CA Toulouse, 2e ch. sect. 1, 17 mars 2010, n° 08-04369
TOULOUSE
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Generali Asurance Iard (SA), Euro Multi Travaux (SARL)
Défendeur :
Compagnie Groupama d'Oc
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Lagriffoul
Conseillers :
M. Bélières, Mme Salmeron
Avoués :
SCP Cantaloube-Ferrieu Cerri, SCP Boyer Lescat Merle
Avocats :
SCP Flint, Sanson, SCP Association Beauté-Levi
Faits, procédure, prétentions et moyens des parties
Le Gaec du Bosc Barrat a loué le 3 avril 2006 à la SARL EMT Kalouer une découpeuse de sol qui a pris feu durant son utilisation, provoquant la ruine totale du bâtiment dans lequel cette machine était utilisée.
Le matériel loué avait été acquis par la SARL EMT Kalouer le 17 janvier 2006 auprès de M. Valette qui l'avait lui-même acquis de la société de droit espagnol Internaco le 25 octobre 2002.
La Cie Groupama d'Oc, assureur du Gaec du Bosc Barrat, a indemnisé son assuré pour le dommage subi à hauteur de 172 757,70 euro.
Une expertise a été ordonnée le 29 août 2006 par le juge des référés du tribunal de grande instance de Montauban pour déterminer les causes de l'incendie et l'expert a déposé son rapport le 27 juin 2007.
La Cie Groupama d'Oc, assureur du Gaec du Bosc Barrat, a fait assigner en paiement devant le tribunal de grande instance de Montauban, par acte d'huissier du 7 septembre 2007, la SARL EMT Kalouer et son assureur la SA Generali Assurances Iard.
Par jugement du 26 juin 2008, le Tribunal de grande instance de Montauban a :
- déclaré la demande de Groupama d'Oc recevable,
- condamné solidairement la SARL EMT Kalouer et la SA Generali Assurances Iard à payer à la Cie Groupama d'Oc la somme de 172 757,70 euro, avec intérêts au taux légal à compter du jugement,
- condamné in solidum la SARL EMT Kalouer et la SA Generali Assurances Iard à payer à la Cie Groupama d'Oc la somme de 500 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi que les dépens.
Le tribunal a considéré que les règles définies par les articles 1386-1 et suivants du Code civil définissent un régime optionnel de responsabilité pour les victimes qui peuvent lui préférer l'application des règles du droit commun de la responsabilité et que le loueur avait commis une faute dans l'exécution de ses obligations contractuelles de nature à engager sa responsabilité.
La SA Generali Assurances Iard et la SARL Euro Multi Travaux, exerçant sous le nom commercial EMT Kalouer, ont interjeté appel de ce jugement par déclaration du 13 août 2008.
Les appelantes ont déposé et signifié leurs dernières conclusions le 18 décembre 2009. Elles demandent :
- la réformation du jugement entrepris,
- qu'il soit jugé que les actions en responsabilité du fait des produits défectueux sont régis par les articles 1386-1 à 1386-18 du Code civil ,
- qu'il soit jugé que seul le producteur, lorsqu'il a été identifié, soit en l'espèce la société de droit espagnol INFE, à l'exclusion de la société EMT Kalouer, loueur, peut voir sa responsabilité sans faute recherchée du fait du caractère défectueux du produit par défaut de sécurité,
- que l'action de Groupama d'Oc à leur encontre pour manquement à une obligation de sécurité sur le fondement de l'article 1147 du Code civil soit déclarée irrecevable,
- subsidiairement, en vertu de l'article 1147 du Code civil et au vu du rapport d'expertise judiciaire, que Groupama d'Oc, subrogé dans les droits de son assuré, soit débouté de toutes ses demandes en l'absence de la preuve d'une faute commise par la SARL EMT Kalouer en relation de causalité avec le préjudice,
- en toute hypothèse, que le jugement entrepris soit réformé en ce qui concerne les condamnations prononcées à leur encontre,
- la condamnation de Groupama d'Oc à payer à Generali une indemnité de 3.000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi que les dépens.
Les sociétés appelantes soutiennent que :
- le fournisseur ne peut pas encourir la responsabilité sans faute prouvée imputée au producteur identifié en vertu de l'article 1386-7 du Code civil,
- aucune option contraire à l'article 1386-7 du Code civil ne peut résulter de l'article 1386-18 du même Code et ne peut donc permettre de retenir, sur le fondement de l'article 1147 du Code civil , un manquement à une obligation de sécurité de résultat et donc d'exercer une action en responsabilité sans faute,
- est producteur le fabriquant à titre professionnel d'un produit fini ou d'une partie composante ou celui qui se présente comme producteur en apposant sa marque sur le produit,
- la faute du loueur dans la réalisation du dommage n'est pas établie en vertu de l'article 1147 du Code civil, un défaut de sécurité du matériel dès sa conception ayant été retenu par l'expert.
La société Groupama d'Oc a déposé et signifié ses dernières conclusions le 16 mars 2009. Elle demande :
- la confirmation du jugement entrepris,
- la condamnation in solidum des appelantes au paiement de la somme de 1.500 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
L'intimée fait valoir que :
- le droit communautaire obéit au principe de subsidiarité et le demandeur bénéficiait donc d'une option dans le choix du fondement de son action,
- l'existence du contrat de louage passé avec la SARL EMT Kalouer n'est pas contestée,
- l'action à l'encontre du loueur du matériel est donc fondée,
- l'identification du producteur n'est pas certaine, la mise en cause de la société INFE reposant sur les seules allégations de la société Internaco,
- le matériel loué, qui avait 4 ans au moment de l'incendie et qui était depuis 4 ans la propriété du loueur, n'était plus le même qu'à sa sortie d'usine,
- le dommage en cause ne caractérise pas une défectuosité au sens des articles 1386-1 et suivants du Code civil mais un défaut de sécurité relevant de l'entretien de la machine, imputable au loueur,
- le manquement du loueur à son obligation de sécurité est établi alors qu'il lui appartenait d'assurer l'entretien du bien loué et la maintenance de ses pièces et composants,
- l'expertise n'a pas permis de mettre en évidence une défectuosité de la machine inhérente à sa conception,
- le dommage est la conséquence de l'état défectueux de la machine louée et trouve donc son origine dans le défaut d'entretien imputable au loueur qui a ainsi manqué à son obligation de sécurité de résultat.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 20 janvier 2010.
Sur ce,
Il ressort du rapport d'expertise de M. Chastang que l'incendie de la découpeuse a eu trois causes possibles, le déboîtement d'un tuyau d'essence, une fuite au bouchon de réservoir ou le bouchon de réservoir mal fixé.
Selon l'expert, "de ces hypothèses, il ressort un risque important sur cette machine de voir un tuyau d'essence se déboîter, ce qui est dangereux lorsque le réservoir est en charge comme ici, et il ressort aussi un risque important de fuite par le bouchon de remplissage, soit par perte du joint de caoutchouc, soit par manœuvre délicate de ce bouchon".
Pour ce qui est de l'hypothèse du déboîtement du tuyau d'essence, l'expert souligne 'la piètre sécurité apportée par un tuyau d'essence emmanché sur un tube lisse, avec seulement un serrage par collier élastique' et, pour les deux autres hypothèses relatives au bouchon, il insiste sur la conception même de celui-ci qui "...ne pose pas de problème lorsque le joint est en place et que l'on mettre en place ce bouchon avec précaution, mais il est facile de le mettre légèrement en travers, une seule des pattes de fixation prenant sous le rebord du réservoir, le joint ne plaque plus, et l'essence, agitée par les vibrations de la machine s'écoule entre le bouchon et le réservoir et peut prendre feu du fait du moteur situé en dessous".
M. Chastang conclut qu'il est possible de dire que l'hypothèse de la sortie d'un tuyau d'essence de son tube support, soit sous le réservoir, soit à l'entrée du robinet, tuyau qui a pu être remplacé depuis la fabrication de la machine, mal serré par un collier élastique alors qu'un collier à vis serait plus sûr, est la plus vraisemblable, sans abandonner totalement l'hypothèse d'une fuite par le bouchon du remplissage du réservoir, qui ne présente pas de sécurité suffisante, en particulier si son joint est en mauvais état et peut alors sortir.
Ainsi, au vu de ces constatations expertales, il est démontré que, quelque soit la cause exacte de l'incendie, c'est un défaut de conception de la machine qui en est nécessairement à l'origine par défaut de sécurité suffisante tant au niveau du tuyau d'essence que du bouchon du réservoir d'essence.
Il est par ailleurs établi que la SARL EMT Kalouer est, en tant que loueur de la machine litigieuse, son fournisseur et non son fabricant alors qu'il ressort du courrier adressé le 13 juin 2007 à l'expert par la société Internaco, appelée aux opérations d'expertise, que cette machine est composée d'un moteur standard de fabrication japonaise et d'un châssis de découpeuse fabriqué par la société INFE qui en réalise l'assemblage.
La société INFE, fabricant d'une partie composante de la découpeuse, a donc été identifiée comme producteur de cette machine au sens de l'article 1386-6 du Code civil.
Dans ces conditions, la Cie Groupama d'Oc qui se prévaut d'un manquement à une obligation contractuelle de sécurité de résultat ne peut exercer son action en responsabilité contractuelle de plein droit à l'encontre de son fournisseur en vertu de l'article 1386-7 du Code civil alors que le régime spécial de la responsabilité des produits défectueux est exclusif de l'application de la responsabilité contractuelle de droit commun fondée sur l'article 1147 du Code civil , conformément à l'article 1386-18 du Code civil.
L'action de la Cie Groupama d'Oc à l'encontre de la SARL EMT Kalouer et de son assureur la SA Generali Assurances Iard est donc irrecevable.
Par ces motifs, LA COUR, Infirme le jugement entrepris. Statuant à nouveau : Déclare la Cie Groupama d'Oc irrecevable en son action. Rejette la demande de la Cie Groupama d'Oc en application de l'article 700 du Code de procédure civile. Condamne la Cie Groupama d'Oc à payer à la SA Generali Assurances Iard la somme de 3 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi que les dépens de première instance et d'appel, dont distraction au profit des avoués en la cause en vertu de l'article 699 du Code de procédure civile .