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Décisions

CA Rennes, 1re ch. B, 27 juin 2008, n° 07-02201

RENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Celtys (SAS), Caisse régionale d'assurances mutuelles agricoles de Bretagne, Groupama Loire Bretagne

Défendeur :

Euratec (SARL), Axa France Iard (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Piperaud

Conseillers :

Mme Nivelle, M. Gimonet

Avoués :

SCP d'Aboville, de Moncuit Saint-Hilaire & Le Callonnec, SCP Bazille, SCP Gautier-Lhermitte

Avocats :

SCP Druais-Michel-Lahalle, SCP Humez Vandermersch-Mussault, SELARL Lehuede Guenno-Le Parc

T. com. Lorient, du 23 févr. 2007

23 février 2007

La société Celtys, assurée auprès de la Caisse Regionale d'assurances Mutuelles Agricoles Groupama Loire Bretagne, a commandé auprès de l'entreprise Euratec, assurée auprès de la société Axa France Iard, la fourniture et l'installation d'une unité de dégraissage à laquelle a été intégrée une presse à farine ; cette unité sur laquelle la société Euratec a effectué des travaux entre juillet et octobre 2002 a été mise en route le 29 août 2001 ; un incident majeur s'est produit sur la presse à farine le 18 octobre 2002 ;

Par jugement du 23 février 2007, le Tribunal de commerce de Lorient a :

- homologué le rapport d'expertise,

- débouté la société Celtys et la Caisse Régionale d'assurances Mutuelles Agricoles Groupama Loire Bretagne de toutes leurs demandes,

- condamné solidairement la société Celtys et la Caisse Regionale D'assurances Mutuelles Agricoles Groupama Loire Bretagne à payer à la société Euratec et à la société Axa France Iard la somme de 3 000 euro chacune sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

- condamné in solidum la société Celtys et la société Axa France Iard aux dépens comprenant les frais de référé et d'expertise ;

La société Celtys et la Caisse Régionale d'assurances Mutuelles Agricoles Groupama Loire Bretagne ont interjeté appel de cette décision et, par conclusions du 9 mai 2008, ont demandé à la cour :

- d'infirmer le jugement,

- de condamner solidairement la société Euratec et son assureur Axa, ce dernier dans les limites de sa garantie, à payer à Groupama la somme de 140 705 euro et à Celtys la somme de 50 033 euro HT,

- de débouter les sociétés Euratec et Axa de l'ensemble de leurs demandes,

- de condamner la société Euratec et la société Axa au paiement de la somme de 10 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens comprenant ceux de la procédure de référé et de l'expertise judiciaire qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile ;

La SARL Euratec a demandé à la cour, par conclusions du 6 mai 2008 :

- de confirmer le jugement,

- de juger irrecevable l'action de la société Celtys et de la Caisse Régionale d'Assurances Mutuelles Agricoles Groupama Loire Bretagne,

- de débouter la société Celtys et la Caisse Régionale d'Assurances Mutuelles Agricoles Groupama Loire Bretagne de leurs demandes,

- subsidiairement, de juger qu'Axa devra la garantir de toutes les condamnations prononcées à son encontre,

- dans tous les cas, de condamner la société Celtys et la Caisse Régionale d'Assurances Mutuelles Agricoles Groupama Loire Bretagne à lui payer la somme de 10 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'à payer les entiers dépens, qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile ;

La société Axa France Iard a demandé à la cour par conclusions du 9 mai 2008 :

- de déclarer irrecevable l'action de la société Celtys et de la Caisse Régionale d'Assurances Mutuelles Agricoles Groupama Loire Bretagne, en confirmant le jugement,

- de débouter en tout cas la société Celtys et la Caisse Régionale d'Assurances Mutuelles Agricoles Groupama Loire Bretagne de l'ensemble de leurs demandes,

- de juger que sa garantie n'est mobilisable qu'au titre des 'dommages immatériels non consécutifs à un dommage matériel garanti', sous déduction d'une franchise contractuelle de 8 452 euro et de limiter la réclamation des appelantes à la somme de 40 581 euro,

- de condamner solidairement la société Celtys et la Caisse Régionale d'Assurances Mutuelles Agricoles Groupama Loire Bretagne à lui payer la somme de 3 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile ;

Sur ce, la cour

Considérant que, le 19 mars 2001, la société Celtys s'est portée acquéreur auprès de la SARL Euratec d'une unité de dégraissage visant au traitement de déchets d'abattage et de découpe, dont la presse constituait un matériel d'occasion ;

Qu'un incident est intervenu le 18 octobre 2002 qui a mis hors service l'unité de dégraissage mise en service le 29 août 2001 ;

Sur le bref délai de l'action fondée sur les vices cachés

Considérant qu'aux termes de l'article 1648 du Code civil dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 17 février 2005, l'action résultant des vices rédhibitoires doit être intentée dans un bref délai ;

Considérant qu'il ressort du procès-verbal du 8 novembre 2002 de maître Lalauze, huissier de justice associé à Lorient, que ce dernier s'est entendu dire à Plouay, au siège social de la la société Celtys, par le directeur de la société, que la bride de fixation de la cage de la presse de la marque Euratec en cause s'était rompue et que la presse allait être déposée dans une benne en vue d'être expertisée ;

Qu'il n'apparaît pas établi qu'à cette date la société Celtys avait pris conscience de la manifestation d'un vice caché de la machine au moment de son achat, l'incident survenu pouvant être également dû à toute autre cause postérieure à la vente ;que celle-ci n'a pu découvrir l'existence d'un vice avec la notification du rapport de l'expert de la compagnie Groupama, Texa Expertises, lequel retenait des causes postérieures à la vente ; qu'en réalité, la société Celtys n'a découvert l'existence d'un vice caché qu'avec le dépôt du rapport de l'expert judiciaire le 18 octobre 2004 ; qu'il s'ensuit que l'assignation ayant été délivrée au fond au mois d'avril 2005, l'action de la société Celtys et de son assureur doit être déclarée recevable ;

Sur les conditions de vente

Considérant que la société Euratec expose que le délai pour agir était fixé contractuellement à 6 mois ;

Mais considérant que les offres émises par la société Euratec mentionnaient au titre de la garantie : " les équipements proposés sont garantis pièces et main d'œuvre durant six mois " ; qu'il s'en déduit que cette garantie contractuelle ne pouvait affecter en rien la garantie légale pour vices cachés ;

Considérant par ailleurs, qu'il n'est nullement établi que les conditions générales de vente de la société Euratec ont été portées à la connaissance de la société Celtys ; que, certes, la commande dont Celtys a accusé réception contient une rubrique "conditions commerciales" qui mentionne : "documents faisant partie intégrante du dossier : ... nos conditions générales de vente" ; que toutefois, il n'est pas même spécifié que lesdites conditions générales sont annexées à la commande, la société Euratec ne versant par ailleurs aux débats qu'un exemplaire de ses conditions générales non paraphées par son cocontractant ; qu'il s'ensuit que ces conditions générales -qui limitent notamment la garantie des vices cachés à une durée de 6 mois à compter de la livraison ou de la mise en route- sont inopposables à la société Celtys ;

Sur les désordres

Considérant que l'expert Vaussy a fait les constatations suivantes :

"Le bâti est rompu en deux endroits ... Les deux zones de rupture se présentent comme résultant d'un cisaillement horizontal dû à l'entraînement de la partie haute du bâti par la goulotte d'alimentation liée à la cage... la destruction du bâti est due à des forces qui ont poussé la partie supérieure vers l'extrémité de la presse, coté sortie des produits.

Les boulons de 16 mm de liaison entre la cage et les deux demi brides sont endommagés dans la zone située à leur extrémité au-delà des 70mm de fût compris entre la tête et l'écrou et correspondant aux épaisseurs à serrer. L'endommagement correspond à un écrasement circonférentiel des filets... Un seul boulon est rompu en traction.

La liaison entre les demi brides et la cage n'est pas conforme aux règles de l'art en termes de liaison mécanique dans laquelle il ne faut pas associer boulons (démontables) et soudure (permanente). La soudure est d'une exécution "très moyenne..

Nous avons constaté l'absence de tout dispositif susceptible d'éviter le desserrage alors que pour ce genre de montage de telles précautions étaient absolument indispensables." ;

Considérant que l'expert a relevé que les boulons ne sont pas des boulons à haute résistance, mais des boulons réalisés dans un acier relativement ductile, XC38 non traité, ce qui se traduit par un déficit de limite élastique des boulons gravement dommageable sur la tenue de la liaison ; qu'il ajoute que l'acier utilisé n'est pas adapté et qu'il est à l'état recuit au lieu d'être trempé revenu, de sorte que la limite élastique des boulons employés est de l'ordre de grandeur de la moitié de celle que Euratec voulait utiliser ;

Qu'il conclut que les désordres ne sont probablement pas liés aux interventions mais à un déficit de stabilité d'une liaison entre des pièces parmi les plus sollicitées en indiquant ce qui suit :

"Nous pensons avoir démontré que le processus de ruine a pris naissance dans la liaison entre les demi brides et les demi cages.

La conception et la réalisation de la liaison entre la cage et le palier buté sont à l'origine du sinistre:

-Liaison hybride boulons et soudure insuffisante et hors règles de l'art.

-Absence de système anti desserrage des boulons.

-Boulons en acier trop ductile et de limite élastique trop faible pour cette application correspondant à des effets dynamiques, à des vibrations et à des cycles thermiques...

Nous ne savons pas quand et dans quelles circonstances le mécanisme de ruine a pu débuter.

Nous ajoutons :

- que des surcharges accidentelles de la liaison ont pu exister suite à la présence de corps métalliques étrangers (exploitation) ou encore la perte d'éléments provenant de la presse (conception et construction). L'absence des enregistrements du courant moteur a fait gravement défaut. Ils auraient très probablement constitué des indicateurs précis concernant des surcharges éventuelles de la presse qui auraient pu être datées." ;

-que le constructeur Euratec met en garde sur les surcharges pouvant exister au redémarrage d'une installation insuffisamment nettoyée avant l'arrêt. Sur ce point l'expert confirme que si de la matière en cours de pressage séjourne dans la machine à l'arrêt jusqu'à y durcir, il faut effectivement s'attendre à des surcharges importantes au redémarrage. L'expert ne peut pas à posteriori se prononcer sur le nettoyage avant arrêt effectué chez Celtys. Seuls les enregistrements des courants moteur au redémarrages successifs auraient permis de préciser ce point (exploitation). L'expert n'a pas pu en disposer pour les raisons exposées dans le rapport...

Lors de l'avarie, la presse n'ayant pas été arrêtée depuis son ouverture pour intervention, une telle hypothèse est à écarter dans les circonstances de l'avarie." ;

Considérant que l'attestation de la société d'Allemagne certifiant avoir fourni des boulons XC 38 ne contredit pas les constatations de l'expert ; qu'une utilisation continuelle et sans arrêt de la presse n'est évoquée dans les documents contractuels qu'en ce qui concerne le jeu de la garantie contractuelle de 6 mois ; que la preuve n'est pas rapportée d'une faute de la société dans l'utilisation de la machine en cause ; que l'état de la presse au moment de l'expertise n'a pas empêché l'expert de procéder aux constatations rapportées ci-dessus ;

Considérant qu'il ressort donc du rapport d'expertise que la machine vendue à la société Celtys était affectée d'un vice de construction non décelable par l'acquéreur au moment de la vente ; que la société Euratec, vendeur professionnel qui a conçu et construit les liaisons entre les demi brides et la cage, doit réparer l'entier préjudice en résultant ;

Considérant que l'expert expose que la presse est devenue inutilisable ; qu'il convient de retenir les propositions de l'expert quant au chiffrage du dommage matériel sans appliquer de coefficient de vétusté de 20 % sur la plus-value sur devis Euratec au titre du délai de cinq semaines, s'agissant d'une action pour vices cachés, et de prononcer des condamnations hors TVA ;

Considérant que le préjudice matériel s'établit ainsi à 117 692 euro HT ;

Que la perte d'exploitation réelle ayant duré 5 semaines, il convient de retenir une perte d'exploitation de 41 996,79 euro proposée par l'expert mais ramenée par Celtys à la somme de 40 581 euro HT et non l'évaluation plus importante sollicitée par la société Celtys sur la base d'hypothèses de durées de réparation et de documents ne permettant pas de prouver l'existence d'un préjudice plus important ;

Que la société Euratec devra donc être condamnée à payer à Groupama la somme de 117 692 euro HT et à la société Celtys la somme de 40 581 euro HT, Groupama n'étant subrogé dans les droits de son assuré qu'à concurrence de 117 692 euro au titre du préjudice matériel ;

Sur la garantie de la société Axa France Iard

Considérant que la société Axa France Iard conteste devoir garantir son assuré en ce qui concerne le dommage matériel en se fondant sur les alinéas 172, 173 et 174 du titre III des conditions générales du contrat d'assurance responsabilité souscrit par la société Euratec qui ne conteste pas que lesdites conditions générales lui sont opposables et qui a d'ailleurs reconnu en signant les conditions particulières qu'elle avait reçu un exemplaire des conditions générales ;

Considérant que ces dispositions sont les suivantes :

" Sont exclus de la garantie le remboursement ou la diminution du prix, le coût du contrôle, de la réparation, de la réfection, de la modification, de l'amélioration du remplacement:

- des produits défectueux fabriqués ou vendus par l'assuré ou pour son compte,

- des travaux défectueux effectués par l'assuré ou pour son compte. " ;

Qu'il en résulte que la police d'assurance souscrite par la société Euratec ne couvre pas le coût de réfection de la prestation défectueuse ou les frais de retrait ou de remise en état d'une machine recélant un vice caché livrée par la société Euratec à son client ; qu'une telle clause d'exclusion de garantie, d'ailleurs classique, n'annihile pas la garantie souscrite ;

Considérant qu'en revanche la société Axa France Iard garantit les dommages immatériels non consécutifs à un dommage matériel garanti sous déduction d'une franchise contractuelle de 8 452 euro ; qu'il convient donc de condamner la société Axa France Iard solidairement avec la société Euratec au paiement de la somme globale de 40 581 euro ;

Par ces motifs, LA COUR, Infirme le jugement ; Dit la société Celtys et la Caisse Régionale d'Assurances Mutuelles Agricoles Groupama Loire Bretagne recevables en leur action fondée sur les articles 1641 et suivants du Code civil ; Dit les conditions générales de vente de la société Euratec inopposables à la société Celtys ; Condamne la société Euratec à payer à la Caisse Régionale d'Assurances Mutuelles Agricoles Groupama Loire Bretagne la somme de 117 692 euro HT au titre du préjudice matériel ; Condamne solidairement la société Euratec et la société Axa France Iard à payer à la société Celtys la somme de 40 581 euro HT au titre du préjudice immatériel, Dit que la société Axa France Iard devra garantir la société Euratec des condamnations prononcées contre elle à concurrence de 40 581 euro et sous déduction de la franchise contractuelle de 8 452 euro ; Condamne la société Euratec et la société Axa France Iard à payer à la société Celtys et à la Caisse Régionale d'Assurances Mutuelles Agricoles de Bretagne-Groupama Loire Bretagne la somme de 5 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ; Déboute les parties de toutes autres demandes ; Condamne la société Euratec et la société Axa France Iard aux dépens de première instance et d'appel qui comprendront les frais de référé et d'expertise et qui seront recouvrés par la SCP d'Aboville-de Moncuit Saint Hilaire-Le Callonnec conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile .