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Décisions

CA Rennes, 1re ch. B, 8 avril 2010, n° 08-09191

RENNES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Promens France (SAS)

Défendeur :

Defontaine (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Simonnot

Conseillers :

Mme Le Brun, M. Gimonet

Avoués :

SCP Brebion, Chaudet, SCP Castres, Colleu, Perot & Le Couls-Bouvet

Avocats :

Mes Gautier, Corgnet

T. com. Nantes, du 7 mai 2008

7 mai 2008

La société Defontaine, qui a pour activité la fabrication et la commercialisation de produits manufacturés pour l'automobile et l'aéronautique, fabrique, dans le cadre de son département Rollix, des roulements à bille destinés à équiper des couronnes mécaniques.

Pour les besoins de cette activité, elle achetait à la société Bonar Plastics France des intercalaires en polyamide qui étaient montés dans les roulements à bille.

Soutenant qu'à partir d'août 2003, les intercalaires avaient présenté des défectuosités, la société Defontaine a fait assigner la société Bonar Plastics devant le juge des référés du Tribunal de commerce de Nantes, lequel, par ordonnance du 26 octobre 2004, a désigné un expert en la personne de madame Jacquet-Lassus.

Madame Jacquet-Lassus, qui s'est adjoint un sapiteur comptable en la personne de monsieur Le Roux, a dressé son rapport le 25 septembre 2006.

Au vu de ce document, la société Defontaine a fait assigner, par acte du 15 janvier 2007 , la société Bonar Plastics devant le Tribunal de commerce de Nantes sur le fondement des articles 1641 et suivants du Code civil.

Par jugement du 7 mai 2008, le tribunal a :

- ordonné la résiliation de la vente des lots d'intercalaires litigieux,

- condamné la société Bonar Plastics à verser à la société Defontaine 40 359 euro à titre de dommages-intérêts,

- déclaré bien fondée la demande reconventionnelle de la société Bonar Plastics et condamné la société Defontaine à lui payer 26 603,12 euro au titre des factures impayées,

- condamné la société Bonar Plastics à payer à la société Defontaine 3 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,

- débouté les parties de toutes leurs autres demandes,

- condamné la société Bonar Plastics aux dépens.

Par jugement du 19 novembre 2008, le même tribunal a :

- déclaré la société Defontaine recevable en sa requête en rectification pour omission de statuer,

- dit que la société Bonar Plastics sera condamnée à restituer à la société Defontaine le prix des marchandises défectueuses soit 31 840 euro HT,

- dit qu'une copie du présent jugement sera annexée au jugement du 7 mai 2008,

- condamné la société Bonar Plastics aux dépens.

La société Promens France anciennement dénommée Bonar Plastics France a relevé appel des jugements des 7 mai et 19 novembre 2008.

Aux termes de ses dernières écritures signifiées le 2 février 2010 auxquelles il est renvoyé pour exposé de ses moyens, elle sollicite la réformation des deux décisions déférées et demande à la cour de :

- débouter la société Defontaine de sa demande de résiliation de la vente des lots litigieux,

- la condamner à lui payer 31 840 euro, avec intérêts au taux légal à compter du 3 décembre 2003,

- subsidiairement, au cas où la cour confirmerait le jugement en ce qu'il a résilié la vente, lui donner acte de ce qu'elle s'en rapportera à justice quant à la somme de 5 236, 88 euro,

- déclarer mal fondée la société Defontaine en sa demande en paiement de 40 359 euro,

- la condamner à lui payer 4 000 euro en indemnisation des frais irrépétibles,

- débouter la société Defontaine de sa demande fondée sur l'article 700 du Code de procédure civile et, subsidiairement, réduire dans une importante proportion l'indemnité lui revenant à ce titre.

Elle conteste l'existence d'un vice caché affectant les intercalaires, faisant valoir que les défectuosités étaient apparentes et que le vice allégué est dénué de gravité, aucun intercalaire n'ayant été rompu et aucun client n'ayant formé de réclamation.

Elle oppose à la société Defontaine la clause des conditions générales de vente relatives à la garantie.

Elle en déduit que la résiliation n'est pas justifiée et qu'elle doit être payée du prix des intercalaires litigieux.

Subsidiairement, dans l'éventualité où la cour confirmerait le jugement en ses dispositions relatives à la résiliation, elle déclare s'en rapporter à justice sur la demande en paiement de 5 236, 88 euro et sollicite le rejet de la demande en paiement de dommages-intérêts qu'elle estime non justifiée.

Aux termes de ses dernières écritures signifiées le 22 février 2010, la société Defontaine conclut à la confirmation des jugements des 7 mai et 19 novembre 2008 et à la condamnation de la société Promens à lui payer 5 236,88 euro HT en restitution du prix et 40 359 euro à titre de dommages-intérêts, lesdites sommes avec intérêts au taux légal à compter du 7 mai 2008 et capitalisation des intérêts, ainsi que 3 000 euro au titre des frais irrépétibles de première instance et 5 000 euro au titre des frais de même nature exposés devant la cour.

Elle soutient que les conditions d'application des articles 1641 et suivants du Code civil sont réunies, le vice affectant les intercalaires étant caché et grave.

Elle fait valoir que n'étant pas un professionnel de la plasturgie, la société Promens ne peut lui opposer la clause limitative de garantie insérée aux conditions générales de vente.

Elle expose que, compte tenu de factures impayées au titre d'autres pièces, après compensation, la société Promens lui doit 5 236, 88 euro HT.

Elle considère que sa demande en paiement de dommages-intérêts est justifiée en son montant.

L'instruction de l'affaire a été déclarée close le 4 mars 2010.

DISCUSSION ET MOTIFS DE LA DECISION

- sur le vice caché

Que, selon l'article 1641 du Code civil, le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine, ou qui en diminuent tellement cet usage, que l'acheteur ne l'aurait pas acquise, ou n'en aurait donné qu'un moindre prix, s'il les avait connus ;

Que le litige porte sur des intercalaires livrés à la société Defontaine par la société Bonar Plastics entre avril et septembre 2003, le nombre d'intercalaires livrés s'élevant à 149 464;

Que l'expert a examiné des pièces provenant de chaque lot et constaté qu'elles présentaient toutes des défauts sous forme de rupture dans la zone de décollement matière, à l'exception d'un lot dont le pourcentage de pièces fissurées était limité à 14, 3 % ;

Qu'il a donné l'avis que ces ruptures étaient dues à une mauvaise optimisation des paramètres de moulage par la société Bonar Plastic qui avait conduit :

- soit à une mauvaise qualité de la ligne de recollement matière, provoquant une fragilité de la pièce dans cette zone,

- soit à des contraintes résiduelles excessives emprisonnées dans la pièce lors du moulage, ce qui provoque une rupture dans la partie la plus fragile,

- soit aux deux phénomènes simultanément ;

Qu'il a précisé que ces ruptures étaient la cause d'une dégradation des caractéristiques mécaniques des intercalaires ;

Que si les moules servant à la fabrication avaient été fournis par la société Defontaine qui en assurait l'entretien, il ne ressort pas du rapport d'expertise que les défauts affectant les quatre lots incriminés avaient pour cause l'usure des moules ou encore des coulures, bavures et bulles antérieurement apparus et auxquels il avait été remédié ;

Qu'il suit de là que les intercalaires achetés par la société Defontaine étaient affectés de défauts ;

Que l'expert a noté qu'il était fréquent de voir nettement la ligne de soudure sur des pièces moulées, sans que cela soit le signe d'une mauvaise qualité de recollement matière ;

Qu'il s'ensuit que la défectuosité était cachée lorsque les intercalaires ont été vendus à la société Defontaine ;

Que l'expert ayant retenu que, même si aucun des clients de la société Defontaine ne s'était plaint au moment de l'expertise, le risque de rupture des roulements à bille existait ;

Que s'il s'ensuit que le défaut affectant les intercalaires est un défaut grave les rendant inaptes à leur usage normal dans la mesure où il résulte une potentialité de rupture des roulements à bille ;

Que les conditions d'application de l'article 1641 du Code civil sont donc réunies ;

Que les clauses restrictives de garantie ne sont valables qu'entre professionnels de la même spécialité ;

Que la société Defontaine, fabricant de roulement à billes, n'est pas un professionnel de la même spécialité que la société Bonar Plastics, spécialiste de la plasturgie ;

Que la société Promens aux droits de la société Bonar Plastics ne peut donc opposer à la société Defontaine la clause de ses conditions générales de vente selon laquelle en cas de défectuosité des marchandises sa responsabilité est limitée au remplacement pur et simple et nombre pour nombre des pièces reconnues défectueuses, sans aucuns dommages-intérêts et sans qu'elle ait à supporter d'autres frais ;

b) sur la restitution du prix

Que les conditions d'application de l'article 1641 du Code civil étant réunies, la résolution de la vente des intercalaires litigieux doit être prononcée ;

Que, par conséquent, la demande en paiement du prix formée par la société Promens ne peut aboutir ;

Que, selon l'état des paiements établi par la société Bonar Plastics, le montant facturé à la société Defontaine au titre de l'ensemble des produits livrés, y compris des produits non contestés, s'élève à 50 771, 89 euro HT et le montant réglé par la société Defontaine à 24 168, 71 euro HT, d'où un solde impayé de 26 603, 12 euro HT ;

Que la résolution de la vente mettant à néant la facturation desdits intercalaires à hauteur de 31 840 euro HT, il convient de condamner la société Promens à payer à la société Defontaine 5 236,88 euro HT représentant la différence entre le prix de vente et le solde demeurant dû par la société Defontaine, avec intérêts au taux légal à compter du 7 mai 2008 et capitalisation des intérêts conformément aux dispositions de l'article 1154 du Code civil ;

c) sur les dommages-intérêts

Qu'il résulte de l'article 1645 du Code civil que si le vendeur connaissait les vices de la chose, il est tenu de tous les dommages-intérêts envers l'acheteur ;

Que la société Promens France aux droits de la société Bonar Plastics, fabricant des intercalaires et vendeur professionnel, étant réputée connaître les vices des produits qu'elle fabrique et commercialise, elle doit indemniser l'entier préjudice subi par la société Defontaine ;

1°) sur la demande en paiement de 20 038 euro au titre des frais de remplacement des intercalaires montés sur des couronnes en attente de vente

Que la société Defontaine explique que cette somme correspond au coût d'intervention de son personnel d'atelier pour remettre en état 233 roulements ;

Qu'elle ne justifie pas avoir versé des heures supplémentaires à son personnel ou encore n'avoir pu faire face à d'autres commandes en raison de l'affectation de son personnel à la remise en état des roulements en cause ;

Que ce chef de demande ne peut prospérer ;

2°) sur la demande en paiement de 5 435 euro au titre du traitement des intercalaires montés sur des roulements déjà livrés à des clients, avec risque humain

Que cette somme correspond aux frais du personnel mobilisé pour traiter le problème et aux frais de déplacement en Allemagne du directeur commercial ;

Que, pour les mêmes motifs que plus haut, il n'est pas justifié d'une rémunération supplémentaire de messieurs Mauvilain et Haye non plus qu'une perte financière due à l'impossibilité de les affecter à d'autres tâches pendant qu'ils traitaient le dossier, c'est-à-dire pendant qu'ils organisaient le démontage-remontage des couronnes ou qu'ils prenaient contact avec les clients pour assurer la relation commerciale;

Que les frais de déplacement en Allemagne sont justifiés et seront indemnisés à concurrence de la dépense exposée de 1 616 euro ;

3°) sur la demande en paiement de 2 730 euro au titre des frais de transports des pièces rapatriées en usine pour procéder au changement de billes.

Que les intercalaires litigieux ayant été livrés à la société Defontaine à partir d'avril 2003, il n'est nullement incohérent qu'ils aient été montés sur des couronnes en juillet 2003 ;

Que la demande, en lien avec le sinistre, est justifiée à hauteur de 2 730 euro ;

4°) sur la demande en paiement de 8 143 euro au titre des frais de voyage et d'intervention de monsieur Mauvillain en Inde pour changer des billes sur des éoliennes.

Que, pour les mêmes motifs que ceux énoncés plus haut, le fait que les couronnes aient été montées en juillet 2003 n'est pas anormal, les intercalaires défectueux ayant été livrés à la société Defontaine à partir d'avril 2003 ;

Que le sapiteur a relevé que les bulletins de salaire de monsieur Mauvillain, qui s'est rendu en Inde en décembre 2003 pour changer des billes sur des éoliennes, font état d'heures supplémentaires ou complémentaires ;

Qu'il convient donc de faire droit à la demande formée à ce titre qui inclut les frais de déplacement et de voyage en Inde pour un montant de 8 143 euro ;

5°) sur la demande en paiement de 4 013 euro au titre des frais d'analyse et de laboratoire ;

Que, compte tenu de la technicité du produit, les frais du laboratoire extérieur auquel la société Defontaine a dû avoir recours pour examiner des intercalaires préalablement à l'engagement de la procédure doivent être mis à la charge de la société Promens pour leur montant de 1 291 euro ;

Qu'en revanche, le contrôle opéré en interne par la société Defontaine doit demeurer à sa charge dès lors que la société dispose d'un tel service qui a précisément pour mission de procéder à des examens des pièces qu'elle reçoit ;

Qu'en définitive, il revient à la société Defontaine 13 780 euro à titre de dommages-intérêts, avec intérêts au taux légal à compter du 7 mai 2008 et capitalisation des intérêts en application de l'article 1154 du Code civil ;

d) sur l'article 700 du Code de procédure civile

Qu'en indemnisation des frais de procédure non inclus dans les dépens exposés tant en première instance qu'en cause d'appel, il convient d'allouer à la société Defontaine une somme de 5 000 euro ;

Par ces motifs : Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort : Infirmant partiellement les jugements déférés : Déboute la société Promens de sa demande en paiement du prix des intercalaires ; Condamne la société Promens France anciennement dénommée Bonar Plastics France à payer à la société Defontaine : - 5 236, 88 euro HT au titre de la restitution du prix, - 13 780 euro à titre de dommages-intérêts, lesdites sommes avec intérêts au taux légal à compter du 7 mai 2008 et capitalisation des intérêts conformément aux dispositions de l'article 1154 du Code civil ; - 5 000 euro en indemnisation des frais irrépétibles ; Confirme le jugement en ses dispositions non contraires ; Condamne la société Promens France aux dépens de première instance, incluant les frais de référé et d'expertise judiciaire, et d'appel et dit que ceux d'appel pourront être recouvrés directement conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.