit de rétractation sur l'ensemble du matériel informatique vendu, et n'était plus fondé à en obtenir le remboursement.
K, qui avait motivé par un défaut technique sa demande initiale d'échange de l'imprimante laser qui lui avait été livrée le 4 avril 2003 contre une imprimante d'une autre marque, et auquel la SARL V avait proposé le 7 avril 2003 une reprise par un transporteur et une expédition d'une nouvelle imprimante du même modèle après confirmation de la panne par le fabricant, ne pouvait valablement exercer son droit de rétractation le 8 avril 2003 en imposant sans motif à la société de vente à la fois le remboursement du prix et l'envoi d'un transporteur pour récupérer son imprimante, et il n'a pas justifié avoir ensuite réitéré régulièrement l'exercice de ce droit avant l'expiration du délai légal de sept jours.
La cour reprend les motifs non contraires du tribunal ainsi complétés par les siens pour considérer que le jugement déféré doit être confirmé en ce qu'il a constaté l'extinction de l'action publique par l'effet de la prescription sur la contravention concernant O et en ce qu'il a prononcé la relaxe de B et de la SARL V sur la prévention concernant K, que les autres faits qui leur sont reprochés et concernant D ne sont pas constitutifs de la contravention dont ils ont été qualifiés et ne caractérisent aucune autre infraction pénale, qu'en conséquence leur relaxe s'impose également sur cette partie de la prévention, et que le jugement doit être partiellement réformé en ce sens.
Eu égard aux décisions prises par la cour sur l'action publique, il y a lieu de confirmer le jugement en ce qu'il a déclaré irrecevables les constitutions de parties civiles de O et de K, de déclarer également irrecevables les constitutions de parties civiles régularisées par D et par l'Union Fédérale des Consommateurs de l'Eure, de réformer partiellement le jugement sur les dispositions correspondantes et de rejeter la demande présentée en cause d'appel par l'Union Fédérale des Consommateurs de l'Eure sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.
Par ces motifs : LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement à l'égard des prévenus B et SARL V, et de la partie civile l'Union Fédérale des Consommateurs de l'Eure, et par défaut à l'égard des parties civiles K, D et O, l'arrêt devant être signifié à la partie civile l'Union Fédérale des Consommateurs de l'Eure, En la forme, Déclare les appels recevables. Au fond, Réformant partiellement le jugement du 10 décembre 2004 sur l'action publique, Renvoie B et la SARL V des fins de la poursuite sur les faits concernant D. Réformant partiellement ce jugement sur l'action civile, Déclare irrecevables les constitutions de parties civiles régularisées par D et par l'Union Fédérale des Consommateurs de l'Eure. Confirme le jugement déféré en ses autres dispositions non contraires au présent arrêt. Déboute les parties du surplus de leurs demandes.
T. pol., du 10 décembre 2004