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Décisions

CA Rennes, 1re ch. B, 4 juin 2010, n° 09-04002

RENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Gaec du Rier

Défendeur :

Axa corporate solutions assurances (SA), EDF (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Beuzit

Conseillers :

Mme Gimonet, M. Le Brun

Avoués :

SCP d'Aboville, de Moncuit Saint-Hilaire & Le Callonnec, SCP Castres, Colleu, Perot & Le Couls-Bouvet

Avocats :

SCP Druais-Michel-Lahalle, SCP Larmier & Tromeur

TGI Quimper, du 22 mars 2009

22 mars 2009

Le Gaec du Rier, qui exploite une pisciculture à Ergue Gaberic, a constaté le 22 mai 2006 au matin l'arrêt des oxygénateurs et bicônes de ses bassins ; la société EDF a constaté l'existence d'une rupture de pont sur le réseau haute tension qui a fait que la pisciculture n'a été alimentée que sur deux phases au lieu de trois dans la nuit du 21 au 22 mai 2006 ; il s'en est suivi une mortalité importante de poissons ;

Par jugement du 3 mars 2009, le Tribunal de grande instance de Quimper a :

- dit que la responsabilité de la société EDF était engagée à l'égard du Gaec du Rier au sens de l'article 1147 du Code civil ;

-dit que le manquement du Gaec du Rier à son devoir de prudence est de nature à atténuer la responsabilité de la société EDF au sens des stipulations contractuelles ;

- fixé le montant du préjudice du Gaec du Rier à la somme de 58 086 euro ;

- dit que la responsabilité de la société EDF s'élevait à 50 % de la somme correspondant au préjudice du Gaec du Rier ;

-condamné in solidum la société EDF et son assureur, la société Axa corporate solutions assurances, à payer au Gaec du Rier la somme de 29 043 euro HT ;

- débouté le Gaec du Rier de sa demande portant sur la somme de 432,75 euro ;

- débouté le Gaec du Rier de sa demande sur le fondement de l'article 1386-1 du Code civil ;

- rejeté la demande d'exécution provisoire ;

- condamné la société EDF et son assureur, la société Axa corporate solutions assurances, à payer au Gaec du Rier la somme de 700 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- débouté les parties de leurs autres demandes ;

- fait masse des dépens et dit que la société EDF et la société Axa corporate solutions assurances devraient supporter la charge des deux tiers de ceux-ci, le tiers restant étant mis à la charge du Gaec du Rier et dit que les dépens seraient recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile ;

Le Gaec du Rier a interjeté appel de cette décision et, par conclusions du 8 octobre 2009, a demandé à la cour :

- de débouter la société EDF et la société Axa corporate solutions assurances de leurs demandes ;

-de condamner in solidum la société EDF et la société Axa corporate solutions assurances à lui payer les sommes de 58 086 euro 432,75 euro avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation ;

- d'ordonner la capitalisation des intérêts conformément à l'article 1154 du Code civil ;

- de condamner in solidum la société EDF et la société Axa corporate solutions assurances à lui payer la somme de 3 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile ;

La société Axa corporate solutions assurances et la société EDF ont demandé à la cour, par conclusions du 6 janvier 2010, de confirmer le jugement, sauf à en modifier le fondement juridique, et de condamner le Gaec du Rier à leur payer la somme de 2 500 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile ;

Sur ce,

Considérant que la société EDF reconnaît que, le 22 mai 2006, est intervenue une rupture de pont sur le réseau haute tension qui a fait que le Gaec du Rier n'a été alimenté que sur deux phases au lieu de trois, ce qui a entraîné l'arrêt de l'oxygénation des poissons ; que, selon l'estimation contradictoire réalisée ensuite, le préjudice résultant de la mortalité des poissons s'élève à la somme de 58 086 euro ;

Sur le fondement de l'action du Gaec du Rier

Considérant que le Gaec du Rier fonde son action à titre principal sur la responsabilité du fait des produits défectueux prévue aux articles 1386-1 et suivants du Code civil ; que ce régime est applicable au producteur qui cause un dommage, par un défaut de son produit, soit à autrui soit à un bien autre que le produit défectueux lui-même ;

Considérant que l'article 1386-3 du Code civil énonce expressément que l'électricité est considérée comme un produit ; que, selon l'article 1386-4, un produit est défectueux dès lors qu'il n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre ; qu'il est légitime de compter sur une fourniture continue d'électricité susceptible de faire fonctionner de manière ininterrompue le système d'oxygénation d'une pisciculture ; qu'il n'est pas contesté par la société EDF que le dysfonctionnement de son réseau le 22 mai 2006 a entraîné une mauvaise alimentation en électricité à l'origine de la mortalité des poissons du Gaec du Rier ; qu'il s'ensuit que c'est à tort que les premiers juges ont prononcé condamnation à indemnisation de la société EDF sur le fondement de l'article 1147 du Code civil, alors que le demandeur fondait ses prétentions à titre principal sur les articles 1386-1 et suivants du Code civil dont les dispositions doivent être retenues ;

Sur la diminution de la responsabilité du producteur

Considérant qu'aux termes de l'article 1386-13 du Code civil, la responsabilité du producteur peut être réduite ou supprimée lorsque le dommage est causé conjointement par un défaut du produit et par la faute de la victime ; que, selon l'article 1386-15, les clauses qui visent à écarter ou limiter la responsabilité du fait des produits défectueux sont valables entre professionnels pour les dommages causés aux biens qui ne sont pas utilisés principalement par la victime pour son usage ou sa consommation privée ;

Que les sociétés EDF et Axa corporate solutions assurances invoquent un manquement du Gaec du Rier à son obligation contractuelle de prudence et de prévoyance ;

Considérant que le Gaec du Rier a souscrit auprès de la société EDF un contrat de fourniture d'énergie électrique, dénommé Emeraude, pour les besoins de son installation de pisciculture, aux termes duquel la société EDF est présumée responsable des dommages susceptibles de survenir pour le client en cas de non-respect de ses obligations concernant les interruptions de service et en cas de dépassement d'un des seuils ou tolérances, en régime normal d'exploitation ;

Considérant que, selon l'annexe 2 Qualité des fournitures HTA (1 à 50 kV), "EDF s'engage à fournir à la clientèle un ensemble de trois tensions sinusoïdales appelé système triphasé .Ces trois tensions ont théoriquement la même valeur efficace et sont également décalées dans le temps. Un écart par rapport à cette situation théorique est caractéristique d'un système déséquilibré" ; que, selon l'annexe, l'engagement d'EDF est celui d'un taux moyen de déséquilibre qui ne doit pas dépasser la valeur de 2 % ;

Considérant que, selon, l'article VII 2 alinéa 4, la responsabilité d'EDF est susceptible d'être atténuée si elle rapporte " la preuve d'une faute du client et notamment du non-respect caractérisé de l'obligation de prudence inscrite à l'alinéa 2 du paragraphe 4 de l'article VI " ;

Considérant que ce dernier texte est libellé comme suit :

"EDF s'engage à mettre à la disposition du client toutes informations sur les conditions de desserte et de qualité de la fourniture le concernant, sur leurs évolutions envisageables ainsi que sur les mesures habituelles que ce dernier peut prendre pour minimiser les conséquences des aléas de distribution, tout particulièrement s'il a subi des dommages suite à une perturbation électrique . EDF est prête, sur demande du client à l'aider dans les démarches nécessaires pour faire réaliser des études adaptées.

Il appartient au client, dûment informé des aléas décrits ci-dessus, de prendre les mesures économiquement raisonnables et techniquement efficaces pour en minimiser, dans la mesure du possible, les conséquences sur ses installations. A titre d'exemples, l'optimisation des schémas électriques, l'installation de dispositifs d'arrêt d'urgence, la mise en place d'onduleurs ou de groupes de sécurité dans les conditions précisées aux articles I et IV du contrat, etc. peuvent, selon les circonstances constituer des mesures économiquement raisonnables techniquement efficaces " ;

Considérant que les sociétés EDF et Axa corporate solutions assurances reprochent au Gaec du Rier d'avoir une installation de secours avec groupe électrogène conçue pour démarrer dans le cas d'interruption de fourniture sur les trois phases HTA (dite coupure franche), mais non pas en cas de coupure d'une seule phase HTA, comme en l'espèce, et de ne disposer d'une alarme électrique ne pouvant entrer en action qu'en cas de disjonction des prestations électriques des moteurs et des agitateurs, mais pas en cas de baisse de tension électrique ;

Mais considérant qu'il n'est pas établi par la société EDF qu'elle ait jamais informé le Gaec du Rier des mesures que ce dernier pouvait prendre pour minimiser les conséquences des aléas de distribution ; que le Gaec du Rier pouvait se croire protégé par son installation de secours, faute d'avoir été informé par EDF des mesures techniques précises qu'il pouvait prendre pour minimiser les conséquences d'un incident spécifique ;

Considérant que les sociétés EDF et Axa corporate solutions assurances reprochent encore au Gaec du Rier de n'avoir pas fait procéder à la vérification annuelle de l'installation électrique de la pisciculture prescrite, selon elles, par la norme NF C 15-100 ; que toutefois, seule la première page portant la désignation de la norme et la page 7 de ladite norme sont versés aux débats (par le Gaec), desquelles il ressort que la norme est destinée à assurer la sécurité des personnes animaux et biens "contre les dangers et dommages pouvant résulter de l'utilisation des installations électriques dans des conditions qui peuvent être raisonnablement prévues" ; que les articles 131.2 à 131.5 figurant sur la page 7 n'ont trait qu'à la protection contre les contacts directs avec les parties actives de l'installation, les contacts indirects avec des masses, les effets thermiques en service normal et les surintensités ; qu'il en résulte que la société EDF ne rapporte pas la preuve d'un manquement du Gaec à une obligation de contrôle qui eût été de nature à révéler les failles de son installation de secours en cas de coupure d'une seule phase ; que la société EDF doit être condamnée à réparer l'intégralité du préjudice du Gaec du Rier ;

Considérant que le Gaec du Rier verse aux débats les factures de la société ELEC automatisme des 23 et 29 mai et 9 juin 2006 concernant le remplacement du contacteur inverseur des oxygénateurs, 'pièce détériorée suite manque de tension sur une phase', et le remplacement du disjoncteur 'suite à sinistre du 22 mai 2006", pour un montant global de 432,75 euro HT ;

Qu'il convient, en infirmant le jugement sur ce point, de condamner in solidum la société EDF et la société Axa corporate solutions assurances à payer au Gaec du Rier les sommes de 58 086 euro et de 432,75 euro avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation ;

Par ces motifs, LA COUR, Infirme le jugement, sauf en ce qu'il a condamné la société EDF et la société Axa corporate solutions assurances à payer au Gaec du Rier la somme de 700 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ; Statuant à nouveau sur les chefs infirmés : Dit que la responsabilité de la société EDF est engagée sur le fondement des articles 1386-1 et suivants du Code civil ; Condamne in solidum la société EDF et la société Axa corporate solutions assurances à payer au Gaec du Rier les sommes de 58 086 euro et de 432,75 euro avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation ; Ordonne la capitalisation des intérêts conformément aux dispositions de l'article 1154 du Code civil, à compter des conclusions du 8 octobre 2009 ; Condamne in solidum la société EDF et la société Axa corporate solutions assurances à payer au Gaec du Rier la somme de 2 500 euro à titre d'indemnité pour frais irrépétibles d'appel ; Condamne in solidum la société EDF et la société Axa corporate solutions assurances aux dépens de première instance et d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.