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Décisions

CA Aix-en-Provence, 5e ch., 27 septembre 2011, n° 2011-330

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

M.

Défendeur :

Ministère public, MP (SARL), L

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Coleno

Conseillers :

Mme Del Volgo, M. Chalbos

Avocats :

Mes Mattei, Fortune, Astier, Le Roux

T. corr. Marseille, du 11 oct. 2006

11 octobre 2006

RAPPEL DE LA PROCÉDURE:

LA PRÉVENTION:

Aux termes d'une ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel du 7 novembre 2005, Claude M était prévenu d'avoir à Marseille en tout cas sur le territoire national, courant 2003, depuis temps non prescrit, par quelque moyen que ce soit, même par l'intermédiaire d'un tiers étant partie ou non au contrat, trompé la SARL MP représentée par son gérant Bruno L, sur la nature, les qualités substantielles, la composition, l'identité de la chose livrée, l'aptitude à l'emploi de marchandises, en l'espèce en livrant, en exécution d'une convention sous seing privé en date du 14 octobre 2003 emportant cession de deux fermes aquacoles à la société MP dont la production est labellisée en Label Rouge, un stock de poissons dont il est apparu, par la suite, qu'une partie importante était affectée de malformation et ne pouvait, en conséquence bénéficier du label ci-dessus mentionné, faits prévus et réprimés par les articles L. 213-1, L. 216-l et L. 216-3 du Code de la consommation ;

Cette décision trouvait son origine dans une plainte avec constitution de partie civile déposée le 12 juillet 2003 par Bruno L agissant au nom de la SARL MP dont il est le gérant, à raison de la dissimulation par le prévenu, en sa qualité de représentant légal des sociétés cédantes, les sociétés ICM SA et Godamar PSI SA, mais également président du syndicat national de l'aquaculture marine méditerranée, de la présence de quantités importantes de poissons affectés de malformations dans les stocks de deux fermes aquacoles dont la production est labellisée en Label Rouge, exploitées par les sociétés A SA, et T dont la SARL MP avait acquis les actions et parts sociales suivant protocole d'accord du 14 octobre 2003. Cette plainte, très argumentée en 22 pages, était déposée des chefs d'escroquerie, tromperie sur les qualités substantielles et utilisation frauduleuse d'un label agricole.

Le Tribunal correctionnel de Marseille a statué par un jugement du 11 octobre 2006 qui a été régulièrement frappé d'appel par la partie civile et le ministère public.

Par un premier arrêt du 27 février 2008, la Cour de céans, 5e chambre, faisant droit aux réquisitions en ce sens du ministère public, a annulé ce jugement aux motifs que la détermination de la saisine du juge du fond appartient à l'ordre public puisqu'elle touche à la compétence et intéresse également les droits de la défense, que le tribunal saisi d'un réquisitoire introductif des chefs d'escroquerie et tromperie ou fraude sur l'origine ou les qualités substantielles d'une marchandise, infractions en concours mais procédant d'une violation cumulative d'intérêts distinctement protégés, le juge d'instruction, qui contrairement à ce qu'avait noté le tribunal n'avait pas prononcé de non-lieu partiel, n'avait pas vidé sa saisine, que le tribunal aurait dû constater cette omission et, faisant application de l'article 385 alinéa 2 du Code de procédure pénale, que faute de l'avoir fait, sa décision devait être annulée par application de l'article 520 du Code de procédure pénale.

La Cour, évoquant, a transmis le dossier de la procédure au ministère public aux fins de saisine du juge d'instruction, et renvoyé l'examen de l'affaire au fond à l'audience du 16 septembre 2008.

Sur pourvoi de Claude M, le président de la chambre criminelle de la Cour de cassation, constatant que le demandeur au pourvoi n'avait pas déposé la requête visée aux articles 570 et 571 du Code de procédure pénale, a le 10 avril 2008 ordonné qu'il soit fait retour de la procédure à la juridiction saisie.

La cour a été saisie de nouveau par une ordonnance du juge d'instruction du 9 janvier 2009.

Par un arrêt du 26 mai 2009, la cour, faisant droit à l'exception de nullité soulevée par Claude M, a:

- constaté qu'il avait été statué sur la recevabilité des appels dans l'arrêt du 27 février 2008,

- annulé l'ordonnance de renvoi rendue le 9 janvier 2009 aux motifs :

- que l'ordonnance du 7 novembre 2005, qui renvoie Claude M devant la juridiction correctionnelle du chef de tromperie, adopte sans autre motivation les motifs du réquisitoire définitif du 21 octobre 2005,

- que l'ordonnance du 9 janvier 2009 qui renvoie Claude M à nouveau du chef de tromperie mais aussi des chefs d'escroqueries et d'utilisation d'un label agricole non homologué et qui se réfère seulement au réquisitoire définitif du Ministère public du 6 novembre 2008 nullement motivé, n'énonce pas les éléments à charge et à décharge concernant le mis en examen,

- et de la sorte ne répond pas aux exigences imposées :

- par l'article 184 du Code de procédure pénale tel qu'issu de la loi du 5 mars 2007 entrée en vigueur le 1er juillet 2007,

- et à celles de l'article 63 de la convention EDH sur le droit pour le justiciable d'être informé de manière détaillée de la nature et de la cause de l'accusation,

- ainsi qu'à celles de l'article préliminaire du Code de procédure pénale sur le droit de toute personne suspectée ou poursuivie, d'être informée suries charges retenues contre elle,

- renvoyé le Ministère public à mieux se pourvoir en saisissant à nouveau le juge d'instruction aux fins de régularisation de la procédure.

L'acte annulé a été retiré du dossier de la procédure.

Par une ordonnance du 18 décembre 2009 le juge d'instruction a ordonné le renvoi du dossier de la procédure devant la juridiction correctionnelle à raison de l'existence de charges suffisantes contre Claude M d'avoir à Marseille, en tout cas sur le territoire national, courant 2003 et en tout cas depuis, temps non prescrit,

- en l'espèce dans le cadre d'une cession de fermes aquacoles, fait état, au travers d'une communication écrite et verbale volontairement tronquée, d'une caractéristique fausse du stock de poisson faisant partie de l'actif des entités cédées, trompé la SARL MP prise en la personne de son dirigeant Bruno L pour la déterminer à remettre des fonds, valeurs ou biens quelconques en l'espèce la valeur des poissons,

faits prévus et réprimés par les articles 313-1, 3 13-3, 3 13-7 et 3 13-8 du Code pénal,

- en abusant de la qualité vraie de président d'un syndicat professionnel intervenant dans le référentiel "Label Rouge", trompé la SARL MP pour la déterminer à remettre des fonds, en l'espèce la valeur de la cession portant sur deux fermes aquacoles,

faits prévus et réprimés par les articles 3 13-1, 3 13-3, 3 13-7 et 3 13-8 du Code pénal,

- usé frauduleusement d'un label agricole ou une certification en l'espèce le "Label Rouge" appliqué à des poissons, faits prévus et réprimés par les articles L. 115-24 et L. 213-l du Code de la consommation ;

C'est l'acte qui saisit la cour.

DECISION:

EN LA FORME,

Attendu que Claude M, régulièrement cité, comparaît assisté de ses avocats qui ont déposé des conclusions ;

que la SARL MP prise en la personne de Maître Astier, mandataire judiciaire, est représentée par son avocat qui a déposé des conclusions en leurs noms ainsi que celui de Bruno L, ancien gérant majoritaire de la SARL qui déclare intervenir volontairement à l'instance devant la cour;

qu'il sera statué par arrêt contradictoire à l'égard de toutes les parties ;

AU FOND,

RAPPEL DES FAITS :

Suivant protocole d'accord du 14 octobre 2003, les sociétés ICM SA au capital de 19 500 000 euro à Courbevoie et Godamar PSI SA au capital de 5 715 000 euro à Saint-Raphaël, agissant "pour le compte de leurs filiales" A SA au capital de 300 000 euro à Puget-sur-Argens et T SARL au capital de 115 000 euro à Mandelieu, se sont engagées à céder à la SARL MP qui s'est engagée à acheter l'ensemble des actions de la société A et des parts sociales de T moyennant un prix global de 5 184 000 euro payable en 72 mensualités de 72 000 euro comprenant le capital, soit 504 000 euro d'actions et 72 000 euro de parts sociales, et le rachat des comptes courant que détiennent les sociétés venderesses dans leurs filiales, soit 2 592 000 euro de ICM dans A et 2 016 000 euro de Godamar PSI dans T.

La SARL MP se plaint d'avoir découvert, en entrant dans les lieux, que 253,10 tonnes sur les 800 tonnes de poissons qui faisaient les stocks des deux sites, soit 30 % du total, ne peuvent pas être vendues sous le Label Rouge parce que provenant d'une écloserie dénommée Aqua Hellas créée par M à Antibes mais ensuite transférée en Grèce dont il était apparu le 26 octobre 2001 que les géniteurs étaient affectés d'un taux très important de malformations les rendant non conformes au référentiel Label Rouge et excluant donc leur commercialisation sous ce label.

Les manœuvres frauduleuses qu'elle invoque sont les suivantes :

- l'exposé du périmètre de l'accord qui est fait en préambule de la convention précise que A et T exploitent en mer deux sites de production aquacoles, outre la première une unité de conditionnement à Puget-sur-Argens, que "la production de ces deux sociétés est labellisée en "Label Rouge", lequel label a été obtenu après des démarches, procédures longues et coûteuses et une adaptation des matériels, procédures de l'entreprise. Cette démarche "qualité" permet aujourd'hui une production à valeur ajoutée forte et un positionnement sur le marché tout à fait particulier".

1ère non-conformité :

- un document sous la forme d'un fax date du 26 octobre 2001 émanant de Aqua Hellas et annoté à la main de la part de Claude M fait apparaître des taux de malformations importantes élevées chez des géniteurs Label Rouge, de 9,52 et 12,64 % ;

2ème non-conformité:

(Son exposé suppose de présenter auparavant, brièvement, deux personnes morales qu'elle fait intervenir :

Le syndicat national de l'aquaculture marine méditerranée (ci-après Snamm) est une association loi 1901 dont l'objet est de promouvoir la filière loup et daurade ainsi que toute autre production aquacole et notamment faire toutes les démarches nécessaires à la procédure de certification Label Rouge du loup d'élevage. Elle compte six membres actifs dont cinq fondateurs parmi lesquels A, Godamar et T.

Qualité France (ex BVQI France, Bureau Veritas Quality International, ci-après BVQI pour les besoins de l'exposé) est une société anonyme immatriculée en 2002 dont l'activité est la certification et le contrôle de produits notamment agroalimentaires. C'est une filiale de Bureau Veritas, elle dispose d'une accréditation Cofrac.)

- le 16 novembre 2001, le Snamm avait signalé à BVQI que 190 000 alevins livrés par Aqua Hellas présentaient des non-conformités au référentiel ; plus précisément, le Snamm y explique avoir dû acquérir des lots d'alevins standards pour faire face à un déficit d'approvisionnement issu du transfert de l'écloserie d'Antibes à la Grèce, par effet de stress sur les géniteurs, sans prendre garde à une clause du référentiel imposant une production exclusivement sous label que le Snamm juge injustifiée dans ce courrier ;

- le coordinateur-qualité entre le Snamm et l'exploitant, M.NEVEU, demandait que ces alevins puissent néanmoins être commercialisés comme bars standards, sans le label, à quoi BVQI répondait le 22 novembre 2001 que le comité de certification donnait son autorisation mais à titre exceptionnel et unique, refusant toutefois comme le demande le Snamm de modifier l'élément de la page 5 du référentiel Label Rouge selon lequel les opérateurs Label Rouge "ne produisent et conditionnent en bar que la qualité Label Rouge" (page 5 du référentiel, point l-3) ;

3ème non-conformité :

- le 16 octobre 2002, le Snamm écrit à Aqua Hellas pour lui notifier qu'elle suspend son affiliation du Label Rouge (D. 35/2); cette décision est justifiée par "les difficultés d'obtenir les réponses aux questions qui vous ont été posées (et) à titre de prudence" ; selon la déposition du responsable de BVQI, les responsables grecs avaient sans cesse repoussé les rendez-vous aux fins de contrôle ;

- le 16 octobre 2002 encore, le Snamm écrit à BVQI pour l'en informer et lui demande "de stopper toute planification de visite, avant de plus amples informations" (D. 36/2);

-BVQI effectue le 21 octobre 2002 un contrôle à la ferme de T relevant des anomalies notamment documentaires ainsi que des malformations et induisant un approfondissement d'enquête selon le plaignant, une vigilance particulière selon l'audition du responsable BVQI; il faut cependant noter que ce même rapport conclut favorablement au maintien de l'habilitation en relevant le suivi excellent de la traçabilité et le caractère réel des paramètres d'élevage - page 7/7) ;

- le 25 novembre 2002, BVQI notifie au Snamm la suspension de l'habilitation de l'opérateur Aqua Hellas, (D. 37/2)

A son initiative et malgré les réticences de Claude M qui se prévaut dans un premier temps du non-respect des délais et du caractère forfaitaire mentionné au protocole, BVQI intervient les 18 et 19 décembre 2003, apparemment dans le cadre de l'expertise contradictoire contractuelle, dont les rapports révèleront les circonstances ci-dessus ainsi que l'existence de non-conformités des stocks issus des livraisons de cette écloserie : celle-ci mentionne sur ses documents un taux de malformation inférieur à 5 % alors que les radios quand elles sont présentes font apparaître des taux très supérieurs jusqu'à 23 %, mais la documentation sur la traçabilité des alevins est incomplète (1132/27 et 29), les contrôles de conformité ne sont pas effectués ni encadrés avec rigueur ; ces rapports concluront aux mois de janvier et février2004 à un déclassement immédiat de tous les lots en provenance de Aqua Hellas pour les années 2001 et 2002, conclusions qui ne seront pas contestées par les cédants. Le responsable de BVQI précise dans son audition (1151) que le contrôle avait constaté qu'il manquait des pièces susceptibles d'établir que tous les contrôles internes prévus par le cahier des charges avaient été effectivement réalisés par les responsables de ces fermes.

Selon les termes de la plainte et quoiqu'elle ne le présente pas ainsi, ce ne serait apparemment que le 1er décembre 2003 que serait exprimé par M. Neveu, coordinateur qualité Snamm mais en même temps responsable d'exploitation de T, dans un certificat, qu'au 31 octobre 2003, les stocks des sociétés cédées sont jugés conformes au référentiel "à la seule exception des lots notés "$" à T et "S" à A".

Cela représenterait 40,3 tonnes selon la cote D. 22/6, et cela correspond aux termes des courriers du 16 novembre 2001 en D. 26/2 et D. 27/2, lesquels termes se retrouvent selon Claude M dans l'annexe D. 20/8 ci-après et l'appellation "déclassé", tandis que le Snamm attestait que les stocks de bars "n'ont fait l'objet d'aucune non-conformité lors des différents audits et contrôles effectués par l'organisme certificateur Qualité France".

Sur les stocks, le protocole, qui comporte un engagement d'information étendu de la part du vendeur, contient les stipulations suivantes :

- évaluation des sociétés : " il est convenu que la valeur de chaque société est déterminée par le prix de ses immobilisations auquel s'ajoute la valeur des stocks sur la base d'un inventaire à vérifier contradictoirement par les parties et au plus tard le 31 décembre 2003"

les immobilisations sont évaluées à 600 000 euro et le stock à 3 900 000 euro ;

- évaluation de l'actif des sociétés, valeur d'exploitation: " les stocks sont valorisés de la manière suivante : la société A et la société T procèdent depuis toujours et de manière très rigoureuse à une évaluation du nombre de poissons (...) le tonnage des poissons en stock est donc un élément suivi et connu. À la date de la cession, les évaluations faites par les sociétés A et T sont de ± 800 tonnes avec une marge de ±10 %. Il est convenu par les parties que si la marge de 10 % venait à être dépassée dans le cadre de l'inventaire contradictoire, une révision du prix interviendrait au prorata de l'écart constaté sur l'inventaire contradictoire. La valeur du stock est déterminée par le tonnage de poissons, estimé dans ces conditions. Le vendeur et l'acquéreur, sur une base de 800 tonnes évaluent à 4,87 euro HT le kg si cette clause devait être appelée".

- procédures de vérification : "la valeur des stocks étant déterminée de manière forfaitaire, il est convenu entre les parties qu'aucun recours de l'acquéreur n'est possible contre le vendeur. L'acquéreur fera son affaire de la vérification des stocks "poissons" en qualité et en quantité entre la date de signature des présentes et au plus tard le 30 novembre 2003. Le comptage et le contrôle qualité se fera d'une manière contradictoire, chaque partie pouvant se faire assister d'experts à leur charge."

La partie civile ajoute qu'un an auparavant, le 22 octobre 2002, les parties s'étaient liées par une convention de distribution exclusive dans laquelle, en son article 1, il était stipulé que "MP prend acte que la totalité de la production est produite dans le respect du cahier des charges Label Rouge ".

Il convient de noter qu'à cette convention est jointe une annexe 1 D. 20/8, tarif d'achat de la production, qui se présente comme visé par Bruno L à la date du 15 janvier 2003, qui mentionne trois rubriques "produits non labellisés", "produits Label Rouge", et une autre "produits classe B déclassé" concernant toutes trois des bars.

La partie civile indique qu'elle n'avait constaté aucune anomalie, et souligne la précipitation imposée à la vente par M alors qu'en 2002, il avait été prévu une acquisition progressive.

Claude M déclare que l'acquéreur cherche à échapper au paiement du prix, que la procédure contradictoire et son échéance n'ont pas été respectées, qu'il a cessé toute acquisition d'alevins auprès d'Aqua Hellas lorsqu'il a décidé de la déclasser au rebours de ses intérêts capitalistiques puisqu'il y est associé minoritaire, qu'il avait cessé d'ailleurs toute acquisition car il souhaitait vendre, que les défauts de conformité constatés sont le fruit de l'évolution des poissons depuis leur livraison -l'élevage les conduit jusqu'à l'âge de 5 ans - que lorsqu'ils les a vendus ils étaient bien Label Rouge puisqu'ils n'étaient pas encore déclassés.

De l'audition du responsable BVQI, il ressort que le 19 septembre 2003, MP avait fait une réclamation sur du poisson malformé (D. 32/76 à 32/80) qui avait conduit à son déclassement; selon lui, il est possible que les constatations alors faites aient concerné ce qui sera ensuite constaté, pour des poissons parvenus à maturité vers la fin de l'année 2003. Il ajoute que c'est 100 % d'une tranche d'âge qui s'est trouvée déclassée.

La partie civile a déposé un document complémentaire, en l'occurrence un rapport de BVQI sur Aqua Hellas du 15 mai 2002 concluant que l'opérateur n'est pas conforme aux exigences du référentiel ; cependant, ce que la partie civile ne souligne pas c'est d'une part que cette conclusion est associée à l'expression codée d'écarts, d'autre part qu'en page 7 sur 7 de ce même rapport (D.96), l'avis du contrôleur est favorable au maintien de l'habilitation, nonobstant "quelques difficultés persistantes mais néanmoins en progression".

II est constant que le processus d'élevage et de pêche comporte un risque, la labellisation définitive, qui comporte une traçabilité, s'achevant sur le poisson une fois pêché, après examen de celui-ci, soit 4 à 5 % de déchet selon la partie civile.

Un audit avait été réalisé avant la transaction et pour les besoins de celle-ci, qui comportait un examen des stocks, que l'auditeur a considéré comme surévalués, vieux, insuffisamment renouvelés pour l'avenir et les besoins d'une commercialisation constante, signalant en outre la présence de lots à croissance anormale ou atypique, des pertes importantes sur les cages commercialisées (-33 %), des incohérences documentaires sur les stocks, soulignant que "dans le cas où le prix moyen supérieur à 4,10 euro le kg devait être revu à la hausse dans des proportions importantes, il faudrait s'entourer de garanties particulières (...) sur les risques liés à des taux anormaux de poissons non conformes". Y est également notée une insuffisance de formation du personnel généralisée à tous les niveaux hiérarchiques sur le système qualité label.

Au dossier figure une procédure de faux témoignage selon laquelle Claude M aurait essayé de faire établir une fausse attestation contre MP. Le bulletin numéro 1 du casier judiciaire de l'intéressé fait apparaître, ce qu'il confirme à l'audience devant la cour, qu'il a été condamné de ce chef.

MOYENS DES PARTIES:

Attendu qu'aux termes de leurs conclusions, la SARL MP, Maître Astier et Bruno L demandent à la cour de déclarer Claude M coupable des délits qui lui sont reprochés et de le condamner au paiement :

- à Maître Astier ès-qualité de la somme de 553 892 euro représentant son préjudice financier net après prise en compte d'une part du préjudice financier global subi par la SARL MP à concurrence d'un montant de 4 009 892 euro et d'autre part du solde dû par elle sur le prix de cession à concurrence de 3 456 000 euro, outre 30 000 euro par application de l'article 475-1 du Code de procédure pénale,

-à Bruno L la somme de 500 000 euro en réparation de son préjudice moral, outre celle de 30 000 euro par application de l'article 475-1 du Code de procédure pénale, soutenant notamment et en référence à une consultation juridique que le prévenu s'est rendu coupable, à son préjudice, d'une escroquerie par manœuvres frauduleuses en taisant volontairement qu'une grande partie des poissons ne pouvaient être labellisés après avoir bloqué la procédure de contrôle du bureau Veritas et en affirmant au contraire des qualités que ceux-ci n'avaient pas, mais également par abus de la qualité vraie de président du syndicat professionnel indissociable de l'activité de vendeur de marchandises labellisées ;

Attendu que le Ministère public requiert la déclaration de culpabilité et le prononcé de peines de 10 mois d'emprisonnement avec sursis, amende et publicité ;

Attendu qu'aux termes de ses conclusions, Claude M conclut à sa relaxe et subsidiairement au rejet de la demande de dommages-intérêts dont l'évaluation est proposée sur la base d'un rapport non contradictoire commandé par elle à CBA, soutenant notamment, sur l'escroquerie que MP savait qu'il existait dans le stock 40 tonnes de bars standards, que pour les 210 tonnes supplémentaires de poissons qui ont été élevés dans le strict respect du cahier des charges, il n'avait pour sa part, au moment de la transaction aucun moyen de déterminer que ces stocks seraient déclassés alors que le label n'est attribué qu'au moment du conditionnement du poisson, que les rapports de BVQI n'ont jamais relevé la moindre anomalie sur ces poissons, que l'inventaire prévu au contrat aurait permis d'identifier les bars standards et d'évaluer la valeur du stock, qu'en laissant à la disposition de l'acquéreur des documents faisant apparaître l'existence au sein de Aqua Hellas d'un taux élevé de géniteurs affectés de malformation, il n'a manifestement pas usé de manœuvres frauduleuses que c'est d'ailleurs lui qui a organisé le retrait d'habilitation de Aqua Hellas, que par le contrat exclusif de vente du mois d'octobre 2002 la cessionnaire était sur le site, avait accès à toutes les informations sur la qualité de la production qu'elle commercialisait et avait acquis une connaissance parfaite des stocks et leurs documents administratifs, qu'elle avait par surcroît fait réaliser une étude complète des entreprises en vue de leur achat qui comportait un examen des stocks et de la situation de l'entreprise vis-à-vis de sa certification, l'expert ayant même eu accès aux rapports périodiques de BVQI, que le prix moyen estimé à 5,63 euro au kilo par l'expert a précisément donné lieu à une proposition de valorisation à 4,10 euro pour prendre en compte les risques liés à des taux qualifié anormaux de poissons non conformes, qu'aucune des incriminations de l'article L. 115-24 du Code de la consommation n'est ici caractérise, sur le délit de tromperie, que celui-ci qui ne vise que "toutes marchandises" n'est pas applicable à. une cession de droits incorporels, qu'aucune clause du protocole ne fait référence au Label Rouge, qu'en outre l'élément intentionnel n'est pas établi à sa charge à raison d'une défaillance imputable à Aqua Hellas ;

MOTIFS DE LA DECISION :

Sur l'action publique:

1- Sur la culpabilité,

Attendu, sur l'escroquerie, que les faits ci-dessus exposés doivent être considérés comme établissant suffisamment d'une part que Claude M a, dans le cadre de la cession des parts et actions des deux sociétés commerciales exploitant les fermes aquacoles, affirmé par écrit que la totalité de leurs stocks de poissons, qui en font la valeur d'exploitation essentielle, étaient produits dans le respect du référentiel Label Rouge ainsi qu'il résulte des termes express de l'exposé du périmètre de la convention, d'autre part que cette affirmation aurait mérité à tout le moins une réserve et en tout cas une information particulière en considération du retrait d'habilitation apparu un an seulement auparavant de l'écloserie Aqua Hellas auprès de laquelle les deux fermes aquacoles s'étaient approvisionnées en alevins, alors que la labellisation implique le respect du référentiel à tous les stades de la production et que l'écloserie Aqua Hellas, qui avait connu depuis un an des productions affectées de malformations importantes, s'était, après le mois de mai 2002, soustraite aux contrôles de BVQI, ce qui impliquait un risque particulier ;

mais attendu qu'il n'y aurait là qu'un mensonge à tout le moins une réticence, qui doivent être considérés l'un et l'autre comme délibérés dans la mesure où Claude M, promoteur de la démarche de labellisation et animateur de son application, qui en connaissait l'ampleur des exigences, n'a pas pu ignorer le risque qu'impliquait l'attitude d'obstruction de l'écloserie grecque, d'autant moins que le fax du 26 octobre 2001 démontre qu'il avait été informé personnellement des difficultés rencontrées par Aqua Hellas et des taux élevés de malformations importantes de sa production ;

Attendu que, même écrit, le mensonge ne suffit pas à caractériser le délit d'escroquerie, s'il n'est associé à un élément extérieur telle une manœuvre propre à lui donner force et crédit ;

or il n'en apparaît pas des faits de la cause ;

qu'en particulier, la demande faite par écrit à BVQI par Claude M le 16 octobre 2002 "de stopper toute planification de visite, avant de plus amples informations" accompagne l'information donnée par le Snamm de la décision de suspension d'habilitation de l'écloserie grecque et concerne logiquement les visites du site Aqua Hellas, qui par définition n'ont plus lieu d'être, et non pas les contrôles sur les fermes aquacoles ;

que c'est bien ainsi que l'entend BVQI dans sa réponse du 25 novembre 2002, qui précise que pour lever la suspension de cet opérateur, le Snamm devra en faire la demande formelle afin qu'un nouvel audit initial d'habilitation par BVQI soit programmé ;

qu'au reste, il résulte des pièces versées aux débats que le 22 octobre 2002, et donc postérieurement à la demande considérée, BVQI a effectué un contrôle à la ferme de T ;

Attendu que le cas de la partie des stocks, relativement faible celle-là puisque de l'ordre de 40 tonnes, qui ne relevait pas du label mais pour laquelle une autorisation exceptionnelle avait été donnée par le comité de certification, n'est pas foncièrement différent en termes de mensonge sur le caractère labellisable de la production mais n'ajoute pas au précédent pour la caractérisation du délit ;

Attendu, sur l'abus de qualité vraie, qu'il n'est pas démontré que la fonction de président du Snamm qu'occupait Claude M ait été véritablement de nature à inspirer une confiance particulière à l'acquéreur, dans le contexte de l'espèce où ni la nature de ce syndicat tel qu'il est composé - essentiellement des vendeurs eux-mêmes - ni son degré d'indépendance par rapport aux vendeurs eux-mêmes, sinon même son extériorité véritable, ne pouvaient faire illusion auprès de lui, encore moins de manière déterminante là où l'audit auquel MP avait fait procéder avant d'acquérir faisait apparaître de très sérieuses défaillances dans l'aptitude des deux fermes dont le même avait été le créateur à assurer la mise en œuvre du référentiel, outre l'absence singulière de toute écloserie en rapport d'affaire, tous éléments qui n'étaient pas de nature à lui conférer une réelle crédibilité particulière aux yeux de MP et par conséquent à donner spécifiquement une force particulière au mensonge ;

qu'au demeurant, Claude M fait à. juste titre valoir que la mission d'audit comportait un examen de la situation des fermes au regard de la certification et a donné lieu à une rencontre de l'auditeur avec un responsable de BVQI ;

Attendu par conséquent que le délit d'escroquerie poursuivi n'est pas caractérisé ;

Attendu que le délit de tromperie, qui selon la consultation juridique expressément incorporée aux conclusions de l'appelante serait susceptible de se trouver caractérisé en présence d'une réticence dolosive sur une qualité substantielle de la marchandise vendue, en l'occurrence le stock de poissons labellisable, par abstention du professionnel à donner à l'acquéreur même professionnel mais d'une autre spécialité, une information sur des anomalies graves apparues au stade de la production d'alevins et par conséquent à une étape essentielle incluse dans le référentiel du Label Rouge, cette incrimination n'est pas susceptible de s'appliquer à la transaction considérée ;

Attendu en effet que ce sont des actions et des parts sociales, meubles incorporels, dont la société MP s'est portée acquéreur, et non pas des marchandises de toutes natures au sens de l'article L. 213-l du Code de la consommation ;

que le principe d'interprétation stricte de la loi pénale résultant de l'article 111-4 du Code pénal s'oppose à l'application de ce texte d'incrimination hors du champ qu'il a défini, quand bien même cette cession de droits incorporels emportât celle de stocks qui ont la nature de marchandises et qui font la valeur essentielle de la transaction ;

Attendu, sur l'usage frauduleux d'un label agricole ou une certification, en l'espèce le "Label Rouge" appliqué à des poissons, qu'aux termes des articles L. 640-2 et suivants du Code rural :

- le Label Rouge est un signe d'identification de la qualité et de l'origine, mode de valorisation qui s'applique à un produit agricole ou produit de la mer dont il atteste la qualité supérieure, résultant notamment de ses conditions particulières de production et conforme à un cahier des charges,

-la démarche de certification des produits constitue une autre catégorie de mode de valorisation des produits agricoles, mais qui ne s'applique pas aux produits bénéficiant d'un Label Rouge (article L. 641-21) ;

Attendu qu'en affirmant, dans le protocole de cession, que "la production de ces deux sociétés est labellisée en "Label Rouge", lequel label a été obtenu après des démarches, procédures longues et coûteuses et une adaptation des matériels, procédures de l'entreprise. Cette démarche "qualité" permet aujourd'hui une production à valeur ajoutée forte et un positionnement sur le marché tout à fait particulier", Claude M n'a pas "utilisé ou tenté d'utiliser frauduleusement un label agricole" au sens de l'article L. 115-24, le fait affirmé étant exact dans sa généralité ou son principe puisque le cahier des charges de production avait en effet obtenu la reconnaissance d'un Label Rouge, ce qui ne présume pas de son respect ou de son succès effectifs pour chaque produit, encore moins d'une apposition acquise du logo pour chaque produit, laquelle apposition n'intervient qu'au moment de la mise en vente après contrôle de tous les éléments de la qualité requise et la convention de cession prévoyant précisément un contrôle tant de la quantité que de la qualité des stocks d'élevage à la charge de l'acquéreur ;

Sur l'action civile :

Attendu qu'en l'état du renvoi du prévenu des fins des poursuites, les constitutions de partie civile de la SARL MP prise en la personne de Maître Astier, de Maître Astier et de Bruno L sont privées de fondement ;

Par ces motifs : LA COUR, Statuant publiquement, par arrêt contradictoire à l'égard de Claude M, la SARL MP prise en la personne de Maître Astier, Maître Astier et Bruno L, en matière correctionnelle, après en avoir délibéré conformément à la loi, Vu les arrêts de cette cour des 27 février 2008 et 26 mai 2009, Au fond, Sur l'action publique, Renvoie Claude M des fins des poursuites ; Sur l'action civile : Déclare Claude M, la SARL MP prise en la personne de Maître Astier, Maître Astier et Bruno L irrecevables en leurs constitutions de partie civile ; Le tout conformément aux articles visés au jugement et au présent arrêt, et aux articles 512 et suivants du Code de procédure pénale.