CA Versailles, 3e ch., 25 mars 2010, n° 09-00966
VERSAILLES
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Ruag Ammotec France (SAS)
Défendeur :
Legrand, Caisse d'assurance maladie de Beauvais
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Valantin
Conseillers :
M. Regimbeau, Mme Calot
Avoués :
SCP Jullien, Lecharny, Rol, Fertier, SCP Debray-Chemin, SCP Bommart Minault
Avocats :
Mes Berthaud, Petit, Deliay
Rappel des faits et de la procédure
Par acte du 8 septembre 2008, M. Christophe Legrand a fait assigner la SAS Ruag Ammotec France et la CPAM de Beauvais aux fins de :
- commettre un expert en vue de déterminer son préjudice corporel
- condamner la défenderesse à lui payer une indemnité provisionnelle de 10 000 euro à valoir sur son préjudice corporel, une indemnité de procédure de 5 000 euro ainsi que les dépens, le tout sous le bénéfice de l'exécution provisoire.
Il expose que, après avoir participé à une battue aux sangliers le 5 février 2006, il a chassé seul le 8 février 2006 et, alors qu'il tirait sur un pigeon, son fusil a explosé entre ses mains arrachant la moitié de sa main gauche, qu'il utilisait des cartouches Brenneke de fabrication Rottweil achetées au magasin Decathlon de Jaux et importées par la SAS Ruag Ammotec France, qu'il a appris ultérieurement que l'importateur avait lancé dans la presse spécialisée un avis de rappel de certaines cartouches Rottweil en raison de leur dysfonctionnement et en déduit que lorsqu'il a fait feu lors de sa seconde journée de chasse, le canon du fusil était obstrué par une cartouche Brenneke et que, en tirant une nouvelle balle, l'arme a subi une surpression et a explosé. Il indique produire les cartouches Brenneke répondant aux références (211 53 78 lot 65UY) de celles objet du rappel pour défectuosité, précise que la SAS Ruag Ammotec France lui a fait croire à la nécessité de lui confier son fusil pour le faire expertiser comme préalable à son indemnisation et ne lui a jamais restitué malgré ses demandes. Il considère que l'importateur des cartouches défectueuses est contractuellement responsable, sur le fondement des articles 1146 et suivants du Code civil , de son dommage et sollicite une nouvelle expertise médicale pour déterminer l'étendue de celui-ci.
La SAS Ruag Ammotec France a fait appel du jugement contradictoire rendu le 16 décembre 2008 qui a déclaré la SAS Ruag Ammotec France, importateur des cartouches Rotweil Brenneke référencées 211 53 79 lot 65 UY, responsable des blessures dont a été victime M. Christophe Legrand le 8 février 2006, ordonné une expertise confiée au Docteur Durand, aux frais avancés par le demandeur, donné acte à la CPAM de Beauvais du montant de sa créance provisoire à hauteur de 1 762,75 euro et de ce qu'elle se réserve de solliciter le remboursement de sa créance définitive après dépôt du rapport d'expertise, condamné la SAS Ruag Ammotec France, à payer à M. Christophe Legrand une provision de 5.000 euro à valoir sur son préjudice corporel, ainsi qu'une somme de 1 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile , renvoyé l'affaire à l'audience de mise en état du 16 juin 2009 et réservé les dépens
Prétentions des parties
La SAS Ruag Ammotec France, appelante, par conclusions signifiées le 25 novembre 2009, demande de :
vu les articles 1146 et suivants du Code civil
A titre principal, infirmer la décision entreprise en ce qu'elle a retenu la responsabilité de la concluante sur le fondement de la responsabilité contractuelle
débouter M. Christophe Legrand de ses demandes
le condamner à lui rembourser les sommes versées au titre de l'exécution provisoire
Subsidiairement,
infirmer la décision entreprise en ce qu'elle a retenu l'entière responsabilité de la concluante
ordonner un partage de responsabilité par moitié à la charge de M. Christophe Legrand
débouter la CPAM de ses demandes
En tout état de cause,
condamner M. Christophe Legrand au paiement de la somme de 3 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
M. Christophe Legrand, intimé, demande dans ses conclusions signifiées le 4 novembre 2009, de :
confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions
condamner la SAS Ruag Ammotec France au paiement de la somme de 3 000 euro à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive et celle de 2 500 euro au titre des des frais irrépétibles
la condamner aux entiers dépens.
Aux termes de ses conclusions signifiées le 18 septembre 2009, la CPAM de Beauvais, intimée, sollicite de la cour, de :
constater que sa créance définitive s'élève à la somme de 4 861,38 euro
vu l'article L. 376-1 du Code de la Sécurité sociale
dire et juger que la concluante a droit au remboursement de sa créance sur l'indemnité mise à la charge du tiers réparant l'atteinte à l'intégrité physique de la victime,
dire et juger que cette somme doit porter intérêts de droit à compter de la première demande pour les prestations servies antérieurement à celle-ci et à partir de leur règlement pour les débours effectués postérieurement
dire qu'en application de la loi du 21 décembre 2006 , le recours subrogatoire de la caisse s'exercera poste par poste sur les seules indemnités réparant les préjudices pris en charge par la caisse, à savoir : pour les indemnités journalières sur le poste de pertes de gains professionnels actuels à hauteur de 1 386,88 euro, pour les frais d'hospitalisation ainsi que les frais médicaux et assimilés qui devront s'imputer sur le poste de santé actuelles (DSA) à hauteur de 3 474,50 euro
condamner la SAS Ruag Ammotec France à lui payer la somme globale de 4 861,38 euro correspondant aux prestations exposées pour le compte de la victime (décompte du 4 septembre 2009)
la condamner à lui payer la somme de 1.000 euro au titre des frais irrépétibles et celle de 955 euro à titre d'indemnité forfaitaire de recouvrement conformément à l'article L. 376-1 du Code de la sécurité sociale
condamner la partie succombante aux entiers dépens avec application de l'article 699 du Code de procédure civile.
L'instruction a été déclarée close le 26 novembre 2009.
Motifs de la décision
Considérant que la société appelante fait valoir qu'elle s'est acquittée de l'indemnité provisionnelle à hauteur des 2/3 telle que fixée au titre de l'exécution provisoire, que sa responsabilité a été retenue sur un fondement contractuel alors même qu'aucun lien de cette nature n'a été démontré, que la preuve de l'achat des cartouches n'a pas été produite, que la qualité de sous-acquéreur de M. Christophe Legrand n'a jamais été rapportée, que subsidiairement, M. Christophe Legrand a concouru à la réalisation de son dommage, que la circonstance que figuraient sur la boîte, les numéros de lots concernés par la campagne de rappel diffusée par la société concluante, est insuffisante à caractériser sa responsabilité, que le tribunal n'a pas cherché l'origine de l'accident, alors qu'elle avait évoqué la manipulation du fusil et le respect des bonnes pratiques de la chasse, parmi lesquelles, l'obligation faite au chasseur de vérifier que le canon du fusil est libre lorsqu'il place une nouvelle cartouche dans son logement, que le non-respect de cette règle entraîne la signification d'un avertissement qui sanctionne une faute grave dans le comportement du candidat au cours de l'examen du permis de chasser, que cette règle de sécurité élémentaire est rappelée sur chaque boîte de cartouches, que M. Christophe Legrand a failli à cette règle alors que les circonstances justifiaient le respect le plus strict des bonnes pratiques de la chasse, un témoin ayant attesté que lors d'une précédente battue du 5 février 2006, que l'arme de M. Christophe Legrand avait produit un bruit sourd et provoqué une fumée blanche, que l'organisme social ne peut à ce stade de la procédure, solliciter une quelconque indemnisation ;
Considérant que M. Christophe Legrand réplique qu'il dispose d'une action directe, de nature contractuelle, en sa qualité de sous-acquéreur contre le fabricant ou un vendeur intermédiaire, que la responsabilité de l'appelante est bien engagée sur le plan contractuel comme l'ont dit les premiers juges, qu'il n'est pas démontré qu'il ait pu faillir aux règles de sécurité, ou une faute de sa part de nature à limiter son droit à indemnisation, que la défaillance et le risque présentés par les cartouches Brenneke de marque Rottweil, commercialisées en France par la société appelante, sont établis par la campagne de rappel menée par le fabricant par voie de presse spécialisée et par l'importateur en France, que cette campagne de rappel des cartouches défectueuses constitue l'aveu même de la part du fabriquant et de son importateur du danger présenté par celles-ci, que le lien de causalité ne fait aucun doute sur la blessure subie à la suite de l'explosion d'une balle dans son fusil, qu'il souligne que la société appelante ne lui a pas restitué le fusil endommagé, qu'elle lui avait demandé de lui remettre pour expertise, faisant ainsi obstacle à toute expertise judiciaire, que son appel est abusif et dilatoire, dès lors qu'en conservant par devers elle, le fusil endommagé qui lui appartient, elle fait obstacle à la manifestation de la vérité ;
- Sur la responsabilité contractuelle de la SAS Ruag Ammotec France
Considérant que M. Christophe Legrand recherche la responsabilité de la SAS Ruag Ammotec France, importateur en France des cartouches Brenneke, sur le fondement, non des dispositions des articles 1386-1 et suivants du Code civil , établissant une responsabilité de plein droit du producteur du chef de la défectuosité du produit, mais sur le fondement des articles 1146 et suivants du Code civil ;
Considérant que c'est par des motifs pertinents que la cour adopte que les premiers juges, après avoir dit que le sous-acquéreur dispose d'une action contractuelle directe à l'encontre de son vendeur, des vendeurs intermédiaires comme l'importateur ou contre le fabricant, lorsque la chose défectueuse ou ayant causé le dommage, est affectée d'un vice caché ou d'un défaut de conformité au contrat, ont dit au vu des pièces produites par M. Christophe Legrand, qu'il n'est pas douteux que l'accident dont celui-ci a été victime, a eu pour origine le blocage dans le canon du fusil des cartouches Rottweil Brenneke référencées 211 53 79 lot 65 UY, ayant fait l'objet d'un rappel par le fabricant pour des raisons de sécurité, parce qu'elles étaient atteintes d'un vice caché ;
Que c'est à juste titre, que les premiers juges ont dit qu'en conséquence, le vendeur, l'importateur ou le fabricant est responsable à l'égard du sous-acquéreur, du défaut affectant le produit qu'il a vendu, commercialisé ou fabriqué et que la SAS Ruag Ammotec France est donc responsable sur le fondement de l'article 1147 du Code civil , du défaut affectant les cartouches ayant provoqué le dommage corporel subi par M. Christophe Legrand et qu'elle doit l'indemniser de ce chef ;
- Sur la faute de la victime
Considérant que la société appelante soutient à bon droit que la victime, titulaire du permis de chasser, n'a pas respecté une règle de sécurité élémentaire consistant en l'obligation faite au chasseur de vérifier que le canon du fusil est libre lorsqu'il place une nouvelle cartouche dans son logement ;
Que selon l'attestation établie par M. Bausinger, trois jours avant l'accident litigieux, M. Christophe Legrand avait participé à une battue aux sangliers et avait tiré un sanglier par deux fois, le témoin ajoutant qu'il avait remarqué que sur son premier coup de fusil, la détonation avait fait un bruit sourd et une fumée blanche ;
Que détenteur d'un fusil à canons superposés, M. Christophe Legrand aurait dû respecter les bonnes pratiques de la chasse relatives à la sécurité du chasseur et vérifier que le canon de son fusil n'était pas obstrué par une balle, précaution d'emploi rappelée sur l'emballage de la boîte de cartouches qu'il a produite, ainsi précisée : "Attention. Respectez les règles de sécurité lors de l'utilisation de votre arme. Vérifiez toujours que le canon de votre fusil ne soit pas obstrué avant de recharger" ;
Que cette règle de sécurité est un impératif, dont la méconnaissance entraîne la signification d'un avertissement qui sanctionne une faute grave dans le comportement du candidat au cours de l'examen du permis de chasser ;
Qu'il convient de considérer, que M. Christophe Legrand, titulaire du permis de chasser, ne pouvait méconnaître cette règle de sécurité en matière cynégétique et que cette imprudence fautive, au sens de l'article 1383 du Code civil, est de nature à entraîner un partage de responsabilité et le jugement sera infirmé de ce chef ;
Que la cour fixe la part de responsabilité imputable à M. Christophe Legrand à 20 % ;
Que le jugement sera confirmé en ce qu'il a ordonné une expertise médicale, mis à la charge de la SAS Ruag Ammotec France une indemnité provisionnelle, que la cour fixe toutefois à 4 000 euro ;
Qu'il convient d'accorder une indemnité au titre des frais irrépétibles au profit de M. Christophe Legrand en sus de celle allouée par les premiers juges ;
- Sur les autres demandes
Considérant que M. Christophe Legrand sollicite la somme de 3 000 euro à titre de dommages-intérêts, pour procédure abusive ;
Considérant que l'exercice d'une action en justice de même que la défense à une telle action, constitue en principe un droit et ne dégénère en abus de droit que dans le cas de malice, de mauvaise foi ou d'erreur grossière équipollente au dol ;
Que l'appréciation inexacte qu'une partie fait de ses droits n'est pas en soi constitutive d'une faute ;
Qu'en l'absence de faits de nature à faire dégénérer en abus l'exercice du droit d'agir en justice, M. Christophe Legrand sera débouté de sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive ;
Mais considérant que M. Christophe Legrand sera en droit de solliciter une indemnité non du fait de la non-restitution de son fusil endommagé par l'explosion, remis à la société appelante, sur sa demande, mais du fait des dommages subis par son fusil, acheté 532 euro, dans la mesure de la responsabilité retenue à l'encontre de ladite société, soit la somme de 425 euro ;
Considérant qu'il convient de réserver les demandes présentées par la CPAM de Beauvais, qui seront examinées lors de la liquidation des préjudices de M. Christophe Legrand ;
Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Confirme le jugement en ce qu'il a retenu la responsabilité contractuelle de la SAS Ruag Ammotec France au titre des blessures dont a été victime M. Christophe Legrand le 8 février 2006, ordonné une expertise confiée au Docteur Durand, aux frais avancés par le demandeur, condamné la SAS Ruag Ammotec France, à payer à M. Christophe Legrand une provision à valoir sur son préjudice corporel, ainsi qu'une somme de 1 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile , Réforme pour le surplus le jugement entrepris, Et statuant à nouveau, Dit que M. Christophe Legrand a concouru à la réalisation de son dommage dans la proportion de 20 %, Dit en conséquence, que la SAS Ruag Ammotec France devra indemniser M. Christophe Legrand de son préjudice corporel subi le 8 février 2006 dans la proportion de 80 %, Condamne la SAS Ruag Ammotec France à payer à M. Christophe Legrand une provision de 4 000 euro à valoir sur son préjudice corporel, Condamne la SAS Ruag Ammotec France à verser à M. Christophe Legrand la somme de 2 000 euro au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile , Réserve les demandes de la CPAM de Beauvais, Renvoie la cause et les parties devant le tribunal de grande instance de Pontoise pour qu'il soit statué sur les préjudices subis par M. Christophe Legrand en ouverture du rapport d'expertise du Docteur Durand, Condamne la SAS Ruag Ammotec France aux dépens de première instance et d'appel (comprenant les frais de référé et d'expertise) qui pourront être recouvrés par la SCP Jullien Lecharny Rol Fertier, conformément à l'article 699 du Code de procédure civile .