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Décisions

CA Nancy, 1re ch. civ., 8 février 2011, n° 09-01930

NANCY

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Thebault (Epoux), Matmut (SAM)

Défendeur :

Brossette (SA), Auer (SAS), Compagnie Zurich Assurances

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Dory

Conseillers :

M. Schamber, Mme Roubertou

Avoués :

SCP
Chardon, Navrez, Me Gretere, SCP Leinster Wisniewski, Mouton

Avocats :

Mes Dupied, Bourgaux, Carlot, Roussel

TGI Saint-Dié-des-Vosges du 22 mai 2009

22 mai 2009

Faits et procédure :

Les époux Thébault Bruno-Duval Pascale sont propriétaires d'un chalet au Valtin (88) équipé de deux radiateurs à gaz propane à ventouse de marque Auer, vendus par la SA Brossette à l'entreprise Hussard qui les a elle-même vendus aux époux Thébault et les a installés au cours de l'été 2002.

Faisant valoir que lors de l'hiver 2002-2003 ils ont laissé ces radiateurs en fonctionnement lors de leur absence, mais qu'un dégât des eaux est survenu en raison du gel de canalisations d'eau dû à un arrêt de fonctionnement des radiateurs, ils ont avec leur assureur, la Matmut, fait assigner par actes d'huissier des 16 et 18 juillet, et 7 août 2007, la SA Brossette, la SAS Auer et la compagnie Zurich Assurances devant le Tribunal de grande instance de Saint-Dié-des-Vosges, afin d'obtenir, au visa de l'article 1386-1 du Code civil , la condamnation solidaire de la société Brossette et de la société Auer à payer à la Matmut la somme de 24 819 euro correspondant à l'indemnisation de ses assurés, aux époux Thébault la somme de 2 360,35 euro, correspondant à leur préjudice matériel non couvert par leur assureur, et celle de 5 000 euro à titre de dommages et intérêts, la condamnation solidaire des mêmes à remplacer les radiateurs défectueux sous astreinte, et à payer à la Matmut la somme de 1 000 euro au titre des frais irrépétibles, et afin de voir constater que la société Auer est assurée auprès de la compagnie Zurich Assurances.

La société Brossette, qui a précisé avoir été un vendeur intermédiaire du matériel et n'avoir joué aucun rôle dans le choix, la pose ou la fabrication du matériel, a conclu à l'irrecevabilité des demandes à son encontre alors que le fabricant est identifié, et pour prescription triennale, et au débouté, subsidiairement à la garantie de la société Auer, à la condamnation des demandeurs à lui payer une somme de 5 000 euro au titre des frais irrépétibles.

La société Auer et la compagnie Zurich Assurances ont conclu au rejet des demandes, et à la condamnation des demandeurs à leur payer la somme de 3 000 euro à titre de dommages et intérêts et celle de 2 000 euro au titre des frais irrépétibles.

Par jugement du 22 mai 2009, le tribunal a déclaré irrecevable l'action des demandeurs contre la société Brossette, la société Auer et la compagnie Zurich Assurances, rejeté toutes autres demandes, condamné solidairement les demandeurs aux dépens.

Il a fait application de l'article 1386-7 du Code civil pour retenir que la responsabilité du vendeur n'étant que par défaut, l'action contre la société Brossette est irrecevable.

Il a considéré que le point de départ de la prescription de trois ans de l'article 1386-17 du Code civil est le premier rapport d'expertise de la Matmut du 23 juin 2003 qui a établi la nature du dommage et imputé la responsabilité de celui-ci à un défaut du matériel fabriqué par la société Auer, et que l'action était donc prescrite à la date du 23 juin 2006.

Les époux Thébault et la Matmut ont interjeté appel de cette décision par déclaration remise au greffe le 21 juillet 2009.

Ils ont demandé par dernières conclusions déposées le 10 décembre 2009, sur le fondement des articles 1386-1 et suivants du Code civil , de condamner la société Auer à payer à la Matmut, subrogée dans les droits de ses assurés, la somme de 24 819 euro avec intérêts de droit à compter de l'assignation, aux époux Thébault la somme de 2 360,35 euro avec intérêts de droit à compter de l'assignation, et celle de 5 000 euro à titre de dommages et intérêts pour les soucis et tracas issus de la procédure, de condamner la société Brossette à procéder au remplacement des radiateurs défectueux, dans le mois de la décision à intervenir, sous peine d'astreinte de 150 euro par jour de retard, en application de l'article 1386-18 du Code civil , de condamner les intimés à payer à la Matmut la somme de 1 000 euro au titre de l'article 700 du CPC et aux dépens de première instance et d'appel, avec autorisation pour leur avoué de les recouvrer conformément aux dispositions de l'article 699 du CPC.

Ils contestent la prescription de l'action contre la société Brossette alors qu'il a fallu trois rapports d'expertise pour déterminer la cause des désordres et le caractère défectueux des radiateurs, et que l'intéressé a usé d'une manœuvre dilatoire parce qu'il était prévu la dépose et l'analyse des deux appareils, ce qui n'a pas été fait malgré relances, que le point de départ de la prescription doit être fixé à la date du dernier rapport d'expertise, soit le 25 avril 2005.

La Matmut demande le remboursement des sommes versées aux époux Thébault, et ces derniers demandent le remboursement de la franchise et de frais annexes.

Les époux Thébault indiquent que les radiateurs ne fonctionnent toujours pas de manière normale et satisfaisante, malgré les interventions de l'entreprise Hussard, qu'il s'arrêtent couramment, qu'ils ne peuvent jouir correctement des radiateurs, ce qui justifie des dommages et intérêts et le remplacement des appareils.

Ils font valoir qu'ils disposent d'un recours contractuel contre leur vendeur en application de l'article 1386-18 du Code civil dès lors que le matériel était encore sous garantie.

La société Brossette a demandé par dernières conclusions déposées le 22 mars 2010, de confirmer le jugement sauf en ce qui concerne les frais irrépétibles, de donner acte aux appelants de ce qu'ils renoncent à leurs demandes contre elle s'agissant des conséquences du sinistre dégât des eaux révélé le 15 février 2003, de rejeter toutes demandes au titre du dit sinistre, de dire que les appelants ne visent aucun fondement juridique à leur demande de remplacement des radiateurs, et qu'ils n'ont aucun lien de droit avec elle, en conséquence de les débouter de leurs demandes dirigées contre elle, comme étant irrecevables, injustifiées et non fondées, subsidiairement de condamner la société Auer à la garantir de toutes condamnations prononcées contre elle, de condamner in solidum la Matmut et les époux Thébault, ou qui mieux le devra, à lui payer la somme de 5 000 euro au titre de l'article 700 du CPC et aux dépens d'instance et d'appel, avec autorisation pour son avoué de recouvrer ceux dont il a fait l'avance conformément aux articles 696 et 699 du CPC.

Elle s'oppose à la demande portant sur le remplacement des radiateurs alors que si les appelants visent l'article 1386-18 du Code civil , ils ne précisent pas le fondement juridique de leur demande, indique que la garantie contractuelle ne peut être invoquée contre elle parce qu'elle n'a pas été le vendeur et cocontractant des époux Thébault, que ces derniers ne rapportent pas la preuve du défaut des radiateurs à l'origine du sinistre, que l'avis de l'expert de la Matmut n'a pas été partagé, ce qui n'a pas permis le règlement amiable du litige, que les arrêts intempestifs des radiateurs peuvent résulter d'une mauvaise installation des appareils, qu'aucune explication technique ne permet de retenir un défaut des radiateurs.

Elle demande si sa responsabilité est retenue, la garantie de la société Auer, fabricant des radiateurs.

La société Zurich Assurances et la société Auer ont demandé par dernières conclusions déposées le 17 septembre 2010, de débouter les appelants de leur appel, de confirmer le jugement en ce qu'il a déclaré irrecevable l'action des époux Thébault et de la Matmut contre elles, subsidiairement de débouter les époux Thébault et la Matmut de leur demande, et de les condamner in solidum à leur payer la somme de 2 000 euro au titre de l'article 700 du CPC et aux dépens de première instance et d'appel, ces derniers pouvant être recouvrés par leur avoué conformément aux dispositions de l'article 699 du CPC.

Elles précisent que dès l'origine les époux Thébault et leur assureur ont incriminé le défaut des radiateurs et que lors du dépôt du premier rapport d'expertise du 23 juin 2003 ils avaient connaissance de l'identité du producteur, que la prescription a donc commencé à courir au plus tard à cette date et a été acquise le 23 juin 2006, de sorte que l'action est prescrite. Elles soulignent que le point de départ de la prescription n'est pas le jour où a été déterminée la cause du défaut, et que le troisième rapport d'expertise concerne l'entreprise Hussard et son assureur.

Elles contestent subsidiairement la responsabilité de la société Auer dès lors que la preuve du défaut de fabrication des radiateurs n'a pas été rapportée et que le fait qu'ils se soient mis en arrêt ne prouve pas l'existence d'une défectuosité, alors que les arrêts ont pu être la conséquence d'une mauvaise installation ou d'un mauvais réglage. Ils relèvent que ce point n'a pu être vérifié compte tenu de la dépose des radiateurs, qui une fois remis en place ont parfaitement fonctionné.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 18 novembre 2010.

Motifs de la décision :

Sur les demandes dirigées à l'encontre de la société Auer et de son assureur :

Il résulte de l'article 1386-16 du Code civil que l'action en réparation fondée sur la responsabilité du fait des produits défectueux se prescrit dans un délai de trois ans à compter de la date à laquelle le demandeur a eu ou aurait dû avoir connaissance du dommage, du défaut et de l'identité du producteur.

Il est avéré qu'à la suite du dégât des eaux qui leur a été révélé le 15 février 2003, les époux Thébault ont déclaré le sinistre à leur assureur de dommages, la Matmut, qui a fait accomplir des investigations sur les causes du sinistre et l'étendue de ses conséquences par le cabinet d'expertise Nadler. Dans son premier rapport, du 23 juin 2003, ce cabinet a certes identifié le fabriquant des radiateurs incriminés. Par contre, il ne s'est pas prononcé sur les causes du sinistre, préconisant un examen des radiateurs par la société Auer. C'est donc à tort que par une dénaturation des termes du rapport du 23 juin 2003, que le premier juge a fixé à cette date le point de départ de la prescription de l'action, quand bien même le fabriquant était alors connu, dès lors qu'aucun défaut des appareils n'était caractérisé. Du reste, les rapports complémentaires du 2 juin 2004 et du 25 avril 2005 ne se prononcent pas plus sur l'existence certaine d'un défaut des radiateurs.

Aussi, il doit être retenu que la prescription n'avait pas commencé à courir à la date de l'assignation du fabriquant, si bien que le premier juge ne pouvait déclarer prescrite l'action fondée sur les articles 1386-1 et suivants du Code civil.

Mais ainsi qu'il a été relevé, les investigations techniques opérées n'ont pas permis de caractériser avec certitude un défaut des radiateurs, le cabinet Nadler s'étant borné, dans son dernier rapport en date du 25 avril 2005, à énoncer, en termes dubitatifs, 'qu'à nouveau plusieurs hypothèses concernant l'arrêt répété des appareils ont été évoquées et il en résulte après analyse qu'un dysfonctionnement est vraisemblablement à l'origine de ces arrêts'. Par conséquent, il n'est pas à exclure que le sinistre soit imputable à la pose de ces appareils, si bien que l'action engagée à l'encontre du fabriquant et de son assureur ne peut prospérer.

Sur les demandes dirigées à l'encontre de la société Brossette :

Les dispositions de l'article 1386-18 du Code civile autorisent certes les époux Thebault, ainsi que leur assureur subrogé, à exercer à l'encontre de la société Brossette, grossiste revendeur des radiateurs incriminés, une action fondée sur une garantie contractuelle.

Force est cependant de constater que n'est produite aucune preuve dont il résulterait que la société Brossette aurait, par l'intermédiaire de l'entreprise Hussard, pris l'engagement de consentir à l'acquéreur final une garantie contractuelle de bon fonctionnement.

Succombant en leur recours, les époux Thébault et la Matmut, tenus aux dépens, seront condamnés à payer à la société Brossette d'une part, et à la société Auer et à la société Zürich Assurances d'autre part, une somme de 2 000 euro au titre des frais de défense non compris dans les dépens.

Par ces motifs : LA COUR, statuant contradictoirement, par arrêt prononcé par mise à disposition au greffe, Confirme les dispositions du jugement relatives aux dépens de première instance ; Infirme le jugement en ses autres dispositions ; Et statuant à nouveau : Rejette les fins de non-recevoir ; Déboute les époux Thébault et la Matmut de leurs demandes dirigées tant à l'encontre de la société Auer et la société Zürich Assurances, qu'à l'encontre de la société Brossette ; Condamne les époux Thébault et la Matmut à payer d'une part à la société Auer et à la société Zürich, et d'autre part à la société Brossette une somme de deux mille euro (2 000 euro) en remboursement de leurs frais de défense non compris dans les dépens ;

Les condamne aux dépens de l'instance d'appel et accorde aux avoués des intimées un droit de recouvrement direct dans les conditions prévues par l'article 699 du Code de procédure civile.