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Décisions

CA Orléans, 15 septembre 2008, n° 07-01710

ORLÉANS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Electrolux Home Products France (SAS)

Défendeur :

Thelem Assurances, Lambert (Epoux), Contentieux Judiciaire

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bureau

Conseillers :

Mmes Nollet, Hours

Avoués :

SCP Laval-Lueger, Me Garnier

Avocats :

SCP La Boétie, SCP Girault-Celerier

TGI Orléans, du 25 mai 2007

25 mai 2007

Les époux Lambert ont acquis, le 16/11/2001, un sèche-linge de marque "Arthur Martin-Electrolux", qu'ils ont installé dans une dépendance de leur maison d'habitation à Chaingy (45).

Le 19/02/2004, Sylvie Lambert, qui avait mis en marche l'appareil avant de s'absenter de son domicile vers 11 h 30, a observé à son retour, vers 11 h 55, de la fumée blanche s'échappant par la porte de la dépendance et de courtes flammes en partie supérieure et inférieure du sèche-linge.

L'incendie, qui s'en est suivi, a causé des dommages importants tant au bâtiment qu'au mobilier.

L'expert de la compagnie d'assurances a indiqué que le sinistre semblait avoir pris naissance dans le sèche-linge, à la suite d'un dysfonctionnement.

Monsieur Daniel Vasseur, commis en référé en qualité d'expert judiciaire, a conclu, au terme de ses opérations, que l'origine du sinistre se situait bien au sein du sèche-linge, vraisemblablement victime d'une anomalie de régulation thermique.

Au vu de ces conclusions, la société Thelem Assurances, venant aux droits de la compagnie M.R.A., et les époux Lambert ont saisi le Tribunal de grande instance d'Orléans, aux fins de voir consacrer, sur le fondement des articles 1386-1 et 1147 du Code civil , la responsabilité de la société Electrolux et d'obtenir l'indemnisation de leur préjudice.

Par jugement du 25 mai 2007, le tribunal a condamné la société Electrolux Home Products France à payer :

- à la société Thelem Assurances la somme de 23 124,93 euro, avec intérêts au taux légal à compter du 17 mars 2005,

- aux époux Lambert la somme de 2 842,02 euro, avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation.

Le tribunal a ordonné l'exécution provisoire de cette disposition, à concurrence des 4/5èmes des sommes allouées, a condamné la société Electrolux à payer aux intimés la somme de 1 800 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile , a rejeté toutes autres demandes et a condamné la société Electrolux aux dépens, en ce compris les frais de référé et d'expertise.

La société Electrolux Home Products France a interjeté appel de cette décision.

Par conclusions du 9 mai 2008, elle sollicite :

à titre principal,

- l'annulation du jugement et le rejet de toutes demandes formulées par les intimés,

à titre subsidiaire,

- l'infirmation dudit jugement, sa mise hors de cause et le rejet de toutes demandes formulées par les intimés,

à titre très subsidiaire,

- la réouverture des débats, l'injonction faite à l'expert judiciaire de communiquer des agrandissements au format 30 X 40 cm de ses clichés photographiques n°1 et 2 et l'audition dudit expert afin de recueillir ses observations sur l'utilisation d'une multiprise par les époux Lambert,

en tout état de cause,

- la condamnation, in solidum, des époux Lambert et de la société Thelem Assurances à lui restituer la somme de 21 854,95 euro, avec intérêts au taux légal à compter du 23 août 2007,

- leur condamnation, in solidum, à lui verser la somme de 3 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

- leur condamnation, in solidum, aux entiers dépens.

La société Electrolux Home Products France allègue que l'expert judiciaire s'est contredit, en situant l'origine de l'incendie au sein du sèche-linge, alors même qu'il avait précédemment constaté l'absence de tout défaut affectant les organes internes de l'appareil, qu'il a, à tort, écarté, sans véritable vérification, le rôle possible des installations électriques du garage, alors que les époux Lambert faisaient usage d'une triplette, dont seule une partie a été retrouvée dans les décombres, que l'expert ne pouvait davantage écarter, sans le vérifier, l'hypothèse d'une cause extérieure au sèche-linge, tenant à la présence éventuelle d'un corps étranger dans le linge (briquet, par exemple) et que le rapport émanant du Laboratoire Central des Industries Electriques établit l'impossibilité d'inflammation du moteur, en raison de la trop faible présence d'éléments combustibles qu'il contient.

Elle soutient que le jugement entrepris, qui ne précise pas le fondement juridique sur lequel il fonde la responsabilité de la société Electrolux (articles 1386-1, 1147, 1641 ou 1382 du Code civil), est entaché de nullité, subsidiairement, que la défectuosité des organes internes du sèche-linge n'est pas démontrée, l'expert ayant refusé de faire procéder à une expertise du moteur et ne s'étant fondé que sur des hypothèses non vérifiées, que la localisation d'un départ de feu ne se confond pas avec sa cause, et que, en cas de doute quant à l'utilisation par les époux Lambert d'une multiprise, il appartiendra à la cour de réouvrir les débats et d'enjoindre à l'expert de communiquer des agrandissements de ses clichés 1 et 2, lesquels confirmeront l'existence de la multiprise.

Par conclusions du 13 mai 2008, la société Thelem Assurances et les époux Lambert sollicitent la confirmation de la décision déférée, le rejet de toutes les demandes de la société Electrolux et la condamnation de cette dernière à leur payer la somme de 3 500 euro sur le fondement de l' article 700 du Code de procédure civile , outre leur condamnation aux dépens.

Ils allèguent que le rapport de l'expert, clair, motivé et non sérieusement contesté par l'appelante, met en évidence la responsabilité de cette dernière, que le fondement juridique de cette responsabilité, clairement énoncé dans le jugement, repose sur les articles 1386-1 et suivants et 1147 du Code civil , qu'en l'occurrence, il résulte des constatations et conclusions expertales que la société Electrolux a failli à l'obligation de sécurité qui pèse sur elle, que l'expert a exclu toute autre origine que celle résultant d'une défaillance des organes internes du sèche-linge, que l'incident tendant à la communication d'agrandissements de photographies annexées au rapport d'expertise déposé depuis plus de quatre ans est purement dilatoire, que le rapport du Laboratoire Central des Industries Electriques, qui ne concerne pas le sèche-linge sinistré, est inopérant et, enfin, que l'inexistence d'une triplette a été confirmée, contradictoirement et sans contestation possible, par l'expert.

Sur ce, la cour :

Attendu que, bien qu'il ne l'indique pas expressément dans les motifs de sa décision, le tribunal a indiscutablement retenu la responsabilité de la société Electrolux sur le fondement des articles 1386-1 et suivants et 1147 du Code civil, seul fondement sur lequel il était saisi ;

Qu'il n'y a donc pas lieu à annulation de la décision ;

Sur la responsabilité :

Attendu qu'en vertu des dispositions de l'article 1386-1 du Code civil, le producteur est responsable du dommage causé par un défaut de son produit, qu'il soit ou non lié par un contrat avec la victime ;

Qu'un produit est défectueux, lorsqu'il n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre ;

Qu'il appartient au demandeur à l'action de prouver le dommage, le défaut et le lien de causalité entre le défaut et le dommage ;

Attendu que, dès le lendemain de l'incendie, l'expert mandaté par la compagnie d'assurances des époux Lambert a procédé à des constatations, dont il est ressorti que l'incendie semblait avoir pris naissance dans le sèche-linge et qu'il apparaissait probable qu'un dysfonctionnement de l'appareil soit à l'origine du départ de feu ;

Attendu que monsieur Daniel Vasseur, expert près la présente cour, désigné par ordonnance de référé du 14 avril 2004, a, notamment, relevé que :

- les constatations réalisées sur le terrain attestent, sans aucune ambiguïté, que le sens de développement de l'incendie s'oriente verticalement et horizontalement à partir du secteur du sèche-linge,

- les traces nettement visibles sur le congélateur adjacent, le sol, le mur d'appui et le socle en bois des organes électriques du petit garage démontrent, sans conteste, cet état de fait,

- les organes électriques comprennent, notamment, deux prises de courant, l'une dédiée à l'alimentation du congélateur et l'autre à celle du sèche-linge,

- très occasionnellement, un réfrigérateur était raccordé au tableau à l'aide d'une rallonge, à l'emplacement du sèche-linge, voire au travers de l'utilisation d'une doublette, ce qui n'est pas confirmé par l'utilisateur,

- il n'existait pas de doublette ou de triplette sur le tableau du "petit garage", ce qui a pu être confirmé contradictoirement, sans conteste, suite aux observations réalisées sur le terrain au sein des vestiges de l'installation, tant au niveau du tableau qu'au sol,

- dans tous les cas, il a été constaté la parfaite conformité des installations électriques au regard de la norme NF-C-15-100,

- l'observation des connexions entre les éléments mâles et femelles permet d'affirmer qu'il n'y a pas eu d'amorçage permanent produisant suffisamment d'énergie pour engendrer un incendie,

- il y a lieu de souligner l'aspect meringué des différents composants en matière plastique récupérés et constituant les prises de courant, attestant d'atteintes subies de l'extérieur vers l'intérieur et justifiant, par là même, d'une absence d'échauffement en interne des divers organes situés sur le tableau,

- le tableau support en bois présente lui aussi un aspect tout à fait caractéristique. En effet, sa destruction n'est que partielle malgré son extrême vulnérabilité. Seul l'angle inférieur droit, à l'aplomb du sèche-linge est totalement détruit [...]. Indéniablement, l'existence de ce tableau en bois et son aspect bien contrasté affirment que le phénomène de propagation était bien vertical et issu du sèche-linge, excluant de fait, sans ambiguïté, l'aspect électrique propre au "petit garage",

- les installations électriques propres au bâtiment peuvent être mises hors de cause en matière d'origine de ce sinistre,

- l'aspect général du sèche-linge en interne atteste d'un échauffement progressif et graduel ayant causé des atteintes bien visibles sur les parois métalliques, le tambour, le moteur et le linge notamment,

- compte-tenu des critères techniques relatifs au moteur et de l'environnement immédiat de celui-ci, l'hypothèse d'un effet joule ou d'un incident électrique au niveau du moteur peut être prise en considération, sans ambiguïté,

- l'état du fond du sèche-linge constituant plancher dénote un fort échauffement en interne exclusivement,

- le linge n'a pas brûlé mais a simplement subi les effets d'une surchauffe constante et progressive, ayant pour conséquence de constituer une gangue, une meringue charbonnée en surface, le linge en profondeur restant intact,

- seul un échauffement intrinsèque à l'appareil [...] a pu engendrer ce phénomène caractéristique,

- dans tous les cas, les preuves techniques et matérielles observées me permettent d'affirmer, sans ambiguïté, que l'origine de cet incendie prend bien naissance au coeur du sèche-linge, sans aucune liaison avec un quelconque incident externe à l'appareil ;

Attendu que, au terme de ses constatations, l'expert a conclu que l'origine de ce sinistre se situait indéniablement au sein du sèche-linge, vraisemblablement victime d'une anomalie de régulation thermique, qui a progressivement fait monter la température au sein du volume interne de l'appareil, carbonisant le linge et faisant fondre divers éléments sensibles au feu ;

Qu'il a considéré que l'origine du feu était intrinsèque au sèche-linge, l'état général de l'appareil en attestant incontestablement et la cause formelle mettant en cause un échauffement du moteur ;

Qu'il a ajouté que toutes les constatations réalisées sur le terrain justifiaient parfaitement et techniquement cet état de fait et que l'hypothèse fondée sur l'introduction par dépression d'un point en ignition au sein du sèche-linge était, a contrario, très difficile à justifier scientifiquement;

Attendu que l'expert judiciaire, colonel des sapeurs-pompiers, a une parfaite connaissance et une compétence reconnue, relatives aux phénomènes entourant la naissance, la propagation et les suites d'un incendie ;

Qu'il a, en l'espèce, procédé à de minutieuses et complètes investigations sur les lieux, qui lui ont permis d'écarter, scientifiquement et avec certitude, toutes les causes possibles d'incendie, extérieures au sèche-linge incriminé ;

Que les constatations effectuées lui ont permis de conclure à une origine interne à l'appareil, manifestement liée à un échauffement du moteur ;

Qu'il importe peu de savoir s'il existait ou non, dans le local dont s'agit, une triplette, dès lors qu'il est acquis qu'au moment où le sinistre a pris naissance, l'appareil était directement branché sur une prise électrique et que l'expert a formellement exclu toute origine électrique du sinistre, ayant spécialement constaté la parfaite conformité de l'installation électrique aux normes en vigueur ;

Que le rapport du Laboratoire Central des Industries Electriques invoqué par l'appelante a été établi, suite à une expertise réalisée deux ans plus tôt, sur un autre appareil, à l'occasion d'un sinistre survenu dans un environnement différent, à partir de l'examen de l'appareil uniquement, sans aucune constatation sur place, ce qui exclut toute analyse des autres causes possibles ;

Qu'au surplus, contrairement à ce qu'affirme la société Electrolux, ledit rapport n'exclut nullement une cause interne au sèche-linge, dès lors qu'il indique seulement que, de par ses éléments et leur nature, un moteur électrique ne "favorise" pas un incendie, ce qui ne signifie pas pour autant que tout démarrage de feu à partir du moteur soit impossible, et que le rapport énumère encore comme autres causes possibles d'incendie "internes" à l'appareil la défaillance du programmateur, l'arrêt de la minuterie entraînant une surchauffe du moteur, ainsi que la rupture de la courroie d'entraînement du tambour, le linge non brassé chauffant alors anormalement ;

Que, compte-tenu des conditions de son établissement et de sa teneur, cette étude ne peut remettre en cause les conclusions précises, claires et parfaitement motivées par les éléments de l'espèce, du rapport de l'expert judiciaire ;

Attendu qu'il résulte de ces constatations et conclusions la preuve d'une défaillance intrinsèque au sèche-linge fabriqué et commercialisé par la société Electrolux, à l'origine de l'incendie survenu le 19 février 2004 au domicile des époux Lambert ;

Que la société Electrolux a, à bon droit, été condamnée à indemniser ces derniers et la société Thelem Assurances de leur préjudice ;

Attendu que les dispositions du jugement relatives à l'indemnisation de ce préjudice ne sont pas contestées ;

Que le jugement sera confirmé en toutes ses dispositions ;

Attendu que la société Electrolux, qui succombe, supportera les dépens et sera, en outre, condamnée au paiement d'une indemnité de procédure de 1 500 euro ;

Par ces motifs : LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Confirme en toutes ses dispositions le jugement entrepris, Y Ajoutant, Condamne la société Electrolux Home Products France à payer à la société Thelem Assurances et aux époux Lambert, ensemble, la somme de mille cinq cents euro (1 500 euro), sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Rejette le surplus des demandes, Condamne la société Electrolux aux dépens et accorde à Maître Garnier, avoué, le bénéfice des dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.